L'europe en normes

le cas particulier des technologies de l'information

Catherine Mattenet

Imposée par l'ouverture d'un marché européen unique en 1993, l'harmonisation de la normalisation au niveau européen, fixée dans ses grandes lignes par la CEE, est essentiellement la tâche des différents organismes européens de normalisation : la CEPT (Conférence européenne des administrations des postes et des télécommunications) a la charge des normes concernant les télécommunications ; les autres normes, en particulier celles qui concernent les techniques de l'information, sont à la charge du CEN (Comité européen de normalisation) et du CENELEC (Comité européen de normalisation électrotechnique), qui ont tous deux adopté des règles communes d'élaboration de leurs normes. Ces organismes produisent différents types de documents : les EN (normes européennes), les ENV (prénormes européennes), les HD (documents d'harmonisation) et les rapports. Les normes doivent être appliquées dans chaque État de la Communauté. En France, leur enregistrement-validation ressortit à la tâche de l'AFNOR, qui aura également un rôle fondamental à jouer dans l'établissement de normes communes.

Imposed by the coming European market of 1993, the standard harmonization in Europe, decided by the European economic Community, is mainly conducted by the various European standards institutions. Therefore, the CEPT ( the European conference of postal and telecommunications administrations) is responsible for the telecommunications standards ; all other standards, principally those related to information technology, are under the responsibility of the CEN (European committee for standardization) and the CENELEC (European committee for electrotechnical standardization), both of them using common principles in the preparation of their standards. These organizations produce different documents : the EN (European standards), the ENV (European prestandards), the HD (Harmonization documents) and the reports. The standards must be used in each member State. AFNOR, which is the French member of the CEN responsible for their registration and certification, will also take an active part in the preparation of community standards.

EN 1993, nous devrons considérer le marché européen dans les mêmes termes que nous considérons aujourd'hui le marché français, qu'il s'agisse de fiscalité, de transport, de réglementation ou de normalisation. En 1993, les règles techniques, les normes et les certificats nationaux ne seront en principe plus opposables d'un pays à l'autre dans la Communauté, ce qui implique un profond changement de mentalité. Pour faciliter ce changement et éliminer en particulier les barrières techniques, les institutions politiques de la CEE ont pris l'initiative de grands programmes européens tels que ESPRIT, qui concerne les technologies de l'information, RACE, le domaine des télécommunications, et DRIVE, DELTA et AIM, dérivés des deux premiers 1.

La CEE a également pris des mesures pour harmoniser la normalisation entre les pays membres. La directive 83/189/CEE du Conseil des Communautés européennes du 28 mars 1983 prévoit une procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques, qui permet aux États d'intervenir pour éviter de possibles entraves à la circulation des produits dans la Communauté, en faisant obligation à chacun des pays membres de notifier ses projets de normalisation aux autres pays membres. En France, c'est l'AFNOR qui est chargée par le ministère de l'Industrie, des PTT et du Tourisme de faire fonctionner la procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques 2.

Nouvelle approche

S'appuyer sur les résultats des organismes de normalisation existants, telle a été l'option prise par le Conseil des communautés européennes. La résolution du 7 mai 1985 a affiché une nouvelle approche fondée sur les principes suivants: les directives de la Communauté ne doivent harmoniser que les exigences essentielles (sécurité, santé, environnement, protection du consommateur.:.) auxquelles doivent satisfaire les produits pour avoir accès au marché européen ; les spécifications techniques précises nécessaires, ou simplement utiles, pour assurer le respect de ces exigences doivent être élaborées par les organismes européens de normalisation ; les normes doivent conserver leur statut volontaire ; enfin, les États membres doivent accorder la libre circulation aux produits, soit conformes aux normes auxquelles la directive renvoit, soit certifiés par un organisme indépendant comme étant conformes aux exigences essentielles de la directive.

Cette nouvelle approche vise à aboutir à la fois à une simplification et à une accélération du processus législatif communautaire en évitant de rendre obligatoires de nombreuses règles de détail. Il s'agit en somme de faciliter l'innovation et de fixer des objectifs à atteindre, plutôt que d'en codifier de façon trop rigide les modalités. La résolution du Conseil déclarait le CEN (Comité européen de normalisation) et le CENELEC (Comité européen de normalisation électrotechnique) organismes compétents en matière de normalisation européenne.

Les organismes de normalisation

Le CEN est composé des instituts de normalisation des pays de la CEE (AFNOR pour la France, DIN pour la RFA, BSI pour le Royaume-Uni,..) et de l'AELE (Association européenne de libre échange, où se retrouvent l'Autriche, la Finlande, l'Islande, la Norvège, la Suède et la Suisse). Ses objectifs se réalisent notamment par l'harmonisation des normes nationales publiées par les divers membres et la préparation de rapports sur l'état d'harmonisation, mais aussi par la promotion, par ces mêmes membres, de l'application générale des normes de l'ISO (Organisation internationale de normalisation), ainsi que d'autres normes ou recommandations internationales.

Il procède également à la préparation de normes européennes (EN) entièrement nouvelles, lorsqu'elles sont justifiées par des besoins en Europe de l'Ouest et qu'il n'existe pas de normes internationales appropriées, ou autres, pouvant être utilisées comme document de référence. Il met au point des procédures pour la reconnaissance mutuelle des résultats d'essais et des systèmes de certification au niveau européen, et soutient la normalisation mondiale au sein de l'ISO.

Enfin, il coopère avec la CEE, l'AELE et les autres associations internationales gouvernementales - afin qu'elles puissent faire référence dans leurs directives et autres documents officiels aux normes européennes et aux documents d'harmonisation (HD) -, ainsi qu'avec les autres organisations internationales gouvernementales, économiques et scientifiques - sur les sujets concernant la normalisation - et le CENELEC.

Au 1er janvier 1988, le CEN avait publié deux documents d'harmonisation et 149 normes européennes.

Le CENELEC, quant à lui, est une organisation composée des comités électrotechniques nationaux des 16 pays représentés au CEN, auxquels s'ajoute le Luxembourg. L'harmonisation dans le domaine électrotechnique n'est pas du ressort du CEN, mais relève de la compétence du CENELEC - au 1er janvier, celui-ci avait publié 509 documents d'harmonisation et 68 normes européennes. Les deux organismes ont adopté des règles communes concernant l'élaboration et la présentation des normes européennes (EN) et des documents d'harmonisation (HD).

Par ailleurs, une directive du 24 juillet 1986 affirme la compétence de la CEPT (Conférence européenne des administrations des postes et des télécommunications) pour l'élaboration de normes européennes de télécommunications (NET), normes qui sont nécessaires pour la reconnaissance mutuelle des agréments d'équipements terminaux de télécommunications. Cette initiative s'inscrit dans le cadre de la politique menée par la CCE pour la réalisation du marché commun des télécommunications.

Les normes européennes

Les publications résultant des travaux techniques du CEN/CENELEC et publiées par eux sont désignées sous le nom de normes européennes, de documents d'harmonisation, de prénormes européennes (ENV) et de rapports CEN/CENELEC. Les documents, y compris les avant-projets, utilisés en cours d'élaboration de ces publications, sont désignés sous le nom de documents de travail et, aux stades de l'enquête CEN/CENELEC et du vote formel, sous le nom de prEN, prHD, prENV ou projets de rapports. Les normes européennes et les documents d'harmonisation sont appelés « normes CEN/CENELEC » au sens de la définition ISO/CEI (Commission électrotechnique internationale) des « normes régionales ».

On distingue ces diverses publications CEN/CENELEC comme suit : les EN sont établies en priorité, car il est important que les normes nationales des membres soient rendues identiques aussi souvent que possible - leur reprise en norme nationale est obligatoire (norme homologuée en France) ; les HD, établis si la transposition en normes nationales identiques n'est pas nécessaire, ou irréalisable - en particulier lorsque l'approbation est conditionnée par l'acceptation de divergences nationales ; les ENV, normes prospectives pour application provisoire ; les rapports CEN/CENELEC, enfin, qui comportent, selon le cas, des projets de normes non approuvées, accompagnés de leur historique et de l'analyse du contexte d'application, mais qui peuvent aussi faire l'état de la question sur les différentes normalisations nationales ou donner des éléments sur un problème technique.

L'approbation d'une EN, d'un HD ou d'une ENV est le résultat d'un vote qualifié, auquel tous les membres du CEN/CENELEC sont fondés à prendre part. Les règles de vote exigent que toutes ces publications se fondent sur un accord suffisamment large entre les pays représentés pour garantir la prise en compte la plus grande possible de leur contenu. La décision de publier un rapport est prise par le bureau technique, qui est l'instance permanente du CEN/CENELEC.

L'approbation d'une EN, d'un HD ou d'une ENV implique l'obligation, pour les membres du CEN/CENELEC, de mettre en application la publication concernée. Conformément à l'accord de statu quo, les membres du CEN/CENELEC sont également soumis à l'obligation de ne pas publier, pendant une période donnée, de norme nationale nouvelle, ou révisée, qui ne soit pas complètement alignée sur une EN ou un HD approuvé ou en cours d'élaboration. Au cours de la préparation d'une ENV, l'accord de statu quo ne s'applique pas.

Les publications CEN/CENELEC ont une existence propre et sont, en règle générale, éditées dans les trois langues officielles, anglais, français et allemand, avec un système uniforme de numérotation et de présentation, en conformité avec les règles de présentation des normes européennes.

Le CEN/CENELEC ne traite que des sujets précis et limités, pour lesquels il y a un besoin certain et urgent de normalisation, sujets qui peuvent être étudiés par des travaux intensifs et dont l'inscription au programme de travail de ces organismes a été approuvée. Dans le cas où l'étude d'un sujet est déjà entreprise de façon appropriée par l'ISO ou la CEI, le CEN/CENELEC s'orientera vers la mise en application et, si nécessaire, vers l'adjonction de compléments aux travaux de l'ISO/CEI. Les propositions pour des sujets nouveaux peuvent émaner de tout membre ou instance technique du CEN/CENELEC, de la Commission des Communautés européennés ou du secrétariat de l'AELE, ainsi que d'organisations internationales, d'organisations commerciales, professionnelles, techniques ou scientifiques européennes.

En l'absence d'un document ISO ou CEI utilisable, tout autre document approprié peut être utilisé, à la discrétion du bureau technique, du comité technique responsable ou de son secrétariat, et servir de base aux travaux devant conduire à une EN ou à un HD.

Les technologies de l'information

Le CEN/CENELEC et la CEPT se sont dotés d'un comité de pilotage (ITSTC), qui oriente et définit la normalisation européenne des technologies de l'information, normalisation qui a profité de l'action du groupe de constructeurs SPAG (Standard promotion and application group) formé en 1983, dans le cadre du programme ESPRIT, pour la promotion pratique et industrielle du modèle OSI (Open system interconnection) normalisé sur le plan international.

Cette association de douze constructeurs européens (AEG, Bull, CGE, GEC, ICL, Nixdorf, Olivetti, Philips, Plessey, Siemens, STET et Thomson), auxquels viennent de se joindre, au début de cette année, British Telecom et trois constructeurs américains (Digital equipment, Hewlett Packard et IBM) induit l'émergence d'un nouveau type de normes, les normes fonctionnelles. Celles-ci - les premières ont vu le jour en 1986 - consistent en des « profils » : les normes OSI offrant des possibilités de choix multiples, il convient de sélectionner un certain nombre d'applications et de paramètres, auxquels devront se conformer réseaux et systèmes informatiques. Il s'agit ainsi d'assurer la communication et la compatibilité de systèmes hétérogènes pour un type d'application et de transmissions donné.

Cette normalisation est soutenue par le Conseil des Communautés européennes : en effet, la décision (87/95/CEE) du Conseil du 22 décembre 1986, relative à la normalisation dans le domaine des technologies de l'information et des télécommunications, recommande l'usage des normes fonctionnelles dans les marchés publics, considérant que ceux-ci constituent un domaine privilégié pour encourager une acceptation plus large des normes OSI dans les échanges d'informations et de données.

Les utilisateurs eux-mêmes s'introduisent dans le processus de la normalisation. On peut citer à cet égard l'EWOS (European workshop on open system), créé en décembre 1987, qui procède d'un accord unanime de l'ensemble des partenaires (instances de normalisation, constructeurs, utilisateurs industriels, CEE) pour travailler sur les systèmes ouverts.

Normalisation supra-nationale ?

Il faut bien insister sur le fait que les institutions politiques de la CEE réussissent à doter l'Europe d'un véritable système de normalisation. Alors qu'à l'origine le CEN fut créé à l'image de l'ISO et le CENELEC à l'image de la CEI, la normalisation européenne présente actuellement toutes les caractéristiques d'une normalisation de type national: les normes européennes sont aussi statutairement normes nationales des États membres de la CEE - les normes divergentes ne sont plus admises - et bénéficient d'un statut privilégié dans le cadre de l'action gouvernementale (« nouvelle approche », recommandations d'emploi dans les marchés publics). Par ailleurs, le développement progressif d'une subvention communautaire, et AELE, à la normalisation l'apparente également aux normalisations nationales dont la mission spécifique d'intérêt public est reconnue depuis longtemps.

Les organismes internationaux (ISO, CEI en particulier) vont rester, tout en se modernisant, les forums où se confirmeront les technologies dominantes dans tous les domaines, où une technique a besoin d'être confirmée par une norme pour l'emporter durablement sur les marchés. L'interconnexion croissante des économies et des techniques renforce encore les enjeux qui entourent certains travaux de normalisation internationale. Il ne faut pas perdre de vue que la normalisation européenne n'est pas une entité isolée : lorsque, sur un problème particulier, l'ISO a proposé des éléments de solution, la tendance a priori est de prôner l'adoption de la norme ISO. Dans le secteur de l'information et de la documentation, cette évolution, probable, sera à suivre de très près : les normes ISO, d'application jusque-là volontaire, deviendront des normes européennes, donc des normes françaises homologuées. A moins que n'interviennent des mécanismes politiques de blocage, dans la mesure où ce secteur véhicule des enjeux culturels considérables.

C'est toutefois à Bruxelles que se prendront de plus en plus les décisions qui dessineront le futur paysage de la normalisation applicable en France, y compris ce qui concerne l'usage qui sera fait des normes internationales. C'est une question vitale pour notre économie et, de notre réponse commune, dépendra notre capacité à faire entrer nos technologies, nos laboratoires, nos centres d'essais... de plain-pied dans le grand marché.

A plus ou moins long terme, le rôle de l'AFNOR pourrait évoluer simultanément dans deux directions : une participation plus poussée à l'élaboration de normes européennes, par son rôle au sein du CEN/CENELEC, en même temps qu'un renforcement de sa fonction enregistrement-validation, puisque les normes européennes (EN) seront reprises sous le statut de normes homologuées obligatoires dans les marchés publics - l'AFNOR détient déjà des responsabilités importantes à l'heure actuelle : sa collection comporte 13 000 normes, celle de l'ISO plus de 6 000, tandis que les normes européennes s'élèvent à quelques centaines... En d'autres termes, elle aura un rôle fondamental à jouer pour l'élaboration de normes communes, encore faut-il qu'elle puisse bénéficier du travail d'experts de tout bord, entreprises, administrations, organisations professionnelles.

fin mars 1988

  1. (retour)↑  Cet article reprend un grand nombre d'informations contenues dans la revue Enjeux, publiée par l'AFNOR, n° 87, janv-fév. 1988 (un dictionnaire « nouvelle approche » de l'Europe).
  2. (retour)↑  Cet article reprend un grand nombre d'informations contenues dans la revue Enjeux, publiée par l'AFNOR, n° 87, janv-fév. 1988 (un dictionnaire « nouvelle approche » de l'Europe).
  3. (retour)↑  Cf. « Mots de passe pour l'Europe », dans ce même numéro.
  4. (retour)↑  Outre l'information régulière donnée par la rubrique « Communautés européennes » de « l'Officiel de la normalisation » dans la revue mensuelle Enjeux - information sur les travaux nouveaux engagés par les instituts de normalisation des pays européens -, une consultation spécifique sur les projets de normes étrangères est réalisée par l'AFNOR auprès de ses partenaires et correspondants des secteurs en cause (bureaux de normalisation, organisations professionnelles, experts, organismes techniques, administrations), en vue de l'évaluation de l'intérêt et des conséquences prévisibles, pour le secteur économique, d'une mise en application de ces projets.