Formations à l'IST

Forum employeurs/enseignants

Catherine Vallet

C'est le CNAM qui accueillait cette année le Forum employeurs-enseignants organisé en collaboration avec la DBMIST autour du thème : « Entreprises et formations à l'Information scientifique et technique ». Faisant suite aux journées de Villeurbanne (décembre 1986), qui recensaient les différentes formations à l'IST proposées dans les établissements d'enseignement supérieur en France 1, ce forum donnait aux employeurs l'occasion d'émettre leurs voeux et aux formateurs celle d'évaluer l'adéquation de ces formations aux besoins existant ou se faisant jour sur le marché de l'emploi.

Un problème de fond sous-tendait le débat, celui de la définition de l'IST, noyau conceptuel récent et en pleine évolution, privilégié au niveau universitaire, mais dont la légitimité n'est que rarement reconnue dans l'entreprise, puisque les profils correspondants n'apparaissent qu'indirectement dans la nomenclature dressée par l'APEC (Association pour l'emploi des cadres) ou dans les fichiers des cabinets de conseil en recrutement (Isabelle de Castelbajac, Cabinet Spencer Stuart). Ne s'agirait-il donc, comme le résumait Danièle Archambaud, rapporteur de l'atelier « Recherche et développement », que d'un domaine de connaissances complémentaire à des disciplines scientifiques de base, ou bien faut-il reconnaître, comme le revendiquent les documentalistes, une véritable autonomie à cette discipline qui se construit de manière transversale sur différents champs des sciences « dures » ou « molles» ?

Une approche méthodologique du problème était proposée en introduction par Pierre Caspar (CNAM). Selon lui, la mise en place d'une formation spécifique aux métiers de l'IST s'inscrit dans le mouvement actuel de professionnalisation de ces métiers, qui suppose l'existence d'une certaine infrastructure socioprofessionnelle (marché du travail influant sur le nombre de diplômes décernés annuellement, code de déontologie pour l'exercice du métier, organisation professionnelle, etc.) Les métiers de l'IST étant extrêmement diversifiés et en continuelle évolution, la solution passe nécessairement par l'identification de familles de métiers, caractérisées chacune par un certain professionnalisme. Pierre Caspar regroupait donc les métiers de l'IST en quatre grandes familles, autour desquelles s'articulaient d'ailleurs les différents ateliers de ce forum : les chercheurs, souvent enseignants, les concepteurs et réalisateurs de systèmes d'information ou « ingénieurs-produits », les vendeurs et ingénieurs technico-commerciaux, et enfin ceux qui gèrent l'information et que l'on appelle souvent les « intermédiaires » (bibliothécaires, documentalistes, archivistes, etc.).

Dans ce processus de professionnalisation des métiers de l'IST, la question de la formation apparaît comme prépondérante et le problème réside désormais dans le passage inéluctable d'une logique de programme et de disciplines académiques à une logique d'objectif et de finalisation professionnelle. Les formations à l'IST allant se multipliant et attirant un nombre croissant d'étudiants ( 1 200 en France, répartis en 1er, 2e, 3e cycles et écoles spécialisées, et 2 200 en Grande-Bretagne), il devenait urgent de se préoccuper de savoir si la croissance des métiers va dans le même sens. Une analyse chiffrée du marché des emplois de l'IST était ainsi présentée par Sylvie Delattre (APEC), qui dégageait de l'expérience APEC les compétences les plus valorisées par les employeurs pour le recrutement de cadres en IST : informatique documentaire, télématique, expérience professionnelle alliée à une grande capacité à la communication et à l'adaptation, la tendance générale étant de former à l'IST dans l'entreprise.

Cette approche de plus en plus scientifique, condamnant comme obsolète la fonction traditionnelle de documentaliste, devait être reprise, mais nuancée, par les ateliers organisés autour des quatre grandes familles de métiers; des témoignages diversifiés y étaient. apportés, visant à évaluer la place occupée, dans ces secteurs de l'information, par les métiers de l'information et de la documentation. On peut cependant regretter que les employeurs n'aient pas été plus nombreux à répondre aux questions des étudiants et des formateurs venus les interroger.

Haute spécialisation...

Le premier atelier concernait les métiers liés à la conception et à la production de systèmes d'information, métiers que les documentalistes semblent avoir laissé échapper. En effet, que ce soit dans des entreprises privées pratiquant la vente et le marketing de systèmes d'information (TRIEL ou Télésystèmes-Questel) ou encore dans le réseau public des ARIST (Association régionale d'information scientifique et technique), dont les ingénieurs et techniciens de très haut niveau offrent aux FMI-PME des services « clé-en-main », les emplois strictement documentaires sont pratiquement absents et deux profils sont avant tout recherchés : haut niveau de qualification technique (niveau DESS ou MST) et/ou compétences commerciales plus ou moins importantes. Cependant, de l'avis même de certains employeurs, ce secteur ne devrait pas être définitivement fermé aux documentalistes qui, en élargissant leur formation vers les nouvelles technologies, mais également vers le démarchage commercial, devraient avoir accès à des emplois de type commercial. Le même besoin d'emplois à double compétence se fait également jour dans des domaines plus traditionnels, où l'information était le plus souvent confiée à un personnel choisi dans l'entreprise et formé sur le tas, comme c'est le cas dans le secteur bancaire. La nécessité de se regrouper et de travailler en réseau a ainsi entraîné la création en 1983, au sein de l'Association française des banques, d'un Centre de documentation coordonnant l'ensemble des centres. Cette évolution devrait se traduire au niveau du personnel par le développement de compétences techniques et documentaires.

Le second atelier concernait le secteur « Recherche et développement », secteur fondamental, mais paradoxalement très peu développé en France puisque, comme le soulignait Luc Quonian (CNRS Marseille), il ne représente qu'à peine 0,5% du budget global de la recherche (soit l'un des plus faibles pourcentages pour les pays occidentaux et d'Europe de l'Est). D'une manière générale, les mêmes tendances à un très haut niveau de spécialisation ne peuvent être que plus affirmées encore dans le secteur de la recherche, en particulier dans des disciplines clés telles que l'informatique ou l'intelligence artificielle, mais également dans des disciplines scientifiques connexes, telles que les statistiques. L'utilisation, même périphérique, des sciences humaines et sociales commence toutefois à s'insinuer dans les pratiques de recherche et les modes de pensée des spécialistes. Le « cogniticien », ingénieur d'un type nouveau, illustre parfaitement cette tendance, puisqu'il allie aux compétences classiques d'un ingénieur en informatique une formation initiale ou complémentaire en psychologie, utilisée dans le cadre de l'élaboration de systèmes experts pour analyser les activités cognitives de l'opérateur humain.

Pour former au mieux les étudiants à une recherche qui s'affirme de plus en plus multidisciplinaire, il devient indispensable d'introduire dans les formations de base (chimie, physique, etc.) des modules spécifiques. C'est dans cette perspective qu'a été mis sur pied à l'Université de Paris VII, avec l'appui de la DBMIST, un troisième cycle (DEA) en IST. Situé dans un contexte scientifique (département Chimie), ce DEA réunit une trentaine d'étudiants ayant une maîtrise d'informatique et sortant le plus souvent d'écoles d'ingénieurs, qui reçoivent une double formation en informatique et en IST. La plupart des étudiants se dirigeant ensuite vers l'industrie, on envisage aujourd'hui d'orienter ce DEA vers une structure DESS en IST.

...et sens de la gestion et du commerce

L'aspect commerce de l'information, déjà évoqué lors du précédent atelier, était traité en tant que discipline autonome dans l'atelier III. Qu'ils soient éditeurs (Didot Bottin), courtiers (François Libmann pour FLA consultants), ou consultants, les « vendeurs » d'information se donnent des missions proches de celles d'un entrepreneur, fournissant de l'information à la demande et faisant le marketing de produits, de services et de systèmes. La place des documentalistes dans ce secteur est fort controversée. S'ils restent majoritaires (environ 50) dans une entreprise aussi ancienne et renommée que Didot Bottin, qui gére des banques de données d'information d'entreprise à entreprise, ils sont en revanche quasi inexistants dans des secteurs moins traditionnels, comme le secteur de la télématique.

Des expériences très diverses étaient évoquées, comme celle de Danièle Degez, ancienne documentaliste au journal Le Monde, qui a choisi de créer sa propre société de conseil en IST. Outre son expérience de consultante spécialisée dans l'informatisation des centres de documentation, elle témoignait d'une alternative possible pour ceux que tente l'aventure. Quant à François Libmann, il devait choquer bon nombre de participants en déniant catégoriquement toute raison d'être à des spécialistes de l'information ; sorti lui-même d'une grande école de commerce et ayant une formation de journaliste, il préfère en effet s'entourer de spécialistes de haut niveau (profil DEA), capables de s'adapter rapidement à une approche d'utilisateurs-consultants plus satisfaisante que la formation traditionnelle en documentation. Si un tel rejet définitif et global de la conception traditionnelle du documentaliste était tout de même exceptionnel, l'accent mis sur la capacité des candidats à s'adapter et plus encore à faire valoir leur formation se retrouvait dans la plupart des témoignages : savoir vendre, mais aussi savoir se vendre, au moyen d'un curriculum vitae bien construit et suffisamment explicite. Or, comme le faisait remarquer François de Valence (Editions A jour), rapporteur de l'atelier, la plupart des documentalistes présents dans la salle ne semblaient que peu sensibilisés à cet aspect souvent sous-estimé de la profession, même si quelques formateurs affirmaient le prendre en compte.

La contribution de Francine Terray, responsable du service Marketing du groupe Bayard Presse, ne pouvait à ce titre que convaincre ignorants et sceptiques. En outre, l'exemple qu'elle apportait (recrutement de concepteurs-télématique pour la mise en place d'un service vidéotex destiné aux jeunes) permet d'espérer qu'une fois passée la phase de conception, celle du développement privilégiera l'emploi de documentalistes.

La grande diversité des métiers plus ou moins traditionnels de la documentation (documentalistes, biliothécaires, archivistes, etc.) faisait plus précisément l'objet de l'atelier IV. D'une manière générale, il ressort que si ces métiers trouvent encore leur place dans l'organigramme de certaines grosses entreprises, telle la Société nationale Elf-Aquitaine, leur situation se trouve de plus en plus menacée dans les PME, telle L'Usine Nouvelle, où la rationalisation et la spécialisation des tâches consécutives à l'intégration de technologies nouvelles (gestion automatisée des fichiers et création de banques de données), cumulées à la stagnation, voire à la réduction des moyens financiers, entraînent le remplacement de documentalistes traditionnellement formés par un personnel ayant des compétences techniques spécifiques.

Face à ce témoignage de rétrécissement du marché de l'emploi ouvert aux métiers spécialisés dans la documentation, l'évolution de la SNEA (qui recrute, à tous les niveaux, des personnels compétents et spécialisés) est assurément encourageante ; elle semble en outre conforter l'hypothèse, déjà émise précédemment, du caractère transitoire de ce marasme ; lié à la grande jeunesse d'une industrie de l'information qui se trouve encore dans une phase de conception, celui-ci devrait s'atténuer, sinon disparaître, après quelques années, ce qui permettrait alors aux entreprises de recourir à des spécialistes de l'information. Il n'en reste pas moins vrai que la méconnaissance qu'ont la plupart des employeurs des spécificités de l'IST et de ses métiers ne peut que compromettre ce processus, d'autant qu'à cette méconnaissance s'ajoute aussi souvent l'inexpérience des documentalistes eux-mêmes, peu ou pas formés aux réalités de la vie en entreprise.

La crise traversée actuellement par les métiers de la documentation n'est plus un secret pour personne 2 et les témoignages apportés au cours de ce forum ne font que renforcer cette certitude. Différentes directions d'action se dégagent à l'issue d'une rencontre qui aura été somme toute positive 3: pour les formateurs, mieux faire valoir auprès des employeurs les formations qui existent, avoir une politique globale de communication et mettre l'accent dans leurs programmes sur les langues et sur les méthodes, même très pratiques, de communication (curriculum vitae ) ; pour les entreprises, mieux définir leurs besoins et commencer par en prendre conscience, voire intervenir directement sur la formation, comme le souhaitent les formateurs ; enfin, pour les étudiants, être capable de s'adapter et de vendre sa formation mais également sa personnalité.

D'une manière générale, il ressort cependant de ces deux journées que l'avenir appartient, dans ce domaine de plus en plus technicisé, aux candidats justifiant d'un haut niveau de spécialisation dans une discipline, quelle qu'elle soit, et plus sûrement encore à ceux qui bénéficient d'une double formation, prenant en compte l'aspect informatique documentaire et/ou gestion-marketing. Dans cette perspective, d'importantes modifications devraient être apportées au système universitaire, notamment en ce qui concerne les formations courtes de type DUT, trop peu spécialisées. Ce thème de l'adaptation nécessaire du système éducatif, trop basé sur l'acquis, devait d'ailleurs être repris par Georges Anderla, qui donnait au débat une dimension européenne. Selon lui, l'Europe souffre essentiellement de l'absence d'une politique globale cohérente. Toutefois, si la coopération industrielle et économique laisse encore à désirer, les modalités humaines de cette coopération sont quant à elles motif à optimisme, puisque la mobilité des personnes, affirmée clairement par le Traité de Rome, trouve aujourd'hui de nombreuses applications, notamment dans le cadre des multinationales. Reste le problème, plus épineux, de l'homologation des diplômes.

  1. (retour)↑  Cf. « Formation à l'IST, formation de l'IST », Bulletin des bibliothèques de France, t. 32, n° 1 (1987). p. 62-64.
  2. (retour)↑  Voir à ce sujet le dossier présenté dans le Bulletin des bibliothèques de France, t. 32, n° 4 (1987).
  3. (retour)↑  Le projet a été notamment formé de développer ces liens au sein d'une association réunissant enseignants et employeurs du domaine de l'IST dans le but de développer le marché de l'IST.