Mémoires optiques
Comment faire son choix
Catherine Vallet
Depuis quelques années, les mémoires optiques, qui bénéficient de la percée exceptionnelle d'une des leurs (le CD-Audio), s'imposent progressivement sur le marché de l'information. Nouvelle génération de mémoires, dont le point commun est d'être écrites (ou imprimées) puis lues par rayon laser, ces nouveaux supports s'ajoutent aux mémoires dites classiques (écrites, imprimées, photographiques, et plus récemment magnétiques), qu'ils remplacent dans une certaine mesure. Noyé sous la grande diversité des produits existants ou même simplement annoncés sur le marché, le profane éprouve cependant beaucoup de difficulté à se repérer dans ce champ en constante évolution.
Quels critères doit-on faire intervenir dans le choix d'un support d'information ? C'est la question à laquelle s'efforçaient de répondre les six contributions de la journée « Mémoires optiques », organisée conjointement par l'ADBS Rhône-Alpes et l'ENSB à l'intention des bibliothécaires et des documentalistes, et qui se déroulait le 17 novembre 1987 à Villeurbanne. Pour illustrer les communications, quelques produits parmi les plus récents étaient exposés, ainsi qu'un certain nombre de réalisations intéressant les bibliothèques et les centres de documentation ; les participants pouvaient ainsi interroger à loisir les deux versions (Minitel et micro) du vidéodisque Videralp, réalisé par le SIRPAB (Service d'inventaire régional du patrimoine des archives et des bibliothèques) ainsi qu'un vidéodisque d'enseignement de la médecine, l'encyclopédie Grolier et le catalogue de la BPI (LISE) sur CD-ROM ; peu d'applications ayant été jusqu'à ce jour réalisées sur DON (disque optique numérique), l'aspect technique en était privilégié, avec la présentation de la station optique intégrée 1 400 de chez Walton, du logiciel TIRAD (Traitement informatisé réparti des archives sur DON), etc. Une telle réunion, même modeste, de produits était d'autant plus appréciée par les participants que s'ouvrait du 18 au 20 novembre à Paris le salon de l'Imagerie électronique, qui drainait fabricants, producteurs et éditeurs...
Afin de permettre aux quelque 150 participants d'appréhender au mieux les exposés souvent très techniques présentés lors de cette journée, Jeanne-Marie Dureau, de l'ENSB, proposait en introduction une étude comparative très approfondie sur chacun des différents supports : DON, compacts-disques (CD-Audio, CD-ROM et CDI) et vidéodisques, auxquels s'ajoutent encore les cartes optiques et les bandes et cassettes optiques. Si ces supports possèdent certains caractères communs, tels qu'une certaine inaltérabilité, un accès rapide au message (excepté dans le cas des bandes et cassettes optiques, à accès séquentiel), une capacité à fonctionner en liaison avec un ordinateur et une très grande capacité de stockage (au moins dix fois supérieure à celle d'un support magnétique, pour un coût comparable voire inférieur), ils sont cependant bien loin d'être interchangeables et présentent des propriétés différentes qui, alliées à des coûts variables, commandent leurs champs d'application respectifs. Un premier élément de différenciation entre ces supports réside dans la nature du message inscrit, analogique (soit rendant compte d'une variation par une variation d'une autre nature mais qui lui est proportionnelle) dans le cas du vidéodisque et numérique (soit transmise sous la forme d'un code chiffré) dans les autres cas. Certains produits hybrides, les CVD et CDV, sont cependant annoncés, qui porteraient codage analogique et/ou numérique. Un autre critère intervient pour distinguer ces supports, qui est leur capacité à être ou non multipliés. Certains peuvent en effet être pressés à autant d'exemplaires qu'il est nécessaire, permettant ainsi l'édition et la diffusion : ce sont les CD et les vidéodisques ; d'autres au contraire, les DON, les bandes et cassettes optiques, les cartes laser et certains vidéodisques inscriptibles 1, sont des exemplaires uniques, destinés surtout au stockage des données.
D'une manière générale, outre l'aspect purement économique lié au coût et à la rentabilité, la nature-même de ces supports les destine plus (excepté le DON) à la consultation qu'à l'archivage, pour lequel le papier devrait rester encore longtemps prioritaire 2. C'est ce qui ressortait de l'exposé de Pierre Fuzeau, président du CERDA (Centre d'études et de recherches documentaires avancées) et directeur de la revue Archimag, qui mettait à profit son expérience de consultant pour définir une méthode de choix d'un support d'archivage. Analysant la démarche à suivre sous la forme d'une check-list qui partait de l'analyse des besoins pour aboutir au choix des supports, il subordonnait ce dernier à la fois à la nature de l'information à proposer et plus précisément encore à l'obsolescence de cette information. Il concluait ainsi que, si le papier (suivi d'ailleurs de près par les microformes) reste indiscutablement le moyen le plus indiqué pour l'archivage à long terme, grâce à sa très bonne durée de vie, les mémoires de type magnétique semblent favoriser une mise à jour fréquente des données, tandis que le DON peut se prévaloir de sa grande capacité de stockage pour un coût relativement peu élevé, surtout lorsqu'il est monté en juke-box; cependant, seul le coût de fabrication est ici pris en compte, lequel peut, dans le cas du DON, se révéler très inférieur au coût du projet complet. Enfin, même s'il n'était ici qu'à peine évoqué, le problème de la valeur juridique du support considéré ne doit pas être négligé, puisque sauf cas particulier, seul le papier fait encore foi aux yeux de la loi 3. Dans ce contexte, les entreprises semblent opter de plus en plus pour des systèmes mixtes, qui répondent exactement aux besoins.
La présence d'images à coder et la nature de ces images peuvent également induire un certain type de support. Cet aspect était tout particulièrement développé par Catherine Leloup, consultant au Bureau Marcel Van Dijk, qui explicitait longuement les différentes techniques de codage électronique des images. Les deux grandes familles de codage (analogique et numérique) peuvent être en effet utilisées pour représenter électroniquement tout type d'image, des graphiques aux images d'art, mais avec des qualités de rendu inégales. Ainsi le vidéodisque est beaucoup plus utilisé pour stocker des images iconographiques, fixes ou animées, en raison de la plus grande fidélité de couleur et d'intensité permise par le codage analogique, tandis que les supports à codage numérique (il s'agit essentiellement du DON 4) sont plus utilisés pour des images graphiques et textuelles; mais, quelle que soit sa nature (codage de symboles graphiques selon un alphabet ou échantillonnage d'un signal analogique par un scanner, après découpage de l'image en minuscules carrés ou pixels), l'image numérisée présente l'inconvénient d'un volume unitaire de données binaires très élevé.
Le choix entre les différents supports (y compris les supports classiques) n'est pas simple, et différents paramètres doivent donc être pris en compte, dont les principaux sont la qualité esthétique souhaitée pour la restitution de l'image (qui varie selon le rôle attribué à l'image), le volume d'information à traiter (54 000 images fixes peuvent être stockées sur un vidéodisque, contre seulement 1 200 sur un DON 5 et 7 à 800 sur un CD-ROM), les besoins en matière de traitement de l'image (zoom, rotation, modification des contenus, qui ne sont possibles qu'en mode numérique), sans oublier le budget de mise en oeuvre (car si le coût d'écriture d'une image est relativement faible et varie peu selon les supports considérés, il n'en va pas de même de la nécessaire correction préalable des images). Il n'y a pas de solution unique et, comme le concluait l'oratrice, l'étude des différents scénarios possibles, intégrant des aspects techniques, économiques et commerciaux, s'avère un préalable indispensable.
Si les mémoires optiques peuvent être mises en échec par les mémoires classiques, il est cependant un aspect qui joue très fortement en leur faveur, celui de leur possible connexion (obligatoire pour les supports numérisés) avec un ordinateur, lequel permettra, grâce à des logiciels spécialisés, la recherche automatisée et multi-critères. Dans le contexte actuel de progrès technologique, qui touche non seulement le stockage de l'information mais également son transfert et sa restitution, le micro-ordinateur apparaît en effet, selon l'expression de Jean-François Lesprit, responsable du service informatique de l'INPI (Institut national de la propriété industrielle), comme un véritable pivot de relations avec les nouvelles mémoires de masse.
Cependant, deux aspects jouent actuellement contre le développement décisif de certains supports : l'absence de normalisation et 'le manque de logiciels spécifiques. Un bilan de la situation était dressé pour chacun des supports par Sandra Sinno, informaticienne à la BPI. La situation est relativement claire dans le cas des vidéodisques, supports de l'image vidéo-interactive, qui existent depuis plus longtemps et qui, bénéficiant de la norme Laservision, peuvent être interfacés à tout logiciel documentaire 6. Elle l'est beaucoup moins pour le DON, qui souffre d'un défaut de normalisation et pour lequel peu d'applications ont été développées. Quant au CD-ROM, support de texte, d'image et de son, tout neuf sur le marché et promis à un bel avenir, il connaît quelques problèmes d'interfaçage et après avoir tenté de lui transférer des logiciels documentaires conçus pour des systèmes classiques, on s'oriente aujourd'hui vers la conception de logiciels spécifiques 7.
Dans ce domaine tout neuf et porteur de tant de potentialités, on en est encore le plus souvent à l'ère de l'expérimentation, et les réalisations sont encore trop limitées pour pouvoir en tirer certaines leçons d'avenir. En fait, la réserve témoignée à l'endroit de ce secteur par les investisseurs privés a fortement contribué à retarder la croissance de ce marché, et par conséquent sa vitalité, ce qui a amené la Commission des Communautés européennes (DG XIII) à soutenir financièrement dix projets utilisant des supports optiques.
Face à ce foisonnement de produits, dont les caractéristiques et les propriétés ne cessent d'évoluer, il apparaît donc indispensable de s'entourer de précautions élémentaires avant d'investir dans l'une ou l'autre de ces technologies (en élaborant un cahier des charges bien sûr, mais également en se ménageant, dans la mesure du possible, quelques portes de sortie). Et ce n'était certes pas le moindre mérite de cette journée d'avoir contribué à montrer les avantages respectifs des différents supports optiques, tout en en marquant les limites.