Quel marché des notices informatisées ?
Différents articles récents parus dans le BBF - et notamment celui sur le Plan catalogue -sont venus alimenter les débats houleux qui entourent le marché des notices bibliographiques. Mon expérience de « praticien de base » dans une bibliothèque centrale de prêt m'amène à poser une ou deux questions sur l'usage qui peut être fait d'un tel marché dans une bibliothèque publique petite et moyenne. Pour nous qui avons voulu mettre en avant la rapidité de la fourniture documentaire, entre en jeu le temps du catalogage.
En d'autres termes, plus que l'existence d'une notice catalographique, une bibliothèque centrale de prêt a besoin de certaines notices à certains moments précis ; toute bibliothèque distinguera le catalogage des acquisitions courantes de la resaisie d'un fonds existant :
- resaisie d'un fonds existant: je reste très surpris de voir encore courir le mythe des « bibliothèques publiques qui possèdent toutes la même chose » ; plusieurs responsables de bibliothèques informatisées m'ont signalé leur déception devant le taux de récupération des notices à partir de bandes d'autres bibliothèques (20 % à 60 %), tous ont insisté sur la quantité de travail à accomplir pour compléter et rectifier ces notices extérieures. Dans la réalité, qui peut logiquement fournir l'essentiel de ces notices « rétrospectives » ? La Bibliothèque nationale, à qui le dépôt légal confie la responsabilité de la bibliographie nationale et l'Etat les moyens d'effectuer un catalogage dont la perfection ne saurait globalement être atteinte par aucune autre bibliothèque française ! Restent les fonds spécialisés, souvent inconnus de la Bibliothèque nationale, et pour lesquels la solution du catalogage collectif reste souvent la seule... Nous y reviendrons.
- Catalogage des acquisitions courantes: là l'urgence commande, et l'informatisation d'une bibliothèque ne servira pas à grand chose si la notice d'un document ne peut être intégrée au système dès l'entrée de ce document à la bibliothèque. Sur ce plan précis, c'est en fait une rapidité commerciale qui devient indispensable : or, qui donc peut proposer 90 % de la production française utilisée en bibliothèque publique dès sa mise en vente, sinon le Cercle de la librairie ? En outre, la vérification de la disponibilité des livres avant commande se faisant par ELECTRE, on pourrait disposer d'une notice moyenne parfaitement convenable avant même l'arrivée physique du document dans la bibliothèque !
Récapitulons donc les besoins d'une bibliothèque publique en matière d'acquisitions courantes :
- accès en ligne à la base ELECTRE, pour 90 % des documents : attention, il s'agit de la base dans son ensemble, et non des seules nouveautés, les acquisitions pouvant porter sur tout livre disponible ;
- accès en ligne à BN-OPALE, pour les documents non recensés par le Cercle de la librairie (éditeurs « différents » entre autres, dons éventuels...). Un accès différé est également indispensable pour compléter ou modifier éventuellement les notices moyennes obtenues par ailleurs.
- accès à un (des ?) catalogue(s) collectif(s) pour des fonds locaux ou spécialisés inconnus aussi bien du Cercle que de la Bibliothèque nationale.
Bien entendu, j'ai parfaitement conscience des problèmes matériels posés par la récupération des notices (formats, etc.), mais je ne suis pas convaincu que la mise en concurrence de « réservoirs » différents, sans souci de leurs « créneaux » propres, soit la meilleure façon de les résoudre.
Ce dernier point pose la question de l'intérêt spécifique d'un catalogue collectif pour le catalogage. De façon sans doute béotienne, j'ai tendance à considérer que le premier intérêt d'un catalogue collectif est non de décrire un document (catalogage), mais de le localiser pour en obtenir la communication par prêt interbibliothèques : que cette localisation permette en outre de disposer d'une notice catalographique est intéressant, mais non essentiel ; c'est en ce sens, qu'à ma connaissance le CCN par exemple a été conçu.
Or, pour les livres, quels sont les titres qu'il peut être intéressant de cataloguer par recours à un catalogue collectif, si par ailleurs ELECTRE et BN-OPALE sont disponibles en ligne ? Il s'agit essentiellement des fonds locaux et spécialisés. J'ajouterai qu'il s'agit par la même occasion des fonds pour lesquels une localisation est indispensable, le reste des collections pouvant être obtenu en prêt interbibliothèques par le Centre de prêt de la Bibliothèque nationale, dont la mission devrait être mieux encouragée par les pouvoirs publics. Ce catalogue collectif existe, ou du moins il pourrait exister...
LIBRA, en effet, a été conçu au départ comme un catalogue collectif, mais pèche par deux aspects : alors qu'un tel catalogue offrirait l'intérêt de recenser ces fonds locaux et spécialisés qui ne sont présents nulle part ailleurs, LIBRA rassemble pour l'essentiel les ouvrages de fonds courant des bibliothèques publiques, ce qui n'a qu'un intérêt très limité du point de vue de la localisation des exemplaires (d'autant plus que la plupart sont en fait inacessibles au prêt interbibliothèques). Cela peut s'expliquer par le fait que les BCP qui participent à LIBRA n'ont que peu de fonds spécialisés ; mais LIBRA sème en outre la confusion entre la base bibliographique qu'il constitue, le catalogue collectif qu'il veut réaliser, et le système de gestion intégré qu'il propose : bref, les bibliothèques publiques participantes semblent utiliser LIBRA pour cataloguer rapidement les ouvrages qui doivent être mis en prêt... et, pour la plupart, négligent d'y intégrer leurs fonds locaux et spécialisés, pour lesquels l'urgence du catalogage leur apparaît moins évidente : tout l'intérêt potentiel de LIBRA comme catalogue collectif est donc nié.
Par ailleurs, un tel catalogue collectif des fonds locaux et spécialisés pourrait bénéficier d'une approche plus cohérente et pratique si la constitution s'effectuait régionalement. Ceci pour deux raisons : les fonds locaux représentent la plus grande masse de ces fonds spécialisés et correspondent donc aux compétences patrimoniales, nouvellement dévolues aux régions et revendiquées par elles ; ensuite, la constitution d'un catalogue collectif suppose concomitamment une politique de communication des documents : ateliers de conservation (désacidification, restauration, etc.), de micro-copie, voire de stockage sur mémoires optiques, constitution de « cartes de conservation » des ressources. La prise en compte des énormes besoins en ces domaines exclut la seule compétence nationale. En définitive, LIBRA manque là un créneau réel, par l'absence de conception décentralisée d'un tel catalogue collectif: la constitution régionale de bases recensant les seuls fonds locaux et spécialisés des bibliothèques publiques (c'est-à-dire en fait des fonds qui ne sont pas en libre accès !), puis un regroupement central de ces catalogues pour un accès aisé sur l'ensemble du territoire, ELECTRE et BN-OPALE étant encouragés par les pouvoirs publics à développer leurs créneaux propres.
En ce qui concerne les deux autres supports, les documents sonores et les périodiques, ma réflexion sur le fond n'est pas différente : pour les documents sonores, on ne dispose que de LEDA, base de la Phonothèque nationale ; en l'occurrence, on pourrait souhaiter le même accès en ligne que pour ELECTRE et BN-OPALE, en regrettant les délais mis par LEDA pour intégrer les nouveautés (mais il est vrai que LEDA n'a pas de vocation commerciale). Pour les périodiques, par contre, l'urgence du catalogage est faible pour un titre nouvellement acquis ; en revanche, la localisation des titres non possédés est impérative : dans ce domaine, il est pressant que le CCN impose à ses participants la communication par prêt interbibliothèques des collections signalées ; ou alors le CCN ne devient qu'une base bibliographique dont l'intérêt en tant que telle sera forcément très limité.
Pour terminer, et je parle là en « bécépiste », je souhaiterais vivement que les pouvoirs publics prennent en compte, dans leur politique de catalogues informatisés, la notion de réseau hiérarchisé : ELECTRE, OPALE et LIBRA (repensé) permettraient à des bibliothèques publiques, grosses ou moyennes, de disposer de 99 % des notices de livres nécessaires. Mais la majorité des bibliothèques publiques n'a guère les moyens ni le personnel nécessaire pour aborder la question de l'accès à des bases étrangères : ne serait-ce pas à la Bibliothèque nationale et seulement à elle, de recevoir la mission d'en rendre l'accès ponctuel aisé pour ces bibliothèques publiques ? Mais encore, les plus petites bibliothèques ne peuvent dans la réalité concevoir leur accès à ce réseau que par l'intermédiaire d'une « centrale », la BCP en fait : il est urgent de réfléchir nationalement aux problèmes juridiques, financiers et techniques qui bloquent à l'heure actuelle la « retransmission » des notices à de petites bibliothèques qui, de toutes façons, ne sauraient accéder seules au réseau national, car ne représentant pas, pour chacune d'entre elles, une clientèle suffisamment puissante pour peser sur la résolution de ces problèmes.