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Le rôle des bibliothécaires américains, évolution ou mutation ?

Maggy Pézeril

L'informatisation des principaux services d'une bibliothèque (catalogage, acquisitions et service public) permet de concentrer les tâches techniques sur un nombre réduit de non-professionnels. S'appuyant sur l'exemple de la bibliothèque de l'Université du Texas à Austin, l'auteur analyse le malaise des bibliothécaires, d'une part dépossédés de leurs attributions essentielles, sans pouvoir toujours s'adapter aux exigences d'un nouveau professionnalisme, d'autre part soumis à la concurrence des informaticiens et des managers. Plutôt qu'une reconversion difficile vers l'industrie, la solution de l'avenir semble passer par une plus grande intégration des bibliothécaires à la collectivité universitaire. Plus diplômés et plus spécialisés, ces derniers auront une plus grande capacité d'adaptation.

The automation of the main services in a library (cataloguing, acquisitions and public service) allows the concentration of the technical occupations on a small number of non professionals. With the exemple of the Texas university library in Austin, the author studies the discontent of the librarians : on one hand they are deprived of their main attributions and cannot always follow the new wave in the profession, and on the other hand they are more and more dependent on informaticians and managers. Instead of a difficult redeployment toward industry, the solution for the future lies in a stronger integration of the librarians into the university world. More qualified and specialised, they will be able to adapt.

L'informatisation de certaines de leurs fonctions essentielles s'accompagne dans les bibliothèques d'une nécessaire réorganisation du travail ; celle-ci ne va pas sans poser de nombreux problèmes d'adaptation pour les personnels. Au-delà du cas particulier qu'il'représente, l'exemple de la bibliothèque de l'Université du Texas à Austin est en ce sens significatif. Assistons-nous à une nouvelle évolution de la profession, ou bien s'agit-il cette fois d'une véritable mutation ? Les quelques réflexions qui suivent sur l'évolution du métier de bibliothécaire ne doivent pas être prises pour les conclusions d'une étude approfondie, mais seulement pour des impressions de voyage 1, partielles et... partiales ?

Des réorganisations douloureuses

Dans un séminaire sur le traitement informatisé des données en bibliothèques universitaires et de recherche (6, 7), Michael Gorman estimait que, dans ces bibliothèques, 80 % ou plus du catalogage était désormais effectué par des équipes de non-professionnels 2. Partant du principe que tout le circuit du livre, des commandes à l'équipement, devait s'inscrire dans une séquence continue d'activités, il prévoyait que, dans un futur proche, tout ce circuit du livre - c'est-à-dire le plus gros du travail traditionnel de la bibliothèque - reposerait pour une part croissante sur des non-professionnels.

Une telle hypothèse se vérifie de plus en plus dans la période de restriction budgétaire (en crédits et en personnels) que connaissent actuellement nombre de bibliothèques universitaires, et particulièrement celles de l'Etat du Texas, en contrecoup de la crise pétrolière.

De l'effet déqualifiant de l'OCLC

L'introduction de l'OCLC 3 (ou autres bibliographic utilities) dans le circuit de catalogage a entraîné, dans presque toutes les bibliothèques universitaires américaines, une révision à la baisse du niveau de qualification requis pour le catalogage. En effet, la réorganisation des services dits « techniques », induite par le processus de dérivation massive de notices sur l'OCLC, s'est faite autour de deux objectifs : la centralisation des activités liées au circuit du livre d'une part, et d'autre part la déconcentration de ressources humaines sur des postes de travail en nombre limité, pour un rendement maximum de ces postes. Ces deux objectifs s'inscrivaient bien entendu dans un programme plus général de baisse des coûts salariaux, visant à compenser les nouvelles charges financières liées à l'informatisation.

La nécessité, dans laquelle se trouvait la bibliothèque d'Austin de faire preuve d'une plus grande rigueur dans la gestion des emplois et des crédits, l'a, de fait, rendue plus attentive à l'utilisation optimale des ressources humaines. Pour compenser en partie les coûts nouveaux, directs ou induits, liés à l'informatisation, de nombreux emplois devaient être supprimés dans les anciens services techniques ; les emplois maintenus ont été déprofessionnalisés, tandis que les emplois en surnombre étaient réaffectés à d'autres services, ou bien supprimés d'office par le gel des postes et le non-remplacement des départs 4.

Que les suppressions de postes soient ou non la conséquence directe de l'informatisation, une telle réduction des effectifs crée une situation ingérable, quels que soient le mode d'organisation retenu et les bénéfices retirés de l'informatisation. Il n'en reste pourtant pas moins vrai qu'à Austin, comme sans doute ailleurs, l'effet conjugué de l'informatisation et des importantes restrictions budgétaires a amené la direction à prendre conscience du coût d'une force de travail sous-employée, mal employée ou sur-qualifiée (4).

Des « acquéreurs » dépossédés

Le travail des services d'acquisitions s'est, lui aussi, trouvé radicalement transformé par la mise en oeuvre parfois simultanée des approval plans et d'une gestion informatisée des acquisitions. Les approval plans sont des plans d'achat définis une fois par an selon un double profil : celui de la discipline et/ou du domaine linguistique des ouvrages à obtenir et celui du fournisseur. Les anciennes décisions « intellectuelles » d'achat ont ainsi cédé la place à de simples procédures de suivi des livraisons et de conformité avec les profils établis, la responsabilité du choix des ouvrages se trouvant alors tout entière reportée sur le fournisseur. A Austin, plus des deux tiers des acquisitions sont ainsi gérées de façon quasi automatique et centralisée (12).

Le suivi des plans d'achat pouvant être réalisé plus avantageusement par un personnel non professionnel, c'est encore toute une partie des attributions traditionnelles du bibliothécaire qui disparaît. La définition de la politique documentaire, la répartition des crédits, l'élaboration des profils et l'évaluation des servives rendus restent certes du ressort d'une équipe de bibliothécaires spécialistes, « bibliographes » et responsables de tout le plan de développement des collections ; mais si leur poids au sein du système semble s'être accru, leur nombre s'est cependant réduit par rapport aux équipes anciennes.

A Austin, en dehors de la bibliothèque du 1er cycle, les responsables des différentes sections se sont trouvés dépossédés du choix de la majeure partie des ouvrages destinés à leur section. Une telle centralisation réduit considérablement la main d'oeuvre nécessitée par des tâches que l'informatisation a déjà considérablement allégées. Les coûts salariaux s'en trouvent sensiblement réduits, et ceci d'autant plus que la direction de la bibliothèque a mis à profit cette « déprofessionnalisation » pour renforcer les exigences de rendement et les contrôles sur le circuit du livre.

Cette nouvelle organisation du travail ne va pas cependant sans engendrer une certaine insatisfaction, créatrice de dysfonctionnements. A Austin par exemple, les plus insatisfaits du système existant étaient sans nul doute les bibliothécaires des services techniques, ainsi que le personnel d'exécution, le plus souvent vacataire (9). La transformation de tous les services techniques, consécutive à l'informatisation, s'est accompagnée d'une analyse des tâches et des fonctions, laquelle a permis de dissocier les travaux purement techniques ou d'exécution des fonctions de gestion (gestion des données, des circuits, des collections). Devenues de simples procédures, codifiées, normalisées, étroitement contrôlées et soumises à des exigences de rendement, un grand nombre de tâches anciennement dévolues aux bibliothécaires sont désormais effectuées par du personnel d'exécution (13).

Bon nombre de bibliothécaires semblent s'être adaptés à cette nouvelle donne, qui leur permet de revaloriser leur fonction ; certains cependant - notamment les anciens catalogueurs -, privés de leur rôle traditionnel et n'ayant pas les capacités nécessaires pour acquérir de nouvelles compétences ou pour s'adapter à des fonctions auxquelles ils n'ont pas été préparés, ont eu l'impression d'être laissés à l'écart. Des plans locaux de recyclage (14) et de formation continue ont tenté, comme à Austin, de remédier à ce problème (5) ; mais, dans la même période, la mobilité et les départs de personnels se sont accrus.

Des OPAC opaques

L'informatisation a, semble-t-il, également posé des problèmes d'adaptation aux bibliothécaires du service public 5. La mise en place des systèmes de gestion, puis, plus récemment, l'installation de catalogues en ligne pour le public (OPAC 6), s'est souvent faite en dehors d'eux (10). Les savoir-faire nécessaires étant détenus par des informaticiens des centres de calcul ou des sociétés de service, les bibliothécaires ont vu se développer des systèmes complexes que, faute d'une formation - initiale ou continue - appropriée, ils maîtrisaient mal. La fonction de renseignement a, elle aussi, été radicalement transformée avec l'accès direct des usagers aux services en ligne ou en local sur CD-ROM (banques de données comme After dark, instruments de référence comme Books in print, ou catalogue de la bibliothèque). Le choc technologique a été bien réel pour nombre de ces professionnels qui, s'ils n'ont pas su ou pas pu acquérir les connaissances ou les savoir-faire nécessaires et accroître ainsi leur qualification, ont été confrontés à des risques de réaffectation, de déclassement, voire de perte d'emploi.

Si la bibliothèque informatisée tend donc à devenir, dans son organisation comme dans ses produits ou services, radicalement différente de celle du passé, il n'est pas surprenant de voir les bibliothécaires universitaires américains traverser depuis plus d'une dizaine d'années une véritable crise d'identité. Ce phénomène se reflète d'ailleurs dans le titre d'un des nombreux articles publiés sur la question (2) : For librarians who feel lost in the stacks 7.

Crise de croissance, crise de conscience

Autant le glissement des tâches techniques vers du personnel non professionnel n'a pas affecté le statut même des bibliothécaires, autant le recrutement d'un nouveau type de personnel, non professionnel, mais spécialisé en informatique et en nouvelles technologies, risque à terme de poser des problèmes de statut. Les niveaux de rémunération, la place dans la hiérarchie, le poids dans l'organisation de ces personnels sont parfois déjà concurrents de ceux des bibliothécaires.

Le bibliothécaire concurrencé

Le recours à des spécialistes de haut niveau, étrangers à la profession, intervient non seulement sur le terrain de l'informatique, mais également sur celui de la gestion ou du marketing.

De plus en plus de directeurs ou de responsables administratifs de bibliothèques universitaires américaines sont désormais issus non plus de la profession, mais de milieux universitaires, voire du monde de l'industrie. Les qualités de manager ou de gestionnaire s'affirment en effet, à l'heure actuelle, comme critères de recrutement d'un nouveau type de personnel pour l'encadrement de ces établissements. Là encore, leur niveau de rémunération et leur place dans la hiérarchie mettent ces spécialistes en situation de concurrence, voire de supériorité par rapport aux bibliothécaires professionnels.

Autre terrain de recrutement d'un personnel spécialisé: celui du marketing ou de la promotion de bibliothèques. Certains établissements ont développé des techniques de promotion de leur image de marque et de leurs services, ainsi que la recherche de mécènes, ce qui les a amenés à recruter des spécialistes en communication ou en marketing. Dans le contexte actuel de diminution des ressources provenant de l'Etat - ce qui est notamment le cas du Texas - et de baisse du cours du dollar, la recherche de financements extérieurs devient en effet vitale pour l'équilibre budgétaire de ces grandes bibliothèques.

Ce problème de concurrence, s'il contribue à accroître les craintes de certains praticiens, déstabilisés dans leur pratique professionnelle face aux évolutions en cours, paraît cependant typique d'une période de transition. En effet, à Austin même, les bibliothécaires en formation ou récemment formés par la GLS (Graduate school of library science) ont la possibilité d'acquérir des connaissances spécialisées de bon niveau : traitement de l'information, gestion et conception de systèmes, vente et promotion de produits, pour ne citer que les options existant sur place. Ces nouvelles formations semblent assez bien répondre aux nouvelles qualifications requises (16).

Les bibliothécaires deviennent et seront de plus en plus des spécialistes du traitement et de la diffusion de l'information. Leur statut professionnel ne semble pas intrinsèquement menacé, même si un certain nombre des personnes que j'ai pu interroger ont convenu de leurs craintes. Dans les grandes unités, telle Austin, ils jouissent toujours d'un statut bien reconnu et leur place dans la hiérarchie n'est pas véritablement remise en question. S'il existe des difficultés d'adaptation du personnel en place face aux nouvelles technologies, si l'on constate des licenciements, il ne semble pas que la profession de bibliothécaire soit réellement en difficulté. Bien au contraire, au travers de ces mutations, une des tendances qui se dessine le plus nettement est la recherche d'un nouveau professionnalisme. Ce mouvement est au reste épaulé et soutenu par l'action des associations professionnelles, qui jouent un rôle de premier plan dans la défense de la profession et la redéfinition de ses missions. De nombreuses commissions étudient les problèmes de statut et de qualification, l'évolution des formations initiales et continues, ainsi que l'impact de l'informatisation et des nouvelles technologies sur les carrières, les salaires, la mobilité.

Décloisonnement ou spécialisation ?

La division du travail et la spécialisation des rôles - souvent extrêmement poussée -, de même que la dichotomie traditionnelle entre services techniques et services publics ont sans doute été néfastes à la mobilité professionnelle des bibliothécaires, privant certains d'une expérience professionnelle complète et diversifiée (10). Ce problème n'est pas pour autant résolu pour l'avenir, car la nouvelle organisation qui se met en place avec l'informatisation risque de privilégier encore plus la spécialisation des tâches, le cloisonnement des fonctions, dans une structure organisationnelle centralisatrice.

Le débat est, semble-t-il, largement ouvert sur cette question. Comment concilier spécialisation « pointue » et gestion optimale des ressources humaines, qui semblent être les tendances actuelles, avec les revendications de la profession en faveur d'une expérience plus large et plus diversifiée ? Comment mieux répartir les responsabilités et le pouvoir de décision dans une structure centralisée, pratiquant une forte parcellisation des tâches et une hiérarchisation poussée des fonctions ? Quel rôle enfin pour le bibliothécaire ? Sera-t-il hyper-spécialisé, au risque d'un enfermement dans des tâches aussi étroites que « pointues » ? Assurera-t-il une fonction d'encadrement, laissant la « spécialisation » aux experts spécialement recrutés ?

Il sera sans doute intéressant de suivre l'évolution du profil et de la carrière des bibliothécaires universitaires américains dans les années à venir. L'étude des organigrammes révélera l'évolution de la place et du poids des professionnels dans l'institution ; l'analyse des budgets - notamment des coûts par fonction - et de l'évolution de la masse salariale permettra d'apprécier la nouvelle donne introduite par l'informatisation dans la répartition et la rétribution du travail (1).

Que faire ?

Pour les bibliothécaires qui se sentent « perdus dans les rayonnages », quelles solutions ?

Evasion...

La tentation de changer de métier peut être envisagée comme une des réponses possibles aux frustrations, voire aux conflits, engendrés par les mutations en cours. La presse professionnelle se fait largement l'écho de tentatives de reconversion, réussies ou avortées (2, 8, 15).

Les écoles de bibliothécaires ne sont pas les dernières à suivre le mouvement, voire à le provoquer, en formant leurs élèves avec l'idée que la carrière de bibliothécaire n'est plus la carrière d'une vie (15). Inadaptés ou inadaptables, déçus par leur rôle au sein de la structure ou par leur salaire, ils sont assez nombreux, semble-t-il, à tenter de quitter leur domaine d'activité. Tous les articles sur ce sujet donnent curieusement le même conseil de départ: pour réussir sa conversion, il faut avant tout se concevoir comme un spécialiste du traitement de l'information et ne jamais se présenter comme bibliothécaire. L'image de la bibliothèque - universitaire ou autre - et des bibliothécaires n'a apparemment pas été modifiée par les évolutions subies récemment et les chefs d'entreprise ne comprennent pas très bien comment un bibliothécaire pourrait « s'adapter au monde fou de l'éntreprise (2) ». A en juger par la liste des ouvrages offrant des conseils sur la question, la réinsertion dans le monde de l'entreprise ne semble pas évidente.

...ou fuite en avant ?

Une autre option consiste à acquérir des diplômes de haut niveau dans diverses disciplines académiques et dans des spécialités de plus en plus pointues, voire dans des filières professionnalisées comme le droit ou la médecine. Si un assez grand nombre de bibliothécaires possèdent un double master de library science et d'anglais ou d'histoire (ou encore de langues romanes ou autres), ils sont déjà plus rares à avoir le PhD 8 (ou doctorat d'université) ; plus rares encore sont les titulaires d'un diplôme très spécialisé et de haut niveau en informatique, en droit ou en sciences, ou encore d'un diplôme d'ingénieur, d'avocat ou de médecin. Il n'en demeure pas moins qu'une certaine tendance à la double spécialisation semble se dessiner et que le phénomène vaut d'être étudié. En effet, ces diplômes universitaires spécialisés permettent au bibliothécaire un passage plus aisé de la bibliothèque au monde de l'entreprise et des sociétés, et donc une plus grande mobilité. De plus, le cumul d'un diplôme de bibliothécaire avec un PhD facilite l'obtention du faculty status ou statut universitaire, très convoité par les bibliothécaires pour les avantages de carrière et les « bénéfices » qu'il peut leur apporter. L'obtention de ces diplômes donne aussi la place d'un interlocuteur à part entière de la communauté universitaire, d'où les bibliothécaires tirent un poids professionnel accru et une image de marque renforcée.

Les chances d'emploi - de même que le niveau de rémunération -de ces bibliothécaires à double cursus s'accroissent en fonction du degré de spécialisation des diplômes obtenus. Ces professionnels semblent mieux placés que leurs collègues, diplômés uniquement en bibliothéconomie, pour défendre leurs postes et leur position dans la hiérarchie, et pour valoriser leur statut auprès de la communauté universitaire (3). Il peut s'agir de personnes ayant acquis après coup une formation universitaire complémentaire, ou bien de diplômés de l'université se donnant une formation de bibliothécaire (MLS) pour améliorer leurs débouchés traditionnels.

Dans les cabinets juridiques, les sociétés, etc., on commence également à observer des cas, rarissimes, de bibliothécaires juristes (JD) ou même avocats. Toutefois, si l'on en croit la presse professionnelle (18), les exigences de salaire de ces professionnels limitent leur recrutement aux grosses firmes et, très exceptionnellement, aux bibliothèques universitaires 9.

La nouvelle génération des bibliothécaires universitaires américains sera sans doute plus diplômée et plus spécialisée que l'ancienne. Cette formation supplémentaire sera-t-elle une garantie de meilleure capacité d'adaptation aux évolutions à venir ? La question reste posée.

Des bibliothécaires-universitaires

Les perspectives d'avenir vont, semble-t-il, dans le sens d'une intégration plus grande des bibliothécaires à la collectivité universitaire. Pour obtenir et conserver le faculty status, les bibliothécaires doivent être jugés selon des critères académiques : diplômes, travaux de recherche, publications, enseignement universitaire, niveau de responsabilité effectif ; dans le contexte actuel de restriction budgétaire, les conditions requises pour obtenir et conserver un statut universitaire sont de plus en plus rigoureuses. Dans un certain nombre d'établissements, de telles obligations apparaissent déjà dans les profils des postes.

Les bibliothécaires ont une carte à jouer en tant que spécialistes des sciences de l'information. Capables d'assurer un enseignement bibliographique de niveau universitaire, ils ont un rôle de diffuseurs de l'information scientifique. A Austin, la demande de l'université et des étudiants dans ce domaine semble déjà forte ; la présence sur le campus d'une graduate school des sciences de l'information peut agir soit comme catalyseur d'actions d'enseignement et de recherche menées en commun avec la bibliothèque, soit, si l'école se réserve l'exclusivité de ce rôle, comme inhibiteur de toute velléité, de la part des bibliothécaires, de participer à l'enseignement et à la recherche. Les enseignants de la GLS munis d'un PhD ont en effet rang professoral et appartiennent de droit à la communauté universitaire; ils peuvent donc faire écran aux bibliothécaires professionnels. A Austin, l'une et l'autre possibilité semblaient contradictoirement présentes ; sans doute en est-il différemment sur les campus où, en l'absence d'une école spécialisée de bibliothécaires, il n'y a pas concurrence sur le terrain des sciences de l'information entre deux structures.

Travaux de recherches, publications, participation active aux associations professionnelles, spécialisation poussée, doubles diplômes, expérience professionnelle variée..., les qualifications et les compétences des bibliothécaires doivent être désormais multiples. L'évolution en cours, qu'elle ait été subie ou voulue par la profession depuis les années 70, a fait un sort définitif au cliché traditionnel du bibliothécaire « employé de bureau de haut niveau ». Pour subsister en tant que professionnels dans une structure de plus en plus attentive aux coûts salariaux, et qui banalise un grand nombre de tâches en même temps qu'elle fait appel aux technologies les plus avancées, les bibliothécaires devront être non seulement les cadres de cette structure mais aussi, et en même temps, des spécialistes de haut niveau, capables d'assurer des travaux d'enseignement universitaire et de recherche. Enfin, ces bibliothécaires connaîtront certainement une mobilité accrue, leur permettant d'obtenir une expérience professionnelle suffisamment diversifiée, dans des structures et des types d'organisation différents ; c'est le conseil que donnait en 1985, dans une interview, le directeur de la Bibliothèque nationale du Canada, Marianne Scott (17).

Les nombreuses possibilités de formation professionnelle continue, les bourses d'étude et de recherche, les congés pour études, les capacités de promotion interne, sont sans doute autant d'atouts, qui permettent aux bibliothécaires américains de s'adapter aux évolutions qui affectent tout à la fois les bibliothèques et le métier de bibliothécaire. L'objectif ultime reste bien l'avenir des bibliothèques, ainsi que le résume Bridget Lamont, directeur de l'Illinois state library : « Faire en sorte que les décideurs, hommes politiques [...], comprennent l'importance et l'impact d'un service efficace de diffusion de l'information, rempli par les bibliothèques [...] et qu'ils voient les bibliothèques comme un service d'avant-garde et non pas comme quelque chose dont on se souvient après coup (11) ».

Comparaison n'est pas raison...

Comparaison n'est pas raison ; il est vrai que les différences de structure administrative, de moyens, de fonctionnement, etc., entre les bibliothèques américaines et leurs homologues françaises sont multiples et profondes, sans qu'il s'agisse uniquement, comme on le dit parfois, d'une différence d'échelle. Cependant, au cours de mes entretiens avec les bibliothécaires d'Austin ou à l'occasion de quelques lectures, j'ai pu parfois retrouver, dans les questions posées, l'écho de mes propres questions sur l'avenir des bibliothèques universitaires françaises.

Au moment où l'OCLC pénètre dans certaines d'entre elles, apportant non seulement ses 16 millions de notices, mais aussi toute une conception du catalogage suivie bientôt d'une nouvelle organisation du travail, il peut être intéressant d'aller regarder d'un peu plus près outre-Atlantique ce qui s'est passé dans les bibliothèques de l'ère OCLC. Ces quelques réflexions, loin d'être un panorama complet sur la question, témoignent seulement d'une interrogation sur le contexte français et du souci de trouver dans l'expérience américaine quelques lignes de force d'une évolution qui s'amorce en France.

  1. (retour)↑  Voyage d'étude effectué en octobre 1986 à la bibliothèque de l'Université du Texas à Austin.
  2. (retour)↑  Les bibliothécaires professionnels sont obligatoirement titulaires d'un diplôme, le Master of library sciences (MLS) ; les autres employés sont des personnels classified (personnels techniques et administratifs) ou hourly (vacataires).
  3. (retour)↑  Online computer library center.
  4. (retour)↑  110 emplois sur les quelque 500 temps plein de la bibliothèque d'Austin ont ainsi été supprimés.
  5. (retour)↑  L'organisation des bibliothèques universitaires distingue très souvent le(s) service(s) technique(s) du service public.
  6. (retour)↑  Online public access catalogue (catalogues en ligne).
  7. (retour)↑  « Pour les bibliothécaires qui se sentent perdus dans les rayonnages ».
  8. (retour)↑  Abréviation usuelle pour Philosophy doctorate.
  9. (retour)↑  Le salaire moyen des bibliothécaires professionnels de l'Université du Texas à Austin était de $ 28 400 en 1986, tandis que celui des bibliothécaires très diplômés et spécialisés dépassait $ 30 000.