Les métiers de la documentation
Panorama et perspectives d'évolution
Hélène Soenen
Etude des évolutions de contenu des métiers documentaires au travers des offres d'emploi et de dénominations. Les activités documentaires de recherche, diffusion et traitement de l'information restent prépondérantes : on voit apparaître des fonctions de médiation-conseil et de conception de systèmes. A côté des métiers anciens, constitués et hiérarchisés (archivistes, bibliothécaires, documentalistes), apparaissent les spécialistes de l'information. Les entreprises industrielles et commerciales d'une part, les services de l'autre semblent les secteurs les plus prometteurs, requérant des profils nouveaux. La demande porte en priorité sur le recrutement de scientifiques.
Analysis of the change in the content of the documentation profession through job advertisement and vocabulary. Activities such as information retrieval, diffusion and processing remain important ; new functions are emerging, of advising mediator and systems designer. In addition to the traditional jobs, organised into a hierarchy (archivists, librarians and documentalists), come the informations specialists. Industrial and commercial firms as well as services are the most promising areas ; they require new profiles. The demand applies above all to the recruitment of scientists.
Nouveaux métiers, nouvelles fonctions, transformations, mutations... un discours qui fleurit dans toutes les publications qui touchent de près ou de loin aux sciences de l'information et de la communication. La nouveauté est un concept très à la mode qui prend ses racines dans l'évolution socio technologique extraordinaire de notre environnement et nous invite à réfléchir à la place de nos activités professionnelles dans un contexte aussi mouvant.
Les documentalistes n'échappent pas à une telle remise en question, bien au contraire, car ils sont touchés de plein fouet par de tels bouleversements. Nés d'une croissance exponentielle du nombre des supports d'information et d'une volonté de mémoriser et communiquer les connaissances que ceux-ci véhiculent, leurs métiers sont agressés par divers facteurs d'instabilité, qui proviennent soit de raisons extérieures (pressions technologiques, pressions des usagers et des autres professions de l'information et de la communication), soit de raisons intrinsèques (hétérogénéité et méconnaissance de la profession).
Instabilités multiples
La première et la plus tangible des évolutions concerne les savoir-faire. Ils se transforment sous la pression conjuguée des nouveaux supports d'information et des technologies de travail. Autrefois principal support concret des connaissances, le papier est maintenant, non seulement concurrencé par les documents multi-médias : images, films, bandes sonores et vidéo, mais encore par les nouveaux procédés d'archivage : microcopies, mémoires magnétiques et supports optiques (vidéodisque, DON, CD-ROM, CDI...).
L'informatique et la télématique sont des outils rêvés pour les documentalistes. Ils touchent et facilitent l'ensemble des activités de recherche, de traitement et de transfert de l'information. Citons pour exemple : l'accès décentralisé à l'information, la possibilité de créer puis de diffuser des banques de données internes, les facilités de travail en réseaux professionnels, la gestion et l'évaluation des systèmes d'information, la réalisation rapide de produits... Quant aux coûts, ils ne sont pas démesurés compte tenu des économies d'espace, de temps de travail, d'achat de documents, de la pertinence et de l'étendue des informations fournies.
Si la gestion des fonds de document-papier telle qu'elle est pratiquée en médiathèque occupe encore une grande part des activités des professionnels, si des freins d'ordres financier, structurel ou personnel tenaient encore à l'écart de l'outil informatique au sens large, 40 % des documentalistes en 1985 (1), l'ensemble des avantages cités plaide pour une intégration rapide et massive de telles technologies dans le fonctionnement des services. De nouveaux savoir-faire doivent donc être maîtrisés, d'où les efforts actuels des associations et formations pour informer et former des professionnels compétents. Le danger actuellement est que, par manque d'esprit d'initiative et d'offensive, ils soient tenus à l'écart de la banalisation de tels outils, surtout dans les nombreux petits services. En terme de défense d'un territoire et de volonté de promotion, c'est aux documentalistes de terrain d'acquérir ces compétences, de revendiquer d'être associés de droit à la conception et au choix des matériels et logiciels, afin de ne pas rester en deçà des techniques mises à leur disposition.
L'instabilité est également causée par deux autres formes de pressions, celle des usagers et celle des autres professions de l'information et de la communication.
Les premiers sont de mieux en mieux formés à s'informer et prennent petit à petit conscience de cette nécessité, car leur environnement économique les pousse à évoluer. Chez eux et dans leur travail, ils utilisent les nouvelles technologies de façon conviviale : ils communiquent par des réseaux dédiés avec des correspondants dans le monde entier, possèdent une boîte à lettres télématique, consultent leur compte bancaire ou le catalogue du club méditerranée par minitel... Ils ont donc de nouveaux rapports à l'information, de nouveaux besoins et exigent de nouvelles prestations documentaires. Face aux canaux d'information classiques lourds et rigides, aux produits documentaires de type secondaire (bibliographies entre autres), ils réagissent mal et tendent à s'autodocumenter. Ils souhaiteraient beaucoup plus des prestations comme :
- des données brutes, concises, de type renseignement;
- des documents en texte intégral visualisés sur écran;
- des informations personnalisées, prétraitées, directement exploitables, fournies à travers des synthèses, dossiers ou autres produits élaborés imaginés selon les situations et donnant une valeur ajoutée à l'information brute.
C'est donc aux professionnels de faire preuve d'imagination pour répondre à cette demande et lutter contre les dangers de la surou de la sous-information.
A la jonction de l'axe technologique (métiers de l'informatique, de la télématique, de la bureautique) et de l'axe purement informatif (métiers de la presse, de la communication d'entreprise), le métier de documentaliste voit se modifier ses zones de compétences dans le processus général de changement. Des professions voisines utilisent ses savoir-faire et ses fonctions traditionnelles se déplacent vers d'autres territoires : l'éditeur électronique devient serveur et créateur de banques de données, le responsable de la communication interne organise des systèmes d'information, le rédacteur télématique conçoit des analyses sur écran, le journaliste fait de l'écriture télématique... Ce sont tous des médiateurs aux fonctions complémentaires autour d'un même objectif : informer. Le documentaliste n'est qu'un maillon du système global de l'information et y exerce des fonctions spécifiques.
L'instabilité est provoquée enfin par des facteurs intrinsèques liés à la jeunesse de ces professions. Métiers nouveaux, conjoncturels, hétérogènes, tout est diversité en documentation. Elle apparaît partout, à travers les institutions d'accueil, les besoins et les types d'utilisateurs, les contenus d'information traités, les fonctions exercées, les moyens et méthodes utilisés, les services et produits offerts... Ce constat est encore renforcé par plusieurs idées :
- Les sciences de l'information sont pluridisciplinaires. Elles empruntent leur théorie à de nombreuses sciences et techniques : sémiologie et linguistique, psychosociologie, organisation et gestion, logique et informatique... Il est donc difficile pour un néophyte d'appréhender précisément leur champ.
- L'information spécialisée est une notion floue. Non seulement elle touche à toutes les connaissances et devient d'autant plus imprécise, mais encore elle possède un caractère abstrait difficile à appréhender en dehors de son support oral, écrit ou visuel. D'ailleurs l'usager utilise souvent indifféremment les mots « information » et « document » pour désigner les données qu'il recherche même si ces termes ont une connotation différente (2). Le document évoque le papier, quelque chose de figé voire d'ennuyeux, alors que l'information évoque un contenu, un intérêt, une source de connaissances.
- Le mot « documentaliste » est un terme polysémique, ce qui rend ambigu son usage courant. Il désigne à la fois l'ensemble d'une profession, un spécialiste de la recherche, du traitement et du transfert de l'information, mais encore un grade hiérarchique intermédiaire entre le chef de service et le technicien-assistant. Toutes ces raisons concourent à donner du métier une image imprécise et à accentuer la méconnaissance des fonctions documentaires.
Pour clarifier le paysage professionnel dans un environnement aussi mouvant, nous avons mené deux études mettant en scène plusieurs méthodes d'analyse de données (statistique, linguistique, sociologique et bien entendu documentaire). La première portait sur l'analyse de 1185 offres d'emploi diffusées entre 1980 et 1985 dans la presse générale et spécialisée, l'Association française des documentalistes et des bibliothécaires spécialisés (ADBS), l'Association pour l'emploi des cadres (APEC) et les écoles professionnelles parisiennes (3). L'objectif était d'observer les métiers documentaires à travers les besoins exprimés par les employeurs lors du recrutement. La seconde est une analyse de contenu de 1306 dénominations (dont 575 différentes dans leur formulation) relevées dans les écrits francophones spécialisés (4). Nous réalisons ici la synthèse de ces différentes démarches pour en déduire des connaissances sur les métiers de l'information-documentation et leurs évolutions probables.
Les fonctions documentaires
Les activités documentaires sont nombreuses et éparpillées. Nous avons observé 38 tâches élémentaires citées par les employeurs dans les offres d'emploi. Elles peuvent être regroupées sous huit grandes fonctions spécifiques que tout documentaliste doit être capable d'exercer dans telle ou telle situation professionnelle. Les trois premières occupent à elles seules les deux tiers des citations, elles représentent donc l'image dominante du métier.
La principale fonction est celle de recherche et de diffusion de l'information. C'est elle qui caractérise le mieux ces métiers puisqu'elle occupe le quart des activités citées. Elle concerne aussi bien les recherches bibliographiques que les interrogations de banques de données ou le simple renseignement. Certains noms de métiers sont d'ailleurs liés à ces activités : le documentaliste devient recherchiste, informateur, fournisseur, interrogateur...
En second lieu, apparaît une fonction de plus en plus fréquente regroupant la conception de systèmes d'information et l'organisation-gestion de centres de documentation (20 % des citations). Le documentaliste doit être un concepteur et un gestionnaire, il doit être à même d'analyser un environnement professionnel, de créer et d'évaluer un système d'information, de gérer les moyens matériels, financiers et humains qui lui sont confiés.
Le traitement et la mémorisation de l'information représentent 19 % des activités citées. Traiter, c'est d'abord maîtriser un langage, faire correspondre le discours de l'auteur et celui de l'utilisateur final en fabriquant et en utilisant un langage intermédiaire, un thésaurus par exemple. C'est aussi savoir rédiger, synthétiser des connaissances, les représenter en quelques mots-clés. Le documentaliste est alors analyste, indexeur, rédacteur ou traducteur. Pour mémoriser l'information, il crée et met à jour des fichiers ou des banques de données. Il devient producteur. Cette fonction répond à un besoin de plus en plus visible : centraliser toute l'information utile à une collectivité quelle que soit son origine interne ou externe. Cette demande croît énormément et devient une compétence essentielle au recrutement.
Les trois fonctions suivantes nommées moins souvent (entre 11 % et 8 %) sont cependant importantes et certaines progressent nettement.
Savoir fournir des prestations et des produits d'information utiles est une activité essentielle. Les produits les plus fréquemment cités sont : le dossier d'information et le dossier de coupures de presse, la banque de données, la revue de presse, le bulletin d'information, la diffusion sélective de l'information (DSI), le renseignement mais encore la documentation technique ou commerciale. Par contre, le bulletin bibliographique, document secondaire, n'est pour ainsi dire pas nommé. Ceci confirme la réflexion précédente sur les besoins des usagers. Ils souhaitent accéder à l'information primaire et non plus à la citation du document susceptible de la contenir. Le documentaliste doit donc imaginer et fabriquer des produits élaborés et personnalisés, que les nouvelles technologies permettent de réaliser mieux et plus rapidement que les procédés manuels classiques. Il doit aussi apprendre à les promouvoir, à les vendre à leur juste coût pour rentabiliser son système et occuper un marché très concurrentiel (banques de données télématiques par exemple).
Le traitement des documents qui occupe encore un temps de travail considérable dans les activités documentaires est proportionnellement peu cité. La pratique des commandes, de l'enregistrement, du catalogage, du classement n'est pas considérée comme essentielle par l'employeur. C'est un peu la « cuisine interne » du professionnel, dont l'utilisateur n'a pas conscience puisqu'il n'en voit que le résultat final.
Par contre, la fonction dont la fréquence de citation croît le plus rapidement et qui correspond à une évolution importante du métier est celle de médiation et de conseil. Elle est très apparente dans les noms de métier, où les mots de consultant, d'expert, de courtier, de médiateur... apparaissent fréquemment. Ils soulignent le rôle de détective que le documentaliste va prendre de plus en plus dans les années à venir, « intermédiaire » à l'affût des innovations, des moindres informations susceptibles d'intéresser une population d'utilisateurs clairement ciblée, mais aussi « communicateur » capable de filtrer l'information strictement utile et d'adapter sa réponse.
Quant aux deux dernières fonctions peu fréquentes, elles n'en sont pas moins importantes. L'une concerne les tâches administratives indispensables au fonctionnement d'un service (secrétariat, saisie de données...), l'autre la formation et la recherche. Tout documentaliste doit, quelque part, être un pédagogue pour enseigner aux utilisateurs des méthodes d'information et pour lui-même se tenir au courant de l'évolution des savoirs et savoir-faire nécessaires à l'exercice du métier.
Les profils professionnels
Si un documentaliste doit être capable d'exercer les huit fonctions précédentes, il ne les pratiquera pas nécessairement ensemble sur son lieu de travail. Chacun selon ses compétences, ses responsabilités et son entreprise sera appelé à en privilégier certaines, regroupées en profils spécifiques. L'hétérogénéité est tellement grande qu'il est possible de distribuer ces profils selon huit critères différents; à chacun d'entre eux correspondent plusieurs catégories de professionnels. Les axes retenus sont respectivement : le métier, la hiérarchie, la collectivité employeur, le type de système documentaire, l'activité exercée, le domaine d'information traité, le support d'information manipulé, la technologie utilisée. La complexité est donc extrême dans les détails des combinaisons possibles, mais de grandes tendances se dégagent.
Les métiers
Les échantillons sur lesquels nous avons travaillé permettent de distinguer précisément huit familles de métiers.
Des métiers les plus anciens (archivistes, bibliothécaires) vers les métiers plus récents (documentalistes, spécialistes de l'information), des métiers complémentaires (consultants, chercheurs-enseignants) vers les métiers voisins de l'informatique-télématique-serveurs et ceux de la communication, tel est l'éventail apparu après l'analyse des 575 appellations découvertes (4). Un mot générique unique n'est pas suffisant pour les représenter globalement et ce chiffre considérable confirme les hypothèses de méconnaissance et d'hétérogénéité soulignées précédemment. Seuls les archivistes et les bibliothécaires échappent à cette constatation. Plus un métier est ancien, donc connu, plus son nom est court, précis et s'apparente à un statut; quand il est plus récent, l'appellation s'allonge et s'apparente à des activités ou des fonctions.
Il existe, d'autre part, une distorsion entre l'image socioculturelle du documentaliste classique et les professionnels souhaités par les collectivités. Les employeurs et usagers ne trouvent pas toujours dans leur propre représentation mentale du documentaliste la personne apte à exercer les fonctions qu'ils souhaiteraient; ils inventent alors de nouveaux noms spécifiques à leur institution pour désigner celui qui les exercera. Ceci explique la floraison des termes : responsable de..., spécialiste de..., ingénieur en..., assistant de..., complétés par des mots se rapportant à des tâches, des domaines, des technologies ou des supports d'information. On nomme clairement un « archiviste », on écrit un « bibliothécaire spécialisé », mais on précise un « ingénieur études et recherches documentaires », un « responsable de l'information économique et commerciale » ou un « assistant technique de la documentation ».
C'est ainsi qu'apparaît le profil de « spécialiste de l'information ». Il a été isolé, parce que les mots utilisés pour le nommer diffèrent de ceux des autres profils. Alors que les fonctions de recherche, traitement et diffusion de l'information, d'analyse-indexation, de production de banques de données, de gestion de services sont attribuées au documentaliste classique, celles de conception et d'organisation de systèmes d'information, d'administration de banques de données ne lui sont pas imputées, même si, dans la réalité, il assume souvent de telles responsabilités. Un nouveau profil professionnel semble donc en train de naître à un niveau de responsabilité élevé, puisque les mots les plus fréquents sont ici : responsable, concepteur, ingénieur, expert, spécialiste de... Si les documentalistes veulent être investis de ces fonctions, ils doivent, de toute urgence, modifier leur image de marque par de larges actions d'information et de promotion.
La hiérarchie
L'axe de la hiérarchie révèle quatre niveaux de responsabilités dans les trois professions les mieux structurées: responsable ou chef de service; documentaliste, bibliothécaire ou archiviste (termes polysémiques) ; assistant, adjoint ou aide; personnel administratif de secrétariat ou de classement de documents. Ces niveaux n'apparaissent nullement dans les métiers récents (spécialiste de l'information par exemple), pour lesquels la compétence dans une fonction ou une technologie importe plus. D'autre part, les nouveaux métiers, peu structurés, n'apparaissent pas dans les grilles indiciaires des conventions collectives et les employeurs ne savent pas clairement où les situer dans une hiérarchie. Ils utilisent donc des noms génériques intermédiaires et laissent un certain flou autour du statut et de la rémunération proposée.
Les lieux
Selon le rôle joué par l'information dans telle ou telle institution, selon l'importance accordée à l'acte d'informer et la politique menée à cet égard, le système documentaire varie. Les fonctions exercées, les niveaux et les domaines de formation, les compétences exigées des professionnels diffèrent. Ils peuvent choisir de travailler dans cinq catégories de systèmes d'information :
- les centres de signalement et banques de données commerciales,
- les centres de documentation et bibliothèques publiques,
- les centres de documentation au service d'une institution (systèmes d'information internes),
- les cellules d'assistance à l'information au service d'une équipe d'étude ou de recherche, - les agences d'information spécialisée (ex : ARIST) et les sociétés de service en information.
Ces services existent et parfois cohabitent dans les quatre secteurs d'activité qui utilisent leurs compétences : les sources publiques d'information, les entreprises industrielles, les services et médias pour lesquels l'offre d'emploi diffusée s'équilibre globalement autour de 30 %, la recherche fondamentale et appliquée qui représente, elle, 8 % du marché. Il est important de noter que c'est la finalité de l'information dans un site qui crée les différences de profil. Si, par exemple, elle joue un rôle culturel, le professionnel peut travailler soit dans une bibliothèque publique soit dans la bibliothèque d'un comité d'entreprise; si, au contraire, elle doit contribuer à l'innovation, le documentaliste appartiendra soit au service recherche-développement d'une entreprise privée, soit à une équipe de recherche fondamentale dans un établissement public. Le schéma suivant, bien que réducteur, cherche à visualiser les profils selon ce critère de finalité de l'information, mais ne saisit que des tendances. Un marché aussi complexe se laisse difficilement schématiser.
Les sources publiques d'information regroupent les institutions pour lesquelles l'information est outil de culture ou de formation. C'est ici qu'exercent les professionnels les plus connus : archivistes, bibliothécaires spécialisés, documentalistes classiques dont le principal rôle est de récolter, de conserver et de mettre à disposition du public l'information la plus complète possible sur tel domaine de la connaissance (documentalistes d'administrations, de collectivités locales, d'organismes consulaires, de musées, d'établissements d'enseignement... ).
Le marché est très largement couvert par les formations actuelles créées à l'origine pour répondre aux exigences de ces services et l'offre d'emploi régresse proportionnellement à l'ensemble.
La recherche scientifique et technique emploie trois catégories de documentalistes : des gestionnaires de banques de données de références chargés d'alimenter ces gigantesques mémoires et de superviser le système informatique, des analystes-rédacteurs rédigeant les signalements des documents ou des informations mémorisées, des documentalistes de laboratoires travaillant directement dans une équipe de recherche. Ici, informer veut d'abord dire contribuer à l'innovation. La demande, faible, stagne et le niveau d'étude exigé est supérieur à une maîtrise d'université dans la discipline scientifique étudiée.
Dans les entreprises industrielles et commerciales des secteurs privés et para-publics, l'information doit avant tout être source de productivité et d'aide à la décision. Les profils sont ceux d'ingénieurs-documentalistes, de responsables de systèmes d'information, personnels différents du profil-type. Les industriels ont pour mots-clés efficacité, rentabilité, pertinence. Ils souhaitent en fait deux niveaux de gestionnaires d'information :
- d'une part des médiateurs capables d'analyser des besoins, de concevoir, de gérer et d'évaluer les systèmes pouvant y répondre, des spécialistes capables de maîtriser les savoirs et les flux d'information pour créer la mémoire vivante de la collectivité. Ce sont là des personnels ayant acquis une triple compétence : une formation générale au moins égale à une maîtrise d'université favorisant le dialogue avec des utilisateurs dans une discipline donnée, une formation professionnelle technique quel que soit alors le niveau du diplôme, et surtout une connaissance de l'environnement de l'entreprise, de sa culture, de ses projets, de ses attentes en information dans une perspective de veille économique et technologique ;
- d'autre part des techniciens supérieurs maîtrisant parfaitement les techniques et technologies anciennes et récentes de la recherche, du traitement et de la communication des connaissances, sachant utiliser les « machines » à communiquer. Ils doivent être capables de fabriquer un fichier manuel ou d'alimenter une banque de données interne, de trouver un renseignement ponctuel ou de préparer une revue de presse, de créer des dossiers ou de réaliser un montage vidéo.
Les services regroupent des entreprises aux rôles très différents, les profils de documentalistes sont donc variés. L'information est souvent le renseignement d'actualité directement utilisable dans la vie socio-économique, elle sert à une meilleure insertion de l'usager dans la société. Elle peut être le produit même du service dans les médias, les centres d'information (Centre d'information et d'orientation (CIO), Centre d'information et de documentation jeunesse (CIDJ), Centre d'information sur la formation permanente (Centre-INFFO), etc.), l'édition. Mais l'information peut aussi, comme dans l'industrie, avoir un rôle stratégique (banques et assurances) et servir à créer une mémoire interne (fichiers-adhérents d'une association, fichiers-clients d'une société de service ou centralisation d'informations spécialisées dans un institut technique).
Il faut ajouter à ces secteurs le cas particulier des réseaux documentaires qui, pour des raisons diverses (communautés d'intérêt ou d'utilisateurs, partage des moyens et des tâches), associent des services d'horizons divers mais complémentaires. Pour exemple, citons les banques de données d'information régionale diffusées sur minitel, les réseaux des chambres de commerce et d'industrie ou des observatoires économiques de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). Ils sont à l'origine de profils particuliers, ceux des administrateurs de banques de données et des gestionnaires de réseaux. Ceux-ci sont responsables de la coordination et de la gestion du système, de la qualité et de la validité des informations mémorisées, de la promotion et de la rentabilité du produit fabriqué.
Les domaines d'information
En tête et de très loin, les scientifiques représentent presque la moitié des besoins exprimés sur le marché (46 % dans les offres d'emploi et 48 % des disciplines citées dans les noms de métier). Leurs compétences situées au niveau ingénieur, responsable, spécialiste, analyste-rédacteur..., sont appréciées dans les centres de recherche, les entreprises, les grandes banques de données commerciales spécialisées. Pour des raisons de maîtrise du langage, c'est la qualification dans un domaine qui importe le plus. Le titre de chimiste, de médecin, de pharmacien ou d'ingénieur agricole est alors plus important que celui de documentaliste.
Les juristes et économistes forment le second groupe de spécialistes demandés. Ils travaillent dans les centres de documentation économiques des entreprises ou des ministères, dans les banques, les assurances, l'édition et les banques de données commerciales de ces secteurs.
Les sciences de l'ingénieur sont souhaitées en troisième lieu. Electroniciens, mécaniciens, ... sont recrutés dans les entreprises industrielles pour gérer l'information spécialisée, mais aussi pour créer les documentations techniques et commerciales des produits fabriqués et vendus sur le marché.
Les littéraires de formation ont des débouchés plus difficiles car le marché est déjà largement pourvu (environ 10% des demandes). Ils exercent surtout dans les sources publiques d'information en tant que bibliothécaires ou archivistes (collectivités locales), dans les services comme informateurs (centres d'orientation ou d'information). Ils sont aussi documentalistes audio-visuels, de presse ou d'associations. Les niveaux d'étude exigés sont proportionnellement moins élevés et s'échelonnent entre le premier cycle universitaire et la maîtrise.
Le métier a un besoin urgent de scientifiques, d'économistes, de juristes, d'ingénieurs, surtout dans le secteur privé; or la population des étudiants des écoles est composée majoritairement de littéraires (60 %). S'il est vrai que des qualités de linguiste ou de sociologue sont recommandées en documentation, la maîtrise de la terminologie et de la structure d'une discipline est essentielle pour dialoguer avec les spécialistes qui ne s'adressent à vous que lorsqu'eux-mêmes n'ont pas réussi à résoudre leur problème.
Tels se présentent les métiers documentaires en France actuellement. Quelles évolutions peut-on maintenant prévoir ?
Les évolutions
Elles se manifestent d'abord dans les pratiques. Même si certaines réticences liées aux habitudes, aux lourdeurs administratives, aux budgets trop faibles, existent encore pour intégrer les technologies informatique et télématique, le retard tend à se combler. Les multiples actions de formation et d'information engagées par les écoles et les associations font petit à petit leur effet. Elles sont relayées, sur le terrain, par la motivation des professionnels qui prennent conscience de l'intérêt de tels outils dans leurs tâches quotidiennes. Les compétences nouvelles et les transformations des métiers naissent souvent d'initiatives individuelles qui font « tâche d'huile ». Si les qualités naturelles de curiosité, d'ouverture, l'envie d'apprendre sont réelles chez les documentalistes, ils devraient rapidement surmonter les obstacles et acquérir ces compétences.
Il ne s'agit plus seulement de gérer des fonds de documents, mais d'en traiter efficacement les contenus. Les entreprises créent des infocentres, mettent à la disposition de leur personnel des espaces-mémoire sur leurs ordinateurs, des logiciels qui ne sont pas nécessairement les meilleurs, mais qui ont le mérite d'exister. Toutes les occasions sont bonnes à saisir pour évoluer, réduire les tâches répétitives et acquérir de nouvelles méthodes de travail.
En créant des banques de données internes, véritables mémoires des informations nécessaires à l'entreprise, en proposant des produits utiles et conviviaux, en jouant le rôle de médiateur entre des informations insoupçonnées et des utilisateurs qui n'ont plus le temps de les trouver, le documentaliste peut profondément faire évoluer et valoriser sa fonction. C'est d'ailleurs dans les collectivités où de tels besoins se font sentir que les débouchés se développent le plus : l'industrie, les services, les médias (avec une orientation actuelle vers les serveurs vidéotex). Elles apprécient les aptitudes à détecter et à gérer l'information, à rédiger de façon synthétique et claire, à communiquer avec des usagers et à travailler en équipe. Les profils qui montent sont donc les ingénieurs ou spécialistes de l'information et les documentalistes au service d'une institution.
Trois actions sont, dès lors, nécessaires pour que les métiers documentaires évoluent bien : former, informer, promouvoir.
Former les utilisateurs à s'informer et former des professionnels compétents, deux objectifs que le système d'éducation ne doit pas négliger. La formation doit surmonter un triple pari : former des spécialistes maîtrisant à la fois une discipline, les méthodes et techniques de l'information, l'environnement de travail. Il existe en France actuellement trop peu d'écoles au niveau « ingénieur » pour ces généralistes de l'information. Certaines se créent mais relèvent plus de la sphère des gestionnaires ou des informaticiens. Il est essentiel qu'elles se développent au contraire dans la section universitaire des sciences de l'information et de la communication pour dispenser les savoirs et les savoir-faire nécessaires à cette triple compétence.
Spécialistes du sujet, les documentalistes devraient être les mieux placés pour mener leur propre politique d'information selon deux axes : s'informer sur l'évolution de leurs pratiques et de leurs techniques en utilisant des relais tels que la presse et les manifestations professionnelles, les cycles de formation continue créés à leur intention; informer leurs usagers réels et potentiels de leurs compétences en leur fournissant des prestations pertinentes.
Pour promouvoir les fonctions documentaires, une action sur l'image de marque du nom « documentaliste » est indispensable. Si ces métiers sont mals connus, les associations professionnelles doivent provoquer l'évolution des mentalités par des campagnes de promotion à large échelle vers les secteurs où leur reconnaissance est faible. Cette action globale doit être menée aussi auprès des centres d'information sur les métiers qui parfois donnent encore une image passéiste de la documentation. Elle doit être relayée sur le terrain par les professionnels eux-mêmes qui, en faisant preuve d'efficacité et d'initiative, peuvent provoquer l'évolution de leurs fonctions et, partant, faire évoluer l'image de leur métier. Toutes les entreprises auront besoin dans l'avenir de spécialistes capables de filtrer l'information parasite, d'aiguiller vers la bonne source et le bon interlocuteur, de traduire dans un langage commun des connaissances provenant de multiples origines (8). Ce sont là des responsabilités que les actuels documentalistes sont largement capables d'assumer.