Les options du CAFB
Table ronde sur les formations moyennes
Brigitte Guyot
Isabelle Dussert-Carbone
Jean-Claude Utard
Débat entre formateurs au CAFB : IUT de Grenoble et centre Médiadix installé à Paris X. Cette formation reçoit un public hétérogène qui va du travailleur en bibliothèque non diplômé à l'étudiant sur-diplômé. Pour répondre à la demande du marché - les employeurs recrutant davantage en fonction des diplômes universitaires que des diplômes techniques - une mise à niveau " culturelle " est nécessaire. Elle sera facilitée par l'insertion en milieu universitaire. Le développement de la télématique pourrait ouvrir de nouveaux créneaux aux métiers de l'information. La formation entre dans une phase d'expérimentation intégrant les nouvelles technologies. Un cursus de deux années semble généralement souhaitable, avec un tronc commun d'un an et la possibilité, ensuite, de se spécialiser.
Discussion between CAFB teachers : the IUT (Technology university institute) of Grenoble and Médiadix center in Paris. The public of the CAFB is heterogeneous, from the non-graduate library worker to the over-graduate student. As employers tend to recruit more according to academic than to technical diplomas, a cultural updating needs to be done so as to meet the needs of the market. This will be easier in a university context. The telematics can offer new alternatives to the information profession. The education in library and information science enters a new experimental stage which includes the new technologies. A two-years curriculum would be appropriate : a one-year common-core syllabus followed by a specialisation.
Premier contact avec des professions en quête de redéfinition, le creuset des IUT et des CAFB : des enseignements qui assument de façon concomitante des fonctions de promotion, d'initiation ou de perfectionnement ; qui affirment leur vocation professionnelle ou mettent en valeur leur rôle culturel ; des filières qu'on se plaît soit à opposer, soit à rapprocher... En fait, la réalité transcende ces dichotomies et les analyses présentées posent directement les problèmes de démographie professionnelle, d'image de marque, de débouchés...
BBF. On parle beaucoup, en ce moment, du rapprochement de l'enseignement du CAFB et de l'université. Il est néanmoins rare d'observer des cas où cet enseignement est aussi étroitement intégré qu'à l'IUT 1 de Grenoble.
Brigitte Guyot. A Grenoble on a effectivement intégré la préparation au CAFB 2 dans le diplôme de l'IUT, le DUT 3. C'est-à-dire que les cours sont obligatoires et que les notes de bibliographie ou de catalogage, par exemple, comptent pour le DUT, en contrôle continu. Cette formule est à la fois valable pour le cycle normal en deux ans - les étudiants passent le CAFB au cours de leur deuxième année d'étude -, et pour les étudiants en « année spéciale », qui préparent en un an le DUT et le CAFB. Au départ, à l'ouverture de l'IUT, en 1975, l'année spéciale était une promotion de recyclage en documentation. L'IUT a été habilité à délivrer son diplôme en un an et a continué depuis.
Les uns et les autres
BBF. Quels sont vos élèves, leur profil, leur niveau d'études ? Y a-t-il des différences entre les candidats aux différentes options du CAFB, entre le CAFB lui-même et le DUT ?
Isabelle Dussert-Carbone. 90 % des candidats à l'option documentation du CAFB ont au minimum une licence. Ils ont fait des études de lettres, de langues et d'histoire de l'art ; beaucoup proviennent de cette troisième filière parce qu'elle offre peu de débouchés.
Le recrutement est très faible en histoire et pratiquement nul en droit et en sciences économiques ; rares sont les scientifiques, et, quand il y en a, ils travaillent déjà dans un centre de documentation. Cette constatation vaut pour tous les centres de formation, Paris, mais aussi Lyon, Strasbourg, Montpellier et Marseille.
BBF. La licence est-elle vraiment le niveau requis pour cette option ?
IDC. De fait, nous mettons en garde les étudiants qui préparent le tronc commun sur la difficulté de trouver un emploi de documentaliste pour ceux qui n'auraient que le bac et le CAFB. Par ailleurs, le niveau actuel du bac est inférieur à celui demandé à l'examen, particulièrement en ce qui concerne l'épreuve d'analyse d'un article en langue étrangère.
Ceci dit, une expérience professionnelle peut avoir apporté à un bachelier la maturité et la culture indispensables pour réussir cette option. Il faut souligner que la moitié de nos étudiants occupent déjà des postes en documentation, dans le secteur public comme dans le secteur privé. Ils y ont abouti par des itinéraires plus ou moins bizarres et passent le CAFB pour valider leur emploi. Le fait que notre formation se suive à temps partiel - deux jours par semaine, pendant deux périodes de quatre mois, octobre à janvier et mars à juin - constitue à la fois un attrait et un inconvénient.
Jean-Claude Utard. Il n'y a pas de différence fondamentale en ce qui concerne l'option lecture publique. La plupart des étudiants sont très diplômés. On rencontre des exceptions, des gens qui n'ont pas le bac ou juste le bac, mais ce phénomène renvoie au rôle de promotion interne du CAFB : ces personnes travaillent déjà dans une bibliothèque municipale - il suffit pour un employé de bibliothèque d'avoir une ancienneté de deux ans pour pouvoir se. présenter - et le CAFB représente pour elles une chance de promotion.
Ces exceptions sont nombreuses, malgré les divers problèmes rencontrés par ce type de candidats. Ils échouent en effet souvent soit à l'examen probatoire préalable à l'inscription au Centre de Paris soit aux examens du tronc commun qui forment la première série d'épreuves du CAFB. Enfin, une fois ces barrages passés, ils se retrouvent toujours en option lecture publique car nous les décourageons de prendre l'option documentation sans bagage universitaire. Le taux de licenciés n'est que d'environ 70 % en option lecture publique. Ce sont en majorité des littéraires, mais aussi des historiens (assez nombreux), des géographes, des psychologues, etc.
IDC. Nous constatons effectivement que les épreuves de l'examen éliminent les gens qui n'ont que le bac. Il est difficile de faire, en trois mois, la synthèse de tous les enseignements.
JCU. Ceux qui s'en sortent sont ceux qui ont un peu traîné à l'université, même sans y avoir obtenu de diplôme.
IDC. Ou ceux qui travaillent déjà en bibliothèque.
JCU. Il faut nuancer. Nous collaborons avec les CFPC (Centre de formation des personnels communaux) pour des cours de remise à niveau en expression écrite et orale, et les non-bacheliers, ou ceux qui n'ont que le bac mais ont suivi ce rattrapage, réussissent fort bien ensuite au CAFB. Toutefois intervient également un facteur personnel d'intérêt, d'éveil, de curiosité qui peut largement compenser certaine dé-formation et fatuité universitaires. Le résultat est que, bon an, mal an, 20 % des élèves du Centre de Paris reçus au CAFB sont des personnes qui n'ont aucun titre universitaire.
BG. A Grenoble, jusqu'à présent, nous découragions fortement les étudiants de préparer l'option documentation du CAFB, puisqu'ils préparent déjà le DUT documentation. Autant diversifier les qualifications. Mais les choses sont en train de changer; cette année, une vingtaine de personnes ont choisi cette option. Nous obtenons au moins 60 % de réussite aux épreuves du tronc commun. Les étudiants d'année spéciale se placent mieux que ceux de deuxième année. Il est vrai qu'ils sont recrutés avec, au minimum, un DEUG 4, et qu'ils ont pour la plupart licence ou maîtrise - nous avons même eu un titulaire du DEA, ce qui devient aberrant. Une année de DUT n'est pas reconnue comme une année de formation universitaire : ainsi, un étudiant licencié ayant suivi une année spéciale restera à Bac + 3.
Les étudiants du cycle en deux ans sont recrutés au niveau du bac, sur dossier. En fait, ils ont souvent fait une année de DEUG. L'IUT recrute des étudiants qui ont un peu bourlingué, les « déçus de la fac », qui ont besoin d'être encadrés.
Nous avons enfin une troisième catégorie d'étudiants, les auditeurs libres, qui travaillent déjà en bibliothèque municipale et ne font que préparer le CAFB. En tout, cela fait une promotion de 66 personnes.
IDC. La nôtre est de 30 étudiants en documentation et de 75 en lecture publique.
BBF. Est-ce que l'hétérogénéité des étudiants vous pose des problèmes ? Certains travaillent déjà, d'autres sont étudiants - les diplômes allant du bac au troisième cycle... La situation est apparemment la même au. CRFP et à l'IUT.
BG. Pour le moment, la vingtaine d'étudiants qui arrivent en première année forme un bloc ; les années spéciales forment un autre groupe, mais nous avons bien envie de les mélanger. Déjà les auditeurs libres, qui viennent trois fois par semaine, s'incorporent à l'un ou l'autre groupe sans problème. De façon générale, les plus jeunes n'exploitent pas assez l'expérience de ceux qui sont allés à l'université ou qui travaillent. Ils sont souvent moins curieux que les autres publics, très demandeurs. Sur le plan pédagogique, le mélange est intéressant.
IDC. Le public de professionnels est très tonique. Ils posent des questions, participent aux cours, interviennent sur leurs expériences. Ces échanges sont très enrichissants pour tout le monde.
JCU. Les étudiants, quant à eux, forment un public des plus stimulants. Ils se placent souvent en tant qu'utilisateurs, posant des questions parfois naïves mais qui permettent aux bibliothécaires et aux documentalistes en poste de réfléchir sur leurs fonctions et les produits proposés. Leurs réactions permettent de remettre en cause des pratiques mal adaptées à la 'demande actuelle. Cette dualité est très positive.
BBF. Que pensez-vous de la pratique du cumul des diplômes professionnels ?
BG. Ce cumul est effectivement assez fréquent. C'est souvent reculer pour mieux sauter. Parfois, il est efficace. Une étudiante a été embauchée à Paris, dans la presse, parce qu'elle avait deux diplômes, le DUT et le CAFB.
JCU. Compléter un diplôme de documentation par un diplôme plus axé sur une des sections de bibliothèque publique, d'accord. Mais quand on a un DUT de documentation, le CAFB documentation est vraiment inutile.
IDC. La même remarque vaut pour les diplômés de l'Ecole des bibliothécaires documentalistes qui veulent passer le CAFB. Il est un peu triste de voir toute une série de diplômés (DUT, CAFB) qui, ne trouvant pas de travail, préparent option sur option, et finissent par perdre de vue la finalité de ces formations : la recherche d'un emploi. Il y aurait beaucoup à dire sur la façon de se battre lors d'un entretien d'embauche, la façon de présenter ses diplômes, de rédiger un curriculum vitae.
BG. Peut-être est-ce lié à l'image de la profession ?
IDC. A l'imaginaire plutôt qu'à l'image. Je pense à certains de nos étudiants qui ont été rebutés par une offre d'emploi - fort bien rémunéré - qui consistait à analyser 150 périodiques d'informatique pour alimenter une banque de données; d'autres se sont cabrés devant des postes intégrant une forte composante « gestion » : gérer du personnel, un budget, faire de l'administration.
La façon dont ils imaginent leur futur travail correspond à leurs motivations profondes et il n'est pas toujours facile de les déceler. Bien souvent, au fond, ils pensent que la seule chose intéressante est de faire des recherches pour les chercheurs en poursuivant leurs propres intérêts sur le plan intellectuel.
JCU. Cette démarche est peut-être assez parisienne.
BG. Non, elle est générale. La gestion fait peur. C'est très net. Les motivations sont d'abord: « J'aime lire, j'aime les livres, j'aime communiquer, être en contact avec les gens. »
BBF. L'axe « communication » prend de plus en plus d'importance au sein des professions de l'information...
JCU. Si seulement il s'agissait de communiquer, ce serait une bonne chose, mais en fait cette motivation revient souvent à : « J'aime communiquer mon savoir et faire lire ce que j'aime. » Cette communication, complètement détournée, est, au fond, égocentrique et méconnaît le point de vue de l'utilisateur. Elle peut, à l'occasion, être très chaleureuse - ou être vécue de façon chaleureuse par le bibliothécaire -, mais elle ne constitue en aucun cas un recours. Autre chose est de partir de la question que l'utilisateur pose et de chercher à y répondre.
BG. Ce trait de comportement n'est pas spécifique à la France : un enseignant québecois nous a exposé la façon dont il avait adapté ses méthodes pédagogiques au profil psychologique de ses élèves. Les étudiants documentalistes ou bibliothécaires sont, en règle générale, plutôt renfermés en eux-mêmes, peu aptes au travail en groupe ou à la communication. Ces observations s'avèrent tout à fait pertinentes à Grenoble, où notre IUT comporte deux options - séparées - de documentation et de communication. Il est amusant et instructif d'observer les divergences de comportements, à l'occasion de regroupements...
Viser l'emploi
BBF. Comment vivez-vous cette opposition entre les attentes des étudiants et celles des employeurs ?
BG. Plutôt mal. Nous sommes écartelés entre une série de contradictions tenant à la stratégie de recrutement des employeurs (qui privilégient la dimension « culturelle » représentée par le diplôme universitaire) et à l'hétérogénéité des étudiants. Aussi notre enseignement reflète-t-il une mise à niveau culturelle tous azimuts. Selon le programme pédagogique national des IUT, la première année comporte deux tiers d'enseignements généraux, langues, économie, histoire, psycho-sociologie, etc. et un tiers d'enseignement technique, informatique et documentaire; en deuxième année, la proportion s'inverse. A terme, cette dimension culturelle sera encore élargie par une initiation à la culture scientifique, mais, dans ce domaine, nous nous heurtons au manque d'outils pédagogiques.
JCU. Pour y remédier, nous attendons beaucoup de notre installation à l'Université de Nanterre, ne serait-ce que pour des cours de mise à niveau dans les domaines du droit, de l'économie et des sciences, puisque des débouchés existent dans ces domaines et que la formation littéraire des étudiants doit être complétée. Nous avons d'ailleurs déjà organisé ce type de cours pour l'option lecture publique - l'état des sciences, les débats de la communauté scientifique : ils sont assurés par des journalistes scientifiques et des spécialistes de la vulgarisation.
A ce propos, nous essayons de réduire la trop grande coupure entre documentation et lecture publique dans l'organisation des options. Beaucoup de choses peuvent être faites en commun. Les bibliothécaires de lecture publique s'orientent à l'heure actuelle vers des services qui ont trait à l'information rapide (services de référence, renseignements pratiques sur minitel, etc.). Ce que nous leur présentons et une bonne part des enseignements de l'option documentation leur seraient bénéfiques.
IDC. De même l'enseignement de bibliologie qui est donné en lecture publique manquait cruellement en documentation. Nous essayons de compenser cette lacune par des cours sur l'édition scientifique, universitaire, en faisant une interprétation large du programme officiel de l'option. Nous tentons également d'éliminer le clivage, complètement artificiel, entre la bibliographie ramenée au seul produit-papier, réservée au bibliothécaire, et l'utilisation des banques de données, privilège du documentaliste.
BBF. Que pensez-vous de la place, dans votre enseignement, des savoir-faire et des techniques ?
BG. Nous avons eu récemment une réunion de tous les responsables de l'option documentation des IUT et sommes arrivés à la conclusion qu'il fallait faire moins de technique (moins de catalogage, moins de bibliographie), et développer les qualités de réflexion et d'adaptation. Suivre l'évolution des techniques est du ressort, aujourd'hui, de la formation permanente. La formation initiale doit mettre l'accent sur les méthodes, l'analyse d'une situation, l'évaluation des moyens et des objectifs, l'adaptation aux contraintes du milieu, etc.
IDC. Notre pédagogie de l'apprentissage des techniques est de faire comprendre une démarche à fond. Aussi bien en bibliographie qu'en catalogage, nous insistons beaucoup sur la démarche dans laquelle peut s'inscrire par la suite n'importe quel instrument. L'apprentissage de la bibliographie ne passe pas par le fait de connaître par coeur 150 répertoires. Si l'on a compris le système, on peut s'adapter à n'importe quel domaine.
BBF. Quelle part réservez-vous aux nouvelles technologies, à l'informatique ?
BG. Nous organisons des séances d'interrogation de banques de données, d'apprentissage d'un logiciel comme Texto et des cours sur l'informatisation d'un centre de documentation. Pendant leur stage, les étudiants ont souvent un travail de conception à réaliser, du type : préparer un cahier des charges, trouver un logiciel documentaire et constituer une banque de données. Nous essayons de les y préparer, mais Grenoble n'est pas à la pointe de la télématique.
IDC. Pour le moment, nous ne disposons que de deux minitels et nous organisons des séances de démonstration d'interrogation au Muséum, à Jussieu et à l'Académie de Médecine. Mais, à Nanterre, nous espérons utiliser l'atelier d'informatique de la bibliothèque universitaire.
BBF. Quels sont les débouchés pour vos formations ?
BG. Dans le fichier que nous avons constitué à Grenoble, les offres d'emploi sont peu comparables, puisque, par le biais de l'ENSB 5, elles sont nationales pour le CAFB, alors qu'elles sont régionales pour la documentation. En 1985-1986, il y avait 225 offres d'emploi, dont 147 pour les bibliothèques et 78 en documentation. Dans la région Rhône-Alpes, nous disposions de 29 offres, dont 20 en documentation.
IDC. Pour l'option documentation, le discours que nous tenons aux étudiants est qu'il y a peu de débouchés. Le CAFB documentation est en concurrence directe avec les DUT, et, sur la région parisienne, pour les étudiants qui ont une licence, avec l'INTD 6, l'EBD 7, le DESS 8 de l'Institut des sciences politiques et les DESS en informatique documentaire; de plus, il est mal connu. Nos étudiants trouvent un emploi parce qu'ils ont une formation générale très cotée : sur la promotion de l'année dernière, une juriste, une biologiste, une littéraire aussi dans un éco-musée.
BG. Nous constatons que les étudiants d'année spéciale se font embaucher plus vite et à de meilleures conditions. Les employeurs demandent en priorité une formation dans un domaine particulier, plus un diplôme technique.
IDC. C'est la formation universitaire qui contribue au recrutement.
JCU. Il suffit de regarder le nombre d'offres d'emploi qui demandent une bonne formation en physique, en chimie, en sciences économiques, parfois en histoire, et ensuite, à la limite, n'importe quel diplôme de documentaliste.
Ce décalage correspond à une réalité professionnelle qui pose problème. Pour embaucher quelqu'un, l'employeur lui demande son diplôme universitaire, mais va l'aiguiller sur un emploi technique, parce qu'il aura un diplôme technique. Par exemple, une municipalité demandera à un bibliothécaire-adjoint d'avoir une licence, une bonne connaissance de langues étrangères, etc., puis l'emploiera et le payera à Bac + 1.
IDC. Logiquement, nous formons des techniciens, des aides-documentalistes ou des bibliothécaires-adjoints de niveau bac ; or, nos étudiants sont beaucoup trop diplômés pour ce type d'emplois. C'est vraiment là que réside la contradiction majeure du CAFB.
Un monde en mouvement
BBF. De manière générale, comment voyez-vous l'évolution des emplois ? On entend beaucoup de nouveaux vocables : gestionnaire de l'information scientifique et technique, concepteur de système, « informatiste », etc.
JCU. Je ne vois pas très bien comment on peut modifier la réalité d'un métier par le vocabulaire : « informatiste », je ne sais pas ce que cela veut dire. Il ne s'agit pas de nier l'importance de l'image, de l'étiquette apposée sur un métier ; mais il ne faut pas voir que ce seul et unique aspect et s'obnubiler là-dessus. Il faut aussi faire. Parler du service que l'on peut apporter ne débouchera pas sur grand-chose si on ne peut démontrer sa réalité tangible. Dans le même ordre d'idées, le terme de sciences de l'information, revendiqué à tout crin par les filières de formation, me semble un peu abusif ; il s'agit de techniques, pas de sciences à proprement parler, ni sur le modèle des sciences sociales, encore moins sur celui des sciences exactes. Ce sont des techniques au service des sciences.
IDC. L'image du bibliothécaire et du documentaliste n'est pas très bonne. Il me semble qu'on cherche tous les termes possibles et imaginables pour cacher cette image, pour dévaloriser encore plus le travail coldssal que les documentalistes réalisent. Le métier évolue grâce au dynamisme des professionnels, non pas du fait d'un changement d'appellation.
BG. Beaucoup de choses bougent ; autour des banques de données par exemple. Toutefois, bien qu'elle ait été très présente sur ce terrain, et partie prenante des actions de promotion et de lancement, la profession en tant que telle est restée absente de la redéfinition globale des emplois, corollaire de l'émergence de la télématique. Il y a une place pour les documentalistes dans ce mouvement, mais on cherche à s'approprier des concepts qui marchent bien, avant de réfléchir à la façon de s'y intégrer.
BBF. A votre avis, quelle place peuvent occuper les métiers traditionnels dans cette évolution générale ? Quelle, peut être la réaction des professionnels ?
BG. Ils peuvent adopter deux attitudes, soit qu'ils se sentent peu concernés par les nouvelles technologies de communication, soit, au contraire, qu'ils profitent de cette nouvelle situation pour se redéployer et investir les créneaux qui semblent désormais porteurs.
L'évolution des métiers recouvre deux problèmes. D'une part, comment exploiter le savoir-faire acquis dans ces formations pour élargir l'éventail des métiers possibles ? La télématique, dont la logique organisationnelle est sensiblement la même que celle des banques de données IST classiques, pourrait apparaître comme un lieu privilégié de redéploiement. D'autre part, comment utiliser ces concepts ou ces outils nouveaux pour rendre plus attrayante l'image des métiers traditionnels, centrés sur les livres et organisés autour d'un lieu spécifique ?
Les grandes fonctions documentaires - collecte et mise à disposition des informations (avec notamment la mise à jour) - sont aussi bien présentes dans un service télématique que dans un réseau câblé. De même, quel que soit le service, l'organisation ou la structuration des informations nécessitent une certaine logique, souvent liée d'ailleurs à la connaissance que l'on a des utilisateurs réels ou potentiels 9. Les médiateurs d'information sont bien positionnés, objectivement parlant, dans leur fonction d'interface entre les concepteurs (télématiques principalement) et les utilisateurs ; leur connaissance de la démarche d'information des usagers est donc précieuse, en ce qui concerne la logique d'interrogation, par exemple. Pourtant, les tâches de conseil et de formation à ces nouveaux outils sont trop souvent effectuées par des commerciaux qui n'ont de réelle pratique ni dans l'interrogation ni dans l'organisation des informations.
En ouvrant sur des domaines en cours de constitution, sur des nouveaux métiers (même encore peu structurés), ces données permettent de moderniser l'image des métiers de l'information : intégrer l'interrogation des services Télétel dans les bibliothèques est à la fois une façon d'adapter le personnel à des tâches d'information ponctuelle - et non plus seulement bibliographiques - et d'amorcer l'évolution de ces grandes structures - trop souvent considérées comme des monuments -, en même temps que la réorganisation des méthodes de travail. L'exemple de la BPI est à cet égard positif. Sortis de leur temple du savoir, les professionnels de l'information peuvent apparaître comme des interlocuteurs valables dans la constitution de nouveaux services. Qui s'en plaindrait ?
BBF. L'image actuelle des professions de l'information est encore très éloignée de cette perspective...
JCU. Je ne pense pas que les bibliothécaires soient si dévalorisés. Une politique de lecture publique dynamique est menée depuis déjà vingt ans et l'image de marque des bibliothèques est plutôt positive, que ce soit à la Bibliothèque publique d'information ou dans la banlieue parisienne. Il y faut des équipements neufs, des équipes jeunes, des crédits. L'image de marque de la documentation est peut-être moins positive, parce que diffuse, morcelée, et surtout, parce qu'une véritable politique de l'information et de la documentation fait défaut.
IDC. Je crois que le fond du problème est le manque de liens entre les professions de bibliothécaire et de documentaliste: méconnaissance, ignorance réciproque et hiérarchisations plus ou moins implicites... Le CAFB documentation, qui s'affiche comme une formation de bibliothécaires tout en intégrant la composante documentaire, est une des premières victimes de cet état des choses.
JCU. A l'heure actuelle, il est clair que la formation à la conception des systèmes d'information échappe aux organismes de formation professionnelle. Il n'est donc pas étonnant de rencontrer dans ce secteur des journalistes, des informaticiens, des télématiciens, etc. Peut-être le CAFB est-il trop axé sur la gestion et pas assez sur la conception ?
IDC. Il est normal qu'il soit orienté sur la gestion, puisque c'est un diplôme qui forme des techniciens. Par ailleurs, les étudiants ont-ils intérêt à approfondir leur formation technique ? Y a-t-il un marché dans ce secteur de l'emploi pour des cadres ?
BG. Je ne suis pas sûre qu'il soit intéressant pour eux de poursuivre un deuxième cycle en documentation, puis un DEA 10, etc. Je ne vois pas bien où cela peut les mener.
Des réformes en vue
BBF. Il est certain qu'à l'heure actuelle, il manque un maillon entre des formations moyennes comme les vôtres, et des troisièmes cycles, DESS, DEA. Faut-il créer un cursus complet ?
JCU. Dans un premier temps, nous intégrer à l'université doit nous permettre de profiter de ses ressources, entre autres informatiques, et de nous appuyer sur ses enseignements pour la mise à niveau que j'évoquais tout à l'heure. Dans un deuxième temps, nous souhaitons incorporer aux filières classiques certains de nos cours comme unités de valeur libres. Mais je ne vois pas tellement l'intérêt d'un cursus complet en documentation. Il y aura toujours, de la part de l'employeur, une demande d'un diplôme classique dans un domaine particulier. En revanche, des DESS dans des secteurs très précis me semblent tout à fait souhaitables. Une spécialisation peut s'acquérir au niveau d'un DESS, mais pas au niveau d'une licence de documentation.
BBF. Mais s'il n'y a pas de formation intermédiaire, ne court-on pas le risque que, dans les métiers de la documentation, se crée une dualité entre, d'une part, les exécutants techniques et, de l'autre, les cadres qui viennent d'autres formations ( informatique, gestion, communication, etc.) ?
IDC. C'est le problème lié aux pratiques des employeurs dont nous avons parlé, et qui se retrouve dans les filières d'enseignement professionnel. Si l'on compare les programmes du DUT, du CAFB, de l'Institut national de techniques documentaires, de l'ENSB, du DESS de l'Institut des sciences politiques, l'enseignement technique est grosso modo le même, alors que les niveaux d'étude sont théoriquement différents.
BG. Offrir un cursus complet est un peu dans l'esprit des maîtrises de sciences et techniques. Les étudiants ont deux années de « certificat préparatoire » dans une filière classique, puis deux années de maîtrise dans une filière technique spécialisée, ce qui leur donne un niveau d'étude à Bac + 4.
Par ailleurs, pour nos formations moyennes, la spécialisation est peut-être dangereuse. Un étudiant qui a suivi l'option lecture publique aura du mal à trouver un emploi en documentation.
IDC. Il est certain qu'il ne faut pas perdre la possibilité d'avoir plusieurs types de débouchés. C'est justement l'intérêt de cette profession de pouvoir changer de branche, bibliothèque ou documentation, secteur public ou secteur privé, au cours d'une carrière. Et, de ce point de vue, le CAFB est un bon diplôme du fait de ses options multiples : à l'heure actuelle, les comités d'entreprises embauchent sans problèmes des titulaires du CAFB.
Pour améliorer son adéquation au marché de l'emploi, la formation pourrait être prolongée sur deux ans. Il y aurait un tronc commun d'une année, et la possibilité, ou pas, de se spécialiser au cours d'une seconde année. Ainsi en finirait-on avec la distinction qui est censée s'opérer, dans la fonction communale, autour de la licence : le bibliothécaire a une licence et un CAFB, le bibliothécaire-adjoint, le bac et le CAFB. En principe !
Dorénavant, la formation aux fonctions de bibliothécaire se déroulerait sur deux ans, le CAFB et un an de spécialisation dans un secteur donné. Ce cycle de deux ans donnerait également la possibilité réelle aux personnes qui choisissent l'option jeunesse ou musique de pouvoir prétendre à des postes de direction des établissements, ce qui, dans les faits, n'est actuellement pas le cas.
BBF. Vous êtes en train de vous transformer en un nouvel organisme, Médiadix, et vous vous installez à l'université de Paris X. Comment voyez-vous, dans ce nouveau cadre, l'avenir du CAFB ?
IDC. Tant que le CAFB lui-même ne sera pas réformé, notre fonctionnement sera sensiblement le même qu'actuellement. L'intervention des universitaires dans l'enseignement sera toutefois plus importante et certaines unités de valeur en documentation seront introduites au niveau des DEUG.
JCU. A partir du moment où le CAFB est inséré dans un cadre universitaire, le fait d'être une formation bâtarde risque d'être explosif. En premier lieu, les formations en un an, après le bac, n'existent pas à l'université ; ensuite et surtout, cette formation en contient deux: une formation réservée aux techniciens bibliothécaires-adjoints et une autre pour les postes de responsabilité. Cette contradiction devrait ouvrir la possibilité d'évoluer vers une formation en deux ans. Le CAFB sera obligé de changer. Il n'y aura peut-être pas de réforme globale, mais les choses vont bouger selon les universités : création de diplômes d'université, DEUST 11 ou DESS.
A court terme, le CAFB ayant une valeur marchande auprès des collectivités locales et des bibliothèques d'entreprise, nous n'avons pas intérêt à abandonner cette étiquette. Maintenant, si d'autres types de formation se mettent localement en place, il est possible que les employeurs demandent le CAFB et un autre diplôme. La réalité du CAFB pourra être complètement modifiée suivant les régions.
Dans l'immédiat, la formation au CAFB entre dans une phase d'expérimentation. Si quelque part se crée un DEUST, qu'il marche et trouve de véritables débouchés, cette expérience pourra peut-être être transposée ailleurs.
BBF. Et la réforme de l'ENSB ? Que pensez-vous de la future ENSSIB 12 ?
JCU. Elle pose trois sortes de problèmes. Celui du concours interne. Quel sera le statut des élèves en formation interne ? Par ailleurs, à l'heure actuelle, les projets sont très peu orientés vers la lecture publique. Il n'est pas évident que les collectivités locales y envoient leur personnel. Jusqu'à présent, elles n'étaient pas décidées à embaucher des titulaires du DSB 13, alors même que le nombre d'élèves associés français n'a cessé d'augmenter, car le DSB implique un meilleur statut, un plus haut salaire. Troisième point, la nouvelle école cherche à former les cadres du privé. Il est certain qu'elle était trop axée sur la formation des fonctionnaires, face à un marché institutionnel en régression. Elle a des compétences à développer en la matière, qui pourront contribuer à changer l'image de marque des documentalistes et c'est une excellente chose, ce genre d'école manquant en France par comparaison avec d'autres pays. Toutefois, dans le domaine du privé, il faut qu'elle fasse ses preuves.
BG. Il y a tout un travail à faire en direction du milieu de la documentation. Jusqu'à présent, l'ENSB était entièrement orientée vers les bibliothèques ; il faut que, par son dynamisme, elle convainque de nouveaux partenaires. Ce dialogue entre bibliothécaires et documentalistes est indispensable, mais il ne doit constituer qu'une étape. C'est toute une opération de reconversion, de redéfinition du contenu et de la finalité des métiers qui sera nécessaire, mais les partenaires devront en être extrêmement nombreux, car les enjeux de la formation se situent en amont et en aval des institutions documentaires, de la conception des systèmes d'information à leur diffusion. La démarche devra être parallèle à celle que nous suivons en ce moment même : les professionnels « traditionnels » de l'information doivent d'abord se réunir mais leurs échanges risquent d'être assez vains s'ils se bornent à discuter entre eux tout autour d'une table...