Aspects du livre neuchâtelois
Neuchâtel : Bibliothèque publique et universitaire, 1986. - XVI-527 p. : 24 cm.
ISBN 2-88225-000-2
Dans le sillage des expositions qui ont célébré, en 1983, le 450e anniversaire de l'imprimerie à Neuchâtel, le présent recueil associe quinze chercheurs à ce jubilé. Les études rassemblées ici, avec une grande diversité suivant les siècles, apportent une masse de matériaux originaux pour l'élaboration d'une histoire savante du livre neuchâtelois.
L'imprimerie est apparue en 1533 à Neuchâtel, petite ville de 1 500 habitants, qui venait de passer à la Réforme. Deux contributions rendent compte de ces débuts. L.E. Roulet expose les conditions géographiques et politiques qui ont fait de Neuchâtel un centre de propagande protestante important mais temporaire. Pour l'ensemble du siècle, Gabrielle Berthoud analyse les sources existantes sur les libraires et le commerce du livre à Neuchâtel, en donnant en complément de son étude la transcription du livre de comptes de Simon Steret, papetier, marchand drapier et vendeur de livres.
Peu d'éléments semblent disponibles pour le XVIIe siècle neuchâtelois. En revanche dix contributions concernent le XVIIIe siècle, ce qui reflète non pas une mode historique mais l'importance, la qualité et l'abondance d'une source exceptionnelle. les archives de la Société typographique de Neuchâtel (STN), conservées à la bibliothèque publique et universitaire de la ville. Huit études s'appuient largement sur ces fonds. Robert Darnton présente les techniques de sondage du marché littéraire en France - Paris et province - par la société typographique, au moyen d'agents littéraires, de commis voyageurs et de corespondances avec les libraires : la littérature telle qu'elle a été vécue et conçue par les professionnels du livre de 1769 à 1789.
Ce sont d'autres marchés qu'identifient Jeroom Vercruyse et Anne Machet. Le premier, à l'occasion de l'édition neuchâteloise du Système de la nature, décrit les rapports de la STN avec la librairie bruxelloise. La seconde trace le portrait professionnel des interlocuteurs de la STN à Milan, Livourne, Bergame, Venise, Turin, et décrit les modes de diffusion, malgré les règlements infernaux, dans une Italie qui n'est vouée ni à l'ignorance, ni à l'inaction. Le marché littéraire dépend de la bonne volonté des auteurs ou des héritiers de leurs manuscrits. Ralph A. Leigh l'illustre en montrant comment ont échoué les marchanges de Frédéric-Samuel Ostervald, directeur de la STN, avec le marquis de Girardin et Du Peyrou, pour l'édition des œuvres complètes de Rousseau. Celle-ci sera assurée par la Société typographique de Genève.
A travers les archives de la Société typographique de Neuchâtel peuvent être reconstitués des pans entiers des carrières des libraires-éditeurs correspondants de la société et de ses collaborateurs. L'exercice de Samuel Girardet, relieur-colporteur, pieux et entreprenant, est ainsi présenté par Anne Raymond : Girardet gravit tous les échelons, des tournées de foire à l'activité d'éditeur. Les mêmes sources révèlent le rôle d'une femme chef d'entreprise, Madeleine Eggendorfer, fille de libraire et libraire elle-même, menant énergiquement son négoce à Fribourg. A travers l'ensemble des commandes négociées avec la STN (3 320 volumes) s'esquissent les lectures de ses concitoyens. L'arrièreplan technique et humain des anciennes imprimeries est remarquablement rendu par la biographie professionnelle de Jacques-Barthélemy Spineux, directeur de l'imprimerie de la STN, établie par Jacques Rychner. La vie, les tâches, le statut social de ce prote liégeois qui, après une carrière à Paris, sert la STN de 1772 à 1789, font l'objet d'une analyse complète.
Avec le même détail peut être décrit le processus d'édition des oeuvres complètes du naturaliste genevois Charles Bonnet par le libraire Samuel Fauche, ancien partenaire de la STN. Michel Schlup relate les phases de cette entreprise paradoxale, unissant un imprimeur soucieux de se faire un nom, mais porté à l'économie, un auteur à la fois désintéressé et exigeant en matière d'imprimerie, de corrections et d'illustrations, et des bailleurs d'argent appartenant aux plus honorables familles de Neuchâtel, dont la patience et le crédit s'épuisent.
D'autres champs importants de l'activité éditoriale du XVIIIe siècle sont évoqués par les contributions de Rodolphe Zellweger et Jean-Daniel Candaux. Le premier, à l'occasion des campagnes de défense de l'helvétisme menées par le Mercure suisse, "phare neuchâtelois du Siècle des lumières", rappelle l'importance de la presse et l'évolution de l'image de la Suisse, maltraitée par des littérateurs (tel le marquis d'Argens) avant de bénéficier d'un engouement universel. Jean-Daniel Candaux, pour sa part, s'intéresse à la propagande contre-révolutionnaire. Son enquête sur les productions de Louis Fauche-Borel constitue un exemple de méthode : utilisation des mémoires de l'éditeur, dépistage des productions non avouées par l'examen des catalogues, l'identification dans les collections publiques des pièces et l'analyse des habitudes typographiques de Fauche-Borel, croisement avec diverses sources d'archives. L'étude ainsi menée atteste le rôle de Neuchâtel comme foyer de diffusion de la pensée contre-révolutionnaire pendant dix ans (1791-1798).
Dans un pays à vocation typographique, l'activité du XIXe siècle a dû être considérable. Elle est représentée par trois contributions qui abordent de nouveaux terrains. Jean Courvoisier présente l'atelier lithographique d'Hercule Nicolet, connu par les chromolithographies imprimées pour un noyau de savants professant dans la jeune académie de Neuchâtel. Grâce aux actes étudiés on sait pour quels clients, avec quels collaborateurs et quel matériel travaillait un atelier bien outillé. Pierre-Yves Tissot retrace les débuts de l'imprimerie dans les montagnes neuchâteloises, des origines à 1848. Au Lode, dès 1806 ; à La Chaux de Fonds après 1831, la publication de feuilles d'avis s'ajoute aux activités que cumulaient les gens du livre : librairie, cabinet de lecture, reliure, papeterie, et prend une place prépondérante.
Après 1840, l'évolution vers le journal s'affirme : articles rédactionnels, feuilletons sur le modèle de Paris. Après la révolution républicaine de 1848, la presse d'opinion connaît dans les montagnes neuchâteloises une floraison retracée jusqu'en 1914 par Jean-Marc Barrelet et Jacques Ramseyer. Successivement sont présentés les organes des différents partis : républicains dont le principal journal sera, à partir de 1856 le "National Suisse" ; presse de gauche avec les journaux créés par le Dr Coullery, socialiste chrétien ; l'Avant-Garde, organe anarchiste et surtout, après 1890, la Sentinelle, organe socialiste.
Au-delà de son rôle de sauvegarde du patrimoine, la Bibliothèque publique et universitaire de Neuchâtel a choisi de publier un livre sur les livres. Le résultat mérite qu'elle en soit félicitée.