Les réactions de la base
Observations sur le vif des comportements des chercheurs chimistes à la section sciences d'Orsay : forte utilisation des Chemical abstracts, utilisation limitée des services en ligne.
Observation of the chemists' behaviour in a real-life situation, at the science department of Orsay : very heavy use of the Chemical abstracts, while the use of online services is rather limited.
Comment les chercheurs se débrouillent-ils sur le campus ? A Orsay, nous avons demandé à la responsable de la section sciences de nous faire part de ses observations.
BBF. Quelle est la place de la documentation dans le fonctionnement de la recherche en chimie ?
Marie-France Such. Je voudrais tout d'abord situer le contexte : à Orsay, la discipline dominante est la physique ; la chimie est minoritaire et très ouverte à la pluridisciplinarité chimie-physique et biochimie.
Une évidence s'impose : les chercheurs utilisent pratiquement tous les Current contents où ils sélectionnent les articles qui les intéressent et dont ils demandent les tirés à part. La plupart lisent ensuite régulièrement la dizaine de périodiques auxquels sont abonnés leurs laboratoires. Certains reçoivent également des bibliographies très spécialisées issues en totalité ou en partie du Chemical abstracts.
Une minorité d'entre eux vient à la bibliothèque universitaire consulter les Chemical abstracts. Ce sont souvent des habitués qui pratiquent, pour certains, cette bibliographie depuis fort longtemps ; ils ont alors élaboré une liste de mots clés qu'ils testent au cours des années (20 ans pour quelques-uns) et qui leur donne entière satisfaction.
On ne discerne, dans cette approche de la documentation traditionnelle, aucune méthodologie rigoureuse mais plutôt des habitudes et des pratiques qui varient suivant les individus.
Quant à la recherche documentaire informatisée, son impact diffère selon la spécialisation : il faut distinguer les chercheurs en chimie physique et chimie théorique des chercheurs en chimie organique et biochimie. Les premiers restent fidèles à une approche traditionnelle (manuelle) de la bibliographie, prétextant (c'est un leitmotiv) le coût soi-disant « élevé » de l'interrogation, alors que la recherche manuelle ne coûte rien ! A mon avis, les vraies raisons sont autres, plus psychologiques que matérielles : d'abord la non-reconnaissance en France de la recherche documentaire en tant que partie intégrante de l'activité de recherche et, par ailleurs, une certaine réticence en ce sens qu'ils n'ont pas l'impression de maîtriser la recherche sur terminal et craignent que quelque chose ne leur échappe.
Les chercheurs en chimie organique ont, au contraire, tout de suite saisi l'intérêt d'une recherche informatisée, en particulier dans la reconnaissance des molécules : il faut dire qu'une recherche manuelle sur les formules chimiques (brutes ou développées) dans Chemical abstracts est une aventure! Venus à la bibliothèque pour des recherches bibliographiques, ils ont vite demandé une formation à l'interrogation des bases de données, et même au logiciel DARC, pour interroger directement de leur laboratoire. Toutefois, sauf intervention de notre part, ils se cantonnent ensuite à l'interrogation d'une seule base sur le même serveur.
Cette interprétation paraît peut-être personnelle ; sans doute est-elle influencée par mon propre cursus de chimiste et de chercheur.
BBF. Comment la formation à la documentation est-elle intégrée à l'enseignement ?
MFS. Pour l'instant, la formation à la recherche documentaire n'est pas, ou mal, intégrée à l'enseignement. Nous intervenons sous des formes différentes dans certains cursus : au niveau de la deuxième année du DEUG B dans le cadre de thèmes pluridisciplinaires, où la participation des étudiants est optionnelle ; dans la formation des ingénieurs en chimie des matériaux, qui comprend, en deuxième année, trois heures d' initiation obligatoire à la pratique de la bibliothèque et des bibliographies.
De ces expériences, je tire les conclusions suivantes : pour être efficace, ce type de formation doit être intégré au cursus et sanctionné par une note ou une soutenance. Une étroite collaboration doit s'établir entre enseignants et bibliothécaires. En effet, si nous pouvons donner aux étudiants une méthodologie en recherche documentaire et leur faire comprendre que cette étape préliminaire est nécessaire à toute approche de la recherche, les enseignants doivent les diriger dans le dédale des publications, leur apprendre à choisir, lire, critiquer, et évaluer les articles pour sélectionner les plus pertinents. Une réflexion sur ce thème a déjà eu lieu avec les enseignants de chimie, très attentifs à développer chez leurs étudiants une curiosité d'esprit par le biais de la documentation.
BBF. Quelle est la part de la documentation papier par rapport à la documentation en ligne ?
MFS. Dans le contexte actuel, je ne garde à la bibliothèque que les bibliographies scientifiques les plus importantes. Elles sont en effet essentielles dans l'approche pédagogique de la recherche d'une méthodologie et leurs index, en particulier ceux des Chemical abstracts, servent souvent de point de départ à la recherche en ligne.
BBF. Quel est le pourcentage d'utilisation des différents documents ?
MFS. Les bibliographies dépouillant à 90 % des périodiques, ceux-ci restent l'ossature des sources documentaires car ils contiennent l'information brute qui « colle » à la recherche en cours, celle qui déroute le plus les étudiants dans ce qu'elle a de ponctuel et de spécialisé ; ces derniers préfèrent en effet se sécuriser en lisant des ouvrages de synthèse plutôt que consulter des articles de périodiques, comme nous le souhaiterions.
BBF. Lit-on les revues dites de vulgarisation scientifique ?
MFS. La Recherche et Pour la science sont à la bibliothèque et dans tous les laboratoires ; Nature et Science, d'un niveau plus élevé, sont moins répandues. De manière générale, ces titres sont peu lus par l'ensemble des chercheurs et ne sont consultés par les étudiants que dans le cadre de leur enseignement, et par obligation.
BBF. Nous avons parlé des pratiques de consommation de l'information, qu'en est-il de la production ?
MFS. Nous ne pouvons que constater les lacunes de l'édition scientifique française, ce qui nous oblige à acheter de plus en plus d'ouvrages en langue anglaise malgré la réticence et les difficultés des étudiants à lire l'anglais. A l'heure actuelle, des enseignants, conscients de ce problème, ont créé une commission chargée de recenser les besoins et de mettre en place des presses d'université. Dans le cadre des Cahiers de l'université Paris-Sud, un certain nombre de réalisations ont été menées à bien. Par ailleurs, on a commencé à saisir un ouvrage de chimie sur micro-ordinateur.