Le plan catalogue

Patrice Pennel

Catherine Lupovici

Anne-Marie Denis

Présentation des accords passés entre OCLC et la DBMIST. L'adhésion au réseau OCLC permettra de constituer, de manière rapide et économique, un catalogue collectif des monographies conservées dans les bibliothèques françaises de recherche. Les notices récupérées sont destinées à alimenter le Pancatalogue, chargé sur le SUNIST, qui, à terme, sera consultable par le public. Les différentes modalités de récupération des notices sont exposées (catalogage courant, récupération rétrospective).

This article presents the agreement the DBMIST has signed with OCLC. To become a member of OCLC will allow to build up an union catalogue of all the books kept in French research libraries quickly and economically. The conversed records will supply the Pancatalogue on the SUNIST. This catalogue will become an online public access catalogue afterwards. The different possibilities of conversion of the records (current or retrospective) are described.

Un catalogue, ça s'alimente; un réservoir, on s'y abreuve. Cette formule pourrait résumer la portée des accords de récupération des notices OCLC annonçant, en fait, une révolution autant bibliothéconomique que bibliographique. Réflexion faite, en ces temps de bi-centenaire, la chose n'a rien d'anormal; la Révolution française est de peu postérieure à la Révolution américaine.

BBF. En signant des accords de coopération avec l'OCLC*, la DBMIST* a provoqué une révolution documentaire d'un genre inattendu, optant vers la constitution d'un « réservoir bibliographique » national - d'aucuns diront même étranger. Planifier l'adhésion progressive des bibliothèques universitaires françaises au réseau OCLC implique, en tout état de cause, un infléchissement, pour ne pas dire un changement de cap, dans la politique informatique et la politique documentaire suivies depuis quelques années.

Patrice Pennel. Toutes deux vont de pair et on ne saurait penser l'une indépendamment de l'autre ; mais je suis en désaccord avec l'expression changement de cap. Certes, la signature d'accords avec l'OCLC marque une orientation nouvelle, mais je parlerais de dépassement et non de changement de cap. Pour conserver les termes du vocabulaire maritime, la négociation d'accords avec l'OCLC correspond au plan de navigation d'un capitaine, prenant en compte les différents vents, courants et marées du monde de l'information pour tenir son cap.

En d'autres termes, cette décision s'inscrit dans la logique de l'évolution de l'informatique en bibliothèque et doit en premier lieu être replacée dans son contexte, celui de l'expansion des réseaux internationaux, celui des flux transfrontières de données ; elle s'inscrit ensuite dans une logique bibliothéconomique et gestionnaire, marquant une rationalisation des « effets informatiques » dans le fonctionnement d'un établissement ; elle signifie enfin et surtout un diagnostic économique et une prise en compte de l'urgence, l'approche proposée, récupération de notices faites à l'étranger, étant à l'évidence la moins onéreuse et la plus rapide pour aboutir à un catalogue collectif national de la documentation de niveau recherche existant en France.

Le réseau

BBF. Que signifie donc ce développement exponentiel de réseaux auquel nous assistons en ce moment ? Car L'OCLC existe tout de même depuis vingt ans...

PP. L'approche réseau n'est effectivement pas nouvelle, ni aux Etats-Unis ni en France, où l'actuel CCN* est l'héritier de réseaux régionaux constitués une dizaine d'années auparavant. Les réseaux sont à l'origine un phénomène nord-américain, et c'est aux Etats-Unis que se sont développés les plus importants ; on peut citer l'OCLC, né à Dublin (Ohio), mais aussi le RLIN* et le WLN* ; ensuite vient le Canada avec le réseau UTLAS*, suivi par la Grande-Bretagne avec le BLCMP* et l'Allemagne fédérale (divers réseaux régionaux). Il y a eu dans les années 70 une véritable effervescence du phénomène réseau aux Etats-Unis et on en a vu proliférer des dizaines à l'échelon fédéral, local ou régional, regroupant des bibliothèques par discipline, par type, ou par ressort géographique. Tous ces bibliographic utilities ont en commun leur origine ; tous, au départ, ont pris appui sur une bibliothèque (celle, par exemple de l'Université de Toronto dans le cas d'UTLAS) et, de proche en proche, ont élargi leurs dimensions jusqu'à atteindre une envergure nationale.

Quinze ans après s'est produite une certaine décantation, tant dans le nombre des réseaux que dans leur structure et dans leur démarche ; alors que leur développement s'était fait autour du catalogage en coopération, on a fini par renoncer à l'utopie du grand réseau collectif à tout faire, la grande machine assurant toutes les fonctions de gestion, des acquisitions au prêt en passant par le catalogage. Actuellement on assiste, sinon à un reflux, du moins à une redéfinition et à une différenciation en fonction des finalités et des orientations propres à chacun des grands réseaux. C'est ainsi par exemple que le RLG* a accentué son caractère de « club des bibliothèques de recherche » au cours des dernières années.

En ce qui concerne la fourniture d'informations bibliographiques, OCLC et UTLAS sont de véritables géants : leurs bases comprennent des millions de notices ; à noter cependant qu'ils subissent désormais la concurrence de réseaux locaux, tels AMIGOS au Texas, OHIONET ou ILLINET, qui, après s'être constitués en tant que « dériveurs intermédiaires » entre les milliers de bibliothèques participantes et OCLC, s'érigent en fournisseurs de notices à part entière... D'où l'ambition, tant pour OCLC que pour UTLAS, d'exporter leurs services et de conquérir de nouveaux marchés.

... et l'infini

On peut s'exprimer en ces termes, car tout ce mouvement, toutes ces évolutions s'inscrivent dans un contexte plus vaste, celui du développement fulgurant des télécommunications qui renvoie à des enjeux économiques et industriels considérables 1. Actuellement, on considère que la capacité des télécommunications à longue distance aux Etats-Unis sera multipliée par dix dans quelques années ; quant au trafic intercontinental, par câble sous-marin ou par satellite, sa capacité devrait, elle aussi, s'accroître dans des proportions considérables. La mondialisation des télécommunications représente l'infrastructure du marché de l'information.

BBF. Peut-on parler de multinationales de l'information bibliographique ?

PP. Il est en tout cas possible d'affirmer que la problématique des réseaux ne se pose plus en termes nationaux. Quand on entend l'écho rencontré par le hearing de Luxembourg, où les porte-parole des pays européens ont exposé leurs préoccupations et leurs projets, quand on voit l'orientation des projets d'interconnexion des systèmes ouverts (OSI*), quand on assiste à l'internationalisation du marché des systèmes informatisés de bibliothèques, quand on connaît les axes de pénétration commerciale suivis par OCLC ou UTLAS, le terme de mondialisation de l'information ne semble pas excessif ; car l'Europe, quelle que soit l'ampleur de ses futurs investissements, ne construira pas ses réseaux d'information contre les réseaux américains mais avec eux.

Catherine Lupovici. Je souhaiterais dire un mot du projet OSI mené par l'ISO* ; il consiste en une série de sept niveaux de normes interdépendantes définissant entre autres des langages d'accès entre réseaux de télécommunications, réseaux d'ordinateurs et, au niveau des applications d'utilisateurs, réseaux de bibliothèques. Bien entendu, ce projet dépasse très largement les applications de bibliothèques, mais, parmi ces dernières, celles qui n'utilisent qu'un seul format de catalogage (celui de la Bibliothèque du Congrès ou LC MARC) et suivent les règles AACR 2*, notamment les grands réseaux avec le LSP*, peuvent déjà échanger leurs vedettes d'autorité avec la Bibliothèque du Congrès 2. Cet aspect est très important à souligner, car il montre bien que les relations entre réseaux se définissent en termes de complémentarité et non d'exclusivité.

Il ne s'agit pas, pour un établissement, de choisir un « abonnement » à l'un ou à l'autre réseau, de se vouer à tel ou tel système de gestion intégrée, mais de souscrire un certain nombre de services auprès de l'un ou de l'autre. Tel établissement souscrira l'obtention de notices auprès d'un réseau régional, assurera la gestion de ses prêts sur un micro-ordinateur en local, aura son OPAC* - ou, si l'on préfère une formulation française, son CIEL* - chargé sur un mini-ordinateur...

Tout cela n'exclut nullement l'approche économique qui est à la base même de la stratégie menée par les réseaux et les établissements : OCLC, présent en Grande-Bretagne, et plus précisément à Birmingham, depuis 1981, a lancé une offensive vers l'Europe, nouant des contacts en Hollande avec le réseau PICA*, en Allemagne fédérale avec le Deutsches Bibliotheksinstitut. La Grande-Bretagne avec le British library document supply center, le Danemark avec l'Institut de prêt d'Aarhus, la Finlande, la France avec la Bibliothèque nationale participent déjà à son réseau de prêt-inter. Par ailleurs, il cherche à s'implanter en Extrême-Orient - Chine et Corée - où il est concurrencé par UTLAS, qui a déjà créé une filiale au Japon,

Gens de Dublin

BBF. La stratégie des réseaux d'information bibliographique ne serait donc plus définie que sous un angle commercial ?

PP. On ne peut analyser clairement la stratégie de l'un ou l'autre de ces réseaux sans tenir compte de leurs situations respectives, qui sont fort dissemblables. OCLC était, et est encore, une association à but non lucratif émanant d'un groupe de bibliothèques, alors qu'UTLAS est devenue une filiale de Thomson Inc., qui est un holding regroupant des éditeurs, des diffuseurs, des bases de données, des constructeurs de systèmes informatisés de gestion locale... Bien entendu, ce qui compte aux yeux de l'utilisateur, c'est le rapport qualité/prix et non le statut du fournisseur !

CL. Sans nier son agressivité commerciale, on peut dire que la démarche suivie par OCLC apparaît adaptée aux besoins propres des bibliothèques, dans la mesure où il se positionne d'abord sur la prestation de services : il propose à ses clients soit une partie, soit la totalité du circuit documentaire, de la recherche d'informations dans une banque de données à la fourniture du document, en passant par sa localisation dans une bibliothèque ou chez les fournisseurs (les systèmes d'acquisition OCLC intègrent la transmission des commandes). En d'autres termes, la stratégie à long terme d'OCLC est de jouer le rôle d'un réseau à valeur ajoutée, d'un diffuseur. On pourrait dire d'OCLC qu'il vise à jouer, au niveau du réseau, le rôle que devra se fixer la bibliothèque de demain en tant qu'intermédiaire, donnant accès à un très large spectre de moyens et allant au devant des besoins de l'utilisateur.

PP. Il est un peu surprenant, au travers des contacts que nous avons pu avoir, de découvrir à quel point OCLC intègre les préoccupations des différents fournisseurs d'information, éditeurs, auteurs, bibliothécaires ; son expérience de diffusion d'articles de périodiques sur CD-ROM, conduite dans un certain nombre de bibliothèques américaines, est particulièrement éclairante à cet égard.

Passant de la stratégie à la tactique, je dirais qu'OCLC joue la carte du service mais propose le service à la carte. J'entends par là qu'il propose à ses adhérents une gamme de prestations diverses, catalogage courant, catalogage rétrospectif (les systèmes MICROCON*, RETROCON* et TAPECON*, dont nous reparlerons tout à l'heure), recherche de localisation, prêt entre bibliothèques, messagerie d'acquisitions, bulletinage. Ce sont naturellement les deux premiers services qui sont les plus utilisés et qui constituent l'image même d'OCLC, un catalogue intégrant un maximum de références et de localisations.

Une dernière caractéristique est importante à souligner : ce catalogue est un instrument collectif - la politique d'OCLC est très claire là-dessus - et les notices sont la propriété collective de l'ensemble des établissements qui ont signé une convention d'adhésion ; en d'autres termes, il n'y a pas cession de références à tel ou tel établissement particulier, même si celui-ci paye pour les dériver sur son propre catalogue, ni de « droit de suite » sur les notices créées, moyennant ristourne, par les adhérents. L'information bibliographique OCLC est un bien collectif, une notion qui est sous-tendue par une conception extrêmement large du rôle du réseau, un ensemble de collaborations au niveau technique, à la fois informatique et bibliothéconomique, débouchant sur un service véritablement nouveau, moins par son contenu que par son statut. La démarche économique est présente, la notion de bien culturel à valeur collective n'en est pas pour autant évacuée.

Notices' story

BBF. En quelques chiffres, que représente OCLC ?

CL. Une base comportant plus de 16 millions de notices, 250 millions de localisations dans plus de 8 000 établissements : plus de 9 millions de monographies, mais aussi plusieurs centaines de milliers de publications en série, des dizaines de milliers de films, cartes, manuscrits, enregistrements sonores et partitions. A noter que la base, bien qu'âgée de vingt ans à peine, a réussi à se donner une dimension rétrospective appréciable: plus d'un million de documents signalés sont antérieurs à 1900.

Les adhérents proviennent, en grande majorité, du secteur étude et recherche (86 %) ; l'anglais est bien évidemment en position dominante (71 %), les notices d'ouvrages en français représentant environ 5 % de la base, une proportion proche des scores atteints par l'allemand (6 %) et l'espagnol (4 %).

PP. D'autres critères, plus précis, confèrent à OCLC un profil particulièrement intéressant ; au premier rang, la couverture d'ouvrages présents dans les collections françaises. Depuis deux ans ont été menés un certain nombre de tests pour mesurer le taux de couverture d' OCLC et d'UTLAS dans six établissements; on a procédé par échantillonnage en suivant des découpages : chronologiques (avant 1900, 1900-1950, 1950-1984, les deux dernières années, les six derniers mois), sectoriels (par discipline et sous-discipline), et par langue.

Les résultats nous ont quelque peu surpris ; partant du constat que les bibliothèques universitaires françaises consacrent déjà 50 % de leurs achats à des ouvrages étrangers en titres (le ratio budgétaire s'élève à plus de 60 %), nous attendions, certes, des taux de couverture significatifs, mais pas si proches de 100 % dans des secteurs très importants comme l'économie et les sciences exactes - il est vrai que, dans ces domaines, la proportion d'ouvrages publiés en anglais est également considérable.

Dans les secteurs les moins couverts, l'histoire sociale, les aires culturelles (Alsatica), le taux de recouvrement avoisine les 30 %. Il y a eu des découvertes inattendues, par exemple une tradition vivace d'utilisation du droit français en Louisiane ; autre exemple, on ne peut que constater la richesse des bibliothèques américaines, due au plan Farmington d'acquisitions réparties lancé dans les années quarante, révélée par les opérations de catalogage rétrospectif : presque toutes les monographies publiées dans la première moitié du siècle se retrouvent dans leurs fichiers. Les documents en français, quant à eux, correspondent à 700 000 notices, plus que n'en comporte le fichier informatisé de la Bibliothèque nationale 3, qui comporte aujourd'hui 700 000 documents entrés depuis 1970, mais avec une bonne part d'ouvrages étrangers ; plus que n'en comporte REBUS* avec ses 800 000 notices, dont un fort pourcentage d'ouvrages allemands.

BBF. Tout cela constitue sans aucun doute un ensemble de caractéristiques fort appréciables, mais le stock des bibliothèques d'université françaises est évalué à environ 18 millions de volumes, dont la partie la plus intéressante est (plus ou moins bien) déjà recensée, tandis que les accroissements actuels s'élèvent à 250 000 volumes par an 4.

PP. Je souhaiterais faire une première remarque sur les chiffres qui viennent d'être cités : il s'agit de volumes, d'unités matérielles, et non de titres, alors que les notices OCLC correspondent aux titres (exception faite évidemment des tomaisons en plusieurs volumes distincts). Tout donne donc à penser que la couverture d' OCLC est beaucoup plus importante qu'on ne pourrait le penser au vu des chiffres cités plus haut ; par ailleurs, on n'a jamais eu les moyens d'évaluer le taux de répétition des titres dans les établissements français.

Pan-Am catalogue

Pour condenser à l'extrême mon propos, je dirai qu'un catalogue collectif, c'est-à-dire un réservoir bibliographique au niveau national, est indispensable pour deux raisons majeures, l'accès des lecteurs au document où qu'il se trouve, et la réduction des coûts de catalogage. Certes, il existe des outils collectifs desservant des réseaux limités de bibliothèques spécialisées, mais, en ce qui concerne un véritable catalogue national, jouant pour les monographies le même rôle que le CCN pour les périodiques, aucun des projets qui ont pu être agités dans le secteur de la recherche n'a dépassé le stade de la maquette ou du fichier manuel. Or, l'heure n'est plus aux projets ni aux rêves ; il s'agit de se doter, au moindre coût en temps et en argent, d'une structure d'information bibliographique efficace, d'où la décision de réaliser un « Pancatalogue » alimenté par des notices OCLC.

Pourquoi cette réalisation est-elle urgente ? Parce que l'informatisation entreprise au coup par coup, la diffusion de systèmes de gestion intégrée, qui impliquent que chaque établissement reparte à zéro pour reprendre tout son catalogue, engendre des gaspillages. On l'a vu aux Etats-Unis, dans le secteur de la lecture publique comme dans les bibliothèques de recherche : la durée de vie d'un système informatique est brève et, trop souvent, ce système ne tourne jamais à plein rendement car la reprise du fonds occupe toute la période de montée en charge du système, dont on découvre qu'il est périmé et bon pour la casse une fois qu'on a réussi à entrer le fonds. Lorsque ce système était un système-maison, il n'y a plus qu'à repartir une nouvelle fois à zéro. Or, la création d'une notice bibliographique revient à 400 F...

BBF. Donc un catalogue collectif dans les plus brefs délais.

PP. Oui, mais un catalogue collectif économique... Or, calculée en temps, la note d'un catalogue collectif français réalisé à partir de zéro serait plutôt salée : si l'on rapporte les quelque 250 000 acquisitions annuelles au stock de 18 millions d'ouvrages des bibliothèques d'université, on devrait, avec le personnel actuel, disposer d'un délai de quelques dizaines d'années pour le construire. Un tel calcul n'a rien d'utopique si l'on en croit l'expérience de la Bibliothèque nationale, qui n'a achevé que récemment son Catalogue général auteurs entrepris en 1897.

Le projet du Pancatalogue est la réponse à cette problématique, un catalogue établi rapidement, un catalogue construit de façon autonome, en utilisant un système aujourd'hui pleinement opérationnel, ouvrant sur des aspects spécifiques et novateurs ; n'oublions pas que le Pancatalogue n'est pas seulement un instrument de gestion interne mais, avant toutes choses, un catalogue en ligne consultable par le public et accessible sur Minitel. C'est en cela que le projet innove résolument par rapport à OCLC, dont la base n'a jusqu'à présent fait l'objet que d'un accès professionnel (auteurs et titres).

Assurance tous risques

BBF. Tout cela constitue un projet fort ambitieux.

PP. Sans aucun doute, aussi procéderons-nous par étapes et de façon progressive. Tel qu'il se présente aujourd'hui, le Pancatalogue aura à assurer conjointement plusieurs rôles ; un bon service au lecteur passe aussi par une fonction de gestion. Je m'explique : les établissements qui adhéreront à l'OCLC récupéreront des bandes, mais la plupart d'entre eux ne pourront les charger au niveau local puisqu'ils ne sont pas encore informatisés. C'est à ce niveau qu'intervient le Pancatalogue qui sera chargé sur le SUNIST* ; les bandes, dont la constitution repose sur la récupération de notices déjà existantes, constitueront une première base d'ouvrages localisés en France, donc une aide au prêt-inter prochainement disponible à peu de frais. Autrement dit, le Pancatalogue jouera une fonction d'archivage, de maintien de l'information qui demeurera « intacte » et disponible. Le Pancatalogue, c'est une assurance sur l'avenir, une garantie pour ses adhérents de pouvoir récupérer leurs notices sans détérioration.

Il est fondamental d'insister sur cette notion de pérennité de l'information qui, comme on vient de le voir, a trop souvent constitué le talon d'Achille des systèmes informatiques. Avec la participation d'OCLC, il n'y a pas à redouter que les règles ou les formats de catalogage évoluent sans que soient pris en compte les impératifs de compatibilité avec les bibliographic utilities.

Autre volet de cette fonction de stockage et de gestion: nous avons passé convention avec l'OCLC, mais nous ne sommes pas liés par lui ; le SUNIST sera l'interlocuteur d'OCLC pour les bibliothèques du secteur public et négociera globalement les conditions d'adhésion et de tarification. Les établissements peuvent à tout moment sortir du réseau OCLC. Si un établissement souhaite utiliser des notices récupérées à partir d'OCLC sans avoir adhéré au réseau, il devra verser des droits de licence d'un montant raisonnable.

Je viens de dire qu'il n'y aurait pas de détérioration de l'information bibliographique qui aura été fournie. Je devrais plutôt dire qu'il y aura amélioration et homogénéisation au niveau du Pancatalogue, en particulier pour la francisation des accès aux notices brutes - c'est-à-dire américaines - qui auront pu être récupérées par les établissements et, en recherchant la cohérence de l'indexation dans le cadre de la liste d'autorités matières RAMEAU*, en liaison avec la Cellule nationale d'indexation et la Bibliothèque nationale 5. A terme, RAMEAU devrait être utilisé par un logiciel d'analyse des questions en langage naturel qui devrait faciliter la consultation du Pancatalogue par les utilisateurs. A terme aussi, le Pancatalogue pourrait être le lieu d'accueil d'autres ensembles d'enregistrements bibliographiques constitués à partir de fichiers bon marché tels que Bibliofile, la seule contrainte étant qu'ils reposent sur un format LC MARC. Il va de soi que le Pancatalogue sera disponible sous des formes classiques (listes d'acquisitions, microfiches), et, à plus ou moins longue échéance, dans une version CD-ROM.

Chacun sa vocation

BBF. La vocation du Pancatalogue semble le poser en antagoniste du projet du CCO* piloté par le CNRS...

PP. Les deux projets ont une origine et une vocation tout à fait différente. Le CCO est l'héritier de l'opération TGE, le très grand équipement qui devait soutenir le développement de la documentation en sciences humaines et sociales, qui a évolué vers un projet de fédération des fichiers existants en un « catalogue collectif ». Ce choix s'explique notamment par la dispersion, pour ne pas dire l'émiettement, du réseau documentaire formé par les multiples bibliothèques de laboratoire du CNRS, fournisseurs d'une information bibliographique considérable mais totalement cloisonnée, puisqu'une bonne partie de ces fichiers fonctionne sur Texto, ce qui laisse chaque utilisateur créer son propre format...

D'où l'idée de partir de l'existant, de prendre ces fichiers à l'état brut, avec leur hétérogénéité de structures, de formats et de clés d'accès, et de plaquer un cadre d'interrogation sur des clés minimales (auteurs, titres, matières). On disposerait ainsi, non pas d'un réservoir (car on ne pourra récupérer les notices générées dans un format donné que si on travaille dans le même format), mais d'une base de localisations, peu satisfaisante, il faut le dire, d'un point de vue bibliographique et qui s'inscrit à l'encontre des options prises par les grands catalogues collectifs étrangers.

L'hypothèse de départ est que l'utilisateur connaît déjà les références de l'ouvrage via une interrogation préalable des banques de données et que l'interrogation du CCO doit servir seulement à le localiser. L'opération a été lancée en 1985, pour une période de trois années ; nous aurons bientôt à décider, avec le CNRS et la Direction générale de la recherche et de la technologie, si cette phase d'études et de tests, qui doit prochainement déboucher sur la présentation d'une première maquette, sera reconduite.

BBF. Vous avez pris soin de situer tous ces projets et réalisations dans le secteur des études et de la recherche. Pourtant il est difficile de les dissocier totalement des opérations lancées dans le secteur connexe de la lecture publique, tant au niveau de l'Etat qu'à celui des régions.

PP. Il est certain que l'option sur le Pancatalogue et l'OCLC n'a été prise qu'après examen des possibilités offertes par le réseau LIBRA* et sa base bibliographique 6. A l'heure actuelle, LIBRA repose sur les acquisitions faites par les bibliothèques centrales de prêt ; il s'agit d'une opération de catalogage partagé, qui paraît pertinente dans la mesure où les recoupements d'acquisitions entre bibliothèques sont importants, et qui fait une large place à l'échelon régional par lequel doivent transiter toutes les recherches à fin d'identification, de localisation ou de demandes de prêt-inter. Un tel schéma est cohérent dans la logique de fonctionnement de la lecture publique - les petites bibliothèques s'adressent en priorité à la bibliothèque centrale de prêt, celle-ci pourra avoir recours à une ou deux bibliothèques municipales classées, si bien qu'une bonne partie des besoins documentaires pourra être bouclée au niveau de la région -, mais je suis plus réservé quant à son efficience dans le secteur des bibliothèques d'études et de recherche aujourd'hui.

En dehors même de la difficulté liée aux profils d'acquisitions qui, à l'heure actuelle, ne coïncident absolument pas, une bibliothèque d'université ne dispose guère, sauf exception, de recours au niveau régional quand il s'agit de vérifier l'existence d'une notice, ou de la demander par la voie du prêt-inter. La logique de fonctionnement des bibliothèques d'étude et de recherche est plus thématique que géographique et leur assise territoriale déborde le cadre de la région pour se situer au niveau national, voire international. On voit se fonder une association des bibliothèques de médecine au niveau européen ; les bibliothèques d'informatique, de mathématiques, de médecine et de gestion se constituent en réseau pour échanger des données 7.

BBF. A quoi servent donc les expériences que vous avez annoncées à Rennes et à Nancy ?

PP. Il s'agit de voir dans quelle mesure LIBRA peut jouer le rôle de système local dans une bibliothèque d'université. Mais l'intérêt de l'opération est en fait prospectif : la DBMIST, comme la DLL*, ne souhaitent pas voir la France coupée en deux, avec deux réseaux informatisés opérationnels, mais qui ne pourraient pas dialoguer. Il est donc très intéressant de révéler les problèmes d'interface qui peuvent se poser, d'étudier comment le réseau LIBRA peut « digérer » des notices OCLC francisées, et aussi, comme le souhaite la DLL, comment son fichier peut s'enrichir de notices correspondant à des fonds de recherche... sachant qu'un certain nombre de bibliothèques municipales classées, dont les choix informatiques ne sont pas encore arrêtés, comportent de tels fonds. C'est également une question qui est soulevée au niveau de la coopération régionale entre bibliothèques.

A nous les petites notices !

Dans l'immédiat, la finalité première du Pancatalogue est de permettre non pas le catalogage partagé, mais la localisation des ouvrages de recherche. Il ne s'agit pas de construire tous ensemble une grande œuvre catalographique, il s'agit de pomper, le plus rapidement possible, les notices d'ouvrages localisés en France pour satisfaire la demande pressante des usagers.

BBF. Directement et en l'état ?

PP. Non. En les « francisant », en aménageant leurs accès et, dans une certaine mesure, leur contenu. Aménager les accès signifie en premier lieu créer des accès matières, non seulement francophones mais d'abord français, cela afin de faire la part des « logiques nationales » qui sous-tendent une opération de recherche d'information. Cela signifie aussi un travail sur les vedettes de collectivités-auteurs, qui, pour être élaborées selon des règles de catalogage identiques, peuvent renvoyer à des réalités politico-culturelles complètement différentes ; la comparaison des vedettes de collectivités pour les systèmes éducatifs français et américain est édifiante de ce point de vue...

De même, il est prévu de franciser les noms d'auteurs anciens, rédigés en anglais, tout comme les éléments de description de l'ouvrage, la présentation des signes diacritiques, les titres des microfiches ou des listes d'acquisition... La liste n'est pas exhaustive, mais je tiens à insister sur le fait que tous ces ajustements, qui certes ne sont pas gratuits, ne doivent en aucun cas freiner le rythme de récupération des notices. Au niveau national, toutes ces opérations seront conduites en coopération étroite avec la Bibliothèque nationale, productrice des fichiers d'autorité (auteurs et matières), donc directement concernée par l'internationalisation de l'information bibliographique.

BBF. Il est douteux qu'on assiste à une levée de boucliers pour défendre le maintien de « couv. ill. en coul. » qui est du chinois pour l'utilisateur non averti... Mais la compatibilité est-elle véritablement possible entre l'internationalisation et les usages nationaux ?

PP. La Bibliothèque nationale a tiré les leçons de l'histoire. Depuis 1975, elle a, dans le cadre des échanges bibliographiques internationaux, transmis régulièrement ses bandes établies en format INTERMARC à la Bibliothèque du Congrès, de même que cette dernière lui envoyait ses bandes en LC MARC. Cet échange n'a pu jusqu'à présent porter ses fruits, faute d'avoir pu résoudre les problèmes techniques à un coût acceptable, en particulier ceux posés par les notices à niveaux. Comme la Bibliothèque du Congrès, dans le même temps, utilisait systématiquement les bandes fournies par la British library, il est clair qu'une démarche analogue est possible sans froisser les susceptibilités nationales.

Bien entendu, l'option de la Bibliothèque nationale sur INTERMARC était politique et correspondait à une volonté d'utiliser un format européen; l'opération n'a pas abouti et les conclusions en ont été tirées. La Bibliothèque nationale prévoit désormais d'abandonner le catalogage à niveaux, fait des comparaisons entre la structure de ses notices et celles de ses partenaires, de manière à se couler sans heurt dans les circuits d'échanges internationaux et à assurer une diffusion réelle hors de nos frontières de la production nationale, des notices bibliographiques certes, mais aussi des documents qu'elles signalent.

Sous les notices, la science

Car l'enjeu se situe bien à ce niveau ; il n'est que trop patent que l'édition française, et notamment l'édition scientifique et d'érudition, ne connaît pas le rayonnement qu'elle devrait avoir 8. A cela de multiples causes qui sont bien connues, parmi lesquelles la propension des auteurs à publier dans des publications étrangères, le manque d'intérêt de certains éditeurs pour les marchés étrangers, la carte du protectionnisme délibérément jouée par certains diffuseurs, le recul du français comme langue véhiculaire...

L'absence de diffusion de l'information bibliographique française au niveau international représente un handicap supplémentaire qu'il est - relativement - facile de lever dans la perspective de l'ouverture des frontières des pays européens en 1992. La libre circulation de l'information scientifique et technique, qui ne peut faire moins que d'accompagner celle des biens et des personnes, pourrait conduire, si l'on n'y prend garde, à ce que la demande française en matière d'édition scientifique se tourne encore plus vers les libraires et diffuseurs étrangers, sans que la contrepartie soit équilibrée.

Vous me direz que le Cercle de la librairie a mis en ligne l'ensemble des livres disponibles 9 ; en effet, mais le système est orienté « libraires » et, pour le moment du moins, assez peu « bibliothèques ». Or, les bibliothèques étrangères qui devraient devenir des débouchés de plus en plus importants pour l'édition scientifique passent leurs commandes via des grossistes ou OCLC lui-même, au vu de l'affichage des notices dans OCLC et les grands réseaux nationaux (cet affichage est très rapide, puisque les éditeurs étrangers pratiquent depuis longtemps le catalogage à la source préparé par eux). La commande de l'ouvrage est, de fait, jumelée avec la récupération de la notice, tandis qu'à ma connaissance ELECTRE* ne prévoit pas d'étudier l'intégration de ses notices (élaborées en ISBD* avec catalogage à niveaux et donc, techniquement, difficiles à récupérer) dans les grands réseaux étrangers. Il serait souhaitable que ce service, conçu comme un outil performant mis à la disposition des libraires par le Cercle, puisse évoluer pour mieux répondre aux besoins des bibliothèques.

Il existe donc, pour le moment, deux démarches différentes, celle du Cercle de la librairie, celle de la Bibliothèque nationale, l'une semblant centrée en priorité sur le territoire français, l'autre intégrant l'espace international. Dans l'immédiat, cette dualité ne gêne pas grand monde, mais, à l'avenir - surtout si les bibliothèques françaises parviennent à constituer un véritable marché -, la question du rapprochement des procédures, de l'interconnexion des systèmes, de la redéfinition des systèmes de distribution et de signalement du livre (ISBN et catalogage à la source), ne pourra être éludée.

Niveaux de catalogage

BBF. Si le catalogage à niveaux est le talon d'Achille des réseaux qui souhaitent se donner une dimension internationale, il est surprenant de le voir persister dans les habitudes - et les formations -catalographiques de la France et de nombre de ses voisins, aux Pays-Bas avec PICA, en Suisse avec REBUS ou en Allemagne fédérale.

CL. Il ne faut pas sous-estimer le poids de la tradition, de la formation qui enseigne la description bibliographique avec la notion de catalogage à niveaux.

Mais l'explication ne se formule pas seulement en termes d'habitudes ou de tradition et tient à la fonction même du catalogue, à la place qui lui est dévolue dans les établissements, au rôle et à l'utilité des catalogues. Le catalogage à niveaux est loin d'être une règle absolue, mais son existence témoigne d'un choix entre les deux aspects du catalogage, la fonction gestion, où ce qui importe est d'enregistrer rapidement les documents et de tenir un rythme dans leur mise à la disposition du public, quitte à sacrifier quelque peu la rationalité et la rigueur en traitant un à un, au fur et à mesure de leur arrivée, les différents titres d'une suite comme autant d'ouvrages séparés ; la fonction aide à la recherche bibliographique, où le regroupement sous un titre commun d'ouvrages dus à des auteurs différents apparaît plus cohérent.

Or, la logique des catalogues informatisés permet de résoudre cette contradiction ; il est possible d'interroger par auteurs ou par titres comme sur un catalogue manuel, mais retrouver l'ensemble des éléments d'une suite est tout simple si on interroge sur le nom de la collection. C'est à ce niveau-là, me semble-t-il, qu'intervient l'apport décisif des catalogues en ligne, ainsi que des procédures de recherche multicritères de la recherche documentaire - ensembles disciplinaires, puis recherche par mots-clés, par dates d'édition, par éditeurs, etc. -, combinés avec des modes d'accès diversifiés manipulables à volonté (balayage, sélection d'ensembles successifs, retours écrans précédents, etc.), supprimant la logique de la recherche linéaire unicritère sur l'instrument papier.

A mes yeux, la question des règles de catalogage, de la description bibliographique, est déjà dépassée. La réflexion sur les catalogues devrait beaucoup évoluer au cours des prochaines années, abandonnant les problèmes internes de présentation des vedettes pour se tourner vers une redéfinition des contenus et des modes d'accès à l'information. L'enjeu n'est pas mince, c'est celui des catalogues en ligne proposés au public, et il implique une véritable révolution copernicienne de la part des bibliothécaires, qui auront à s'associer les services de professionnels de la communication, s'ils veulent proposer à leur public autre chose qu'un écran de fiches ! En France, cette réflexion paraît d'autant plus urgente que le développement du vidéotex pose déjà la question de la diffusion de l'information bibliographique pour le grand public 10.

Catalogue des (3) Suisses

PP. Dans l'immédiat, les gestionnaires des réseaux REBUS et PICA* semblent avoir bien conscience des problèmes posés par le catalogage à niveaux. PICA a travaillé sur la façon de transposer des notices à niveaux, présentées comme telles dans la base centrale, dans un format lisible dans OCLC. Une manoeuvre délicate, d'un point de vue informatique, qui est suivie de très près par les responsables de REBUS. Ces derniers sont en effet conscients du cloisonnement dû à l'utilisation du format SIBIL* qui, bien que dérivé comme INTERMARC de MONOCLE et donc de MARC*, est un format « maison », et ils étudient les possibilités d'ouverture de leur réseau et de son interconnexion avec les systèmes étrangers.

Toute cette évolution s'inscrit dans la redéfinition du rôle des réseaux, redéfinition dont REBUS aura fourni une illustration exemplaire. Ce réseau a en effet suivi une évolution très intéressante, passant du schéma d'une organisation centralisée, où toutes les bibliothèques adhérentes versaient leurs notices, où il était prévu d'assurer une gestion des différentes fonctions bibliothéconomiques (bulletinage, prêt, etc.) au niveau du réseau, à une structure beaucoup plus souple ; le réseau se recentre sur l'aspect catalogue, s'oriente vers la mise au point d'interfaces avec des systèmes locaux de gestion diversifiée, de manière à limiter les échanges au transfert de notices et aux circuits de prêt-inter.

BBF. SIBIL est intéressant à plus d'un titre puisque ce système, implanté initialement à Montpellier, aura été le modèle dominant d'informatisation « lourde » dans le secteur des bibliothèques universitaires.

PP. En effet. Le système SIBIL, expérimenté à la bibliothèque interuniversitaire de Montpellier 11, a été ensuite implanté à Bordeaux et Grenoble. Le bilan qu'on peut en dresser, en quelques mots, est que SIBIL est un système qui « tourne ». Il s'agit d'un système de gestion intégrée, donc d'un système assez onéreux pour l'ensemble des partenaires, universités, bibliothèques et DBMIST. Pour cette dernière, sa participation au fonctionnement de SIBIL (cotisation à REBUS, achat de terminaux, prise en charge des coûts de catalogage selon un barème dégressif, développement de logiciels, etc.) se chiffre en moyenne à 2 millions de francs par an - un budget comparable à celui du CCN, alors que seulement trois établissements sont concernés... Néanmoins, les échanges que ces trois derniers ont commencé à réaliser entre eux et avec le réseau de la Suisse romande modifient de facto les missions du système, qui compense ainsi certaines insuffisances en matière de gestion locale.

Ce n'est point ici le lieu de se lancer dans une analyse détaillée de SIBIL qui a pu se heurter à des difficultés techniques, liées en particulier aux options en matière de matériels (les terminaux français ont posé des difficultés) et à la nécessité d'utiliser des liaisons téléphoniques spécialisées. Il suffit de préciser que les coûts d'un système informatique doivent être appréciés en perspective : y a-t-il un marché suffisamment important pour pouvoir amortir les investissements en matériels et en logiciels qui seront nécessaires ? Et cette question doit être précédée d'une autre : que pèsera l'informatisation dans le budget de fonctionnement d'une bibliothèque ? Je dis bien dans le budget de fonctionnement, en intégrant l'amortissement du matériel, les coûts de maintenance, de développement de certains logiciels. Je ne tiens pas compte de l'investissement initial auquel on a trop souvent tendance à réduire les coûts de l'informatisation. Dans le cas de SIBIL, comme pour tout autre système intégré de gestion et quel que soit l'intérêt des solutions proposées, je crois que nous devons déplorer son inadéquation par rapport aux possibilités budgétaires actuelles des bibliothèques universitaires françaises, ce qui constitue un handicap majeur par rapport aux pays voisins...

Les mauvais coûts

BBF. Mais ne peut-on faire à tous les systèmes informatisés le même reproche qu'à SIBIL ? Et comment apprécier a priori l'ensemble des coûts induits par l'informatisation ?

PP. L'analyse économique de l'informatisation est effectivement délicate, car cette dernière met en valeur des coûts, mais aussi elle isole artificiellement des coûts préexistants qui sont demeurés masqués. Pour prendre un exemple banal, on impute sur le budget de l'automatisation la fourniture de fiches de catalogues, mais ces fournitures n'en existaient pas moins avant l'informatisation ; elles étaient simplement imputées sur la rubrique « frais généraux ». Parallèlement, du moins dans le secteur public, les dépenses de personnel ne sont pas véritablement prises en compte, si bien qu'il est très difficile de calculer l'incidence réelle d'une opération d'informatisation. Par ailleurs, pour être efficace, pour être rentable, l'informatisation suppose une organisation différente, une rationalisation des tâches, une redistribution des postes de travail. Quand, pour des raisons conjoncturelles propres à l'établissement, on renonce à cette démarche, l'informatisation engendre des coûts supplémentaires, des gaspillages qu'il aurait été possible d'éviter.

Pour en revenir à SIBIL, on aurait pu envisager de réduire le nombre de terminaux qui ont été implantés, de regrouper les activités de catalogage au niveau de l'établissement et non plus au niveau des sections, mais cette solution s'est heurtée à d'autres considérations, celles, en particulier, « d'humaniser », de démocratiser l'informatique en donnant à chacun la possibilité d'accéder au terminal. A coup sûr, si, comme à Lausanne ou dans la plupart des universités anglo-saxonnes, nos bibliothèques étaient plus centralisées, s'il n'y avait pas lieu de desservir de très nombreuses bibliothèques d'institut, de laboratoire ou d'UER, le problème se poserait de façon totalement différente et sur le plan humain et sur le plan économique.

S'il convient d'aborder avec prudence les questions de budgétisation de l'informatique, on dispose tout de même de quelques éléments d'évaluation brute des coûts de fonctionnement, à partir des dépenses d'acquisition de systèmes du commerce. La recette est relativement simple ; on considère que le fonctionnement annuel d'un système informatique, quelles que soient sa taille et son application, revient à environ 20 % de son prix d'achat: la maintenance représente environ 12 % des coûts initiaux, auquels s'ajoutent 8 % de frais divers tels que papier, rubans, télécommunications, fournitures, etc. A ce premier ensemble s'ajoutent les coûts d'amortissement du matériel, qu'on a coutume de calculer sur cinq ans, soit 20 % de dépenses supplémentaires. Les systèmes intégrés correspondant aux besoins d'une bibliothèque universitaire moyenne atteignent couramment une enveloppe de 2 millions ; ce qui implique un budget annuel de 800 000 F. Peu de bibliothèques ont les moyens d'envisager une informatisation dans ce contexte, car ces dépenses de fonctionnement viendront en déduction des crédits documentaires.

Même lorsque l'informatisation s'inscrit dans un projet global, concernant non seulement la bibliothèque, mais aussi l'ensemble du système documentaire de l'université, son coût de fonctionnement, mis en relation avec les budgets d'acquisition, est généralement dissuasif, car on ne peut tabler sur la reconduction des subventions exceptionnelles qui peuvent être allouées au moment du démarrage. Une université peut-elle raisonnablement envisager de budgétiser une enveloppe informatique de l'ordre de 800 000 F, alors que l'ensemble de ses crédits d'acquisitions documentaires n'excède pas 2,5 millions ?

La NEP

BBF. Cette approche remet largement en cause les choix concernant l'informatisation des bibliothèques...

PP. J'insiste sur les données économiques, dont les responsables des universités et les bibliothécaires n'ont peut-être pas jusqu'ici mesuré suffisamment l'importance ; j'insiste sur la nécessité d'une harmonisation des choix en matière de gestion, car l'informatisation d'un établissement ne peut se penser indépendamment du reste. Informatiser, oui mais pour quoi faire ? Cette question est plus que jamais à l'ordre du jour maintenant que l'informatisation a perdu son caractère d'innovation « absolue », qu'elle doit s'intégrer à la gestion d'un établissement, que la décentralisation place les collectivités locales et les universités devant leurs responsabilités de gestion.

Je crois aussi qu'il faut souligner les différences de problématique qui ont présidé aux décisions d'informatiser. L'ordre des priorités n'est pas absolument identique dans le secteur des bibliothèques d'université et dans celui des bibliothèques publiques où prédominent les impératifs de gestion des prêts. Peut-être la démarche suivie par les bibliothèques publiques, qui se sont dès le début orientées vers des systèmes intégrés (systèmes commerciaux ou systèmes-maison), axée en priorité sur la gestion des prêts, n'est pas totalement transposable. Le coût de ces systèmes doit être rapporté au volume des prêts et il y a des seuils à ne pas dépasser : 1 F par transaction me paraît une limite maximale - SIBIL se situe à ce niveau-là; lorsque l'activité d'un établissement se situe au dessous de 30 000 ou de 50 000 prêts, les choix concernant le système de prêts doivent être faits à cette aune.

BBF. Vous préconisez donc l'utilisation de la micro-informatique dans les bibliothèques d'université ?

PP. Je m'en tiens à un constat, celui des économies d'échelle et du rapport coût/service rendu. Un système de prêt tournant sur un micro-ordinateur n'informera que de manière parcellaire sur les mouvements mais, au bout du compte, le service rendu sera à quelques détails près aussi satisfaisant que celui assuré par un système intégré, tournant sur mini-ordinateur, mais où la reprise du catalogue n'aura pas été effectuée. Lorsque le trafic de prêt d'un point de desserte n'excède pas 20 000 transactions par an, il serait inconsidéré de choisir un système dont le coût de fonctionnement excède 20 000 F !

C'est pour cette raison que je table sur une consolidation de la micro-informatique, au moins dans le secteur des bibliothèques universitaires et parmi nombre de centres documentaires. Au départ, l'implantation de systèmes de micro-informatique visaient à désengorger des services qui n'arrivaient plus à produire les fiches catalographiques dans des délais raisonnables, ou à satisfaire rapidement les demandes de prêt. Elle avait en outre un caractère « pédagogique » ; l'automatisation d'une ou plusieurs fonctions telles que le prêt 12 (systèmes MOBIPRET puis MOBIBOP) ou le catalogage (MOBICAT) permettait de « faire patienter » les responsables, ainsi que tous les agents, pendant les inévitables délais d'attente avant une informatisation d'ensemble, tout en les accoutumant aux logiques de fonctionnement de l'informatique. Avec le recul, devant l'expansion de la micro-informatique qui a vu se multiplier ses possibilités, compte tenu d'une conjoncture de stagnation budgétaire prolongée, tout porte à croire que cette période de transition sera plus longue qu'on avait pu le penser, voire même qu'une politique généralisée de dissociation des fonctions sera définitivement retenue, comme l'évolution récente des pays voisins peut le laisser penser. Dans ce cas, nous aurions été en avance !

Si l'on en croit les réactions, les opérations MOBI ont rencontré un certain succès ; maintenant que les responsabilités de développement de logiciel et de diffusion des systèmes sont reprises par une société commerciale d'une part, par le SUNIST de l'autre, on peut escompter une large diffusion de ces logiciels qui tournent déjà sur plusieurs dizaines d'implantations. L'investissement initial, aux alentours de 100 000 F, appelle des coûts de fonctionnement de l'ordre de 40 000 F acceptables pour les établissements. Cependant, si on pousse jusqu'au bout l'analyse économique, on voit les limites de ce genre d'opération. Les développements de MOBIBOP et de MOBICAT sont revenus chacun à plus de 2 millions : il a fallu transférer des systèmes tournant sur Bull Micral 90 (de fabrication abandonnée) sur des compatibles IBM PC, étudier des configurations mono et multipostes, assurer le suivi du logiciel, etc. Comme le parc des installations est important, le poids des amortissements reste supportable, d'un ordre de grandeur très inférieur à celui correspondant au développement de logiciels de gestion intégrée.

BBF. C'est-à-dire ? Quel est le coût de développement d'un logiciel de gestion intégrée ?

PP. Je vous renverrai aux tarifs affichés par les constructeurs de systèmes privés, en rappelant que ces tarifs sont calculés à partir de certaines prévisions sur l'évolution du marché et la courbe des ventes et intègrent aussi d'importants coûts en matière grise. Autrement dit le vendeur intègre dans ses prix des hypothèses de diffusion relativement importantes (plusieurs centaines dans le cas de sociétés internationales), mais aussi les coûts de développement du logiciel qui resteront à sa charge une fois vendu le produit. Or, tout comme le matériel, ces coûts restent élevés car les choses évoluent très vite et, tous les trois ans, se produit une révolution technique qui impose de reprendre à zéro la conception de produits. Les constructeurs sont donc obligés de maintenir en permanence des équipes de recherche-développement substantielles s'ils veulent se maintenir durablement sur le marché.

Toute cette analyse nous démontre que des produits offrant des services comparables ont, à l'origine, tous à peu près le même coût ; les équipes de recherche-développement sont rémunérées au même niveau et on ne peut guère envisager de consacrer moins de cinq personnes travaillant sur plusieurs années au développement d'un logiciel. Si l'on convertit leurs salaires en « hommes-années », si l'on ajoute les coûts des matériels nécessaires au développement, si l'on tient compte de la maintenance, du développement de plusieurs versions, on atteint tout de suite une enveloppe de 40 à 50 millions... Après quoi interviennent les prévisions en matière de diffusion. En cherchant bien, on peut toujours trouver sur le marché des systèmes inférieurs aux 2 millions de francs mentionnés tout à l'heure. La différence se paye en fiabilité, en temps d'accès, en rigidité, en maintenance...

BBF. Voilà une condamnation sans appel des systèmes-maison !

PP. En termes économiques, les systèmes-maison représentent une aberration. Je crois qu'on peut parler de mirage pour évoquer ce phénomène ; on peut aussi parler de rapports de pouvoir entre le bibliothécaire et l'informaticien local, que celui-ci dépende d'une commune, d'une région ou d'une université. Toute l'histoire de l'informatisation des bibliothèques, en France ou à l'étranger, débouche sur ce constat. Aucun système-maison, aussi ingénieux, aussi sophistiqué qu'il puisse être, n'est économiquement défendable, car c'est un seul établissement qui supporte la totalité des coûts d'investissement et d'amortissement. Cette réalité est généralement occultée, car les options de départ sont souvent prises en oubliant d'intégrer les investissements préalables en hommes et en unité centrale ; elle n'en est pas moins présente et transparaît après coup dans le bilan final de l'opération, lequel bilan - négatif - débouche généralement sur une décision d'abandon du système avec toutes les conséquences au niveau de la récupération du catalogue...

Le CIEL n'attendra pas

BBF. L'informatisation en local serait donc hors de portée des moyens économiques de la plupart des bibliothèques universitaires sinon de toutes...

PP. Dans l'immédiat, l'équipement en système de gestion intégrée est effectivement un luxe, mais cette situation risque de changer assez vite si des mesures favorables à la documentation universitaire sont prises ; il faut aussi tenir compte de l'évolution rapide des matériels et des logiciels : les premiers ont déjà connu un développement fantastique touchant à la multiplication de leurs possibilités et à la baisse de leurs coûts et tout porte à croire que le mouvement va se poursuivre. Les logiciels qui impliquent de forts investissements en matière grise verront leurs prix s'abaisser moins rapidement, mais l'ensemble de l'évolution va toutefois à la baisse.

D'ici quelques années on devrait voir apparaître des configurations multi-postes très performantes qui s'inséreront entre la micro-informatique actuelle et les sytèmes de gestion intégrée. Donc, l'informatisation des bibliothèques me paraît en définitive placée sous des auspices favorables, ce qui me renforce dans mon propos : il faut se hâter de construire un réservoir bibliographique de notices qu'on aura sous la main, disponibles et pouvant être récupérées dès que l'ensemble du fonctionnement sera informatisé.

Je compléterai cette prospective en rappelant que le vidéotex offre, lui aussi, des possibilités multiples et que la récente arrivée sur le marché de terminaux Minitel bi-standard équipés de caractères ASCII constitue la condition nécessaire à la banalisation des services en ligne et à la diffusion de véritables CIEL, bref, à la mise en place de ce qu'il est convenu d'appeler la bibliothèque à domicile. Je parle là en termes de prospective et il est clair que les services vidéotex, tels qu'ils existent à l'heure actuelle, ne sont pas pensés dans cette logique. Ils ont développé tout un acquis (formatage de pages-écran, modes d'accès et d'affichage séquentiel, etc.), mais ne gèrent pour l'instant qu'un volume d'informations limité. Toutes ces données devront être repensées et étudiées pour servir à la constitution du CIEL Pancatalogue inscrit au programme.

Comment commencer ?

BBF. Ce qui nous amène au calendrier. Quand allez-vous lancer l'opération et de quelle manière ?

PP. Nous avons déjà commencé. Mais l'opération démarre de manière très progressive, selon trois axes : deux expériences de récupération des notices (l'une, rétrospective, à la bibliothèque universitaire de Metz est déjà en cours, l'autre pour le catalogage courant débutera à l'automne à Paris IX Dauphine) ; simultanément, la formation d'une équipe responsable à la DBMIST, chargée de suivre le déroulement de ces opérations et de négocier les accords de mise en place ; enfin, l'appel au SUNIST pour jouer le rôle d'interlocuteur de l'OCLC, négocier au nom des bibliothèques françaises et gérer le Pancatalogue.

Anne-Marie Denis. Il convient de l'écrire en lettres capitales : il n'est prévu d'appliquer aucun schéma uniforme. Les conditions d'insertion de chacune des universités intéressées seront étudiées et négociées au coup par coup. L'équipe de la DBMIST fera chaque fois une information approfondie sur les différentes modalités d'adhésion, proposera des schémas d'organisation en fonction des situations locales, assurera la formation des équipes locales, prendra en charge l'insertion des établissements avant de passer le relais au SUNIST.

CL. Je souhaiterais insister sur le fait que catalogage rétrospectif et catalogage courant sont deux aspects étroitement complémentaires et qu'on ne saurait adhérer à moitié à OCLC. Au moment de l'adhésion, il est possible de dissocier ces deux volets qui ne nécessitent pas d'utiliser des procédures identiques et peuvent être construits en deux temps, mais, par la suite, il serait illogique pour une bibliothèque de prétendre offrir à son public un catalogue tronçonné, partie sur fiches, partie en ligne.

AMD. Les modalités de « récupération rétrospective » seront, en France comme à l'étranger, les plus délicates à étudier. Alors que, pour le catalogage courant, le schéma prévu est celui du catalogage en ligne, la récupération fait intervenir des paramètres très spécifiques, tels que le volume du fonds, son organisation matérielle (libre-accès, magasin), son classement, l'état des catalogues existants, l'organisation du travail, la configuration des bâtiments, etc., qui pourront influer sur les choix. Il est clair que les résultats des deux expériences de récupération qui sont actuellement conduites, à Metz d'une part, à l'ULB* d'autre part, ne seront ni comparables, ni systématiquement généralisables.

BBF. Est-il possible de préciser ?

CL. La récupération rétrospective se fait de trois façons différentes, MICROCON est une procédure de traitement en différé de disquettes réalisées par la bibliothèque, qui entre les clés d'identification de ses collections en utilisant un micro-ordinateur compatible IBM PC ; ces clés, très simples, sont, selon le cas, l'ISBN, les quatre premières lettres du nom de l'auteur, les trois premières du premier mot du titre, les deux premières lettres du deuxième, etc.

Le traitement des disquettes, effectué aux Etats-Unis, donne lieu à l'établissement de plusieurs éditions : celle des références inconnues d'OCLC (dans cette hypothèse, il appartiendra à la bibliothèque de créer la notice avec sa localisation) ; celle des références n'apparaissant qu'une seule fois dans la base, qui donnent lieu à la fourniture complète sur bande magnétique des notices OCLC ; celle des références auxquelles correspondent, dans la base OCLC, plusieurs notices introduites par plusieurs établissements, et pour lesquelles est fourni un listing sommaire, de manière à permettre à la bibliothèque de choisir entre l'une ou l'autre rédaction.

Après vérification et nouvelle saisie du numéro de la notice sélectionnée, les disquettes repartent à Dublin ; le second traitement fournit une bande magnétique complémentaire. On peut aussi, à son choix, obtenir des fiches, des microfiches, des listes, etc. Quelle que soit la forme du produit obtenu, les informations récupérées sont celles qui se trouvent dans la base, auxquelles s'ajoutent les informations spécifiques qui auront été entrées avec les clés d'identification : la cote, l'indexation spécifique, le numéro d'exemplaire, etc. Une fois rodée, la procédure permet d'aller très vite ; l'ULB, qui a passé contrat avec l'OCLC pour la récupération de 300 000 clés d'interrogation, a choisi d'utiliser MICROCON et, en une année, elle a récupéré un tiers de ses notices en y affectant en permanence une équipe de 4 personnes formée de professionnels.

RETROCON et TAPECON, reposent sur des principes semblables, se substituant plus largement à la bibliothèque qui n'a plus à effectuer la saisie de clés, cette tâche étant assurée par OCLC. La différence tient à ce que RETROCON travaille à partir du fichier-papier, TAPECON à partir d'une bande magnétique. Bien entendu, il existe une différence de prix, appréciable, entre MICROCON, davantage destiné à des collections qui présentent des taux de recoupement élevés avec OCLC, et les deux autres systèmes.

BBF. Et qu'en est-il à Metz ?

AMD. La conjoncture y est tout à fait différente de celle de l'ULB. Le volume à traiter est bien plus réduit (60 000 volumes environ). Les premiers tests ont montré un taux de recoupement intéressant, globalement de 70 %, et les procédures d'entrée de clés ont démarré au début de l'année. L'opération devant se terminer à la fin de l'année, il est encore trop tôt pour en dresser le bilan.

On peut cependant dire que cette expérience témoigne, tout comme celle de l'ULB, de la nécessité de définir de façon très précise l'organisation des tâches. A la différence de la formule retenue par l'ULB, ce sont des non-professionnels qui entrent les clés, d'un maniement très simple comme on l'a dit. Le problème se situe au niveau de l'articulation des différentes fonctions, les professionnels devant surtout superviser l'entrée et résoudre les difficultés techniques intervenant en amont et en aval de la saisie.

Ces expériences posent, de manière plus générale, la question de la spécialisation, liée à celle de la rentabilité : les opérations de récupération sur MICROCON doivent être concentrées sur des délais relativement brefs. Il est donc nécessaire de spécialiser les personnels affectés au catalogage rétrospectif et au catalogage courant, et cela d'autant plus qu'il n'est plus question de multiplier les terminaux. Les schémas qui semblent se dégager des opérations MICROCON ou de la pratique de catalogage courant à la bibliothèque de l'INSEAD* convergent vers une concentration et un regroupement des moyens, en somme, disons-le, vers une diminution du coût de revient de catalogage.

Pan ! pan ! Catalogue

BBF. A-t-on pu véritablement chiffrer le poids du catalogage dans les coûts d'un établissement ? Vous avez indiqué tout à l'heure que le prix d'une notice de catalogue pouvait atteindre 400 F, un chiffre 5 fois plus élevé que les évaluations données par l'ACORD*.

CL. Personne n'ira prétendre que le catalogage de la littérature grise ou des actes de congrès est aussi simple que celui des romans. Il est donc normal d'observer une différence de prix sensible avec le secteur de la lecture publique. Ensuite, il faut être certain que ces deux évaluations intègrent bien les mêmes paramètres - les coûts de personnel, de fournitures, d'amortissement du matériel -, que les opérations regroupées sous ce terme sont bien les mêmes, de l'établissement de la notice à l'intercalation en passant par la dactylographie, la reprographie, l'indexation systématique et analytique, etc.

Le coût unitaire de 400 F a été établi au vu de sondages effectués dans différentes sections, qui prenaient notamment en compte la rémunération (brute) des personnels affectés au catalogage (cette évaluation devrait, au reste, être prochainement peaufinée, puisqu'une étude sur cette question a été confiée à l'Inspection générale des bibliothèques). Cela dit, ce coût peut connaître de très fortes variations selon les établissements et il va de soi qu'il sera bien plus élevé dans une grande bibliothèque où le volume des catalogues déjà existants impose des vérifications plus nombreuses. J'ai moi-même constaté des différences de 1 à 10 dans les proportions d'effectifs affectés au catalogage pour des flux d'entrées relativement comparables ; faut-il préciser que de telles distorsions n'étaient pas toujours pleinement justifiées ?

Les coûts de la dérive

BBF. Mais, dans le cadre du catalogage dérivé, à combien reviendra la récupération d'une notice ?

CL. Il y a une multitude de paramètres qui peuvent intervenir et qui ne sont déterminés qu'au moment où la bibliothèque définit son profil d'adhésion (catalogage courant, rétrospectif, prêt-inter, systèmes d'acquisitions, de bulletinage, etc.).

Si l'on se borne au catalogage courant qui est la base d'une budgétisation, entrent en jeu le volume de notices récupérées, le rythme de traitement (hebdomadaire, bi-mensuel...), de mise à jour et d'édition, la forme des produits édités (fiches, microfiches...), le nombre de notices créées sur OCLC par les adhérents (ces créations donnent lieu à une ristourne) et, dans une première étape, le degré de francisation demandé.

BBF. Pourquoi cela ? On francisera un peu, beaucoup ?

AMD. Tant que le SUNIST n'aura pas pris en charge la gestion du Pancatalogue, la francisation des notices se fera en ligne ; elle concernera les cotes, bien entendu, mais aussi les vedettes de matières, parfois les indices de classification (OCLC propose soit la classification de la Bibliothèque du Congrès, soit la classification Dewey), les collectivités auteurs, la description de l'ouvrage. Si certains des pionniers de l'opération OCLC souhaitent récupérer des notices totalement francisées, ils se chargeront du travail en ligne, avec des temps de connexion successifs qui reviendront cher à la bibliothèque qui sera la première à franciser. Une fois ce travail fait, la notice francisée est affichée et devient dérivable sous cette forme pour les autres établissements francophones. Je précise tout de suite que, pour Paris IX, l'équivalence des vedettes de matières anglophones devrait être réalisée sous RAMEAU au cours de l'automne, donc avant le démarrage du catalogage.

BBF. Il est tout de même permis de penser que ces ajustements vont majorer, au moins provisoirement, les coûts...

CL. Il faut noter un dernier élément d'incertitude pour les établissements ; comme nous n'en sommes qu'au stade expérimental, les options de commercialisation et de diffusion ne sont pas encore arrêtées. C'est ainsi que l'édition de microfiches COM* ne coûtera pas le même prix selon qu'elle aura lieu à Dublin, à Birmingham ou à L'Isle d'Abeau ; il en va de même pour la fourniture de fiches, à cette réserve près qu'il n'est pour le moment pas prévu de transférer cette prestation en France. A l'heure actuelle, les chiffres dont nous disposons sont ceux de la facturation OCLC, auxquels s'ajoutent les coûts des réseaux de télécommunications, et il est fort probable que la politique tarifaire du SUNIST ne les répercutera pas intégralement sur les bibliothèques universitaires.

Sous toutes ces réserves, le coût moyen d'une notice dérivée s'établit aux alentours de 18 F, coûts de télécommunications compris. Dans le cadre d'une opération de récupération rétrospective MICROCON, le coût avoisine 3 F : les coûts de personnel ne sont compris ni dans l'un ni dans l'autre cas. Même en tenant compte des vicissitudes du démarrage, du handicap dû à la francisation, on peut certifier que les établissements seront gagnants ! Mais à la condition que ceux-ci puissent atteindre les économies d'échelle souhaitées : au dessous de 1 000 notices par an, la dérivation est onéreuse ; au dessus de 2 500 notices, le coût unitaire tend à se stabiliser. Une fois de plus, tout l'intérêt de l'opération est qu'elle débouche sur des économies conséquentes en matière de personnel et qu'elle ouvre sur une diversification des services.

Révolution culturelle

BBF. C'est-à-dire ?

PP. C'est-à-dire que le personnel, ainsi « libéré », pourra être avantageusement affecté au service public dans sa bibliothèque - service dont l'amélioration est souvent attendue par les utilisateurs - et, parfois, à « vendre » divers services à ses partenaires universitaires ou extérieurs. Même s'il n'est qu'en partie transposable, l'exemple de la Bibliothèque de l'université de technologie de Compiègne est à méditer, car il montre que, dans certains cas, une bibliothèque peut assurer les trois quarts de son financement en vendant ses services au secteur industriel et commercial. Les régions, les collectivités territoriales, les chambres de commerce, les corps de métiers, sans parler des laboratoires ou de certaines professions libérales, sont autant de secteurs à prospecter. Pour évoquer une situation très éloignée de celle de Compiègne, est-il normal qu'une bibliothèque assure giatuitement à des tiers des prestations pointues de recherche et d'identification alors que son « client » peut souvent commercialiser à son seul profit les résultats de ses recherches ?

Nous ne croyons pas à la « rentabilité » de la bibliothèque ; néanmoins, dans le contexte de la décentralisation, il semble qu'il lui faille remettre en cause les justifications de son financement et repenser son mode de fonctionnement, analysant quelle peut être sa politique tarifaire vis-à-vis de tel ou tel de ses services et de ses publics. Pourquoi, dans ces conditions, ne pas prendre le chemin dont OCLC lui ouvre la porte ?

Politique des catalogues

BBF. Puisqu'on en vient aux problèmes politiques, on finira par deux questions éminemment politiques, sinon polémiques : d'aucuns ont pu dire que la constitution d'un catalogue collectif représentait sans aucun doute une opération de salut public, mais que ce catalogue serait un cache-sexe de la misère documentaire et permettrait de ne pas répondre à la question : y a-t-il une politique de la documentation ?

PP. Je parlerais plutôt d'éclairage, voire de stratigraphie... Il serait assez vain de croire qu'un catalogue collectif masquera les carences documentaires qui sont criantes, et ce n'est pas l'amélioration apportée au service du prêt-inter qui pourra occulter le problème même si, fonctionnant mieux, le prêt-inter verra croître très vite son trafic, l'accès au document étant rendu possible par le succès des recherches de localisation. Les chiffres sont déjà connus, je les rappelle cependant: les crédits par étudiant affectés aux bibliothèques françaises représentent le quart de ceux affectés aux bibliothèques anglaises, le dixième de ceux affectés aux bibliothèques américaines. Je ne vois pas bien ce que pourra cacher le Pancatalogue.

Au contraire, j'aurais tendance à lui assigner un rôle de révélateur. Tout le monde s'accorde à dénoncer la misère des bibliothèques d'université, mais on serait bien en peine de l'analyser, de la quantifier, d'identifier les pôles d'interventions prioritaires, tout comme on a du mal à mesurer l'incidence exacte des CADIST*. Avec la mise sur pied du Pancatalogue, on aura les moyens de dresser des plans de développement de collections complets et détaillés 13. On devrait donc, par ce biais, disposer d'un diagnostic précis de la situation documentaire française, mesurée selon une grille de cotation internationale... Je crains que le verdict, complété par la ventilation des ouvrages fournis en prêt-inter, ne fasse mieux apparaître une situation de sous-développement et de dépendance documentaire par rapport à l'étranger.

BBF. Ceci nous amène précisément à la dernière question. Certains considèrent que faciliter la pénétration d'OCLC sur le marché français constitue une forme de capitulation en matière d'indépendance culturelle.

PP. Cette question appelle des réponses sur la forme et sur le fond. Sur le premier point, nous avons assez détaillé les procédures pour pouvoir dire que le Pancatalogue ne comportera que des notices francisées, avec des accès correspondant à des logiques d'interrogation françaises. A ce propos je précise que le projet de logiciel d'interrogation en langage naturel fondé sur RAMEAU devrait bénéficier d'un soutien dans le cadre de la francophonie, ce qui montre bien qu'il est bien perçu comme un instrument de défense de la langue française. Je précise aussi que l'OCLC prévoit, à partir de 1988, la mise en place de clés d'interrogation de sa base par sujets dans le cadre du projet Oxford : si les négociations en cours évoluent favorablement, les listes d'autorités auteurs de la Bibliothèque nationale et la liste RAMEAU y seront affichées comme listes d'autorité.

Quant au fond, je me limiterai à deux remarques, l'enjeu de l'opération consiste en une photographie de l'existant, un recensement des collections actuellement présentes sur le territoire français. Si ce stock documentaire comporte, comme tout donne à le croire, une proportion très importante d'ouvrages étrangers, on ne saurait y voir la main-mise d'OCLC. C'est à notre situation éditoriale, au fonctionnement de notre recherche, à notre organisation documentaire qu'il appartiendra de répondre de ce constat. On escamoterait un peu vite le problème en considérant qu'un recensement par nos propres moyens peut préserver notre autonomie en matière de savoir et d'information.

Car c'est là que réside l'ambiguïté, la confusion entre les catalogues et les banques de données bibliographiques. Il importe, comme on l'a fait en France, de préserver le caractère national de cette industrie, car la structuration des banques, le caractère interdisciplinaire des plus grandes, leur mode de signalement renvoient à des facteurs nationaux et au fonctionnement de la recherche. Quand il s'agit seulement d'un catalogue, d'un ensemble de références, dont la seule cohérence est celle de leur présence sur le sol français, les enjeux sont totalement différents. Du moment que les modes d'accès sont bel et bien francisés, peu importe que le libellé du titre ait été transcrit par la Bibliothèque du Congrès. Il faut s'attacher aux véritables priorités, aux accès au contenu, à la diffusion auprès des publics. Le reste est littérature !

Illustration
Index des sigles cités