L'everest sans oxygène
L'informatisation des bibliothèques en Grande-Bretagne
Bernard Naylor
Réflexions sur l'informatisation des catalogues de bibliothèques en Grande-Bretagne. L'histoire montre que les décisions d'informatisation ont surtout tenu à des facteurs contingents, regroupements administratifs ou souci de rentabiliser une configuration informatique. Les solutions actuelles - catalogage en réseau ou systèmes autonomes - ne s'opposent qu'en apparence. La récupération rétrospective des notices n'a pas fait l'objet d'une approche globale. La redéfinition des modes d'accès et des contenus aura un important rôle à jouer. Même si l'informatisation des bibliothèques semble s'être d'abord réalisée " parce que c'était possible ", ce pari devrait être gagné à l'avenir.
According to this survey, it appears that the reasons for automation are induced by fortuitous elements such as the amalgamation of various institutions or a concern to improve an existing automated structure. The present solutions - data sharing or stand alone systems - are not really irreconcilable. The retrospective conversion has been made in an uncoordinated way. But the new access modes and contents are to play an important part. Even if we think that libraries were automated " because it was possible ", the bet should be won in the future.
Pourquoi escalader de si hautes montagnes ? - Parce qu'elles sont là. C'est ainsi que Mallory est devenu, aux côtés de Turing et Von Neumann, le troisième membre de la trinité qui a présidé à l'informatisation des catalogues dans les bibliothèques britanniques. Un patronnage prestigieux, un bilan douloureux, un avenir nébuleux. Mais toutes les civilisations ne sont-elles pas fondées sur le défi ? A. Toynbee, qui le prétend, est lui aussi britannique. Si la thèse est exacte, l'informatisation des catalogues est appelée à connaître des jours radieux.
(...) En préparant cette communication, j'ai gardé à l'esprit une seule et simple question comme fil conducteur: pourquoi automatiser ? Deux réponses simples s'imposent d'emblée : pour faire des économies, pour améliorer les services. Ces deux réponses expriment à elles seules presque toute la complexité des événements qui se sont déroulés, tout en étant , par certains côtés, elles-mêmes inextricablement liées. Ceci n'est pas pour nous surprendre. Les éléments les plus complexes de la société moderne reposent, pour la plupart, sur des impératifs aussi simples. Mais un troisième facteur intervient également, celui que j'appellerai le « facteur Everest ». Pourquoi les hommes et les femmes escaladent-ils les hautes montagnes ? Parce qu'elles sont là. Pourquoi les hommes sont-ils allés sur la lune ou ont-ils fait exploser la bombe atomique ? Parce que c'est faisable. Il ne faut pas se leurrer : l'informatisation des bibliothèques est indissociable de cette donnée. Certaines initiatives en la matière ne sont qu'une preuve supplémentaire du penchant de l'homme à vouloir entreprendre quelque chose dès l'instant où c'est possible et, de préférence, difficile.
Catalogue catalyseur
Le catalogue est généralement le coeur de toute bibliothèque, la banque d'informations clé qui sous-tend presque toutes les activités qui s'y déroulent, que ce soit celles du personnel ou celles des usagers ; il est tout en même temps un monstre, une vache sacrée, l'énigme du Sphinx : bien d'autres images viennent à l'esprit. Parmi les questions les plus brûlantes qui se posent lorsqu'on informatise une bibliothèque, figure celle-ci : que faire du catalogue ? Les uns ont dit : laissez-le tranquille, occupez-vous d'autre chose, et peut-être personne ne le remarquera. Prenez le taureau par les cornes, ont dit les autres, car si vous ne vous attelez pas d'abord à ce problème, c'est lui qui finira par vous prendre à la gorge - et c'est ce qui s'est effectivement produit quelquefois. Aujourd'hui, je prendrai le parti des braves et m'attaquerai à cette question du catalogue, parce qu'il illustre une grande partie des problèmes que je désire aborder et, qu'à la manière des banques de données centralisées, il ramène à lui tout le reste.
Ce catalogue, pourquoi l'informatiser ? Certains des plus anciens et des plus intéressants exemples d'informatisation donnent une réponse éloquente à cette question. Déjà, dans les années 60, la réforme de l'administration locale à Londres a posé de sérieux problèmes aux bibliothécaires. Les bibliothèques publiques ont été fusionnées parallèlement à leurs autorités de tutelle, occasionnant de ce fait au personnel de graves difficultés pour la gestion des catalogues. Quelques esprits plus audacieux et plus clairvoyants ont recherché une solution du côté des gros ordinateurs des deuxième et troisième générations détenus par leurs administrations de tutelle. Dans beaucoup de cas, sinon dans la plupart, ils sont tombés aux mains des ingénieurs-système de leurs administrations et, comme d'autres utilisateurs potentiels tombés sous le charme, ils ont été contraints de s'adapter aux techniques conventionnelles de traitement de données, format standard et 80 colonnes. Ils ont essuyé les plâtres du douloureux apprentissage de la profession: apprendre à exiger de la machine exactement ce dont vous avez besoin, plutôt que d'accepter à contrecoeur le piètre compromis dont d'aucuns vous assurent que c'est le mieux qu'ils peuvent faire. Durant dix années, la création des écoles polytechniques, principalement par le regroupement d'établissements indépendants déjà existants, a posé un problème identique dans un contexte d'enseignement supérieur et je suis convaincu qu'une étude approfondie confirmerait le fait que certains des apprentissages que durent faire les bibliothèques publiques ont été renouvelés ailleurs dans la profession.
L'escalade des catalogues
L'ordinateur apportait une réponse, même brute et inappropriée à certains moments, à un problème pour lequel le fichier manuel traditionnel constitue une solution terriblement onéreuse: comment reproduire, dans plusieurs implantations, un outil aussi important et aussi coûteux qu'un fichier, sans que les coûts de sa gestion (l'intercalation par exemple) vous ruinent ? L'ordinateur fut, certes, un moyen d'économiser de l'argent et, dans une certaine mesure, d'améliorer ou de maintenir le service. Mais, en même temps, il a fait luire aux yeux des bibliothécaires les plus perspicaces les premières vagues lueurs d'horizons nouveaux et de libération. Dans chaque bibliothèque, depuis le triomphe de la fiche 5 x 3 pouces (125 x 75), la salle du catalogue est devenue, pour les utilisateurs, le centre de toute consultation systématique des références du fonds. Si la bibliothèque en avait les moyens et en justifiait le besoin, une copie pouvait être constituée en coulisse, à l'attention du personnel, quoique, pour beaucoup, l'exemplaire unique demeurait la norme - terriblement vulnérable quand on y pense !
Petit à petit, on a réalisé que si l'ordinateur était en mesure de reproduire le fichier, il pouvait aussi servir à en fournir des copies là où auparavant cela n'avait jamais semblé nécessaire, parce que c'était trop coûteux. Même si la bibliothèque ne constitue qu'une seule unité matérielle, pourquoi installer le fichier en un seul lieu ? Pourquoi pas en plusieurs endroits, à différents étages, pour le confort de l'utilisateur ? Pourquoi pas à l'extérieur ? Pourquoi pas dans d'autres bibliothèques, et inversement, pourquoi ne pas imaginer le fichier d'autres bibliothèques dans la mienne ? L'histoire de la prise de conscience progressive de ce potentiel est intimement liée aux progrès technologiques: sorties imprimées, microfilms, microfiches, accès en ligne. Aujourd'hui, comme chacun le sait, nous avons fait le tour complet. Pourquoi les catalogues de toutes les bibliothèques ne seraient-ils pas disponibles dans chaque bibliothèque ? C'est techniquement réalisable. Il nous reste à en évaluer la faisabilité économique.
Place libre à (ne pas) prendre
Ainsi, au fil des progrès, le service s'est-il incontestablement amélioré. Mais cette partie de l'histoire tient pour beaucoup au facteur Everest. Certains responsables de l'administration locale ou du développement informatique dans les universités ou même dans des entreprises prenant, avec quelque nervosité, conscience de l'importance de la place disponible sur les nouveaux matériels, ont vivement recommandé aux bibliothèques de saisir l'opportunité de cette ressource gratuite. Dans les universités en particulier, la bibliothèque apparaissait l'utilisateur idéal. Avec des volumes de données et d'impression importants, et des besoins en informatique modestes, elle complétait avantageusement les demandes de la recherche scientifique qui impose à la machine, pour des flux d'entrée de données réduits et des résultats peu conséquents, une énorme charge de calculs entre les deux. Autre version de ce récit édifiant, ce sont en réalité les analystes et programmeurs de systèmes, alors provisoirement sous-employés, qui ont fait pression sur les bibliothèques souvent, en fait, consentantes.
Les leçons ont été dures. Les machines qui, au départ, disposent de place libre deviennent fréquemment surchargées avant d'être remplacées. Les rationnements suivent. Quelle bibliothèque peut voir de gaieté de cœur son catalogue mis à jour moins complètement et moins fréquemment qu'elle ne le juge nécessaire, ou même son traitement en différé repoussé afin de donner priorité à la recherche scientifique ? Il arrive aussi que l'équipe d'informaticiens, agacée et irritée par les demandes et les besoins de la bibliothèque, décide que telle ou telle autre application est plus urgente ou plus intéressante. D'où la conviction chez les bibliothécaires qu'une machine entièrement dédiée à la bibliothèque est la seule solution valable; cette conviction est à l'origine des systèmes dédiés, autonomes et multifonctions, qui ont aujourd'hui la préférence dans bon nombre de bibliothèques. D'un autre côté, avec la baisse spectaculaire du coût des centraux et des disques et l'augmentation parallèle de la puissance globale des machines (par dix dans mon propre établissement, par exemple, alors que nous sommes en train de remplacer notre ordinateur), nous ne devrions pas nous bercer d'illusions et croire que l'époque de la « place libre » est désormais révolue. Je retiens ma respiration et je prie pour que l'Histoire ne se répète pas.
Données venues d'ailleurs
Je souhaiterais à présent m'attacher à un aspect particulier du catalogue, la création et la saisie des données, et plus précisément pour commencer, à la question des données générées à l'extérieur de la bibliothèque. C'est une histoire compliquée. Aux Etats-Unis, l'emploi de données extérieures procède d'une longue tradition, dont l'inspiration première remonte au service de fiches de la Bibliothèque du Congrès, né au début du siècle. Ce service concernait des ouvrages de différents pays en différentes langues, alors que celui offert depuis les années 50 par la British national bibliography (BNB) ne porte que sur des ouvrages britanniques. En fait, vers le milieu des années 60, avant la création des catalogues automatisés, la Bibliothèque du Congrès fut encouragée par d'autres bibliothèques à élargir son programme d'acquisitions étrangères afin d'améliorer son service de fiches. En Grande-Bretagne, le partage des notices a été le plus grand avantage mis en avant par les divers réseaux de catalogage. Mais ils n'ont jamais enregistré les scores fantastiques atteints par les membres de l'OCLC (Online computer library center), tout simplement parce que personne n'a réussi nulle part à égaler la base réalisée par le géant américain. C'est un paradoxe, entre parenthèses, que le partage dé données revête aujourd'hui aux Etats-Unis autant d'importance pour le prêt interbibliothèques que pour la constitution du catalogue, alors qu'au Royaume-Uni, à l'exception notable de LASER (London and South-East region), nous n'avons pas associé ces deux fonctions comme elles pourraient l'être.
Venue des Etats-Unis, l'histoire des salles de catalogues autrefois bondées et aujourd'hui désertes nous a tous impressionnés. Ici, en Grande-Bretagne, le partage des données a permis de réaliser de réelles économies de personnel, à la fois par une redistribution des postes et par la « dé-spécialisation » du catalogage.
Réseau contre autonomie ?
Je fais partie de ceux qui n'attachent aucune valeur intrinsèque au catalogage ; le catalogage original devrait être jugé sur des critères de coût et d'efficacité plutôt que de mystique professionnelle. Il faut cependant rappeler que la notion de catalogage en réseau n'a jamais totalement prévalu.
Tout d'abord, l'idée selon laquelle le catalogage lui-même est un processus trop compliqué a longtemps trouvé de nombreux arguments et de nombreux défenseurs. On pourrait dire que les notices de catalogue doivent être créées ou, au moins, mises à la disposition des utilisateurs avec un niveau de détail leur permettant de distinguer l'un de l'autre les différents documents qui composent le fonds de la bibliothèque. Partant de cela, on pourrait croire que les catalogues des collections les plus importantes doivent comporter les entrées les plus détaillées afin d'assurer le degré de différenciation le plus fin. Pendant un siècle environ, la Bibliothèque du Congrès a illustré ce postulat. Pourtant, au Royaume-Uni, la bibliothèque du British Museum et la Bodléienne se sont, en fait, contentées de notices bien plus courtes que celles d'autres bibliothèques de recherche moins importantes. Et le catalogue du British Museum n'en a pas moins acquis la réputation d'un travail bibliographique exemplaire. Voilà une caution respectable pour la politique de catalogage très simplifié adoptée par certaines bibliothèques, si simplifié en fait que les mécanismes de partage de données s'avèrent trop lourds à gérer et trop onéreux, pour la quantité réelle de données concernée.
Ensuite, le partage d'ordinateur a été de plus en plus contesté ces dernières années. A l'origine, la mise en commun du matériel permettait à plusieurs bibliothèques d'avoir la puissance de traitement et les logiciels qu'elles n'auraient jamais pu s'offrir seules sur une machine dédiée, tout autant qu'elle leur servait à partager les données. Actuellement, le vent est en train de tourner. Les frais d'utilisation des machines collectives tendent à être calculés, ce qui n'est pas surprenant, sur les niveaux d'utilisation ; mais cette pratique a l'inconvénient de freiner l'exploitation maximale de l'ordinateur, surtout par des bibliothèques de pointe.
Les systèmes autonomes importants ne sont pas bon marché. Cependant, ils permettent aux bibliothèques de concentrer, dans leur budget, les dépenses afférentes du côté des investissements. En termes comptables cette opération est intéressante, même si les économies en sont souvent discutables. D'autres raisons, liées à la gestion des collections et dont je traiterai plus tard, expliquent aussi le profond intérêt marqué par les bibliothèques à l'égard des systèmes autonomes. Ces derniers ont fortement ébranlé la philosophie du partage des données. Si l'on suit bien mon raisonnement, ce sont des coûts différents qu'ils ont tenté de réduire, tout en offrant des options nouvelles et différentes pour l'amélioration des services. Je ne crois pas que les deux philosophies - partage des données et systèmes autonomes -soient inconciliables. A l'heure actuelle, elles correspondent simplement à deux étapes différentes dans la conception qu'on peut avoir de l'administration des bibliothèques. Et je pense qu'à terme, elles fusionneront. L'OCLC, SWALCAP (South-West academic libraries co-operative automation project) et BLCMP (Birmingham libraries co-operative mechanisation project) ont déjà tous répondu de multiples façons au défi lancé par les systèmes autonomes et ont offert aux bibliothèques l'occasion de réconcilier les deux philosophies. C'est cette dernière tendance qui va, de plus en plus, prévaloir.
Catalogues dans tous leurs états
Je souhaiterais à présent parler un peu de la forme des produits-catalogue : fiches, microfilms, microfiches, OPAC (Online public access catalogue), etc., non pas dans le but de prolonger un débat déjà exhaustif sur leurs mérites respectifs, mais plutôt pour attirer l'attention sur un autre problème d'actualité.
Aux Etats-Unis, l'informatisation des catalogues ne fut au départ, et pendant plusieurs années, qu'une autre manière de produire des fiches qui étaient ensuite intercalées dans des fichiers comme c'était l'usage depuis des décennies. En Grande-Bretagne, la décision de diviser le catalogue, de fermer l'ancien et d'en ouvrir un nouveau, fut prise par un plus grand nombre de bibliothèques et, en général, plus tôt. La coexistence des deux catalogues est gênante, sans aucun doute. Même dans le secteur universitaire, où nous voyons certains de nos utilisateurs tous les jours de la semaine, la plupart d'entre eux ne comprennent pas toujours clairement que tout le fonds de la bibliothèque ne figure pas dans la seule source qu'ils ont coutume de consulter. Pour une partie du fonds de certaines bibliothèques publiques, le problème n'est que passager. Le fonds destiné au prêt doit être mis à jour et, progressivement, tous les ouvrages en prêt (mais pas tout le fonds de référence) finiront par être acquis après la mise en service du nouveau système. Les bibliothèques d'entreprise pourraient même souhaiter davantage concentrer l'attention des utilisateurs sur les documents les plus récents. En même temps, dans plusieurs, voire dans toutes les bibliothèques universitaires, le fonds s'accroît régulièrement et des signes d'une réutilisation des documents anciens persistent de manière significative, même si cela ne constitue qu'un pourcentage infime de l'utilisation globale. Des remèdes à ce problème ont été imaginés. Les vieux fichiers manuels ont été microfilmés et placés au même endroit que les sorties microfilms ou microfiches d'ordinateur. Mais, en réalité, comme nous le savons tous, la solution passe par la conversion du catalogue rétrospectif ; j'aimerais en évoquer deux points intéressants.
Conversion anti-chômage
Pourquoi avons-nous, au Royaume-Uni, laissé le problème de la récupération des notices rétrospectives prendre cette forme particulière ? A première vue, la solution la plus profitable pour les utilisateurs serait d'informatiser en priorité les catalogues des bibliothèques les plus importantes. Leurs notices pourraient être mises à la disposition des autres bibliothèques, facilitant l'accès de leurs fonds à un plus large public. En fait, l'importance du coût de l'informatisation des catalogues (même réalisée en coopération) de quelques très grandes bibliothèques a fait peur, alors que des dépenses peut-être plus considérables ont été faites pour la conversion non planifiée de nombreux petits catalogues.
Bien plus, et c'est là une aberration qui, tout en m'irritant, m'intrigue, sous couvert de programmes régionaux pour la réduction du chômage, on a donné la priorité à la conversion de catalogues de bibliothèques dans les régions à taux de chômage élevé. Je conçois fort bien que pendant la Dépression aux Etats-Unis, les programmes de travaux publics aient été lancés pour donner aux gens quelque chose d'utile à faire. Il existe une bibliothèque de recherche somptueusement décorée dans une prestigieuse université des Etats-Unis, construite dans ce style grâce à la main-d'oeuvre bon marché pour les projets de travaux publics de l'époque. Ici, on peut mesurer les différences régionales en matière de chômage en suivant les progrès accomplis dans la conversion des catalogues rétrospectifs de bibliothèque dans les différentes régions.
Il existe, en fait, deux façons de considérer tout effort de conversion rétrospective : premièrement, l'impact de cette conversion sur la bibliothèque elle-même et, deuxièmement, son impact sur l'ensemble des ressources des bibliothèques du pays. Il y a eu quelques succès, du premier point de vue, bien que, même là à mon avis, certains problèmes dépassant de loin le cadre du catalogue n'aient pas été abordés. Cependant, nous n'avons aucune politique nationale, aucune intention d'envisager cette question comme une nécessité nationale et le seul organisme susceptible à l'heure actuelle de s'y attaquer est le National committee on regional library co-operation proposé par le Library and information services council for England (LISC), un embryon aux possibilités très incertaines, c'est le moins qu'on puisse dire.
Sous le réseau, le reste
Ce débat autour de la conversion rétrospective reporte à nouveau notre attention sur le catalogage en réseau. J'aimerais dire un mot de ma propre expérience avec le Groupe de coopération en matière d'informatisation. Nous avons mis en place une norme de saisie pour l'échange d'informations bibliographiques. Prévue au départ pour les monographies seulement, elle s'est transformée, après consultation de spécialistes, en un groupe de normes de saisie, aussi bien pour les cartes, la musique et les documents audio-visuels que pour les publications en série. Elles ont été annoncées dans la presse professionnelle et doivent paraître sous forme d'appendice au Manuel d'UK MRRC. Je pense que cette opération était indispensable et je tire quelque fierté professionnelle de ma fort modeste contribution. Il faut toutefois admettre qu'une telle réalisation n'a pas toujours amélioré le fonctionnement du catalogage en réseau. Nous autres, bibliothécaires professionnels, sommes enclins à penser que si nous étions en mesure de résoudre les problèmes techniques en appliquant notre savoir et nos compétences, tout irait bien.
Cependant nous avons découvert d'autres problèmes au fil de nos débats. Qui possède les données dont il est question et comment respecter leurs droits de propriété ? Quels mécanismes peut-on imaginer pour obtenir le mode de financement approprié : un système susceptible de faire durer le partage de notices, d'encourager la poursuite de la création de données, de récompenser suffisamment les producteurs de banques de données pour les inciter à continuer, de préférence de façon de plus en plus efficace et dynamique, sans détourner les usagers potentiels de son utilisation. Pouvons-nous concevoir des systèmes informatiques et de télécommunication capables de réaliser nos souhaits ?
La dernière de ces trois questions reçoit sans nul doute une réponse positive, comme le prouvent les progrès réalisés aux Etats-Unis, au Canada et aussi en Allemagne de l'Ouest. Les deux autres problèmes, quant à eux, doivent être abordés différemment. Ils tiennent à des options juridiques et économiques profondément enracinées dans notre culture. Si nous disons ne pas pouvoir les résoudre, cette attitude constitue une critique implicite de notre société. J'imagine mal une société qui se réformerait uniquement pour parfaire le système de partage des données entre les bibliothèques. C'est seulement si les situations auxquelles nous sommes confrontés engendrent des conséquences gênantes ailleurs, spécialement si elles mettent en cause des enjeux politiques plus importants que ceux des bibliothèques, que nous pouvons espérer que quelque chose sera fait.
Les chemins des catalogues
Avant d'en terminer avec les catalogues, j'aimerais dire un mot sur leur accès. J'ai mentionné plus haut l'ambition de tout bibliothécaire, de pouvoir proposer dans ses murs les catalogues de toutes les bibliothèques. Si elle se réalise, ce pourra être de plusieurs façons. Les options aujourd'hui disponibles, les choix étudiés valent la peine d'être commentés. Les réseaux de catalogage nous ont offert la possibilité de consulter simultanément plusieurs catalogues comme s'ils n'en formaient qu'un seul, le catalogue collectif. J'ai l'impression que nous tenons certains avantages de cette approche comme acquis.
Plus récemment dans les bibliothèques universitaires, on a mis l'accent sur le réseau JANET (Joint academic network). Pourquoi tout simplement ne pas connecter au réseau tous les ordinateurs sur lesquels sont chargés les catalogues des bibliothèques universitaires, chaque utilisateur pouvant ainsi consulter le fichier de son choix ? Une telle solution, j'imagine, vaudra toujours mieux qu'une inaccessibilité totale, mais elle me semble fondée sur une idée fausse selon laquelle la notion de catalogue collectif n'a pas de sens dans des systèmes automatisés. Si l'on considère nos deux objectifs - économies et amélioration du service -, il est incontestable qu'une recherche unique dans un fichier multiple l'emporte sur plusieurs recherches dans des fichiers isolés. Bien entendu, dans des systèmes automatisés, il peut s'avérer inutile de créer un catalogue collectif. Il suffit de créer un système que l'utilisateur emploie comme s'il interrogeait un fichier multiple, c'est-à-dire des banques de données réparties et un système de recherche transparent.
Interface multifaces
Même si nous trouvons un accord sur ce point, il faut toutefois résoudre les problèmes que posent « les caractéristiques de l'interface utilisateur ». Quel jargon ! Laissez-moi vous donner quelques explications.
Dans les bibliothèques universitaires, nous travaillons pour une communauté d'utilisateurs pour lesquels l'usage de la bibliothèque constitue un trait important, voire même très important, de leur vie quotidienne. On peut donc étudier l'implantation d'un système en postulant que ses utilisateurs fourniront un certain effort afin d'en optimiser l'usage. Dans le secteur de l'information spécialisée, le professionnel de l'information risque d'être l'utilisateur principal, ce qui ne manquera pas d'apparaître dans les caractéristiques du système.
Dans les bibliothèques publiques, si l'utilisateur est souvent un visiteur occasionnel, il reste néanmoins celui pour qui le système doit être pensé. Les études menées en bibliothèques publiques sur l'accès vidéotex aux catalogues m'intéressent beaucoup. Mon interprétation personnelle (corrigez-moi si je me trompe) est que cette approche vise à intégrer le catalogue des bibliothèques aux autres sources d'information et, en même temps, à en simplifier l'accès pour tous. Dans les systèmes d'information, l'expérience montre en général que plus vous en simplifiez le processus d'accès, plus vous faites perdre de temps à l'utilisateur chevronné. Le juste milieu se situe entre le temps des utilisateurs (experts ou non), les possibilités de la machine et la sophistication du logiciel. A l'évidence, dans l'ensemble du secteur de l'information et des bibliothèques, y compris pour leurs usagers, les besoins par rapport à la convivialité des systèmes sont trop divers pour être satisfaits par un système unique. Mais j'exprime là un point de vue peut-être trop limité.
Contenus controversés
Il y a un instant, je parlais comme si le contenu d'une notice bibliographique n'était plus désormais un objet de controverses et avait été fixé par les recommandations sur les normes de saisie émises par le Cooperative automation group. Cela n'est en aucun cas exact. Ce contenu, certains le soutiennent depuis longtemps, est inutilement sophistiqué. Mais pratiquement en même temps, un autre courant de pensée s'est développé, selon lequel les monographies, au moins, devraient être cataloguées plus en détail, surtout en ce qui concerne leur sujet. Un décalage s'est opéré entre les ressources d'analyse déployées dans un système de recherche en ligne pour un article de périodique de 5 à 10 pages, et pour une monographie de peut-être 700 pages !
Si, à l'avenir, nos catalogues automatisés doivent comporter une analyse de contenu beaucoup plus détaillée, le partage des données revêt alors beaucoup plus d'importance. Mais il peut aussi changer de nature. Personne n'envisage le télédéchargement intégral de gros fichiers d'index analytiques d'articles de périodiques. Ces fichiers servent en revanche de complément à distance pour des fichiers locaux simples, limités à l'information donnée par le titre. Tous les déchargements qui s'effectuent se font de manière sélective. Le même procédé peut s'appliquer aux ouvrages. La notion de fichiers hiérarchisés implantés à divers endroits nous est, de toute façon, déjà familière. Localement, ils pourraient être plus concis et strictement adaptés aux besoins locaux, tandis qu'à distance, ils seraient plus importants et conviendraient à une demande plus large. Comme je l'ai dit, le catalogue est au coeur de bon nombre de problèmes majeurs. Après des décennies, voire des siècles, de silence relatif sur les catalogues, l'ordinateur a soudain tout remis en question.
Travail de fonds
Une des conséquences de l'informatisation du catalogue aura été d'accroître le rendement du personnel des bibliothèques en le faisant travailler davantage. L'autre élément-clé des ressources d'une bibliothèque est, de toute évidence, le fonds. Arrêtons-nous quelques instants sur cette idée consistant à faire travailler davantage votre fonds. L'un des moyens est d'en rendre le contenu plus accessible, convainquant ainsi de plus en plus d'utilisateurs de son utilité. Mais je soutiens que la course au développement engagée dans les systèmes de prêt a été induite par la certitude, pas toujours clairement exprimée, qu'une exploitation et une amélioration intelligente du prêt font travailler encore plus les collections. La bibliothèque universitaire de Southampton a installé le premier système de prêt automatisé en 1966. Et c'est donc à la lumière de cette expérience que je puis vous affirmer que son objectif était de faire progresser l'utilisation de la bibliothèque pendant une période de rapide développement de l'université, sans que le système de prêt ne s'enlise et ne coûte trop cher.
Dans la seconde moitié des années 70, pourtant, les bibliothèques universitaires se sont de plus en plus intéressées au niveau d'utilisation de leurs fonds. Il y eut, en 1976, le rapport Atkinson sur le financement des bibliothèques universitaires. Est-ce là l'origine de ce courant, ou un symptôme de sa gestation ? Quoi qu'il en soit, peu de bibliothèques universitaires, si ce n'est aucune, contesteraient aujourd'hui le fait qu'un système de prêt doit être capable de fournir des informations statistiques sur l'utilisation du fonds. Ces informations peuvent servir à trier les ouvrages qui doivent être relégués en magasin, pour un faible usage (ou même pilonnés), et ceux qui doivent être incorporés à une collection de prêt à rotation rapide ou même achetés en double tant ils sont demandés. Les statistiques peuvent également guider les décisions de redistribution des crédits d'acquisition d'ouvrages en faveur de domaines à plus forte utilisation (ou même en faveur de catégories moins demandées, avec l'espoir de les revaloriser : c'est, comme toujours, ce que l'on fait des statistiques qui importe, autant que les chiffres eux-mêmes).
Dans les bibliothèques publiques, il importe de faire le maximum pour satisfaire les besoins d'une communauté d'usagers largement dispersée, ce qui implique la circulation des ouvrages dans tout le territoire à desservir, pour répondre à la demande d'un utilisateur qui se manifeste. J'irai même plus loin en affirmant que la nécessité de contrôler et d'optimiser l'utilisation du fonds est devenue une préoccupation essentielle pour de nombreuses bibliothèques qui ont, pour cette raison, moins pris en compte le développement de leur base bibliographique et ses liens avec celles des autres bibliothèques ; ce qui est sans nul doute la clé indispensable pour optimiser l'utilisation du fonds sur un champ encore plus vaste.
Autour du réseau
Mais tout cela va et vient comme les marées. Avec les restrictions budgétaires, il semblerait qu'on recherche à présent une coopération à plus grande échelle. Le LISC a lancé un appel pour une planification à l'échelon local et le Département des sciences et de l'enseignement, dans son rapport sur l'enseignement supérieur des années 90, a prôné une coopération accrue entre bibliothèques, y compris au niveau des systèmes informatiques. Les relations entre bibliothèques et, partant, comme je m'y attends, la compatibilité des données et des systèmes sont une fois de plus la priorité du moment.
Si, depuis le début de cette communication, j'ai insisté sur des points qui m'ont préoccupé et me préoccupent encore, il est toutefois trois domaines que j'ai conscience de n'avoir ni le temps ni, probablement, la compétence de couvrir. Le premier concerne les dernières évolutions intervenues dans le monde de l'édition et de la librairie. Ici, la British library bibliographic services division a d'évidence apporté une contribution positive. Il est clair que certains types de collaboration, techniquement réalisables, pourraient faire éclater les rôles joués actuellement par les trois secteurs. On pourrait craindre qu'un tel scénario ne force le développement naturel du marché ; mais c'est bien ce que fait le Net book agreement (régime du prix imposé) et nous pouvons apprécier tous les avantages de son intervention.
Le deuxième point concerne la gamme, très étendue, des progrès, réels et potentiels, dus au micro-ordinateur et la possibilité (entre autres) de créer et développer des fichiers locaux par télédéchargement. Je suis certain qu'il s'agit là d'un terrain propice à des exploitations diverses et à grande échelle. Seulement je ne vois pas de modèles de référence, ni de secteur pouvant servir d'exemple aujourd'hui. Le troisième point, enfin, porte sur l'avenir des technologies de l'information. J'ai lu récemment que la cassette audio-numérique évincera le disque compact avant même que ce dernier ait amorti ses coûts de développement. Cette possibilité nous rappelle la vulnérabilité de la technologie. L'électronique nous surprendra toujours, même les plus expérimentés d'entre nous.
Marchés et frontières
Deux problèmes d'envergure restent à aborder. Tout d'abord, l'informatisation des bibliothèques en tant que marché. Nous avons actuellement atteint un stade où nous avons besoin de matériels et de logiciels dédiés. Le marché de l'informatisation des bibliothèques devient par conséquent une réalité. Cependant, d'un point de vue économique ou commercial, ce marché que nous avons créé est fugace et instable. La majeure part du capital investi dans les systèmes autonomes les plus lourds des bibliothèques universitaires provient d'acrobaties financières, le système d'enseignement supérieur ayant joué sur le déséquilibre provisoire entre sa situation réelle et la définition en termes strictement financiers d'une politique de décroissance. Tous les systèmes devront être remplacés après une durée de vie de 7 à 10 ans. Or, parmi ceux qui les ont acquis, combien d'établissements savent où trouver l'argent pour les remplacer ? L'engouement récent à l'égard des systèmes autonomes a attiré les firmes dans ce créneau. Serons-nous aptes, nous les consommateurs, à assumer notre part de responsabilité pour assurer la constitution d'un secteur stable et durable, ce qui, en fait, correspond aux besoins des bibliothèques, administrations travaillant pour le long terme ?
Le second problème est celui de l'information en tant que richesse nationale. Nous ne cessons de répéter qu'il en est ainsi, alors qu'en réalité nous sommes à peine conscients de toutes les implications que cela comporte. Je sais bien que les Etats-Unis freinent l'emploi des techniques de pointe dans les pays de l'Est. La querelle sur l'utilisation du Cray à l'Université de Londres est une autre illustration de ce propos. Je ne vais toutefois pas nier que ces techniques débordent les frontières. La percée la plus récente et la plus audacieuse d'Alan Sugar sur le marché s'appuie sur l'activité de fabricants coréens. Ceci pour le matériel.
Quant à la question de l'utilisation, nous pouvons entrer nos données dans des machines ou des systèmes américains ; cela a-t-il, oui ou non, de l'importance ? Dans l'hypothèse de systèmes contrôlés par les Américains, j'ai l'impression que oui. Mais il ne s'agit là que d'une impression et je serais fort intéressé à connaître d'autres opinions. Les dimensions même du meeting auquel nous assistons en ce moment donnent à penser qu'il pourrait se dégager un point de vue européen sur cette question.
L'Eternel Everest
En dépit de toutes les mises en garde, je reste persuadé que nous avons, au cours des vingt dernières années, consacré beaucoup de temps à reproduire plus ou moins sur la machine les procédures manuelles que nous avons si longtemps appliquées. L'énorme puissance des ordinateurs a certainement agi comme catalyseur, par exemple pour faire avancer le partage des données ou mettre au point des systèmes de prêt plus souples. Récemment, nous nous sommes intéressés sérieusement à la gestion et au contrôle des coûts et nous y avons consacré beaucoup d'efforts. Je ne suis pas convaincu, cependant, que nous ayons pleinement assuré notre position vis-à-vis du coût des systèmes eux-mêmes. Au cours des dernières années, les crédits investis pour acquérir des systèmes autonomes ont été considérables, avec des conséquences tout aussi imposantes sur les coûts de maintenance et, ultérieurement, de remplacement. Et nous avons réalisé tout cela en période de déclin des budgets d'acquisitions.
Je pose à nouveau la question : pourquoi informatiser ? Avons-nous réellement réduit nos dépenses ou amélioré nos services tout en maîtrisant les coûts ? Ou bien sommes-nous tombés dans le piège du facteur Everest ? J'ai essayé de penser à une analogie. Peut-être le téléphone. On a sûrement dit que les premières universités et les premières administrations à avoir installé le téléphone gâchaient de l'argent : « Les lettres circuleront toujours pour un penny. Vous ne récupérerez jamais votre investissement ». Mais, en fin de compte, les gens ont compris qu'il leur fallait accepter de payer plus cher. C'était un nouveau mode de vie et un fait aussi important ne peut être remis en question par des histoires de menue monnaie.
Parmi toutes les créatures, seul l'homme a une histoire dont il est conscient. Ainsi l'information a-t-elle pris de plus en plus d'importance dans les sociétés développées. La double technologie des ordinateurs et des télécommunications modifie son action, peut-être plus profondément et plus rapidement que jamais dans toute l'histoire de l'humanité. Vous avez pu interpréter les remarques que je viens de faire comme un avertissement contre le facteur Everest. Mais il pourrait bien, en définitive, devenir le plus important de tous.