Research and the practice of librarianship
an international symposium
Bentley : Western Australian Institute of Technology press, 1986. - 220 p.; 25 cm. - (Western library studies; 7).
ISBN 0-90815561-1
La recherche en bibliothéconomie... Vaste sujet qui réunit pour ce recueil d'articles une vingtaine d'auteurs de diverses nationalités. Si les conceptions divergent, l'unanimité se fait pourtant sur deux points :
1° la difficulté de définir la recherche, surtout en bibliothéconomie, dans une moindre mesure, la bibliothéconomie elle-même (librarianship) : est-ce une science, et à quel titre...
2° la nécessité absolue de la recherche pour le devenir de la profession. Ainsi que le soulignent les coordinateurs de l'ouvrage, G.G. Allen et F.C.A. Exon - qui ont d'ailleurs apporté leurs contributions - une dichotomie s'opère entre les bibliothécaires et les enseignants en bibliothéconomie. Elle illustre les deux approches possibles de la recherche en bibliothéconomie : l'une « sciences physiques », quantitative, l'autre « sciences sociales » qui s'intéresse davantage aux études descriptives et qualitatives, même si cette opposition est plus apparente que réelle. (Les sciences physiques sont, en dernier ressort, basées sur des probabilités et n'offrent aucune certitude absolue; les sciences sociales comprennent souvent des collectes de données et des méthodes d'analyse statistique).
Trois axes se dégagent de cet ouvrage :
* la recherche en bibliothéconomie en général ;
* compte-rendus d'enquêtes ;
* le processus de la recherche « sur le terrain », dans le cadre-même de la bibliothéconomie.
Questions sur la recherche
Dans What qualifies as research in librarianship, C. Maguire s'essaie à définir la recherche en bibliothéconomie. Il relève la connotation « savante » que véhicule la recherche ainsi que le statut de reconnaissance par le milieu professionnel qu'elle promet, en opposition au statut mal défini des étudiants. La bibliothéconomie lui semble pouvoir être définie comme une science de l'information appliquée dont les fondements seraient nombreux et variés. Quant à la recherche en bibliothéconomie... Peut-être du fait de l'absence de consensus sur ce qu'elle est, les chercheurs sont souvent isolés des praticiens, des autres chercheurs et des chercheurs des autres domaines.
M. Buckland évoque le paradoxe de la bibliothéconomie dans Library research : problem solving or a contribution to the theory of librarianship, à savoir la nécessité de la recherche en même temps qu'un manque de théorie, tout au moins d'une base théorique de recherche. Pour pallier les connotations obscures du terme « recherche », l'auteur lui préfère l'expression « résolution de problème ». Ce qui l'amène néanmoins à distinguer la recherche pure, fondamentale, qui permet la compréhension, et la recherche appliquée, qui permet la concrétisation. La recherche lui semble nécessaire pour diminuer les incertitudes en matières d'environnement (de la bibliothèque), de valeurs (priorités dans la gestion), de prise de décision. La multiplicité des activités des bibliothèques se prête à la recherche, que ce soit leur gestion ou leur utilisation. La quantification, même si elle donne des résultats tangibles, n'est pas toujours appropriée à la bibliothéconomie, dans la mesure où les comportements humains interviennent largement. L'auteur souhaiterait une définition de la bibliothéconomie en termes tels qu'ils puissent être réfutés même si la quantification n'est pas possible. L'auteur termine par un « plaidoyer pour l'intolérance », qu'il estime indispensable pour faire progresser la profession. D'une part en publiant des recherches et en critiquant les recherches publiées; d'autre part en étant intolérant pour ses propres idées, ses propres services...
Pour D. Urquhart, « Librarianship is an experimental science ». L'auteur retrace un bref historique de la recherche en bibliothéconomie, en s'appuyant sur sa carrière professionnelle (réputée). Il souligne les contradictions de la bibliothéconomie - pour lui science appliquée - en tant que domaine de recherche par rapport aux autres sciences appliquées. Pour celles-ci, la recherche a généralement commencé dans des établissements indépendants des universités. Quant le sujet a été suffisamment développé, des cours ont eu lieu dans les universités. Pour la bibliothéconomie, le contraire s'est produit : les cours dans les universités ont précédé la recherche. Celle-ci s'est avérée de peu de valeur pratique, alors qu'en tant que science appliquée, elle aurait dû pouvoir trouver des applications concrètes. D. Urquhart préconise l'instauration de centres de recherche qui accueilleraient les jeunes chercheurs et les professionnels plus expérimentés, qui pourraient ainsi travailler en liaison avec d'autres structures susceptibles de leur offrir un champ d'application.
Recherche et profession
W.E. McGrath s'intéresse, lui, à l'analyse des données recueillies lors d'études sur la pratique professionnelle (Levels of data in the study of library practice : definition, analysis, inference and explanation). Il part du constat que les études menées en bibliothéconomie pèchent souvent par le manque de définition des données statistiques et par conséquent leur analyse. Partant des différents types de statistiques, l'auteur s'appuie sur des données de bibliothèques américaines pour montrer les divers niveaux d'analyse auxquelles elles donnent lieu. Il souligne que de mauvaises méthodes conduisent souvent à des résultats incorrects, incomplets ou à des conclusions non satisfaisantes.
Dans Some implications of the development of research in librarianship for the librarian and the library, G.G. Allen évoque le contexte australien et plus particulièrement la bibliothèque du Western Australian institute of technology (WAIT). Le contexte bureaucratique dans lequel évoluent les bibliothécaires australiens semble « prohibitif de la créativité dans la vie professionnelle » (moins d'opportunités telles que des mises en disponibilité dont bénéficient leurs collègues Nord-Américains, par exemple). Cependant. même s'il n'y a guère de tradition en la matière, la profession ressent bien le besoin de la recherche. Pour l'auteur, il y va du statut de la bibliothéconomie qui peut mener, en l'absence de recherche, à sa « déprofessionnalisation ». La recherche est considérée ici comme une maturité professionnelle dont semble manquer parfois la bibliothéconomie.
M.J. Lynch aborde les relations entre la gestion bibliothéconomique et la recherche. (Library management and library research : connection and conflict). En tentant de définir la recherche, elle distingue le chercheur du consultant, dont la mission est d'appliquer un jugement indépendant à un problème, sans toujours utiliser les mêmes méthodes rigoureuses d'observation que dans la recherche. A la conviction des gestionnaires de bibliothèques de l'inapplicabilité de la recherche en raison de son détail, l'auteur oppose que l'attention au détail, voir le scepticisme à propos des résultats est au contraire essentielle pour une recherche de qualité. Il lui semble qu'entre l'objectif des responsables de bibliothèques (« Que les choses soient faites ») et celui des chercheurs (« Comprendre ces mêmes choses ») des connexions sont possibles pour que la recherche trouve sa place et joue son rôle en bibliothéconomie.
Quel statut pour la recherche ?
Dans Specialization, excellence and library elite, M. Beckman resitue la bibliothéconomie dans le cadre universitaire (Etats-Unis. Canada). Elle dresse un tableau du statut du bibliothécaire dans une université, ses droits et obligations, sa rémunération et les critères d'évaluation auxquels il est soumis. Le personnel de la bibliothèque est considéré comme une équipe qui travaille sur un objectif commun : l'efficacité réelle des services de la bibliothèque. La bibliothèque est alors perçue comme un élément actif de l'université et peut même devenir le support de toutes les activités universitaires sur le campus.
O. Harbo (The role of the library school in professional research) évoque le contexte professionnel danois. La recherche naît de plusieurs sources (universités, organismes sponsors ou collectivités locales). Les écoles de bibliothéconomie se doivent de permettre de l'exercer. Au-delà du plan national, la théorie et la méthodologie y sont considérées comme des thèmes évidents de coopération internationale. L'auteur souhaiterait même que les écoles professionnelles aient l'obligation d'envoyer leur personnel à l'étranger pour participer à des séminaires internationaux de recherche.
L'une des priorités de la bibliothéconomie serait d'instaurer son propre système d'information (périodiques, bibliographies, index, thésaurus, banques de données...) qui lui fait actuellement défaut. P.L. Ward s'intéresse aux consultants et aux recherches « subventionnées », qu'ils peuvent mener (Consultancy and commissioned research). Elle les considère comme des chercheurs à part entière - contrairement à M.J. Lynch - tout en étant consciente de la difficulté, en même temps que de la fragilité, des relations entre le consultant et le client. Elle évoque l'impact différent de la recherche auprès des enseignements ou des praticiens. Le lien entre les uns et les autres pourrrait se faire, selon elle, par association professionnelle interposée. Ainsi, les praticiens devraient de plus en plus tirer profit des données brutes des chercheurs.
Dans une courte contribution M. Redfern évoque le statut de la recherche (Recognition or reward : what price status) en soulignant que les individus ont besoin d'une activité de recherche continue comme part d'auto-développement professionnel, mais aussi pour s'assurer de la cohérence de leur service et de leur contribution auprès de la société.
A la manière de...
Linking research with practice : a survey of Australian participation in in-house research : F.C.A. Exon rend ici compte d'une enquête sur la participation des bibliothécaires australiens à des recherches in-house. Le degré d'activité semble justifier les projets nationaux (comme un plan national pour la recherche par exemple) ainsi que les moyens de financement. Mais l'auteur insiste sur la nécessité d'une coordination nationale, sans quoi la recherche et la pratique professionnelle risqueraient de se perdre de vue, au point de priver les professionnels de demain des fruits de la recherche.
C. Steele et F. Wood examinent, eux, le financement de la recherche (Funding of library research : the problem and some solutions). Ils constatent que les travaux de recherche sont fréquemment sous estimés financièrement et préconisent l'analyse de toutes les étapes de recherche (d'après Lynch : planning, organisation, collecte de données, traitement, analyse, diffusion des résultats). Le financement peut provenir soit d'organismes extérieurs, soit des ressources-mêmes des bibliothèques. Les auteurs insistent sur la participation des personnels, sur la coopération avec d'autres bibliothèques pour le partage des moyens. La recherche ne doit pas être considérée comme une fin en soi mais viser l'amélioration de la pratique professionnelle.
N.S. Kartashov dresse un tableau de la situation en URSS. (Library science research in the Soviet Union : organization and major direction). La recherche en bibliothéconomie porte actuellement principalement sur l'identification des différentes catégories de lecteurs. L'auteur évoque notamment une étude centralisée menée depuis 1980 pour constituer une banque de données sociologiques qui puisse permettre une analyse comparative de comportement des lecteurs. La recherche est caractérisée par un haut niveau de coordination et de coopération entre les bibliothèques. Une grande attention est notamment portée à l'application des résultats de la recherche à la pratique professionnelle ; le critère de la qualité et de l'efficacité de la recherche étant la correspondance entre ses buts, ses résultats et les besoins de la pratique professionnelle.
Dans French connection : research and librarianship, M. Chauveinc retrace le contexte professionnel français. Il souligne la dichotomie qui oppose la bibliothéconomie à la documentation, jusque - et surtout - dans les formations professionnelles. Si la bibliothéconomie n'est pas considérée comme une science, elle doit rentrer dans le champ des sciences de l'information et de la communication pour être reconnue et donner lieu à des recherches. La recherche en bibliothéconomie n'a pour l'instant pas de frontières précises et reste encore à définir même si c'est un domaine vivant qui prolifère rapidement. M. Chauveinc estime important d'enrichir la bibliothéconomie de données, de méthodes et de techniques empruntées à d'autres disciplines. Il est alors indispensable de définir de nouveaux objectifs pour adapter la bibliothéconomie à de nouvelles formes et de nouveaux moyens dans le transfert de l'information.
H.T. Lim, pour sa part, évoque le cas du Tiers-Monde, plus exactement des pays de l'ASEAN (Association of South-East Asian Nations) : Library and research in the third world. La recherche n'y est guère développée pour diverses raisons : manque de chercheurs, jeunesse de la profession, lacunes dans les programmes d'études des écoles de bibliothéconomie et peu d'activités de recherche dans ces mêmes établissements. L'auteur préconise l'adoption du modèle de Harbo et Ward en 4 étapes pour introduire la bibliothéconomie dans les pays en voie de développement : que la recherche soit « importée » des pays « développés »; promotion de la recherche par les associations professionnelles ; implication des écoles de bibliothéconomie dans la recherche; financement par les bibliothèques nationales et autres organismes officiels. La plupart des pays en voie de développement en sont à la première étape.
G. Ford rend compte de la situation britannique (The British experience of library research : a retrospect 1948-1984) avec les différents types de recherche : sur la classification, les usagers, la gestion des bibliothèques. L'organisation de la recherche a évolué : d'abord pratiquée par des individus sur leur temps libre, elle l'a ensuite été par des chercheurs spécifiquement financés. Le besoin s'est alors fait sentir de mettre en place des organismes de coordination. Le problème pour les chercheurs est celui de leur statut. Longtemps incertain, il y a aujourd'hui dans les bibliothèques publiques et universitaires des postes permanents de recherche. La recherche semble devenir respectable !
Recherche sans frontière
M.B. Line évoque plus précisément les modalités de la recherche dans Library research and national needs; planning, coordinating and funding. Si les sujets de recherche ont une importance évidente pour les gouvernements, les bibliothèques et les usagers, la recherche n'est pas véritablement efficace, que ce soit dans la sélection des sujets, le financement, le contrôle et la communication des résultats. Et pourtant, la recherche devrait être un élément naturel et intégral de la gestion des bibliothèques et de l'enseignement. Par ailleurs, la nécessité se fait sentir d'une unité centrale administrative et d'une procédure consultative. Le cadre de la recherche peut varier selon le pays, mais les principes doivent demeurer les mêmes.
Enfin S. Sievanen-Allen envisage une approche internationale de la recherche (The common thread : possibilities for a world approach to library research). Considérant la bibliothéconomie comme une science appliquée, l'auteur constate que la bibliothèque, en tant qu'institution, n'est souvent pas considérée comme un lieu possible pour la recherche. Son rôle dans la communauté scientifique est d'assister les chercheurs. De fait, un bibliothécaire qui désire faire de la recherche rencontre une résistance sociale. L'environnement est un peu plus favorable dans les écoles de bibliothéconomie. La recherche au niveau international peut élargir notre tolérance, approfondir notre compréhension et bénéficier de surcroît à la coopération internationale entre les bibliothèques. En conclusion, l'auteur préconise que les bibliothécaires s'impliquent dans des activités de recherche pour comprendre et se faire reconnaître par la communauté scientifique.
Cet ouvrage tend à estomper le fossé qui sépare souvent les praticiens et les chercheurs. La recherche ne peut être coupée de la pratique professionnelle; c'est même sans doute le moyen d'être reconnue par la communauté professionnelle. L'instauration d'une procédure de communication permettrait les échanges dont les uns et les autres ressentent le besoin.
Si la forme de l'ouvrage - recueil d'articles - en morcelle la lecture, on tire néanmoins une grande richesse des perceptions diverses de la recherche selon les pays et les cultures. Certaines contributions sont particulièrement toniques et montrent que la recherche passe aussi par une réflexion personnelle sur la profession. La bibliothéconomie peut être ressentie comme un domaine figé à la gestion quotidienne de services d'information documentaire, ou bien comme un secteur mouvant où tout peut donner lieu à des recherches en vue de l'amélioration du transfert de l'information. On peut regretter l'absence de synthèse d'une telle forme d'ouvrage, la richesse du contenu l'aurait permis.
Néanmoins, puisse un ouvrage comme celui-ci susciter quelques vocations...