Formation à l'IST, formation de l'IST
Martine Darrobers
La formation à l'information scientifique dans les établissements d'enseignement supérieur. En organisant, en liaison avec l'Ecole nationale supérieure de bibliothécaires, les journées d'étude qui se sont déroulées à Villeurbanne les 9 et 10 décembre 1986, la DBMIST poursuivait un double objectif, dresser une cartographie des lieux de formation, susciter un large débat. Mission accomplie : pendant deux jours, interventions et tables rondes ont permis d'amorcer ce débat autour de la (des) formation(s) à l'IST, de leur place au sein de l'Université, de leurs débouchés. Toutes les filières ont été successivement présentées, discutées, analysées ; la formation initiale et la formation continue, la formation moyenne et la formation supérieure, la formation des professionnels et la formation des utilisateurs. DEUG et DUT, DEUST et maîtrise, DESS et DEA, DSB et INTD, tout l'arsenal des filières et diplômes, des plus légitimes aux plus novateurs, ont tour à tour fait l'objet de sessions et tables rondes qui ont, parfois, pris l'allure de véritables marathons. Debaters et assistance ont longuement dialogué, avec néanmoins des préoccupations divergentes : la question des débouchés, sous-jacente aux formations lancées sur le marché, est reparue au détour de plusieurs questions, tandis que la réforme des enseignements professionnels de bibliothèques, au niveau du CAFB et de l'ENSB, s'inscrivait implicitement en contrepoint des interventions.
L'IST en quête d'identité
Formation à l'IST : une formulation des plus floues, juxtaposant deux termes génériques, recouvrant des contenus et des approches aussi divers que les disciplines auxquelles elle s'applique. Pourquoi former à l'information, pourrait-on se demander, d'autant que les méthodes adoptées mettent souvent l'accent sur la recherche documentaire informatisée, ne s'attachant qu'au versant aval, celui du récepteur, auquel sont d'abord proposés des savoir-faire techniques, la maîtrise des instruments d'accès à l'information, avant l'information elle-même. Les cursus de formation de l'utilisateur à l'IST constituent une illustration frappante de ce cas de figure : est-ce pour cette raison qu'elle ne porte que peu de fruits auprès de ces utilisateurs qui, selon Anne Sanouillet (URFIST de Nice), ne paraissent qu'interroger assez peu les banques de données ? Ou bien s'agit-il plus simplement d'une inadéquation entre l'offre et la demande ? Quoi qu'il en soit, la formation à l'IST devrait mieux se définir et se segmenter, concluait l'oratrice ; elle devrait privilégier les actions de sensibilisation en se donnant les moyens d'une démocratisation réelle ; ainsi les dispositifs d'aide à la formation (tarifs réduits) déjà en place devraient-ils être étendus et complétés par des moyens technologiques tels que les CD-ROM.
Mais la formation à l'IST, c'est par excellence la formation des intermédiaires, futurs documentalistes, futurs bibliothécaires, futurs ingénieurs, futurs concepteurs de systèmes, futurs gestionnaires, futurs chercheurs, futurs informaticiens, futurs « informatistes » ou, si l'on préfère, futurs informateurs. Les termes n'ont pas manqué pour désigner les catéchumènes de l'IST ; leur abondance est des plus révélatrices et témoigne bien de l'imprécision du marché de l'emploi qui est loin d'avoir trouvé son profil définitif. Néanmoins, leur distribution montre bien où se situent les lignes de force des stratégies mises en oeuvre ; la formation « classique » des bibliothécaires et professionnels du livre, bien qu'en passe de s'affranchir des labels de la professionnalité et de la reproduction, reste l'un des pôles de l'enseignement, mais dans la hiérarchie implicite - sinon avouée -, il se situe aux antipodes des formations résolument hi-tech offertes sur le marché de l'information. Serait-ce la raison pour laquelle le colloque a paru quelque peu boudé par la large majorité des centres CAFB qui, pour être concernés de très près par la formation universitaire, se sont, à l'exception du centre de Paris, contentés d'assister en spectateurs aux débats sur la formation à l'IST ?
Vivement demain
Mais qu'est ce que l'IST ? On peut dire que tout le colloque aura tourné autour de cette question. Pour les uns, le terme d'IST renvoie aux disciplines « scientifiques », c'est-à-dire aux sciences « exactes » ou « dures » ; pour les autres, au contraire, le terme d'information est le seul véritablement significatif, d'autant plus que les études sur l'évolution du marché en ligne montrent bien que c'est l'information grand public qui est appelée à se développer, le secteur de l'information bibliographique marquant un certain ralentissement. En fait, cette dichotomie n'est pas (n'est plus) pertinente, la seule information véritablement prégnante étant l'information « adaptée », mixant citations, références bibliographiques, informations textuelle, numérique et factuelle et, à terme de l'image. L'avenir de l'information passe par la télématique, mais aussi par le multi-média qui, à son tour, infléchira les technologies actuelles vers d'autres, plus ciblées, câble ou disque optique numérique, en attendant la fibre optique. Une évolution qui pourrait ouvrir de nouveaux créneaux aux intermédiaires notait Brigitte Guyot: ceux-ci interviendraient moins sur les contenus que sur les méthodes, les voies d'accès, la structuration, la mise en conformité avec les besoins des utilisateurs.
Marketing et communication esquissent donc un troisième pôle pour les professions de l'information, tant au niveau des formations moyennes que des formations supérieures ; sur ce canevas d'analyse prospective sont intervenues des broderies multiples , évaluateur « ratiologue » évoqué par Gérard Losfeld (Lille III), gestionnaire invoqué par Jacques Keriguy présentant la réforme de l'ENSSIB (Ecole nationale supérieure des sciences de l'information et des bibliothèques), concepteur de systèmes brossé par Roland Ducasse (Bordeaux III), l'intermédiaire de demain n'aura plus grand chose de commun avec celui qu'on rencontrait en foule dans les couloirs de l'ENSB.
Trop plein ou vacuum ?
En attendant demain, les formateurs se trouvent dans une situation difficile. Difficultés au niveau des débouchés sans doute, mais aussi difficultés d'ordre pédagogique liées à la contradiction inhérente au rôle et aux compétences même du médiateur : comment faire dialoguer des interrogateurs généralistes, de formation littéraire, avec des clients-utilisateurs scientifiques poursuivant un objectif technique ? A Bordeaux, cette confrontation a été au centre de la démarche pédagogique d'Anne-Marie Blanquet, qui en dresse le bilan en termes de souplesse, d'adaptation et d'ouverture. Au niveau des diplômes d'enseignement moyen supérieur, mises à part quelques exceptions notables (en particulier le Centre de recherche et de documentation bibliographiques de Lille III et l'Université de Franche-Comté présentée par Gilbert Varet), le schéma de recrutement le plus courant privilégie plus ou moins ouvertement les sciences exactes, ramant à l'encontre de la sociologie universitaire.
Curieusement, la cote plus ou moins bien taillée au niveau des DESS délivrés par des filières en sciences humaines ou sociales apparaît inadéquate dans le cadre d'enseignements en sciences exactes ; en effet, le choix de telles filières pose la question même de leur reconnaissance et de leur légitimation, de leur intégration à part entière dans le cursus scientifique et, en bref, de la rentabilité des diplômes. Comme le soulignait William Turner (Paris VII), une des difficultés majeures, au niveau recherche, consiste, pour le moment, en l'insuffisance de vocations... La sclérose du CNRS et autres grandes institutions qui n'ont pas encore conféré de statut aux sciences de l'information a été commentée en termes plus qu'éloquents.
Les pieds englués dans la formation des « mauvais » intermédiaires - ceux dont l'image reste entachée de poussière, de boîtes à fiches et de manches de lustrine, comme on a pu le dire avec un zeste de provocation -, mais l'oeil fixé sur la ligne bleue des derricks du pétrole gris, la formation à l'information doit gagner sur un double front : la formation est en quête d'un statut ; l'information est en quête d'épistémologie.
Interdisciplinarité, identité, imagination
Ce second objectif avait, d'entrée de jeu, été explicité par Francis Jacques, dont l'exposé portait sur l'interdisciplinarité et l'IST. Dépasser les approches purement techniques (bibliographiques), purement technologiques (télématiques et informatiques) pour rattacher l'information aux conditions de production qui l'ont constituée. Sociologie, histoire, sémantique, psychologie, sémiotique, droit et technique tissent le filet où s'insère l'information, trop souvent envisagée comme une donnée brute, manipulée et négociée sans qu'on se pose la question de sa qualité. Et l'énoncé le plus objectif, le plus « scientifique » qui soit, la loi de la pesanteur, renvoie à un ensemble de recherches interdisciplinaires, de la physique à l'histoire des sciences en passant par la logique, l'histoire, les mathématiques et la philosophie... Interdisciplinarité n'équivaut pas à juxtaposition ; et toute approche qui se veut réellement interdisciplinaire procédera d'abord par une réflexion sur l'articulation théorique et méthodologique des disciplines en présence. Des rapprochements entre discipline théorique (linguistique) et technologie (informatique) ouvrent déjà des perspectives fécondes...
Intégrer l'interdisciplinarité au niveau de la formation, replacer l'information dans un contexte multi-dimensionnel. L'imagination est appelée à prendre la parole et il s'agit moins de reproduire que d'inventer ; ce qui n'exclut pas de regarder du côté de l'étranger - en l'occurrence l'Amérique et l'Allemagne, présentées respectivement par T. Saracevic et R. Kuhlen. Accès à l'information, traitement de l'information, conception et production de systèmes, étude du contexte social, économique et juridique de l'information forment la charpente des filières de formation ; autrement dit, les sciences de l'information paraissent avoir droit de cité hors de nos frontières, mais cela ne signifie pas qu'elles puissent être un jour présidentiables et la dialectique library schools/information science n'a pas fini de connaître des rebondissements... L'opposition entre les deux parties, on s'en doute, sera arbitrée par le marché de l'emploi - une situation prévisible en définitive et dont les organisateurs ont tiré la conclusion logique en prévoyant un forum employeurs-enseignants pour l'année suivante *. Cette fois, on travaillera moins en séances plénières qu'en ateliers et les employeurs seront conviés à exprimer longuement leurs souhaits en la matière. La confrontation université-entreprise donnera-t-elle lieu à explosions comme a pu le faire présumer l'intervention en forme de pavé dans la mare d'un broker chef d'entreprise, ou donnera-t-elle lieu à un dialogue de sourds ? Elle ne saurait être en tout cas que salutaire, tant pour l'image de marque que pour la définition de professions très faiblement constituées. Rendez-vous a donc été pris pour les 10 et 11 décembre 1987 au Conservatoire national des arts et métiers ; on peut déjà bloquer sa fin de semaine sur l'agenda.