TRAFIC

Le modèle de Morse à la Bibliothèque municipale d'Autun

Simon Cane

Présentation d'une enquête sur la circulation des ouvrages de la salle de prêt pour adultes de la bibliothèque municipale d'Autun, à partir de la méthode de Philip M. Morse. Un modèle mathématique permet d'analyser le vieillissement des fonds et d'évaluer la politique d'acquisition. Il fournit des prévisions sur l'évolution des prêts selon les décisions prises (retrait en magasin des ouvrages inactifs, achats supplémentaires).

Presentation of an enquiry held on book circulation in the adults lending room of the municipal library in Autun. Ageing and acquisition policies can be studied through a mathematical model which also gives estimates on the circulation development according to the various decisions (relegation programmes, additional purchases).

La méthode de Morse 1 est une technique de micro-évaluation. Elle mesure une des activités les plus importantes des bibliothèques, le prêt des ouvrages, et donne des indications sur l'ensemble de la circulation des volumes par catégorie étudiée. Elle permet d'évaluer l'efficacité de la politique d'acquisition, de déterminer l'utilité d'un exemplaire supplémentaire des titres qui ont le plus de succès et la politique à tenir vis-à-vis des livres dont la circulation est la plus faible.

Bien que le modèle de Morse (cf. encadré) soit d'une approche théorique relativement complexe, on ne se heurte pas à des difficultés majeures si l'on se limite à la simple application de la méthode telle qu'elle est exposée dans Measures of library effectiveness 2. C'est ce qui a été fait par le groupe de travail du CEGEPS 3 sur l'évaluation des bibliothèques, qui a analysé le fonds de psychologie de la bibliothèque du collège de Maisonneuve au Canada. La même méthode a été appliquée, à Autun, à l'ensemble du fonds de prêt pour adultes 4.

Cette étude montre que l'on peut utiliser la méthode sans connaissance préalable, pratique ou théorique, des statistiques. Elle permet d'observer les difficultés du parcours et de comparer l'intérêt des résultats obtenus aux efforts de mise en œuvre du modèle. Elle permet enfin de discuter de la pertinence, dans le cadre d'une bibliothèque de lecture publique, des recommandations de Morse pour tenir compte des résultats obtenus. En effet, son modèle a été élaboré à partir d'une bibliothèque d'étude et de recherche, celle du Massachusetts institute of technology, bien qu'il soit applicable à toutes les bibliothèques, et il s'agit là d'une adaptation à un contexte bien différent.

L'enquête

L'enquête a été menée dans la salle de prêt des livres pour adultes de la bibliothèque centrale d'Autun. Cet endroit a été choisi pour des raisons de commodité : accessibilité 6 jours par semaine et utilisation d'un système de prêt compatible avec cette étude (Newark).

La bibliothèque d'Autun comprend une centrale, située dans la mairie au coeur de la ville, et deux annexes aux heures d'ouverture plus restreintes et aux collections plus réduites. La salle de prêt pour adultes a accueilli 2 988 lecteurs inscrits en 1985 (2 785 en 1984). Le nombre de prêts s'élève à 52 000 (la moitié du total des prêts effectués par l'ensemble de la bibliothèque municipale d'Autun) pour les monographies qui font l'objet de notre étude, les périodiques en étant exclus. Bien que cette salle ait été agrandie et réaménagée en 1983-1984, le fonds de 20 000 volumes en libre accès y est un peu à l'étroit. Les lecteurs viennent d'Autun, ville de 20 000 habitants, et des campagnes environnantes (environ 20 % des lecteurs ne viennent pas de la commune).

L'inscription et le prêt sont gratuits.

Sans l'informatique, il est impossible de collecter les données sur la totalité des volumes d'un fonds, même relativement peu important. Il faut donc effectuer un sondage. Pour préparer ce sondage, il est nécessaire de choisir les différentes catégories entre lesquelles les ouvrages seront répartis, et de fixer le nombre d'ouvrages que l'on consultera pour chaque catégorie.

Si l'on avait considéré la totalité du fonds de prêt adultes de la bibliothèque comme un ensemble indivisible, on aurait obtenu des résultats inexploitables. Il était possible d'opérer une simple distinction entre « romans » et « documentaires », mais il fallait affiner l'analyse, sans cependant fractionner exagérément le fonds, car la méthode de Morse, du fait qu'elle étudie des processus stochastiques, n'est valable que si les quantités examinées sont suffisamment grandes (plusieurs centaines).

La typologie qui a été choisie a été imposée par les circonstances (délais réduits, taille du fonds, système de prêt utilisé). Elle est peu satisfaisante: il aurait fallu plus de catégories et ne pas se contenter même des 10 classes Dewey.

Huit groupes ont été créés :
- généralités (000 à 099 de la classification Dewey);
- sciences humaines et sociales (100 à 499);
- sciences exactes et appliquées (500 à 699);
- arts, loisirs et sports (700 à 799);
- littérature, sauf romans et nouvelles (800 à 899);
- histoire et géographie (900 à 999);
- romans (y compris romans policiers);
- bandes dessinées (l'étude de cette catégorie n'a pu être menée à bien).

C'est dans ce cadre statistique que l'échantillon du sondage a été constitué. La précision des données d'un sondage dépend plus de la taille de l'échantillon que de la proportion de volumes consultés. Il était souhaitable d'examiner plus de 300 volumes dans chaque catégorie 5.

La transcription des données brutes recueillies, puis la série de calculs à effectuer sont des opérations minutieuses et assez longues. Un ordinateur les faciliterait grandement, mais n'est pas indispensable. Nous n'en disposions pas. Le détail des calculs pour une catégorie d'ouvrages, la classe 700, est présenté en fin d'article. L'ensemble des résultats est rassemblé dans un tableau récapitulatif.

Il est évident que les résultats résumés dans ce tableau synthétique ne sont exempts ni d'erreurs ni d'imprécisions. Les secondes sont dues à la nécessité d'examiner un échantillon au lieu de l'ensemble du fonds. Les premières proviennent essentiellement des conditions de l'enquête et surtout des difficultés rencontrées dans la recherche des données concernant les livres empruntés.

Néanmoins, la précision des résultats obtenus est largement suffisante pour qu'ils soient utilisables : l'écart par rapport aux statistiques de la bibliothèque est inférieur à 1/6 pour les moins bons résultats. La méthode de Morse n'exige pas des données d'une plus grande fiabilité. Les indications qu'elle fournit permettent de mener une politique globale, pas de prendre une décision sur un volume particulier.

L'analyse des résultats ne portera donc pas sur des nuances ou des différences de détail. Elle se veut une réflexion sur les phénomènes les plus évidents et sur les disparités les plus nettes; celle-ci devrait malgré tout offrir de nombreux enseignements.

Analyse des résultats

Au premier abord, la proportion d'ouvrages inactifs peut étonner, et les taux de rotation paraissent relativement bas : cela s'explique par la taille du fonds, qui est relativement grande par rapport à la population desservie. Une étude plus attentive permet de distinguer trois catégories « moyennes », dont le taux de rotation est aux alentours de 2 et la proportion d'ouvrages inactifs d'environ 30 % : les sciences humaines et sociales, les arts et loisirs, l'histoire et la géographie. Les sciences et techniques, catégorie composée en grande partie d'ouvrages de vie pratique, ont un taux de rotation à peine supérieur, mais les ouvrages inactifs y sont moins nombreux. Les romans ont un taux de rotation et une proportion de volumes actifs bien supérieurs, mais l'importance de la proportion de volumes inactifs reste toutefois étonnante. Enfin deux catégories posent un réel problème avec un taux de rotation très faible et une proportion d'ouvrages inactifs qui avoisine la moitié : la littérature et les généralités.

Evaluation des acquisitions

La circulation moyenne des nouveautés et leur proportion de volumes actifs durant la même année constituent des indicateurs de la politique d'acquisition. Il ne faut toutefois pas accorder une valeur absolue à ces chiffres dans la mesure où les volumes acquis en 1985 n'ont pas été disponibles pendant toute l'année. On peut envisager plusieurs séries de comparaisons.

- Comparaisons entre les différentes catégories d'ouvrages. Une telle série de comparaisons est pertinente en ce qui concerne le pourcentage des volumes inactifs : en effet on peut considérer que toute acquisition qui ne sort pas pendant la première ou même la seconde année suivant sa mise en circulation est une mauvaise acquisition, du moins, du strict point de vue du prêt.

En revanche, une comparaison entre la circulation moyenne des nouveautés de chaque catégorie serait sans objet, car cette donnée dépend davantage des caractéristiques des catégories que de l'efficacité des acquisitions.

- Comparaisons avec l'ensemble des volumes de la catégorle. La comparaison du comportement des nouveautés et du comportement de l'ensemble des volumes est riche d'enseignements lorsqu'elle porte sur la proportion des ouvrages inactifs.

Si l'on s'en tient à la différence entre la circulation moyenne des nouveautés et celle de l'ensemble des volumes, cela revient à considérer que les acquisitions dans les catégories où la circulation moyenne de l'ensemble des ouvrages est la plus forte, sont les meilleures. Si l'on transforme cette différence en pourcentage, on obtient un indicateur plus satisfaisant mais insuffisant tout de même : c'est en acquérant surtout des ouvrages au succès rapide et fugace, des livres promus par les médias mais rapidement obsolètes, par exemple, qu'on obtiendrait les résultats les plus flatteurs. La méthode de Morse nous permet de compenser cela en rapprochant les chiffres obtenus d'un indicateur de la rapidité d'obsolescence des ouvrages : β . « Si β n'est guère inférieur à l'unité, la circulation moyenne pendant l'année t ne sera guère inférieure à ce qu'elle était l'année précédente ; mais si β; est très inférieur à 1, la circulation moyenne des livres va chuter considérablement pendant les premières années de leur présence sur les rayons 6 ».

- Comparaison entre les résultats de différentes bibliothèques. Une telle comparaison serait sans doute intéressante si elle était menée en dehors de toute perspective de compétition.

Quoi qu'il en soit, nous avons dû nous contenter d'appliquer les deux premiers types de comparaison.

Part des volumes inactifs

Toute étude sur la part des volumes inactifs dans les nouveautés doit tenir compte du fait, déjà mentionné, que parmi les volumes étudiés figurent des ouvrages acquis très récemment. Dans ces conditions, le résultat obtenu pour les romans paraît pratiquement parfait : à moins de n'acheter que des romans de consommation courante et de cesser les achats à la fin octobre, il n'est guère possible de mieux faire. De même, les résultats obtenus pour les sciences sociales et humaines (100-400) et pour les sciences et techniques (500-600) paraissent très bons, tandis que les acquisitions en littérature et surtout dans la classe 000 sont très problématiques.

La comparaison avec la part de volumes inactifs de l'ensemble de chaque catégorie permet de nuancer ces appréciations. Il apparaît alors que les résultats obtenus pour les sciences et techniques sont plus voisins de ceux des 700 et des 900: la part des inactifs parmi les nouveautés est d'environ un tiers de ce qu'elle est dans l'ensemble de ces catégories. Ceci valorise d'autant plus la pertinence des acquisitions en sciences sociales et humaines. Au contraire, les problèmes observés dans l'étude du comportement d'ensemble des catégories 000 et 800 se retrouvent au niveau des acquisitions, surtout pour les généralités.

Circulation moyenne des nouveautés

Le tableau ci-dessous fait la synthèse des données nécessaires à l'examen des différences entre la circulation moyenne des nouveautés et celle de l'ensemble des volumes de la classe correspondante, en liaison avec β.

De quelque manière qu'on les considère les chiffres montrent que les acquisitions sont nettement moins efficaces pour les 000 que pour le reste : non seulement, les nouveautés ne sortent que 27 % de plus que la moyenne des volumes de la classe (la moins active du fonds), mais de plus, la baisse de popularité des nouveaux volumes est particulièrement rapide.

L'appréciation sur les acquisitions en matière de littérature doit être plus nuancée. La popularité moyenne des nouveaux volumes est de 60 % supérieure à celle des autres; quant à la baisse de popularité rapide des volumes de cette classe, on ne peut la mettre sur le compte du défaut de pertinence des acquisitions, β ne peut être utilisé que comme donnée secondaire et il serait dangereux d'en faire un critère de pertinence de la politique de constitution des fonds, car le propre des fonds de lecture publique est justement de se démoder.

Pour ce qui est des romans, les nouveautés sortent en moyenne près de 50 % de plus que l'ensemble du fonds de romans. Ce chiffre n'est pas extraordinaire, mais le β relativement élevé indique que les bibliothécaires évitent d'acquérir des livres au succès trop éphémère.

Il ne paraît pas y avoir de point particulier à noter concernant les autres catégories, si ce n'est l'efficacité remarquable des acquisitions en sciences sociales et humaines, et en 500-600.

Evaluation d'ensemble des acquisitions

Le rapprochement des données concernant la part des volumes inactifs et la circulation moyenne des nouveautés montre que les acquisitions sont particulièrement pertinentes dans trois secteurs :
- celui des romans, où pratiquement toutes les acquisitions sont actives dans les deux premières années et où la baisse de popularité des acquisitions récentes est lente;
- celui des 500-600, où la part de nouveaux inactifs est faible et où la rotation des nouvelles acquisitions est nettement supérieure à celle des anciens volumes;
- celui des sciences humaines et sociales à propos desquelles on peut faire les mêmes constatations, et où la popularité des volumes récemment acquis se maintient presque aussi bien que celle des romans.

Dans deux catégories, les acquisitions posent problème à des degrés divers :
- les acquisitions de généralités, constituées essentiellement de « Que sais-je ? » qui arrivent en office et qui sont systématiquement retenus par la bibliothèque, ne donnent satisfaction d'aucun point de vue, du moins dans le cadre d'une politique de prêt;
- les acquisitions en littérature, sortent beaucoup plus que la moyenne de la catégorie, mais leur taux de rotation reste faible comparé à celui des autres catégories, et surtout, la part de nouveautés qui reste inactive est très élevée : plus du quart des volumes acquis depuis 1984 n'est pas sorti en 1985 !

Achat d'un exemplaire supplémentaire

Lorsqu'un livre a beaucoup de succès, qu'il est toujours sorti, faut-il acheter un exemplaire supplémentaire pour satisfaire les usagers qui le cherchent et sont déçus parce que le livre est déjà sorti ? A cette question d'un intérêt plus immédiat que les problèmes soulevés précédemment, la méthode de Morse donne un élément de réponse : Rd. Cependant, l'importance à accorder à Rd doit être discutée.

Tout d'abord, Rd est valable pour un nouvel exemplaire mis en rayon un an après le premier. Si le second exemplaire est mis en rayon en même temps que le premier, il rendra bien plus de services, puisqu'en moyenne la demande pour un ouvrage décroît avec le temps. Morse conseille donc de repérer aussi vite que possible les ouvrages à gros succès et d'extrapoler leur taux de rotation prévisible, par exemple, au bout de 4 ou 6 mois de présence sur les rayons, afin d'acheter l'exemplaire supplémentaire le plus tôt possible.

D'autre part, on peut se demander quelle grandeur doit atteindre Rd pour que l'achat de l'exemplaire supplémentaire soit intéressant. Morse propose deux solutions :
- acheter un exemplaire supplémentaire quand Rd est supérieur à 10 fois la circulation moyenne des nouveaux livres: dans ces conditions, la contribution au prêt de l'exemplaire supplémentaire sera supérieure à la contribution moyenne d'un nouvel autre livre.
- acheter un exemplaire supplémentaire quand Rd est supérieur à 10 fois la circulation moyenne de l'ensemble des livres : ainsi, la contribution au prêt de l'exemplaire supplémentaire sera supérieure, sur 10 ans, à la contribution moyenne des livres déjà en rayon.

La deuxième solution nous paraît préférable car, du fait de la diminution de la popularité des livres avec le temps, la circulation de l'exemplaire supplémentaire devrait être supérieure à Rd/10 pendant les premières années de sa présence sur les rayons, puis devenir inférieure au bout d'un certain temps (si son comportement est moyen).

Il faut se demander également si la référence doit être l'ensemble de la bibliothèque de prêt ou seulement la catégorie à laquelle appartient le livre en question.

Enfin, il ne faut pas oublier qu'il est possible que le bibliothécaire sache que tel ou tel ouvrage aura un comportement différent de la moyenne : Rd devient alors une référence utile pour la prise de décision mais non l'élément décisif.

Dans le cadre de cette étude, Rd a été calculé pour les livres ayant eu le plus de succès dans chaque catégorie.

L'éventualité de l'achat d'un exemplaire supplémentaire des titres ayant eu le plus fort succès parmi les 000, les 700, les 800 et les 900 n'est même pas à envisager. La question est plus ardue pour les trois autres catégories : de telles valeurs de R (1) n'ont pu être atteintes que parce que la durée moyenne des prêts a été inférieure à la moyenne de la catégorie.

Dans le cas de l'ouvrage de la catégorie 5-600 sorti 17 fois, l'opportunité d'acheter un exemplaire supplémentaire n'apparaît pas, car Rd/10 = 1,516, ce qui est inférieur à la circulation moyenne de l'ensemble des livres de la salle étudiée (voisine de 2,5, bandes dessinées exclues) comme de la circulation moyenne des livres de la catégorie. L'ouvrage des 100 à 400 sorti 14 fois est dans le même cas. Cependant, la valeur de Rd/ 10 est relativement proche des valeurs-limites justifiant l'achat d'un exemplaire supplémentaire, et la nature particulière du livre en question peut modifier la décision : s'il s'agit d'un livre sur la situation politique, par exemple, on peut penser qu'il sera rapidement obsolète, et l'achat ne se justifiera pas. S'il s'agit d'un livre sur la drogue ou la psychologie de l'enfant, on peut penser au contraire que son succès perdurera et que l'achat d'un exemplaire de plus est justifié.

On peut tenir le même raisonnement pour les romans sortis 15, 16 et 18 fois 7 : si l'on compare Rd/10 à R (85) pour la catégorie des romans, l'achat d'un exemplaire supplémentaire ne se justifie pas. Si l'on fait la comparaison avec le taux de rotation moyen de l'ensemble des ouvrages de prêt de la salle, l'achat est amplement justifié. La décision peut donc dépendre de la nature même de l'ouvrage: on n'achètera pas d'exemplaire supplémentaire du prix Goncourt de l'année, même s'il est sorti plus de 15 fois 8. En revanche, s'il s'agit d'un roman dont on peut penser que le succès durera, on achètera un deuxième exemplaire.

Retrait ou mise en magasin des volumes inactifs

Le calcul des effets de la mise en magasin des volumes inactifs s'appuie sur le fait que l'α et le β de la partie active d'une collection de livres sont très voisins de ceux de la partie inactive. Nous sommes moins certains de la validité, en lecture publique, d'un autre présupposé de Morse : la mise en magasin d'une collection réduit son α aux 2/3 de sa valeur lorsque la collection est en libre accès. Cependant, acceptons pour le moment cette assertion que l'on discutera par la suite.

La méthode de Morse montre tout a l'intérêt qu'il peut y avoir à déplacer les volumes inactifs, voire à les pilonner. Le gain de place serait hors de proportion avec la diminution des prêts qui en résulterait. Une mesure aussi radicale que la mise au pilon de l'ensemble des volumes inactifs ne paraît toutefois envisageable que pour les romans.

La mise en magasin des volumes inactifs paraît envisageable pour les 900 et les 700, de même que pour les romans; elle paraît même recommandable pour les 100-400 et pour les 500-600.

L'avantage de ces mesures réside dans un gain de place : gain total dans le cas d'un retrait définitif des volumes, gain partiel mais très important dans le cas d'une mise en magasin. Le magasin demande un aménagement et un entretien moins coûteux que les salles en libre accès, il contient beaucoup plus de volumes par m2. La salle où l'étude a été faite n'est pas trop grande et ce gain de place pourrait permettre un meilleur confort des usagers et une meilleure mise en valeur du fonds, ce qui permettrait peut-être d'augmenter le nombre de prêts, plus que les déplacements ou les retraits de volumes envisagés ne le feraient baisser. D'autant plus qu'en lecture publique, de nombreux lecteurs viennent sans idée préconçue et choisissent leurs livres en flânant dans les rayons : il n'est pas certain qu'ils emprunteraient moins si leur choix était un peu plus limité.

Cependant, à Autun où la bibliothèque est située dans la mairie et où elle possède déjà des magasins entièrement remplis de livres anciens et précieux, la création de nouveaux magasins pour la lecture publique serait difficile. D'autre part, la recherche des volumes demandés en magasin nécessiterait du personnel, qui y fait déjà cruellement défaut. L'alternative est donc le maintien des collections telles quelles ou la mise au pilon de certains volumes. Pour désengorger certains rayons, la bibliothécaire a décidé de procéder à un désherbage éliminant les livres qui n'étaient pas sortis depuis plus de deux ans et qui ne semblaient pas présenter un intérêt intellectuel particulier. Il est possible, en adaptant la méthode de Morse, de connaître le taux de rotation prévisible d'ouvrages inactifs depuis n années, en faisant porter les relevés sur une période de n + 1 années; on pourrait ainsi calculer les effets prévisibles de tels désherbages, sans tenir compte du deuxième critère de sélection employé, qui n'est pas encore mesurable statistiquement !

Quelques propositions

Les généralités 000

Dans cette catégorie, c'est essentiellement le comportement des « Que sais-je ? » qui a déterminé les résultats obtenus. Ce sont des ouvrages au taux de rotation très faible; la proportion d'inactifs parmi eux est énorme, et β est très bas, ce qui signifie que les nouveaux volumes perdent très vite leur popularité, tandis que le taux de rotation des plus anciens est voisin de 0,5.

La politique de la bibliothèque était jusqu'ici d'acquérir tous les « Que sais-je ? » qui paraissent, dans le but d'avoir un recours pour toutes les demandes documentaires non couvertes par d'autres livres de la bibliothèque. Du point de vue du prêt, cette politique s'avère désastreuse, mais il est vraisemblable que cette collection satisfait un certain nombre de demandes pour la consultation sur place. Le fait que cette série convient à des demandes liées à une recherche momentanée et particulière, est attesté par la durée moyenne d'un prêt, très inférieure à celle des autres catégories (25 jours 1/2).

On peut envisager plusieurs solutions au mauvais comportement des 000 concernant le prêt :
- la répartition des « Que sais-je ? » entre les différentes classes Dewey, suivant le sujet de chaque monographie; cela dissimulerait le problème, mais ne le résoudrait sans doute pas.
- le déplacement des rayons. Les « Que sais-je ? » sont actuellement rangés sur un tourniquet dans la salle de prêt, à proximité des romans et pratiquement à l'opposé de l'entrée de la salle d'étude. Ce n'est pas pratique pour les consultations sur place et c'est un handicap pour les prêts, car « Que sais-je ? » et romans répondent à des besoins très éloignés, et quelqu'un qui cherche un document sur un sujet précis en furetant dans les rayons n'aura pas toujours l'idée d'aller chercher dans les « Que sais-je ? ». Rapprocher les « Que sais-je ? » des autres documentaires les rapprocherait en même temps de la salle d'étude, mais cela suppose une réorganisation des rayons, difficile en raison de la place limitée;
- de nouvelles acquisitions. La politique d'acquisition systématique des « Que sais-je ? » a pour but de posséder l'ensemble de la collection. Mais au fur et à mesure que la collection se développe, ce sont des titres de plus en plus pointus, et donc ayant de moins en moins de chances de trouver un public important, qui paraissent ; au contraire, les premiers numéros, souvent démodés ont pu faire l'objet de nouvelles éditions. D'autre part, bon nombre d'entre eux ont disparu de la bibliothèque (qui sans cela posséderait plus de 2 200 titres en généralités). Même si l'on poursuit la politique d'acquisition systématique, il convient de la compléter par des acquisitions rétrospectives.

Les 100-400

Cette catégorie très hétérogène (sciences sociales et humaines y compris la philosophie, la psychologie et les religions) jouit d'une faveur grandissante de la part du public et on le remarque au fait que, sans nouvelles acquisitions, le taux de rotation resterait stable (ou augmenterait légèrement, l'imprécision des données ne permet pas de trancher). Ce public de plus en plus large bénéficie d'un fonds important dans tous les domaines et d'acquisitions particulièrement efficaces.

Cependant, devant la diversité des livres de cette catégorie, on peut souhaiter compléter les données par des statistiques portant sur des sous-ensembles plus homogènes.

Les 500-600

La principale différence entre le comportement de cette catégorie (sciences et techniques y compris les « livres pratiques ») et celui de la précédente est que la proportion de livres inactifs y est moindre; c'est le signe ici d'un fonds plus récent. D'autre part, la baisse de popularité des ouvrages est plus rapide, mais est moins élevée, ce qui signifie que les plus anciens volumes de la collection continuent à sortir beaucoup. C'est peut-être l'indice que les livres de la catégorie répondent à un besoin documentaire persistant, même s'ils ne suscitent parfois un intérêt véritable que chez un public relativement restreint.

Quoi qu'il en soit, les acquisitions très efficaces qui sont faites sont une nécessité sans laquelle le taux de rotation baisserait assez vite.

Les 800 (littérature)

Il s'agit de la deuxième catégorie « malade ». Les volumes inactifs représentent près de la moitié de la collection, et le nombre moyen de prêts par exemplaire est à peine supérieur à 1. De plus, le β faible montre que les volumes récents perdent vite leur popularité, et l'α est le plus faible de toutes les catégories, ce qui signifie que les volumes anciens (et ils le deviennent très vite), sortent peu.

Dans ces conditions, c'est l'efficacité des acquisitions qui empêche la catégorie de voir ses prêts chuter au niveau des « Que sais-je ? ». D'ailleurs, si les collections restaient inchangées à l'horizon 1990, leurs taux de rotation seraient comparables : 0,8 pour les 800, 0,79 pour les 000. Cependant, cette efficacité des acquisitions est, on l'a vu, de courte durée.

Cette situation est surprenante dans la mesure où il nous semblait précisément que la littérature, les « classiques » se démodaient peu et qu'un fonds peu renouvelé suffisait à entretenir un certain taux de rotation. Ce n'est pas le cas, bien que les chiffres montrent que l'élagage ou la mise en réserve des livres inactifs seraient inopportuns. Il faut donc chercher ailleurs une explication si l'on souhaite trouver un remède. Dans ce cas donc, la méthode a permis d'affiner le diagnostic, mais pas de pousser plus loin.

Une analyse du contenu du fonds et de ses lecteurs potentiels montre que les 800 n'ont une valeur documentaire que pour une faible proportion des usagers: les professeurs de français et les élèves des lycées d'Autun. Pour les autres, littérature, poésie, théâtre, humour, journaux et mémoires littéraires sont de l'ordre du plaisir et non de la documentation; de ce fait, ils s'intéressent peu à la critique littéraire qui est également présente dans les 800. Or l'organisation de la bibliothèque fait que les lecteurs cherchant un ouvrage pour le plaisir rencontreront d'abord les romans, puis des livres de sciences humaines, et de sciences et techniques, avant d'en arriver à l'art et enfin aux 800. Dans ces conditions, les spécialistes de la littérature seront trop souvent les seuls à chercher leur bonheur dans les 800 qui pourraient peut-être trouver un public plus large, s'ils étaient situés à proximité des romans, plus près de l'entrée de la bibliothèque. Par ailleurs, s'il y avait une place suffisante pour développer la mise en valeur des fonds dans la salle de prêt, il serait vraisemblablement possible d'utiliser la P L P (promotion sur le lieu de prêt) pour permettre à ce fonds de rencontrer un public plus vaste.

Bien évidemment, de tels bouleversements des rayons sont très difficilement réalisables, surtout dans une salle où pour l'instant il n'existe pas de place vacante.

Les 900

Dans l'ensemble, les 900 ont un comportement très voisin des 700. Cependant, β y est très faible, c'est-à-dire que le vieillissement des livres, du point du vue de leur popularité, est rapide. Ceci est compensé par une plus grande proportion d'acquisitions: les nouveautés représentent près de 17 % des fonds, contre moins de 16 % dans les 700, et de 13 à 14 % pour les autres catégories. Cette caractéristique est d'autant plus frappante que les 900 sont une classe très fournie : il y a deux fois plus de volumes que dans les 700 ou dans les 500 et 600 réunis, par exemple. C'est là que le désherbage réalisé en février a été le plus indispensable; malgré cela il ne reste guère de place dans les rayons. Cependant, l'élimination des volumes inactifs ou même leur mise en magasin se traduiraient par des baisses relatives du nombre de prêts plus fortes que dans les autres catégories, 000 et 800 exceptées. La solution serait de faire sortir davantage les livres, ce qui est assez difficile, car les 900 n'occupent pas une place défavorisée : ils sont (à partir des 920) le long de murs à portée de regard et de main de tous ceux qui s'aventurent jusqu'à la troisième rangée des romans.

Les romans

Comme dans la plupart des bibliothèques publiques, c'est le type de livres qui sort le plus (bandes dessinées exceptées). Le taux de rotation relativement faible s'explique par l'importance du volume du fonds par rapport à la population desservie 9. Les acquisitions paraissent pertinentes et les livres se démodent plus lentement que ceux de n'importe quelle catégorie de documentaires ! Cependant la proportion de volumes inactifs a étonné les responsables de la bibliothèque : elle est sans doute liée à l'âge relativement avancé d'une partie du fonds.

Il semble que la mise en magasin, voire l'élimination au moins partielle de ces ouvrages inactifs, serait souhaitable : elle permettrait de gagner la place de plus de 1 000 ouvrages avec un déficit de prêts relativement faible. Une telle mesure serait bénéfique, pas tant pour les romans qui circulent bien et ne nécessitent pas d'intervention particulière que pour l'ensemble du fonds qui aurait plus de souplesse s'il avait plus de place.

Dans la mesure où la bibliothèque d'Autun disposait de très peu de données bibliométriques (seul le nombre mensuel de prêts ventilé par grandes classes Dewey et catégories propres à la bibliothèque était connu), les mesures effectuées pour l'application de la méthode de Morse ont donné un grand nombre de renseignements exploitables qui n'ont pas tous été étudiés ici.

Bien qu'on ait tenté de dégager les caractéristiques de chaque catégorie de livres en les comparant entre elles, on a privilégié l'analyse du comportement interne de chaque catégorie. Cela correspond d'ailleurs à la politique suivie par la bibliothèque qui conserve les mêmes proportions entre les différentes classes de livres, dans ses acquisitions : la proportion de nouveautés est la même dans chaque catégorie, seuls les 700 et les 900 étant légèrement favorisés; il n'y a donc pas de réorientation du fonds vers les catégories d'ouvrages qui sortent le plus.

Les données obtenues permettraient cependant de favoriser une telle politique: il faudrait augmenter les acquisitions dans les catégories où le taux de rotation et β sont les plus élevés. Au contraire, les éliminations devraient être concentrées dans les catégories où a est le plus bas. Ainsi on achèterait davantage de romans (la méthode de Morse n'est pas nécessaire pour faire une telle découverte !) et on éliminerait surtout de la littérature et des généralités. Une telle attitude permettrait sans doute d'augmenter le nombre de prêts global de la bibliothèque et le taux de rotation général des fonds. Néanmoins, elle augmenterait la frustration de certains défenseurs de la lecture publique et, auprès des jeunes, la bibliothèque perdrait l'image d'un centre de documentation générale, ce qui pourrait être une raison supplémentaire de cesser de la fréquenter lorsqu'ils seraient devenus adultes.

Quoi qu'il en soit, si une nouvelle répartition des acquisitions est jugée nécessaire, dans le cas, par exemple, où la méthode de Morse a montré leur inefficacité, des données relatives à des catégories statistiques plus étroites sont préférables.

La méthode de Morse en lecture publique

Souhaitant présenter sans discontinuité l'ensemble des résultats qui avaient été obtenus à Autun, on s'est abstenu jusqu'à présent d'examiner en détail les problèmes que pose l'emploi de la méthode dans une bibliothèque de lecture publique; il convient toutefois de ne pas les négliger si l'on veut pouvoir apprécier ses résultats à leur juste valeur.

La méthode de Morse est valable pour n'importe quelle bibliothèque, ainsi que Morse lui-même l'indique nettement 10: « Notons que les modèles eux-mêmes, les formules et/ou les auxiliaires graphiques pour la résolution des équations montrés dans les figures sont les mêmes pour toutes les bibliothèques (dans la mesure de l'approximation inhérente à tout modèle statistique), mais les valeurs particulières des constantes sont différentes d'une bibliothèque à l'autre et d'une catégorie d'ouvrages à l'autre ». Cependant, dans le cadre d'une bibliothèque de lecture publique, son application pose trois problèmes à la fois théoriques et pratiques :

Trop de sorties

Il peut être difficile de calculer R0(t), R1(t), R2(t), R3(t) et R4(t) pour les catégories de livres qui ont un fort taux de rotation, faute d'avoir trouvé un nombre suffisant de volumes ayant été empruntés 0, 1, 2, 3 et 4 fois l'avant-dernière année. Nous avons rencontré ce problème en essayant de faire l'étude des bandes dessinées; sans doute nos données portaient-elles sur un nombre très réduit de livres, mais même si nous avions pu effectuer la totalité du travail prévu sur cette catégorie, nous aurions dû calculer α et β à partir de R0, R1, R2, R3 et R4 issus de données portant sur moins d'une demi-douzaine d'ouvrages, ce qui ne paraît pas une méthode très fiable.

Deux solutions paraissent possibles : soit augmenter la taille de l'échantillon dans les catégories où le taux de rotation est particulièrement fort, ce qui reste simple, soit déterminer les valeurs de a et de β à partir de la méthode des moindres carrés 11.

... ou pas assez

Le comportement des usagers en lecture publique diffère notablement de celui des usagers universitaires, ce qui rend peut-être caducs certains calculs concernant la relégation en magasin des volumes inactifs : ils reposent sur le fait que l'a d'une collection baisserait d'1/3 lorsqu'elle est reléguée en magasin. Dans ces conditions, les ouvrages inactifs circuleraient l'année suivante en moyenne α + 0 β = α fois, s'ils étaient laissés en libre accès et seulement 2/3 α + 0 β = 2/3 α, s'ils étaient relégués en magasin.

Cependant, ce phénomène de diminution de l'a aux 2/3 de sa valeur initiale pour les livres mis en magasin dépend essentiellement du comportement de l'usager. De la part d'un usager universitaire, qui cherche souvent des livres précis et a une certaine habitude des démarches, la demande d'un ouvrage en magasin sera vraisemblablement plus fréquente que de la part d'usagers en lecture publique, qui choisissent plus volontiers leurs livres en butinant dans les rayons et consultent rarement les fichiers. Ce phénomène n'est mentionné ni par Morse ni par le groupe de travail du CEGEPS, mais leurs préoccupations portant sur les bibliothèques universitaires, il paraît opportun d'effectuer un test en bibliothèque publique avant toute décision importante.

Une plus grande diminution des emprunts de livres placés en magasin pourrait toutefois être compensée par une moins grande diminution des emprunts de livres laissés en rayon. En effet, le butinage étant la principale modalité du choix et les lecteurs adaptant davantage leurs emprunts à leur rythme de lecture qu'à l'offre de la bibliothèque, les emprunts non effectués sur les livres retirés des rayons seraient sans doute compensés par une plus grande circulation des livres laissés. Ainsi, les chiffres trouvés pour la diminution des emprunts en cas d'élimination des livres inactifs 12 doivent-ils, surtout dans la catégorie des romans, être considérés comme un maximum théorique.

Small is not beautiful

La définition des différentes catégories d'ouvrages est beaucoup plus difficile que dans une bibliothèque d'étude et de recherche où les livres sont répartis par discipline. Le cadre statistique que nous avons employé est loin d'être entièrement satisfaisant; toutefois une grille d'investigation assez large peut être utilisée pour l'application de la méthode de Morse, à la fois pour des raisons d'économie et pour un motif théorique. Dans le cadre d'une bibliothèque non informatisée, la collecte des données brutes nécessite un temps appréciable et proportionnel au nombre de catégories définies; de plus, des catégories trop étroites risquent de se modifier rapidement si les centres d'intérêt du public changent et si de nombreuses acquisitions les transforment. Au contraire, si les catégories sont plus larges, ces mutations se feront moins sentir et l'ensemble de l'étude ne sera à renouveler que tous les 5 ou 6 ans. Une raison théorique plus essentielle empêche l'application de la méthode à des catégories de trop petite taille : il s'agit d'une méthode stochastique 13 et, comme telle, elle n'est valable qu'appliquée à un grand nombre d'unités. Il serait ridicule d'espérer que la loi des grands nombres joue pour 32 volumes de linguistique, mais il ne serait guère plus sérieux de penser qu'elle s'appliquera à 129 biographies, par exemple, ou même à 154 livres de sport. « Une précision suffisante peut étre obtenue par l'examen de quelques centaines de livres d'une classe donnée » 14, écrit Morse. On jugera donc insuffisants les échantillons inférieurs à 300 volumes.

La définition des différentes catégories de cette grille « large », et donc différente de la grille de statistiques habituelle, pose plus ou moins de problèmes.

La plupart du temps, les bibliothèques publiques excluent une partie de leurs fonds de la classification Dewey : il s'agit des bandes dessinées, des romans et, éventuellement, des biographies. Généralement, chacune de ces catégories, individualisée par l'organisation même de la bibliothèque, regroupe un nombre suffisant d'ouvrages pour servir de base à l'application de la méthode de Morse. La question d'un regroupement se pose quand certains sous-ensembles sont séparés du reste des romans : romans policiers, romans sentimentaux, science-fiction. A Autun, seuls les romans policiers étaient séparés; nous les avons regroupés avec le reste des romans pour nous épargner l'examen de 350 ouvrages supplémentaires, mais il semble que leur comportement, dans la mesure où nous pouvons en juger, était différent de celui du gros des romans (le taux de rotation et la proportion de volumes inactifs paraissaient moins élevés).

Le cas des ouvrages intégrés dans la classification Dewey, qui représentent plus de la moitié des fonds, est plus difficile. Les 10 grandes catégories définies par le premier chiffre de la cote ont un avantage non négligeable: celui d'être inscrites dans les habitudes, bien que ce soient des habitudes « de non-conceptualisation 15 ». Des classes comme les 800, les 500 ou les 200 paraissent très homogènes. D'autres classes gagneraient à être scindées comme les 100 entre psychologie et philosophie (mais où mettre la parapsychologie qui regroupe généralement trop peu d'ouvrages pour faire une catégorie particulière ?), les 700 entre sports, loisirs, musique et arts, les 900 entre tourisme et géographie (malheureusement indissociables), biographies, histoire, par exemple. En revanche, les 400 sont généralement trop peu nombreux pour former une catégorie et devraient être regroupés avec les 300, de même que les ouvrages sur la presse dont le comportement est sans doute bien différent de celui des « Que sais-je ? » qui forment le gros bataillon des 000. Dans ces conditions, la catégorie englobant les 300 deviendrait un véritable fourre-tout, ce que la classe des 300 est déjà (de même d'ailleurs que celle des 600).

Bref, une étude in abstracto de la classification Dewey entraîne à multiplier les subdivisions. Aussi semble-t-il difficile de proposer un cadre statistique à valeur universelle : suivant leur taille, celle de leur fonds en tel ou tel domaine, suivant l'organisation de leurs rayons, suivant enfin qu'elles sont informatisées ou non, les bibliothèques auraient avantage à choisir telle ou telle grille d'investigation. Une unité du cadre statistique serait toutefois très utile dans la mesure où elle permettrait des comparaisons riches d'enseignements entre différentes bibliothèques.

Ces problèmes d'adaptation ne nous empêchent pas de considérer que l'emploi de la méthode est recommandable à des bibliothèques de lecture publique : ses avantages sont nombreux.

Des résultats bon marché

La collecte des données ne nécessite ni un temps de travail démesuré, ni des aptitudes particulières. Le traitement de ces données n'est pas particulièrement difficile non plus. L'ensemble du travail peut être évalué à deux semaines pour une personne à temps complet. Soulignons au passage que la préparation du travail, si l'emploi de la méthode est prévu au moins un an à l'avance, peut faire gagner beaucoup de temps et de précision dans les résultats; cette préparation est d'ailleurs indispensable pour les bibliothèques utilisant le système Brown ou la plupart des systèmes informatiques pour le prêt (seuls les systèmes à cartes de transaction interdisent l'emploi de la méthode).

L'application de la méthode permet à une petite bibliothèque disposant de très peu de données d'en acquérir : sans doute, seront-elles imparfaites, mais une évaluation du nombre de volumes par catégories, du taux de rotation des ouvrages, évitera de travailler à l'aveuglette, à partir de simples impressions, souvent fondées, certes, mais que des données chiffrées permettent de nuancer.

Dans ces conditions, il semble que le rapport avantage/coût peut être intéressant, d'autant plus que la méthode de Morse offre d'autres données susceptibles, elles, d'intéresser également des établissements qui disposent déjà de statistiques exploitables. Pour de telles bibliothèques, le coût de mise en oeuvre de la méthode sera relativement moindre, voire beaucoup plus faible en valeur absolue, si la bibliothèque est informatisée.

Une possibilité d'évaluer les acquisitions

Le taux de rotation des volumes acquis depuis moins de deux ans et la part de volume inactifs parmi eux sont des indications de la pertinence des acquisitions dont l'utilité est différente suivant les cas. Lorsqu'une politique systématique est suivie pour une catégorie d'ouvrages, le simple examen approfondi de ces chiffres permet d'envisager un changement de politique ou, au contraire, encourage à persévérer. Dans le cas où la catégorie étudiée n'est pas homogène, les chiffres fournis par la méthode permettent surtout de gagner du temps en portant son attention sur la ou les catégories où l'on a décelé un problème.

Avec la plupart des statistiques généralement utilisées, il est beaucoup plus difficile de savoir si le peu de succès d'une catégorie d'ouvrages provient d'une déficience des acquisitions, ou d'une cause plus générale.

Un guide sûr pour des décisions ponctuelles

Le calcul du nombre de prêts générés en 10 ans par l'achat d'un exemplaire supplémentaire pour un titre sorti n fois l'année précédente permet également d'améliorer les acquisitions, en diminuant le nombre de doubles inutiles et en évitant les frustrations de lecteurs désirant lire un ouvrage à gros succès. Un tel calcul est sans doute beaucoup plus utile pour les bibliothèques de grandes agglomérations que pour celles de petites villes comme Autun; comme l'écrit Morse, il ne s'agit que de données moyennes - « Notre aftitude peut être comparée à celle d'une compagnie d'assurance qui subit des pertes sur quelques cas, mais qui y gagne en moyenne 16 ». -, mais elles offrent une référence bien utile.

L'importance des données relatives à l'effet, sur les prêts, de la mise en magasin des volumes inactifs, est toutefois sans commune mesure. Il paraît, en effet, difficile de prendre une décision de mise en magasin sans en avoir évalué les conséquences. Pour cela, la méthode de Morse parait parfaitement indiquée, malgré la nécessité de faire des études complémentaires dans le cas des bibliothèques publiques. Au cas où l'on ne souhaiterait pas mettre en magasin tous les ouvrages inactifs l'année précédente, il est possible d'étudier le comportement des volumes inactifs pendant deux années consécutives, si l'on a relevé le nombre d'emprunts de chaque volume pendant trois ans au lieu de se contenter des données portant sur deux années.

Dans la mesure où le développement des collections, toujours nécessaire, n'est pas accompagné d'un agrandissement proportionnel des bâtiments, notamment dans les centres-villes où l'espace manque, de nombreuses bibliothèques, comme celles de la Ville de Paris, doivent envisager la mise en magasin systématique de livres de lecture publique comme seule alternative au pilonnage, c'est-à-dire à une réduction importante de l'offre au public. Pour ces bibliothèques, l'emploi de la méthode de Morse paraît s'imposer : si des études complémentaires sur le comportement du public, voire un test dans une bibliothèque pilote sont nécessaires, leur coût serait vraisemblablement très inférieur à celui de la mise au point d'une méthode originale.

Fourniture de données utiles pour une planification

La décision de mettre en magasin une partie non négligeable des collections a nécessairement des répercussions à moyen et à long terme sur le nombre de prêts (on peut calculer approximativement ces répercussions en combinant des équations plus complexes inventées par Morse) et sur l'organisation d'une bibliothèque.

La méthode de Morse permet plus simplement de prévoir les comportements moyens des volumes plusieurs années à l'avance, puisqu'α et β restent à peu près constants pendant une demi-douzaine d'années.

Limites

Ce qui précède nous semble montrer assez l'intérêt de la méthode de Morse; il faut toutefois examiner également les limites de cette technique, si l'on veut lui attribuer sa vraie place dans le management d'une bibliothèque.

Tout d'abord, la méthode ne tient pas compte de la place disponible dans la bibliothèque ni de la place nécessaire aux ouvrages de différentes catégories, qui est fonction de leur nombre total, mais aussi de leur taux de rotation. Elle permet cependant d'étudier des remèdes à un manque de place.

Le vieillissement matériel des ouvrages, et la nécessité de les remplacer lorsqu'ils ont été prêtés un certain nombre de fois, ne sont pas pris en compte non plus. Il s'agit pourtant de données aussi indispensables que celles concernant l'obsolescence des ouvrages, surtout si l'on souhaite planifier le nombre d'acquisitions. Si la méthode permet de déceler un manque d'efficacité des acquisitions, elle ne permet généralement pas de les orienter, car le cadre statistique nécessaire pour l'étude est trop large. Des statistiques plus détaillées sont donc indispensables en complément.

Enfin, la méthode ne tient pas compte du tout du coût des ouvrages : l'unité de base y est le volume. Or, ce volume peut être aussi bien un livre de poche qu'un livre d'art. Des considérations sur le coût des ouvrages permettent de relativiser les problèmes observés dans l'étude : il semblait que la politique d'acquisition systématique des « Que sais-je ? » à Autun était désastreuse. Cependant, étant donné leur faible coût unitaire et le fait qu'ils ne sont plus catalogués, ce sont au total des acquisitions très peu onéreuses, et il est vraisemblable que le nombre de francs dépensés pour un emprunt de « Que sais-je ? » est bien inférieur au coût unitaire des emprunts dans les 700.

En fait, il nous semble que ces réserves illustrent la nécessité de combiner plusieurs angles d'approche pour la gestion des bibliothèques. La méthode de Morse constitue un de ces points de vue; elle doit être complétée par d'autres, mais la possibilité qu'elle offre d'une prévision tenant compte des « phénomènes de résurgence »  17 aussi bien que de l'obsolescence des ouvrages la rend particulièrement intéressante. La relative simplicité de sa mise en oeuvre n'est pas un de ses moindres intérêts, d'autant plus que des améliorations de la méthode employée à Autun sont possibles.

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Modèle de Morse (1/2)

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Modèle de Morse (2/2)

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Tableau récapitulatif

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Différence entre la circulation moyenne des nouveautés et celle de l'ensemble des volumes

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Calculs des résultats définitifs : exemple de la catégorie 700 (1/3)

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Calculs des résultats définitifs : exemple de la catégorie 700 (2/3)

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Calculs des résultats définitifs : exemple de la catégorie 700 (3/3)

  1. (retour)↑  Philip Morris MORSE, bibliothécaire au Massachusetts Institute of Technology, a développé pendant les années 60, puis simplifié, une méthode permettant, à partir de la théorie des systèmes, d'utiliser des données bibliométriques pour la gestion des bibliothèques.
  2. (retour)↑  Philip M. MORSE, « Measures of library effectiveness », Libraryquarterly, vol. 42, n° 1, 1972, p. 15-30.
  3. (retour)↑  Fédération des CEGEPS, L'Évaluation de l'efficacité de la bibliothèque de collège : une approche systémique, Montréal, 1978, p. 169-189.
  4. (retour)↑  Cet article est extrait d'un mémoire de fin d'études ENSB 1986, Application d'une méthode de Morse à la bibliothèque publique d'Autun.
  5. (retour)↑  Pour la classe 000, on a consulté 1 volume sur 3. Pour les 100-400, 1 volume sur 6. Pour les 500-800, 1 volume sur 4. Pour les 700, 1 volume sur 4. Pour les 800, 1 volume sur 4. Pour les 900, 1 volume sur 7. Pour les romans, 1 volume sur 18.
    L'échantillon devait porter aussi bien sur les volumes empruntés que sur les volumes en rayons. Les relevés ont été effectués en janvier, février, mars et dans la première semaine d'avril 1986. Pour que ce laps de temps ne cause pas de perturbation, il a été décidé de prendre pour base l'année civile, et de faire porter l'essentiel de l'étude sur 1985.
    Chaque livre en rayon est muni d'une fiche destinée au fichier de prêt sur laquelle on inscrit successivement le numéro de la carte de chaque emprunteur, et d'un feuillet indiquant la date limite de retour. On s'est servi, dans la mesure du possible, de ce feuillet pour recueillir les données.
    Il est parfois arrivé que le feuillet ait été changé récemment. Il a été alors nécessaire de se reporter à la fiche de prêt. Cette fiche indique seulement le numéro de la carte du lecteur qui a emprunté le livre. La carte de lecteur est renouvelée tous les deux ans, le dernier renouvellement ayant eu lieu en janvier 1985. Il était donc possible de retrouver le nombre d'emprunts de chaque ouvrage en 1985, en soustrayant du nombre d'emprunts indiqués par des numéros de carte postérieurs à la date du changement, le nombre d'emprunts effectués depuis le 1er janvier 1986 indiqués, sur le feuillet collé, par des dates de retour postérieures au 20 janvier 1986.
    Quant à la reconstitution du nombre d'emprunts de l'ouvrage pour l'année 1984, elle a été plus délicate. Heureusement, la plupart des ouvrages dont le feuillet a été remplacé récemment sont des livres qui sortent beaucoup, et les données concernant les ouvrages empruntés pas plus de 4 fois, l'avant-dernière année, suffisent pour l'application de la méthode de Morse.
  6. (retour)↑  Philip M. MORSE, op. cit., p. 23.
  7. (retour)↑  En raison du grand nombre de livres au succès très fort parmi les romans, le calcul a été fait pour les trois valeurs les plus élevées de R (1). Si R (1) = 15, Rd = 26,95, si R (1) = 16, Rd = 29,76, si R (1) = 18, Rd = 35,22.
  8. (retour)↑  Mais on aurait sans doute eu raison d'en acheter plusieurs exemplaires au moment de sa parution ou au moment du prix.
  9. (retour)↑  A Autun, on compte 19 000 volumes en prêt, à la section adultes, pour une population de 20 500 habitants. Par comparaison avec une commune de 225 000 habitants, dont la centrale compte 23 000 ouvrages pour adultes, Saint-Etienne, on constate un décalage qui explique des taux de rotation différents. Les normes de la Direction du livre sont toutefois de 22 100 livres adultes en prêt pour une ville de 20 000 habitants.
  10. (retour)↑  Philip M. MORSE, op. cit., p. 23.
  11. (retour)↑  On peut trouver un exposé de la méthode des moindres carrés, par exemple, dans V. KOROLIOUK et al., Aide-mémoire de théorie des probabilités et de statistiques mathématiques, Moscou, Mir, 1983, p. 505-510.
  12. (retour)↑  Ces chiffres expriment aussi la diminution des emprunts de livres laissés en libre accès au cas où les livres inactifs seraient mis en rayon.
  13. (retour)↑  La stochastique est l'application du calcul des probabilités aux nombres recueillis par la statistique.
  14. (retour)↑  Philip M. MORSE, op. cit., p. 20.
  15. (retour)↑  Roland DUCASSE, Méthode de traitement des données bibliométriques pour la gestion des systèmes d'information : application à l'analyse prévisionnelle de la demande d'ouvrages en bibliothèque, Bordeaux, 1978, p. 174.
  16. (retour)↑  Philip M. MORSE, op. cit., p. 20.
  17. (retour)↑  Roland DUCASSE, op. cit.