Le commerce de l'estampe à Paris au XVIIe siècle

par José Lothe

Marianne Grivel

Paris : Droz, 1986. - 488 p.; 24 cm. - (Ecole pratique des Hautes études, IVe section, sciences historiques et philologiques, VI ; Histoire et civilisation du livre ; 16).

Longtemps les estampes ont intéressé seulement l'histoire de l'art, encore que les auteurs les aient considérées surtout par rapport à la peinture ou qu'ils aient écrit sur des graveurs dont la postérité avait retenu les noms : Callot, Bosse, Nanteuil. L'ouvrage de Marianne Grivel nous rappelle donc fort opportunément que l'histoire des estampes ne se limite pas à ces artistes, si importants fussent-ils, qu'elles n'ont pas toutes copié des tableaux, qu'elles furent une marchandise, qu'elles circulèrent. Et il se propose d'étudier comment, à Paris, au XVIIe siècle, elle furent produites, vendues et ce qu'elles représentèrent.

L'auteur montre d'abord l'influence des graveurs flamands, installés à Paris entre 1575 et 1585, dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés, qui apportèrent leur savoir-faire sur cuivre, leurs techniques de production et de vente : sans eux, la gravure française du XVIIe n'eût pas connu un tel développement. Puis les travaux successifs nécessaires à l'élaboration d'une estampe sont rappelés : ceux du peintre, inventeur du sujet. du graveur, de l'imprimeur en taille-douce, de l'éditeur et du marchand détaillant.

La plupart de ces gens de l'estampe s'installèrent sur la rive gauche, rue Saint-Jacques et dans les rues avoisinantes, dans le même quartier que les libraires. Un petit groupe de revendeurs tint boutique au cimetière des Innocents, bénéficiant à partir de 1629 d'un régime de faveur de la part des chanoines de Saint-Germain-l'Auxerrois. On comprend que le pouvoir royal se soit intéressé aux images gravées et aux personnes qui les produisaient; l'ouvrage montre bien qu'il ne s'en suivit pas pour autant une réglementation cohérente, mais plutôt une politique au coup par coup : relativement récentes, les professions de graveur, d'éditeur et de marchand d'estampes échappèrent à toute juridication communautaire, bénéficièrent de privilèges pour leurs œuvres, en étant soumises cependant au contrôle du Bureau de la Librairie. En revanche, les imprimeurs en taille-douce, mal connus encore, furent réunis en corporation en 1677 et en 1692. Tout cela ressort d'autant plus clairement que Marianne Grivel a utilisé les fonds du minutier central, ceux des archives syndicales de la Librairie et de la collection Anisson-Duperron : ainsi elle peut illustrer ses propos d'exemples précis se rapportant tant à des personnes qu'à des affaires où fut mis en cause l'exercice de ces métiers.

Laissant de côté les illustrations (qui mériteraient pourtant d'être étudiées), pour le livre, l'auteur analyse ensuite la production et explique la méthode statistique qu'elle a suivie, à partir « d'échantillons » pris dans deux séries. D'abord les 26 453 estampes dues aux artistes de A à Lec, soit d'Alix (Jean) à Leclerc (Sébastien), répertoriées dans les neuf premiers tomes parus à ce jour de l'Inventaire du fonds français. Graveurs du XVIIe siècle, desquelles un quart a été retenu, c'est-à-dire 6 226. Et d'autre par les estampes dues aux graveurs de Lec à Z, dont la production est connue par les dépouillements qu'elle a faits dans les collections du Cabinet des estampes : 677 gravures ont été vues. De cette façon, dix-huit catégories d'images ont été définies, la plus importante étant celle des gravures religieuses; viennent ensuite les portraits (dont on aurait souhaité voir préciser les genres), les scènes mythologiques, historiques, militaires, les gravures de mode etc. Pour compléter cette présentation statistique par thèmes, l'auteur analyse les fonds de quelques éditeurs et marchands parisiens, connus par leur inventaire après décès, et ces études particulières vérifient les résultats obtenus et les précisent. Toutes ces catégories d'images représentent-elles l'ensemble de la production gravée du XVIIe siècle ? II nous semble étonnant que n'apparaissent pas les gravures d'imitation - ou d'interprétation - de tableaux. Ont-elles été rangées avec les images religieuses ? D'autre part, beaucoup de planches furent commandées par des particuliers et les estampes échappèrent de ce fait aux circuits commerciaux. C'est le cas, par exemple, de bien des portraits gravés par Robert Nanteuil.

La qualité à laquelle parvinrent les estampes, leur légereté, la relative facilité pour les produire, firent qu'elles remplirent divers rôles. Elles diffusèrent la peinture, firent connaître les grands événements, proposèrent des modèles, affermirent la foi catholique. Elles suscitèrent aussi des vocations de collectionneur; le plus célèbre fut l'abbé Michel de Marolles. II semble bien que Paris devint le centre européen le plus important de l'estampe. Cependant le titre de l'ouvrage n'indique pas tout son intérêt. En effet, après les chapitres consacrés aux images elles-mêmes, vient un dictionnaire des éditeurs et marchands d'estampes parisiens où l'auteur fournit sur chacun d'eux, en plus d'une courte biographie, de précieuses références d'archives souvent inédites, qui pourront servir de point de départ à de nombreuses monographies.

Cet ouvrage est publié dans la série Histoire et civilisation du livre qui fait partie des publications de la IVe Section de l'Ecole pratique des hautes études et il faut féliciter ce grand établissement d'offrir aux historiens du XVIIe siècle, à ceux de la gravure en particulier, un travail aussi neuf et utile.