Unistel 86

Martine Darrobers

En organisant, du 24 au 26 septembre 1986, des journées de rencontres et d'information sur le vidéotex dans l'université, la DBMIST et l'université de Paris IX avaient un double objectif : faire le point sur le vidéotex dans les universités en organisant une plate-forme de confrontations et d'échanges, faire une première évaluation des acquis. Cette optique a paru prédominante tout au long des trois journées où la formule privilégiée aura été celle des tables rondes et débats plutôt que des conférences plénières ; projections, démonstrations, visionnements, le vidéotex, appréhendé de façon concrète et pragmatique, ne fait pas encore l'objet d'une approche académique. Journalistes, universitaires, informaticiens, ingénieurs, administrateurs, graphistes, sociétés de services ou de conseil en formation, informateurs de tous bords, tous les « gens de minitel » se sont passé et repassé la parole, ont célébré et décortiqué leur passion commune. Le colloque organisé en son honneur, pour s'apparenter plus à un séminaire de gestion qu'à une session d'information (il est vrai que Paris IX-Dauphine est orfèvre en la matière), n'en a pas moins marqué un sérieux universitaire, voire scolaire, dans l'analyse du phénomène vidéotex.

Une vogue qui fait des vagues

Un phénomène qui, en dépit d'une courte histoire, n'est pas une totale innovation dans le monde de l'université ; on peut rappeler que l'Education nationale était partie prenante dans l'expérience pionnière de Vélizy ; par la suite des opérations Unistel (Université Services télématiques) ont été montées en Lorraine et à Montpellier, suivies de beaucoup d'autres. Actuellement on dénombre une vingtaine d'universités équipées de services vidéotex. Enfin la vague a atteint les serveurs nationaux qui « s'habillent en vidéotex » et diffusent l'information scientifique et technique par cette voie.

Les analyses et expériences qui ont été présentées donnent, de cet engouement, un premier élément d'explication ; le vidéotex est, pour l'université, un vecteur privilégié pour remplir sa mission de diffusion et de valorisation de l'information en assurant une ouverture permanente sur l'extérieur. On a coutume d'opposer le vidéotex grand public accessible sur le 36 15 au vidéotex professionnel consultable sur le 36 13 ou le 36 14 ; en fait le vidéotex universitaire dépasse cette opposition et participe des deux vocations. Est-ce pour cette raison qu'il a rencontré le succès que l'on sait à l'université ? Moyen d'intégration au tissu social, moyen d'information interne destiné à ses usagers propres, moyen de fonctionnement ; ces trois usages témoignent de son ambiguïté et de sa souplesse d'utilisation.

Car, dans l'immédiat, le vidéotex est avant tout un support, un canal par où transitent tous les niveaux d'échanges et de communications, mais son évolution future tendra à dépasser l'approche technologique actuellement dominante pour privilégier les logiques d'usage et de contenu qui détermineront la segmentation du marché ; à condition, évidemment, que le vidéotex dépasse le « statut de gadget », de curiosité bien française, pour devenir un véritable produit commercialisé à l'échelon international. Pour l'instant le vidéotex reste tributaire de facteurs extérieurs qui ont conditionné et conditionneront son évolution, et tout d'abord, la politique de la DGT (Direction générale des télécommunications), qui, misant sur le marché grand public, a opté pour un système peu coûteux (la norme Antiope alphamosaïque est utilisable sur des terminaux bon marché immédiatement exploitables) ; entrent en jeu également le succès rencontré (on dénombre déjà près de 2 millions de terminaux installés, plus de 3 000 services ouverts, vingt millions d'appels, soit 2 millions et demi d'heures de connexion par mois), mais aussi la mise en oeuvre des perspectives ouvertes par la déréglementation et la nécessaire conquête de marchés étrangers...

Un média étrange venu d'ailleurs

Les usages grand public du vidéotex, comme chacun sait, sont d'abord les messageries (roses), les jeux, les services d'information (liés à la presse), et les services tout courts (banques, vente par correspondance, réservations, etc.), dont le caractère professionnel est de plus en plus marqué. En fait, ce hit-parade affiche bien les principales spécificités qui conditionnent actuellement le succès d'un service et dont l'interactivité est la principale, permettant le dialogue permanent entre utilisateur et serveur, ou entre utilisateurs grâce aux messageries. Cette fonction de communication s'articule sur deux dimensions, l'utile et le ludique, qu'on retrouve alliées dans la plupart des journaux vidéotex.

Ceux-ci, aux dires de leurs concepteurs, ne sont en aucune façon des sous-produits du journal-papier mais proposent une information autre : plus à jour, plus ciblée, plus pratique, plus circonstancielle, l'information fournie par les journaux vidéotex fait d'eux un média nouveau, intégrant les techniques de l'information radiophonique, de l'information écrite et du téléphone - un média en même temps passif (c'est l'utilisateur qui branche son minitel) et personnalisé, qui nécessite une conception et un traitement autonome tenant compte à la fois des contraintes de lecture de l'écran vidéotex et des attentes du public.

C'est ainsi que la plupart des versions vidéotex des grands quotidiens ou hebdomadaires refusent la « monoculture » et proposent un complexe de services et de jeux : commander les livres présentés à « Apostrophes », faire du « téléshopping », participer à des sondages sur des problèmes d'actualité avec affichage immédiat des résultats, jongler avec les informations fournies par le journal papier (L'Action automobile permet, dans sa version vidéotex, de réaliser des bancs d'essais « au carré » et d'organiser un match 2 CV contre Ferrari...), jouer avec l'actualité, connaître au jour le jour l'évolution d'un portefeuille personnalisé en fonction des cours de la bourse, toutes ces prestations, sans parler du suivi immédiat de l'actualité, leur confèrent le statut de nouveau média.

Que le message rie !

Nouveau, le vidéotex l'est aussi par sa présentation et son écriture qui doivent maîtriser et dépasser les contraintes techniques de l'objet minitel ; celles-ci ne sont pas négligeables : temps de réponse et d'affichage importants, présentation « grisonnante » et austère due aux écrans monochromes, expression et recherches graphiques réduites du fait de l'alphamosaïque qui cantonne le vidéotex dans une communication centrée sur l'écrit. Les procédures de rédaction et d'organisation du service doivent donc suivre des impératifs bien spécifiques : textes concis mais clairs, lisibilité maximale, accès à l'information requise en moins de 5 sommaires successifs, techniques de présentation diversifiées (fenêtrage, incrustation, titraille), hiérarchisation des écrans, affichage permanent de points de repère et d'assistance pour l'utilisateur, structuration de l'information en différents éléments (logo, rubrique des choix, texte, dessin) affichés dans un ordre logique, utilisation des possibilités d'incrustation offertes par l'écran (diagonales, de bas en haut aussi bien que de haut en bas) pour « meubler » les délais d'attente. Tous ces éléments témoignent de l'originalité du vidéotex comme moyen d'expression et de communication, tout comme, aussi, ils témoignent de sa complexité.

Le bilan du vidéotex dans le milieu universitaire ne paraît pas redéfinir la problématique de son insertion. Des usages multiples et extrêmement divers mais qui ne témoignent pas d'un autre statut ; information sur les filières de formation, sur les services de l'université, dates et heures d'examen ou d'ouverture d'inscriptions, adresses de telles prestations - qui libèrent les cellules d'information et d'orientation qui en ont souvent été l'initiateur - se retrouvent à peu près dans l'ensemble des établissements. La « minitelisation » universitaire manifeste cependant des ambitions plus vastes : si la diffusion d'annuaires électroniques, d'offres d'emploi, et des activités d'associations ressortit encore à l'information, la composante enseignement ouvre un large champ à la télématique, avec des exercices avec questions à choix multiples servant de tests, d'examens ou de remises à niveau.

Autre incidence du vidéotex dans la gestion interne de l'université, la messagerie, dont la réussite paraît des plus délicates à obtenir ; concurrente du téléphone, elle le surpasse sans doute en efficacité, mais elle en efface la dimension de convivialité et de communication... Un choix sur lequel les universitaires apparaissent encore des plus partagés et où s'opposent les partisans de la simplicité et ceux de la sophistication. Faut-il en conclure que la messagerie doit, elle aussi, trouver son champ en basculant vers « l'utilitaire » impersonnel (les bulletins de prêt-inter en sont une application typique) ou vers le ludique : le bilan de Paris IX, où les scores enregistrés par les messageries étudiants et enseignants s'opposent directement, plaiderait en faveur de cette hypothèse.

Unistel quel

L'insertion de l'outil vidéotex dans l'université pose, en fait, la question de la communication tout entière. « Balancer » sur vidéotex des informations disponibles par d'autres canaux revient à condamner un service qui sera concurrencé par des médias qui ont sur lui le double avantage d'être intégrés aux pratiques d'information et, très souvent, gratuits. Un service vidéotex ne s'improvise pas ; tous les intervenants ont répété à l'envi cette maxime, tout comme ils n'ont pas hésité à entonner le guide du « parfait petit rédacteur » de journaux et à rappeler les principes élémentaires, aussi célèbres que souvent négligés, de la communication. Penser le projet, analyser les attentes du public visé et s'y conformer, penser aussi les moyens à mettre en oeuvre et ne pas oublier que le meilleur service est inutile s'il n'y a pas fidélisation de la clientèle. Une fois définies les prémisses, toutes les solutions sont possibles, du micro-ordinateur accessible via le réseau commuté à la banque de données hébergée sur un serveur d'envergure nationale, le choix sera déterminé par l'enveloppe disponible 1 d'une part, les usages prévus (utilisation strictement interne, ouverture sur l'extérieur) d'autre part ; utiliser pour démarrer des filières de formation spécialisées ne dispense pas d'explorer toutes les ressources disponibles - sans négliger celles offertes par l'enthousiasme et le volontariat... - et de faire appel à des organismes extérieurs de manière à créer une synergie d'interventions.

Si ce colloque a permis de définir l'instrument vidéotex et d'analyser la multiplicité de ses diverses utilisations dans un milieu donné, il aura aussi permis de définir ce qu'il n'est pas : plusieurs participants ont posé la question de l'adéquation de l'outil minitel à leurs besoins propres, se déclarant partisans du micro-ordinateur pour faire du traitement de texte et du télédéchargement. Cette démarche témoignait de l'ambiguïté du statut accordé aux instruments technologiques, tout comme, aussi, de l'absence de définition d'une politique de communication... En cela, peut-être, aura consisté le principal intérêt du colloque, la confrontation de besoins et de pratiques manifestement divergents autour d'une solution technique qui, quelle que soit sa souplesse, ne saurait être dans l'immédiat l'outil universel promis par les utopies technologistes.

Complément d'accès direct

Une conclusion générale, au terme du colloque Unistel: le vidéotex universitaire n'a rien de spécifique et appelle une approche globale, prenant en compte l'originalité des différentes voies d'accès à l'information et leur complémentarité. Le vidéotex à l'université, un nouveau moyen de communication, mais, surtout, une nouvelle approche de l'information et de la communication. Deux aspects qui deviendront de plus en plus prédominants au fur et à mesure que le vidéotex perdra son statut d'innovation technologique pour se banaliser. La suite d'Unistel 86, Unistel 87 (programmée à Saint-Etienne du 22 au 24 septembre 87) a pour titre « Maîtriser la communication », un titre bien révélateur de la prise en compte du phénomène communication dans le milieu universitaire.

Si le minitel n'est qu'une façon de communiquer, les analyses et réalisations présentées ont, d'ores et déjà posé, de manière évidente, le problème de l'interaction message-support. Pas plus qu'aucun autre média, le vidéotex ne fait le message, mais il était clair, au terme du colloque, que ses spécificités mêmes imposaient une redéfinition et des contenus, et des modes d'accès. Le débat arborescence/accès direct par mots clés s'est, une fois de plus, déroulé pour déboucher, une fois de plus, sur un consensus autour de la nécessité de multiplier les voies d'accès sans oublier l'accès multi-critères.

Dans cette perspective, la diffusion sur vidéotex d'informations disponibles par l'interrogation télématique traditionnelle pose un problème de pertinence qu'on ne saurait éluder : est-il judicieux de reproduire, avec les mêmes moyens d'approche et d'identification, une information aussi lourde et aussi rébarbative que celle fournie par les bibliographies ou les catalogues sur un instrument fondé sur la simplicité d'accès et de maniement ? La question intéresse, au premier chef, les bibliothèques et centres documentaires qui, à l'exemple de la BU de Metz (MIRADOC), ont déjà « minitelisé » leur catalogue ou projettent de le faire. L'intérêt de la démarche est évident - surtout si elle s'accompagne d'un service de réservations et de demandes de prêt-inter mais n'implique-t-elle pas de redéfinir les procédures d'accès et d'aller au delà du classement par macro-disciplines et de la recherche par mots-clés : segmentation, certes, par discipline, mais aussi selon des critères autres (nouveautés, les livres au programme de l'agrégation, les derniers manuels parus...), déterminés de façon pragmatique, en fonction du public visé ?

Le parti adopté par Bibliothèque à domicile (Paris IX) 2 apparaît, en ce sens, des plus excitants ; le découpage des fonds s'articule en effet sur des objets précis, limités, et aisément appréhendables, tels les articles parus dans la Revue française de gestion, tandis que les références affichées s'accompagnent d'une « échelle de performances » : les ouvrages sont cotés avec un certain nombre d'étoiles, indiquant l'utilité pratique, l'intérêt pédagogique, le niveau, l'originalité. Bien évidemment, ce service suppose une négation partielle de l'approche traditionnelle fondée sur un découpage du savoir et une information exhaustive sur un secteur de la connaissance déterminé par des indices, des mots clés, des équations booléennes ; à l'inverse, l'accès par minitel repose sur la discrimination, le tri, la sélectivité en fonction de critères pragmatiques, définis en termes de comportements et d'attentes. En bref, le minitel, tributaire d'une démarche de consultation active, joue sur le marketing - on n'ose pas dire le consumérisme...

Certes, ce n'est pas d'aujourd'hui que date l'opposition entre les logiques de la connaissance et celles de l'usage mais l'irruption de la télématique grand public pose la question avec acuité ; qu'elle ait pu être directement posée n'aura pas constitué un des moindres apports d'Unistel. Abolissant les contraintes de lieu et d'horaires, le vidéotex offre en vraie grandeur les conditions d'une information offerte partout et à tous. Il reste à faire que celle-ci soit véritablement consommable, si on souhaite concrétiser les acquis du vidéotex dans le service offert par les bibliothèques et centres documentaires. Le vidéotex : un mode nouveau d'accès à l'information ou une mode passagère, un oripeau masquant la pérennité de l'information traditionnelle ? Sans aucun doute les partisans d'une information pure et dure parleront de galvaudage, qui transposeront sur un média grand public les logiques et informations sophistiquées de la télématique traditionnelle, qui se garderont de vouloir connaître le nombre d'interrogations menées jusqu'à leur terme, qui confineront le vidéotex dans un « statut de gadget » et l'utiliseront comme alibi d'ouverture et de modernité... Si cette position devait prévaloir, la montagne minitel n' aurait accouché que d'une souris bibliothéconomique; donnera-t-elle, un jour, naissance à des éléphants ?

  1. (retour)↑  L'intervention de Catherine FABREGUETTES, sur les coûts de création d'un service vidéotex, a été publiée dans le n° 5 du Bull. Bibl. France.
  2. (retour)↑  Interrogeable sur le 36 15, nom de code : Dauphine.