Un ticket valable sur toutes les lignes

Aide à l'interrogation des banques de données dans les bibliothèques universitaires : le ticket modérateur

Marie-Christine Kerhuel

Présentation de la politique d'aide à la consommation des banques de données menée par la DBMIST. Le bilan des actions menées depuis 1982 montre que les principaux freins à l'utilisation des banques de données tiennent à leur coût. L'opération dite « ticket modérateur », lancée en 1983 dans les bibliothèques universitaires de Reims et Dijon, offrait aux utilisateurs des réductions substantielles (30 % à 70 %) pour l'interrogation de banques chargées sur des serveurs français. Le service était offert à l'ensemble de la population universitaire, chercheurs, enseignants et étudiants auxquels étaient distribuées des cartes à piste magnétique permettant de gérer la facturation des interrogations. Les interrogations, effectuées principalement par les étudiants, ont progressé selon les disciplines de 35 % à 100 %. Environ 70 sites seront bientôt équipés, et les taux de réduction unifiés à 40 %; un remboursement sur factures remplacera désormais la carte magnétique.

Presentation of the support provided by the DBMIST for the use of the databanks. According to an assessment of all the actions carried out since 1982, the cost remains the main barrier to the use of the databanks. The «Ticket modérateur» process which started in 1983 in the university libraries of Reims and Dijon, provided the users with important discounts (30% to 70%) in the practice of all databanks on French hosts. This service was offered to the whole university population : searchers, teachers and students ; they received ledger cards which enabled the management of inquiry pricing. The inquiries have grown from 35% to 100% according to the various subjects and the students are the main users. About 70 points are to be equiped and a single 40% discount will soon be applied ; the ledger cards will be replaced by a payment as per invoice.

Les banques de données n'ont plus seulement la cote, elles ont aussi le ticket ! Le bilan du ticket modérateur dépasse le slogan et le look « hi-tech » pour s'inscrire dans une démarche globale d'action sur l'offre. Une opération bien circonscrite dans un cadre défini, mais, aussi, un moyen de promouvoir un produit sur l'ensemble de son créneau...

BBF. Pourquoi le « ticket-modérateur » dans les bibliothèques universitaires ?

Marie-Christine Kerhuel. La DBMIST (Direction des bibliothèques, des musées et de l'information scientifique et technique) a participé au grand mouvement de création des banques de données, qui a pris un véritable essor il y a dix ans, par le canal privilégié des bibliothèques universitaires. Elle s'est attaquée à la question en menant plusieurs opérations successives dont celle, relativement récente, du ticket modérateur.

L'histoire cadrée

BBF. Quelles furent les autres ?

M-CK. En 1982, l'implantation de terminaux d'interrogation dans une dizaine de sections avec l'objectif de les équiper toutes à terme. La DBMIST offrit d'abord, parallèlement, une formation adéquate aux conservateurs dans ses propres locaux, et, sitôt qu'un noyau suffisamment important fut formé, elle délégua l'enseignement au niveau régional en créant les URFIST (Unité régionale de formation et de promotion pour l'information scientifique et technique). De quatre à cinq, les formateurs passèrent à quatorze, répartis sur toute la France ; les cours, d'abord destinés aux conservateurs, s'ouvrirent plus largement à d'autres publics.

La même année, elle se proposa d'apporter une aide matérielle à l'interrogation des banques de données en attribuant à chaque section équipée un crédit d'heures gratuites sur les serveurs français, profit que la bibliothèque se devait de répercuter sur les utilisateurs finals. Des marchés furent respectivement passés avec Questel-Télésystèmes et G-CAM, en mars et octobre 1982, accordant aux sections scientifiques et littéraires 5 000 francs d'interrogation sur Questel, soit une moyenne de dix à douze heures d'interrogation, et aux sections économiques et juridiques 3 000 francs sur GCAM.

En mai 1983, un premier bilan montra que plus de la moitié des sections avaient à peine entamé leur crédit et que rares, parmi les autres, étaient celles qui l'avaient épuisé. Aussi décida-t-on de repousser les délais et de terminer l'opération en juin 1984, date à laquelle, hormis cinq ou six, toutes avaient consommé leur crédit. A noter : une quinzaine de sections juridiques qui avaient bénéficié de quatre heures gratuites pour l'année universitaire 1985-1986 grâce à un marché conclu en décembre 1984 avec Sydoni, n'eurent, quant à elles, aucun mal à consommer.

Autre opération en 1984, renouvelée en 1985: MIDIST (Mission interministérielle de l'information scientifique et technique) et DBMIST instituèrent conjointement les BIST, ou bourses d'information scientifique et technique, associées aux bourses DGRST (Délégation générale à la recherche scientifique et technique) d'alors. Le financement était MIDIST, et la DBMIST participait au choix des candidats. La somme disponible étant assez restreinte, ceux-ci n'étaient qu'une centaine, tous étudiants de troisième cycle dans des domaines scientifiques pointus comme la physique ou la chimie. La bourse accordée devait les inciter à consommer de l'information scientifique. Elle comprenait deux volets de dépenses : l'achat d'une documentation papier - livres ou périodiques - et la consultation de banques de données. En fin d'année, les boursiers devaient justifier leurs dépenses en produisant des factures.

BBF. Quel a été le bilan de ces diverses opérations ?

M-CK. Elles ont surtout dénoncé l'absence de la recherche documentaire dans les habitudes universitaires. Les étudiants boursiers considéraient trop souvent leur bourse comme une manne tombée du ciel dont ils ne savaient que faire, et s'empressaient brusquement, en fin d'année, de rassembler des factures... Côté bibliothèques, les crédits d'interrogation étaient doucement consommés, ils n'étaient pas toujours répercutés sur l'usager, même s'ils ont pu être utilisés à des fins de promotion ou de formation. Une fois le crédit achevé, on cessait purement et simplement d'interroger. Cette offre de gratuité nous apparut bien peu incitative.

Mises à part certaines sections de médecine où la pratique était relativement courante, l'utilisation des banques de données variait de 30 minutes à deux heures par semaine d'une bibliothèque à l'autre. La réalité était différente dans les milieux universitaires de certains pays, notamment anglo-saxons, où les interrogations sont subventionnées et obligatoirement intégrées dans le cursus d'études.

Le coût, cet empêcheur

BBF. Le véritable frein à l'utilisation des banques de données était donc un problème de coût ?

M-CK. Problème de coût et problème psychologique. En 1983, nous avons voulu connaître un peu les attentes des chercheurs en matière d'information et nous avons sondé, au moyen d'un questionnaire assez libre, certaines universités comme l'Université technologique de Compiègne ou des organismes de recherche comme l'IMRA (Institut national de la recherche agronomique). Il fallut bien se rendre à l'évidence : les chercheurs ne s'intéressaient pas aux banques de données et se reposaient entièrement sur leur centre de documentation, puisant toutefois l'essentiel de leur information au cours de rencontres personnelles, de congrès et dans la consultation régulière des revues de la bibliothèque. Rien n'égalait pour eux le fait de feuilleter un périodique. Quand les banques de données étaient abordées, on se heurtait à un véritable problème psychologique lié à l'apparition d'une technologie mettant en cause les méthodes habituelles de travail.

Quant aux étudiants, certains travaillaient uniquement sur les manuels et les cours polycopiés sans faire de recherche bibliographique ni consulter les fichiers ; on pouvait parler d'une totale ignorance de la recherche documentaire en ligne.

BBF. Et pourtant, c'est au problème du coût que vous avez choisi de vous attaquer ?

M-CK. Nous considérions le frein psychologique comme fondamental, mais irréductible à court terme. Il s'avérait plus facile dans l'immédiat de remédier au problème du coût.

BBF. L'interrogation des banques de données coûte relativement cher par rapport aux autres prestations des bibliothèques...

M-CK. Le coeur du problème n'était pas vraiment là. Les usagers s'étaient habitués à payer les photocopies, puis les demandes de prêt-inter, quoiqu'avec plus de réticence ; ils auraient également accepté de payer la RDI (recherche documentaire informatisée), mais étaient a priori rebutés par le coût d'une interrogation.

BBF. Quel est le montant d'une interrogation ?

M-CK. Il est impossible d'établir des généralités ; il varie souvent de 100 à 150 F ; certaines interrogations atteignent jusqu'à 300 ou 400 F ; d'autres, qui correspondent à des demandes très ponctuelles, si elles sont bien préparées et bien formulées par des habitués du travail en ligne, peuvent ne coûter que 50 F - en médecine par exemple. Mais tout dépend des comparaisons que l'on établit. Si l'on compare la recherche manuelle à la RDI en intégrant tous les coûts, on s'aperçoit que la RDI coûte environ cinq fois moins cher et qu'elle est bien plus rapide.

BBF. Votre choix de réduire le coût a donc fait naître l'idée du ticket modérateur ?

M-CK. Le principe était que la DBMIST prenne en charge une partie du coût d'interrogation des banques de données. Cette participation devait être variable selon les utilisateurs, et plafonnée. Enfin cette réduction devait se concrétiser par quelque chose. Nous avons choisi une carte magnétique. Il est en effet important que l'utilisateur connaisse le prix réel de son interrogation et donc que la réduction apparaisse clairement. Nous avons appelé cette carte le « ticket modérateur ». A tort, car celui, bien connu, de la Sécurité sociale a été institué pour freiner la consommation des prestations médicales, alors que le nôtre a l'ambition d'inciter les utilisateurs à consommer.

Au départ, nous avions envisagé un certain nombre de solutions : des coupons papier distribués aux utilisateurs ou des vignettes semblables à celles qu'utilise le CNRS pour le paiement des photocopies, mais l'un comme l'autre étaient des systèmes lourds à gérer, entraînant des manipulations de papier importantes, ce qui aurait rapidement rebuté les universités. Nous avons ensuite songé à négocier avec les serveurs afin qu'ils gèrent eux-mêmes les réductions, mais ceci eût impliqué une modification de leur programme de facturation et ils n'y étaient pas préparés. Cette solution empêchait, de surcroît, les utilisateurs d'avoir une idée concrète de la réduction qui leur était accordée. Nous nous sommes penchés un moment sur les cartes à mémoire, mais le coût - et des cartes elles-mêmes et de l'équipement -eût été trop élevé. Finalement, nous avons retenu les cartes à piste magnétique, qui permettaient de répondre à un certain nombre d'exigences et offraient une grande souplesse d'utilisation.

Quand les sites s'équipent

BBF. Quelles étaient les conditions d'accès au système ? Sur quels critères avez-vous sélectionné les établissements pilotes ?

M-CK. D'abord sur le volontariat. Les établissements devaient se déclarer candidats. Il était souhaitable que l'université soit de taille moyenne afin de mieux maîtriser l'opération, et relativement proche de Paris pour faciliter le suivi futur.

Enfin, le terrain devait être favorable localement : il fallait donc s'assurer de la présence d'une équipe disponible, de sa formation et du fait que la section était équipée en terminaux depuis suffisamment longtemps. Les deux premiers sites équipés en 1983 furent Reims et Dijon.

BBF. Le reste du programme s'est poursuivi selon les critères de départ ?

M-CK. Oui. Nous avons équipé Amiens, Compiègne et Paris IX en 1984 ; en 1985, nous nous sommes aventurés jusqu'à Nice, Lyon, Besançon, Mulhouse et Metz. Enfin, en 1986: Valenciennes, Clermont-Ferrand, Paris XIII, l'ensemble de la BIU de Grenoble, quatre écoles de l'INPG (Institut national polytechnique de Grenoble) et l'IEP (Institut d'études politiques).

BBF. Quelle population visiez-vous ?

M-CK. Notre objectif était d'associer majoritairement toute la population universitaire, c'est-à-dire, outre la bibliothèque et ses utilisateurs, l'ensemble des chercheurs, enseignants, étudiants, et tout service administratif pouvant diffuser de l'information. Nous voulions dépasser le cercle restreint des habitués de la bibliothèque en évitant toute sélection au sein de l'université, et sensibiliser le public le plus large à cette opération publicitaire. Peu importait que les cartes soient réellement utilisées ou non. Nous voulions avant tout qu'elles circulent dans l'université, que les gens les connaissent et les manipulent, au besoin les emportent chez eux, le but étant de leur donner l'envie de se rendre à la bibliothèque.

BBF. Vous avez évoqué deux instituts parmi les sites équipés. D'autres secteurs que les bibliothèques pratiquent effectivement l'interrogation des banques de données sur le campus universitaire. Les laboratoires en sont un exemple. L'opération du ticket modérateur a-t-elle permis de mieux pénétrer ces différents secteurs ?

M-CK. Généralement non. Car si nos campagnes visaient l'ensemble de la population des campus, nous avons essentiellement favorisé les bibliothèques en les équipant du lecteur de cartes. Nous avons, bien sûr, reçu des demandes de la part d'UER et de laboratoires, mais notre programme d'implantation était déjà suffisamment chargé, nous aurions difficilement pu les satisfaire. Aussi, ceux qui désiraient bénéficier de l'opération durent-ils en général se rendre à la bibliothèque pour interroger.

Grenoble est une des exceptions en ce domaine. Exceptions qui concernaient des instituts à statut d'UER et rattachées à l'université, mais en fait autonomes. Toutefois, le ticket modérateur avait été prévu pour le milieu universitaire, où l'utilisateur paie ses interrogations, et il était assez inadapté à ce type d'établissement qui assiste les étudiants et pratique la gratuité des livres, des polycopiés et de la recherche documentaire informatisée.

Place au système

BBF. Comment le processus se mettait-il en place ?

M-CK. Nous faisions de la publicité auprès des directeurs d'UER, des enseignants, quelquefois des directeurs de thèses, et la bibliothèque, efficacement soutenue par l'URFIST, se chargeait de préparer le terrain : affichages, distributions de tracts, organisation de réunions d'information auxquelles étaient conviées les différentes catégories de la population universitaire : président, enseignants, secrétariats d'UER, CIO (Cellule d'information et d'orientation). Nous profitions de ces séances pour informer sur les banques de données, distribuer des cartes et une brochure intitulée : Des banques de données pour les étudiants, les enseignants et les chercheurs.

BBF. Combien de cartes aviez-vous prévues ?

M-CK. Les deux premiers sites équipés, Reims et Dijon, ont une population d'environ 12000 à 13 000 étudiants et 2 000 à 3 000 enseignants et chercheurs. Nous avions prévu 5 000 cartes pour chaque université. Sur l'ensemble des sites actuellement équipés, qui représentent une population de 250 000 étudiants et de 20 000 enseignants et chercheurs, soit 270 000 personnes potentiellement concernées, nous avons distribué 40 000 cartes, soit à peu près 1/7e de la population.

BBF. Pouvez-vous préciser le principe de la carte magnétique ?

M-CK. La carte permettait, jusqu'à un plafond de 300 F, de réduire la participation de l'utilisateur final selon sa discipline et sa catégorie. Nous accordions un taux de réduction de 70 % aux étudiants, de 50 % aux enseignants de sciences humaines et sociales - pour donner une impulsion à ce secteur qui ne démarrait guère - et de 30 % aux scientifiques - qui bénéficiaient, quant à eux, de plus de possibilités de financement par leurs laboratoires. Plus tard, nous avons procédé à l'uniformisation des taux de réduction à 50 % pour toutes catégories de chercheurs et enseignants confondues.

BBF. Comment fonctionnait concrètement le système ?

M-CK. Une fois l'interrogation terminée, la carte encodée était introduite dans un lecteur de cartes magnétiques couplé à un minitel : l'ordinateur gérant le système reconnaissait la carte, le lieu de l'interrogation et le taux de réduction accordé. Puis la somme facturée était entrée, et le montant réel du coût de l'interrogation, ainsi que la somme restant à payer par l'utilisateur, s'affichait sur l'écran du minitel. Notons une chose au sujet de la facturation: nous n'avons jamais demandé aux différentes bibliothèques d'harmoniser leurs tarifs et respections la politique de chaque établissement en la matière. Certaines facturaient au forfait, d'autres à la minute, d'autres enfin tentaient de se rapprocher le plus possible du coût réel de l'interrogation.

Alors ?

BBF. Quel bilan tirez-vous de l'expérience ?

M-CK. Une remarque préliminaire : en voulant traiter le problème du coût, nous avons également joué sur l'aspect psychologique. Le côté publicitaire et gadget qu'ont parfois revêtu les opérations de lancement, attirait inévitablement du monde. Ensuite, l'expérience prenait son rythme de croisière, et la bibliothèque essayait de faire une information orale et personnalisée. On prenait le temps de parler aux gens et de leur expliquer le système. L'opération ticket modérateur a donc été une bonne campagne pour la RDI.

Fin juin 1986, nous avons demandé aux onze établissements équipés entre 1983 et 1985, soit trente sites, d'établir un bilan chiffré, les implantations de 1986 étant trop récentes pour pouvoir tirer des conclusions. Ces rapports, qui présentaient sérieux et qualité, permettaient difficilement de tirer une synthèse générale, chaque site étant un cas particulier. Nous avons donc choisi de faire l'analyse par discipline et de rendre compte des interrogations par leur pourcentage d'augmentation.

BBF. Globalement, peut-on parler de succès ?

M-CK. Oui. Le pourcentage de croissance des interrogations, entre 35 % et 100 % par an suivant les sections, ainsi que toutes les retombées de l'expérience le confirment. Les bibliothèques ont ainsi cité : une meilleure crédibilité de l'informatique documentaire, un intérêt renouvelé pour les fonds de périodiques étrangers, un meilleur contact avec les utilisateurs, et même un accroissement de la fréquentation des salles de recherche.

BBF. Quel était le type d'utilisateur majoritaire ?

M-CK. Contrairement à toute attente - on avait effectivement pensé au départ que seuls les chercheurs seraient intéressés -tous les bilans montrent que ce sont les étudiants qui ont utilisé le ticket modérateur, le coût étant, pour eux, très dissuasif. Ils représentent en effet deux tiers à trois quarts des demandeurs sur la totalité des utilisateurs et l'ensemble des sites. Ce sont essentiellement des étudiants de 3e cycle qui sont venus lors de la réalisation de leur thèse, mais aussi des étudiants de maîtrise, certains accompagnés d'un enseignant.

Comme l'a noté une bibliothèque, il y a eu, par contre, défection des chercheurs. Une exception cependant : les enseignants d'économie, plus enclins que les autres à utiliser la machine informatique, car habitués à dresser des statistiques sur micro-ordinateurs.

BBF. Quelle était la fréquence des visites ? Ceux qui venaient revenaient-ils ?

M-CK. La plupart du temps, les gens passaient une ou deux fois. C'était le cas des thésards, par exemple, mais ce pouvait être aussi celui d'un chercheur déçu : bien souvent, en effet, quand la première interrogation ne leur donnait pas satisfaction - soit qu'elle n'apportait aucun élément à leur sujet de recherche trop pointu, soit qu'elle débouchait sur des sujets qui ne les concernaient pas directement - ils jugeaient inutile de revenir.

Par contre, il est des sites où un tiers des utilisateurs revenaient, parfois même beaucoup plus tard. A Nice, un médecin installé en ville est revenu interroger sur le campus et ce, même sans avoir droit au ticket modérateur.

BBF. Les habitués deviennent-ils ensuite capables d'interroger eux-mêmes ?

M-CK. Il y a deux sortes de banques de données. Celles qui nécessitent l'intervention d'un intermédiaire et les autres. Téléthèses, chargée en septembre 1986, fait partie des autres. C'est une banque accessible en vidéotex par le logiciel du SUNIST (Serveur universitaire national pour l'information scientifique et technique), qui peut être consultée par tout un chacun, chez soi, sans formation préalable. Je pense que ces banques, aux logiciels très simples, sont appelées à se développer parallèlement aux autres, mais il me semble utopique d'imaginer que le grand public puisse un jour interroger PASCAL ou Medline.

Bien entendu, les praticiens, pour qui l'interrogation est devenue chose banale, peuvent y former leur personnel. Certains connaissent déjà parfaitement la technique et maîtrisent les procédures d'indexation. Le contenu des banques leur est familier et ils savent obtenir des résultats performants.

Des bilans « sectionnés »

BBF. Votre analyse par discipline ?

M-CK. Quand nous avons lancé l'opération ticket modérateur, les services de la RDI étaient déjà bien implantés dans les sections scientifiques. Elles possédaient des terminaux depuis deux à trois ans déjà et les conservateurs avaient reçu une formation. Les bilans font état d'une augmentation de 20 à 35 % des interrogations selon les sites.

Pour les sujets techniques pointus, les bibliothèques ont souvent eu recours à l'ESA (European space agency), serveur américain, car les banques françaises étaient insuffisantes. Or, on ne pouvait bénéficier du ticket modérateur qu'en interrogeant un serveur français : à l'époque, essentiellement Questel et, plus récemment, le SUNIST. Ce fut un réel problème en 1982-1983, car les conservateurs, habitués à leurs serveurs et à leurs logiciels, ne voulaient pas en changer. Mais il y a eu évolution et les bilans ne font plus mention de ce frein. Précisons toutefois que le ticket modérateur n'est pas la seule raison de l'augmentation des questions sur les banques accessibles par Questel, car il y a eu, parallèlement, une amélioration du logiciel Questel + et la réunion en un seul fichier des CAS (Chemical abstracts serials) qui étaient auparavant fractionnés. Dans quelle mesure ces deux éléments n'ont-ils pas été les meilleurs agents de publicité pour les serveurs français ?

BBF. Les sections de médecine sont-elles toujours les plus fortes consommatrices de RDI ?

M-CK. Oui. En 1982, elles l'avaient déjà bien intégrée et faisaient figure de précurseurs. Actuellement, elles réalisent à elles seules 55 % des interrogations pour l'ensemble des bibliothèques au niveau national et les interrogations ont augmenté de 100 % dans presque toutes les sections.

Le coût n'a pas constitué un véritable obstacle pour le secteur médical. Par ailleurs, Medline, la banque utilisée par excellence, est peu onéreuse. Pour la médecine comme pour les sciences, c'est la qualité du service qui est déterminante.

Au début, tout utilisateur interrogeant directement Medline devait passer un contrat avec l'INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale), diffuseur privilégié de la NLM (National library of medicine) en France. Puis les choses ont changé : des serveurs ont offert des prix bas, plus bas même que ceux de Questel avec le ticket modérateur. Afin d'éviter le transfert de ces banques à l'étranger, nous avons alors aidé l'INSERM, qui a fait un énorme effort financier, à charger Medline sur Questel : nous avons appliqué le ticket modérateur à la banque sur Questel dans le cadre des bibliothèques universitaires. Par ailleurs, Questel est sur le point d'apporter des améliorations : Medline, chargé en plusieurs fichiers, se présentera en un seul, à proximité de PASCAL et des autres banques médicales, ce qui permettra de passer plus facilement de l'une à l'autre. Aussi, malgré le moindre coût offert par d'autres serveurs, tous les sites ont opté pour Questel, à l'exception d'un seul. Par effet d'entraînement, les utilisateurs de Questel ont créé une association, Questel groupe, chargée d'approfondir certains points et d'exprimer des demandes organisées, que les informaticiens prennent en compte afin d'améliorer la politique du serveur. Efforts de tous pour une meilleure qualité...

BBF. Les sections Droit, Lettres et Sciences humaines ont-elles pris du retard par rapport aux autres ?

M-CK. Lors du lancement de l'opération, certaines sections littéraires venaient de recevoir leur terminal et les conservateurs commençaient à pratiquer l'interrogation de banques de données. Dans les sections juridiques, rien n'avait pratiquement commencé et le ticket modérateur apparaissait plus comme un moyen de promouvoir un service que d'en réduire le coût. S'il y a initialement dix interrogations, 100% à 200 % d'augmentation ne constitue pas un progrès très sensible.

Il faut signaler que la couverture de certaines disciplines en sciences humaines est médiocre. FRANCIS, qui, en raison de sa multidisciplinarité, est une banque très intéressante, n'est cependant pas toujours très adaptée aux recherches circonscrites. Ce n'est pas le cas des banques juridiques généralement bien adaptées aux attentes de leur public.

Le pour et le contre

BBF. Quelles difficultés majeures avez-vous rencontrées dans cette opération ?

M-CK. Nous avons évoqué les difficultés liées à la diffusion des cartes dans l'université, les réticences de certains à changer de serveur et la mauvaise couverture de certains domaines par les serveurs imposés. A ces handicaps, se sont ajoutées, en 1984, des entraves d'ordre technique : lourdeur du système, chargement des fichiers, envoi des cartes, dysfonctionnement du matériel. Il fallut changer d'ordinateur.

BBF. Comment les bibliothèques ont-elles réagi à ces difficultés ? M-CK. Plusieurs souhaitaient une gestion manuelle, plus simple. Mais les différents problèmes rencontrés ne les ont pas découragées et, s'il y a parfois eu méfiance au départ, elles se sont ensuite généralement enthousiasmées pour le projet, s'y sont pleinement consacrées et nous ont adressé des bilans très positifs.

BBF. Positifs à quel point de vue ?

M-CK. L'opération a d'abord contribué à améliorer les contacts entre les enseignants et les bibliothèques. En ce qui concerne les étudiants, le fait d'obtenir des listings de références étrangères sur leur sujet de recherche a renouvelé leur intérêt pour les fonds de périodiques étrangers qu'ils hésitaient avant à consulter. La suite logique fut une augmentation des prêts entre bibliothèques.

Par ailleurs, le fait de faire état d'une subvention DBMIST a permis à certaines bibliothèques d'obtenir des subventions de la ville, dans le cadre des contrats de plans régionaux. Ce fut par exemple le cas de Nice.

Ticket : un nouveau départ

BBF. Vous allez donc poursuivre l'opération ?

M-CK. Nous n'étions pas sûrs de la poursuivre en 1987. Toutefois, après avoir lu les bilans et entendu les bibliothèques plaider la poursuite de l'expérience, nous la ferons évoluer : le contexte actuel est en effet différent de celui d'il y a quatre ans. Nous avons dépassé le stade de la sensibilisation à la RDI. Nous n'en sommes plus à équiper les bibliothèques en terminaux. L'opération se banalise et la remise accordée sur une interrogation en ligne est devenue un service parmi d'autres. Nous cherchons maintenant à revenir à un système plus simple, moins coûteux à gérer, qui permettrait une extension plus large de l'opération. La solution retenue est l'arrêt de l'opération automatisée gérée par la Société SLIGOS, dont la gestion - cartes magnétiques et lecteurs de cartes - est devenue trop coûteuse, et l'adoption d'une gestion manuelle. Cette économie permettra d'équiper 50 % de bibliothèques supplémentaires. Ainsi, aux 47 sites déjà équipés, nous en adjoindrons 25 en 1987.

BBF. Prévoyez-vous d'autres changements ?

M-CK. L'ensemble des sites bénéficie en 1987 d'une réduction moindre, non plafonnée et uniformisée à 40 %, quel que soit l'utilisateur et quelle que soit la durée des interrogations. Le nouveau système de financement est des plus simples : une subvention est déléguée à chaque site au vu des factures acquittées auprès des serveurs.

BBF. Ferez-vous une nouvelle campagne de publicité ?

M-CK. Oui. Et plus planifiée que l'autre, de manière à alléger les tâches des bibliothèques. Edition d'affiches, refonte du livret sur les banques de données avec une optique différente : grand public (kiosque, minitel, etc.)

BBF. Avec tous ces changements de forme, on pourrait se demander si on peut encore parler de ticket modérateur...

M-CK. Si, toujours, et même plus encore, puisque nous élargissons l'opération à de nouveaux et nombreux sites... Par contre, nous cherchons à la rebaptiser. Elle s'appelle pour le moment TM 40 (ticket modérateur 40 %), mais il faudra lui trouver un autre nom.