Danger : formation !

Réflexions sur la formation des utilisateurs à l'interrogation des bases de données bibliographiques

Marie-France Blanquet

Réflexions sur la formation des utilisateurs à l'interrogation des bases bibliographiques ; souvent limitée à une seule base et au maniement d'un seul logiciel, elle « enferme » l'utilisateur dans un savoir-faire technique et fragmentaire. Par ailleurs, l'utilité des références bibliographiques reste mal perçue. Cette situation est due aux producteurs et aux médiateurs qui ne se préoccupent pas de marketing et méconnaissent les nécessités de gestion ; ces deux éléments devraient être inclus dans la formation des médiateurs qui représente la véritable priorité.

The training of bibliographic databases users, often restricted to one base and to the practice of a single software, confines the user in a technical and incomplete savoir-faire. Besides, the usefulness of bibliographic references is not fully appraised ; the reason comes from the attitude of the producers and the mediators who do not care about marketing and ignore the need for management ; these two aspects should be introduced in the training programme of the mediators.

Les personnels des sciences de l'information se préoccupent depuis longtemps déjà de la formation des utilisateurs aux systèmes documentaires et plus spécialement aux services de références bibliographiques. Cette question trouve un regain d'intérêt avec les possibilités nouvelles, offertes par la télématique, d'accéder à distance à des fichiers bibliographiques, par l'intermédiaire de serveurs. Il ne s'agit plus de former des utilisateurs à la recherche bibliographique manuelle, mais de leur permettre de dominer la recherche documentaire automatisée. Dès lors, poser le problème de la formation des utilisateurs revient-il à délimiter ce que les nouvelles technologies ajoutent à la formation traditionnelle ? En d'autres termes, la formation des utilisateurs aujourd'hui consiste-t-elle simplement à ajouter des chapitres techniques aux chapitres habituels, classiques pourrions-nous dire ? Ou, au contraire, la recherche documentaire automatisée renouvelle-t-elle dans sa totalité la question de la formation des utilisateurs et comment ? Peut-elle être l'occasion pour les professions de l'information d'un bilan, d'interrogations nouvelles ? Peut-elle être l'occasion de faire table rase des acquis, des certitudes; occasion d'une réflexion très approfondie mettant la profession tout entière en demeure de s'interroger sur elle-même, sur sa fonction, sur sa propre formation ?

Le regard sur l'utilisateur, analysé au cours des actions de formation à l'interrogation en ligne que nous avons menées, nous conduit à poser trois interrogations essentielles : quels sont les objectifs fixés pour cette formation et comment les réalise-t-on ? Peut-on aujourd'hui assurer la formation des utilisateurs ? Doit-on l'assurer et, dans la négative, qui doit le faire ? Qui doit en prendre la responsabilité et l'initiative ?

Mettre en forme la formation

Il semble facile de répondre à la question concernant les objectifs de la formation des utilisateurs. C'est de permettre à ces derniers de rechercher par eux-mêmes les références bibliographiques nécessaires à leurs études, à leurs recherches, à leurs besoins. En quelque sorte, leur formation vise à leur donner l'autonomie nécessaire pour puiser dans les différentes bases de données accessibles à distance, les éléments répondant à leurs interrogations. L'usager doit savoir le faire seul, sans intermédiaire. Pour réaliser cet objectif, on doit, dès lors, se demander quels sont les chapitres à ouvrir pour assurer et réussir une telle formation. Comment communiquer la pratique de l'interrogation ? Par quelles méthodes ? Quels moyens pédagogiques mettre en oeuvre ? Quelle durée pour une telle formation ?

Vouloir donner à l'utilisateur la possibilité d'interroger seul les bases de données bibliographiques implique une formation assez complexe. On peut en décrire les principaux aspects en termes de « connaissance », de « compréhension », de « savoir-faire ».

Connaître: c'est connaître la réalité actuelle du marché de l'information ; les différentes sources d'information; les producteurs, les serveurs, les transporteurs... Connaissance non statique vu l'extraordinaire mouvance de ce marché. Ce dernier, en effet, se transforme constamment avec la disparition et la naissance de bases de données, de serveurs. Ce marché demande une continuelle mise à jour, une actualisation attentive; or les sources d'information permettant cette actualisation sont très diverses et dispersées.

Comprendre: c'est comprendre les différentes opérations de la chaîne documentaire qui conduisent les producteurs à mettre sur le marché des bases de données bibliographiques. Il faut comprendre la démarche qui, du document original, débouche sur le résultat offert à l'utilisateur: l'analyse du document accessible par l'intermédiaire des mots-clés.

Savoir-faire: c'est enfin savoir pratiquer, par la maîtrise des logiciels d'interrogation, la recherche documentaire elle-même. C'est savoir créer l'équation de recherche, c'est savoir gérer la recherche, gérer les recherches.

Par rapport à ces trois données, en quoi consiste actuellement la formation des utilisateurs ?

Former à contre-courant

Tout d'abord, il est aisé de montrer que l'un des résultats obtenus par la plupart des stages actuellement sur le marché, est d'enfermer l'utilisateur dans une base, un producteur, un serveur 1. Ils sont nombreux les utilisateurs directs des systèmes de bases de données bibliographiques qui connaissent fort bien un serveur, un logiciel, et quelques bases de données, ignorant totalement les autres serveurs, les autres bases, les autres producteurs. Cela tient en partie au fait que la formation est souvent assurée par un serveur qui, bien évidemment, donne l'information sur son logiciel et ses bases. Or, la réalité du marché de l'information est autre.

Prenons l'exemple d'un chercheur en pharmacie. Une recherche dans ce domaine peut le conduire à interroger environ huit bases de données distribuées par six serveurs différents 2. Seule une formation complète peut donner à un tel utilisateur la connaissance de cette richesse en sources d'information ; elle doit lui permettre de comprendre la dynamique de ce marché et la nécessité d'une mise à jour de connaissances par un suivi quotidien de l'actualité. Or un utilisateur ne lit pas la littérature professionnelle sur les bases de données bibliographiques. Notre pharmacien lit les nombreux périodiques dans sa spécialité mais probablement pas Infotecture, Bases, Euronet Diane..., littérature professionnelle s'adressant à des spécialistes de l'information scientifique et technique.

Le paradoxe de l'actuelle formation des utilisateurs c'est l'enfermement au lieu de l'ouverture, l'appauvrissement au lieu de l'enrichissement qu'apporte avec lui le marché de l'information. C'est une formation qui va à contre-courant de ce que représente le progrès télématique: abolition des distances, multiplication des sources d'information et rapidité d'accès à l'information.

Référence : irrévérence

Avec le deuxième chapitre, le travail du producteur et le résultat de ce travail, la base de données bibliographiques, nous nous situons au coeur du problème, au point le plus épineux de la formation de l'utilisateur. Comment conduire les utilisateurs à comprendre la nécessité de la recherche bibliographique ? Comment les persuader du bien-fondé de la référence bibliographique ? Comment leur inculquer la disposition à savoir la demander, à savoir l'utiliser ?

Cette question se pose aujourd'hui de la même façon qu'il y a dix ans. J. Archimbaud décrivait en 1976 des étudiants en médecine complètement étrangers à la recherche bibliographique, convaincus totalement de son inutilité. La recherche documentaire et la bibliographie sont bien souvent conçues à long terme comme « indispensables » ou seulement « très utiles », mais, à court terme, les préoccupations immédiates de la scolarité effacent cet intérêt qui reste à l'arrière plan (alors que pédagogiquement, la maîtrise de sa propre documentation permettrait un énorme gain de temps et de mémoire) 3. La difficulté essentielle ajoutait Archimbaud c'est au départ « l'absence de motivations ».

Nous pouvons aujourd'hui dire la même chose, lorsque nous retrouvons prononcé par l'utilisateur, le même verdict sur la référence bibliographique : « Cela ne sert à rien ». La formation de l'utilisateur pose, aujourd'hui comme hier, un point d'interrogation fondamental, celui de la référence bibliographique. Les obstacles, les difficultés rencontrés hier et aujourd'hui sont exactement les mêmes. La télématique n'a absolument rien changé aux données du problème. Elle en a seulement changé l'approche et soulève des questions accessoires par rapport aux questions de fond que soulève toute formation à la référence bibliographique.

Car cette dernière est méconnue. Cette méconnaissance permet de mettre en évidence un point important : si la référence bibliographique est mal comprise par l'utilisateur, elle l'est peut-être tout autant par le producteur de cette référence ! Celui-ci considère son travail comme terminé lorsqu'il propose aux usagers une base de données composées d'analyses et de renvois à une littérature primaire. Il considère qu'il offre un produit fini et le propose comme tel sur le marché de l'information. Il considère que l'utilisateur peut en faire quelque chose. Or, celui-ci, de son côté, boude la référence bibliographique, car, précisément, il ne voit pas ce qu'il peut en faire; il n'en conçoit pas l'utilité.

Boucler la boucle

Ce problème n'est pas nouveau et concerne l'accès à la littérature primaire. Certains serveurs, avec l'accord des producteurs, offrent déjà la possibilité de commander en ligne les articles originaux trouvés lors d'une recherche, car la référence bibliographique n'est pas directement exploitable. Pour obtenir le document signalé, il faut accomplir un travail supplémentaire que peu d'utilisateurs comprennent ou veulent prendre la peine de fournir. Tant que ce problème existera, les professionnels de l'information devront comprendre l'absolue nécessité d'un intermédiaire entre l'utilisateur et tout système donnant accès à des références bibliographiques. Cet intermédiaire saura comment trouver la littérature primaire. Ce n'est pas toujours une tâche facile. Elle demande du temps, de la disponibilité, de l'imagination, une connaissance parfaite des différentes sources d'information et, parfois, beaucoup de patience.

Vouloir former des utilisateurs à l'interrogation de bases de données bibliographiques sans leur donner la possibilité et l'assurance d'exploiter ce qu'il trouvent est nuisible et à la profession et aux utilisateurs. Tant que tous les serveurs n'offriront pas la possibilité de commander en ligne l'article intégral - ou mieux de le lire en ligne, les progrès de la technologie nous permettent de le concevoir - il subsistera entre les personnels des sciences de l'information et les utilisateurs de leurs prestations, un profond malentendu. La base de données bibliographiques n'est pas un produit fini. Elle ne le sera pas tant qu'elle ne permettra pas de boucler la boucle, c'est-à-dire de lire simultanément l'analyse et le texte. Persuadé du bien-fondé de la référence bibliographique, le personnel des sciences de l'information ne s'est jamais fondamentalement interrogé sur la façon dont elle est perçue par l'utilisateur. Le fait que les termes du problème n'aient pas changé depuis dix ans devrait interpeller la profession et être l'occasion d'une introspection fondamentale, non seulement sur ses fonctions, mais aussi sur les raisons de sa mauvaise perception par l'utilisateur. Combien de bibliothécaires, de documentalistes sauraient dire le pourquoi de la recherche documentaire automatisée ou manuelle, sauraient répondre à la question de l'utilité de la référence bibliographique en termes promotionnels ?

Il serait intéressant de connaître l'histoire d'un certain nombre de bases de données bibliographiques, de connaître la genèse de la plupart des fichiers actuellement en vente sur le marché. Très souvent, ils sont nés de la volonté manifestée par des producteurs d'automatiser leur service de documentation. Ils naissent de l'enthousiasme d'une équipe convaincue de l'importance des informations qu'elle détient. « Finalement, la banque est montée et se met à attendre des clients ». Or c'est l'inverse qui devrait exister. D'abord une étude du marché, le recensement d'une clientèle potentielle et de ses besoins. Ensuite, la création du fichier accompagnée du minimum de publicité nécessaire à notre époque pour se faire connaître.

Il semble que le monde de l'information scientifique et technique échappe totalement aux préoccupations soulevées par tout marché. La base de données, comme tout autre produit industriel, soulève des problèmes que l'on doit aborder en termes commerciaux. Où sont les études de marché sur les utilisateurs, réels ou potentiels, de l'industrie de l'information ? Nous sommes ici dans une situation unique qui voit coexister - et, qui plus est, dans le domaine de l'information - deux mondes qui se méconnaissent : celui du producteur-diffuseur et celui de l'acheteur. Dans la société de consommation où nous vivons, le secteur de l'information est probablement seul à mettre sur le marché un produit que certains pensent fini et à négliger l'intérêt qu'il suscite auprès du consommateur. Ce consommateur, nous le connaissons mal ou pas du tout. Le personnel des sciences de l'information devrait davantage être informé des techniques de vente, de mercatique et de publicité. Tout personnel de l'information devrait savoir faire la promotion d'un produit aussi mal perçu.

Conducteurs en herbe, pilotes de ligne

Si nous passons au troisième chapitre nécessairement présent dans toute formation d'utilisateur, nous allons véritablement nous convaincre que nous ne pouvons pas, dans l'état actuel des choses, assurer la formation de l'utilisateur final, mais seulement celle de l'intermédiaire. Il en est de la pratique des bases de données comme de tout apprentissage, c'est-à-dire précisément la pratique, la répétition. On peut parfaitement comparer la formation à l'interrogation en ligne à celle de l'automobiliste. En quittant l'auto-école, le futur conducteur sait et ne sait pas conduire. Dans la réalité il ne sait pas. Il en va de même dans l'apprentissage de l'interrogation des bases. Aucune difficulté intellectuelle n'apparaît dans cette initiation.

Manier un logiciel et un système d'interrogation ne pose pas de problème de compréhension. C'est la raison pour laquelle les stages offerts, mettant l'accent sur l'aspect technique de la formation, peuvent être courts. C'est aussi la raison pour laquelle certains documentalistes et bibliothécaires proclament qu'il suffit de très peu d'heures pour connaître le logiciel QUESTEL ou QUEST ou... Tout cela est vrai, indiscutablement. Mais pour dominer, pour maîtriser le logiciel et le système, dix heures ne suffisent plus, car intervient l'importance de la répétition. C'est interrogation après interrogation que l'on acquiert l'habitude, le conditionnement qui permettent le geste sûr, qui permettent d'être « au-dessus du système » et de ne pas se laisser bloquer par un détail, l'oubli d'une parenthèse, d'un format, d'une commande... Là encore, dans l'apprentissage du logiciel, la formation de l'utilisateur final apparaît comme un leurre. L'utilisateur interroge peu. Il lui manque donc le seul élément nécessaire à sa formation : celui de l'expérience. Nous retrouvons là un point déjà explicité, celui de l'enfermement de l'utilisateur dans un système donné et de son ignorance ou incapacité à utiliser les autres. On peut apprendre à un utilisateur à interroger des bases de données à partir d'un logiciel, mais on ne peut pas lui apprendre des logiciels.

L'enseignement d'un logiciel est en soi déjà discutable, car ce dernier est appelé à connaître des tranformations. Les serveurs modifient des commandes, apportent des améliorations. Certes, l'utilisateur est informé de ces changements, mais le logiciel d'interrogation n'est pas sa préoccupation essentielle.

Il ne sera pas forcément attentif à une annonce concernant une nouvelle commande, pourtant très clairement explicitée par le serveur (bulletin de liaison ou affichage en ligne). Surveiller le marché de l'information, être attentif aux nouveautés apportées par les serveurs aux logiciels d'interrogation est une des activités principales du métier de documentaliste et de bibliothécaire. Cela correspond à une spécialisation. Ici, le personnel des sciences de l'information devient un véritable expert.

Expliciter l'implicite

Cela est encore plus vrai si l'on examine les questions soulevées par la recherche documentaire en elle-même. Nous voulons parler ici de l'équation de recherche établie à partir de mots-clés. Poser une équation de recherche correspond à un savoir-faire assez délicat. Le documentaliste jongle avec les mots-clés, il sait ce que veulent dire relations préférentielles, hiérarchiques, associatives; il comprend la nécessité d'un thésaurus, que celui-ci se situe en amont ou en aval de la chaîne documentaire. L'utilisateur éprouve quelques difficultés à transformer sa demande d'interrogation en équation de recherche. Pour lui, la question posée suffit. Le documentaliste-bibliothécaire, dans son dialogue avec lui, apparaît véritablement comme « un accoucheur de mots ». Les études sur les systèmes experts ont mis en évidence tout ce qu'il y a d'implicite dans la tête de ceux qui savent, ou qui cherchent, ou qui pratiquent une profession. Expliciter l'implicite inclus dans la question des utilisateurs recouvre un des rôles les plus importants du professionnel de l'information. Toutes les études convergent sur ce point qui mettent en évidence l'incertitude, l'indécision du chercheur qui ne sait pas exactement ce qu'il cherche. Faire l'analyse de sa question, la cerner, fait partie de la fonction documentaire. Des siècles après Socrate, et à la faveur des recherches actuelles menées sur l'intelligence artificielle, le documentaliste devrait redécouvrir la maïeutique et relire Platon pour en découvrir la difficulté et les bienfaits.

La recherche à partir de mots-clés offre un nouvel argument contre la formation des utilisateurs. La recherche par mots-clés est une technique imparfaite : l'indexation, au départ, peut avoir été mal faite (il n'est pas question de rouvrir ici le débat sur les qualités d'indexation, et sur la cohérence des bases de données) et la recherche par mots-clés engendre souvent des phénomènes de bruit et/ou de silence qu'il est impossible de nier. Tous ceux qui pratiquent la recherche documentaire en ligne ont rencontré ces références qui ne correspondaient aucunement à leurs demandes ou se sont étonnés que, dans telle ou telle base, il n'y ait rien répondant à leurs questions. Face à la recherche documentaire automatisée, la fonction tri paraît fondamentale. Mais cette fonction est très mal perçue par l'utilisateur final alors qu'elle paraît naturelle aux personnes qui ont la compréhension intime des systèmes d'interrogation en ligne.

Nous touchons là, une fois de plus, un point très important pour notre profession. Cette dernière est assez méconnue ou, dans .son ensemble, mal perçue, souvent enfermée dans une image aux contours assez poussiéreux. Les nouvelles technologies offrent la possibilité d'un tournant; nous ne pouvons pas nous permettre de le manquer. Mettre l'utilisateur en face de systèmes imparfaits représente un risque sérieux. Nous avons assez interrogé de bases de données bibliographiques avec, à nos côtés, des utilisateurs pour affirmer que ces derniers ne comprennent absolument pas que le système puisse leur présenter des références incohérentes. « Les utilisateurs ont des images soit très restrictives, sinon archaïques, de la documentation, soit au contraire très idéalisées, les amenant à se croire obligés d'exiger la lune même s'ils n'ont que faire de la lune 4 ». Pour rénover leur image auprès du premier groupe d'utilisateurs, les professions de l'information peuvent compter sur les possibilités sans précédent des nouvelles technologies. Pour décevoir le moins possible la seconde catégorie, les personnels de l'information doivent accomplir au mieux leur travail d'intermédiaire.

L'intendance ne suit pas

Le dernier chapitre, qui, à notre avis, devrait être présent dans toute formation d'utilisateur, est pratiquement occulté dans toutes les formations que nous connaissons. Il s'agit pourtant d'un élément fondamental concernant la gestion. Que doit être cette dernière dans le cadre de l'interrogation des bases de données bibliographiques ? A quelle formation doit-elle donner lieu ?

D'une façon très générale, la gestion peut être définie comme l'analyse de données chiffrées pour une meilleure efficacité, une meilleure rentabilité, une plus grande productivité. Cette définition ouvre la voie à deux chemins différents :
- la gestion d'une recherche ou des recherches en soi ;
- la gestion de l'unité d'information pratiquant l'interrogation à distance de fichiers bibliographiques.

Le chiffre qui vient immédiatement à l'esprit lorsque l'on parle de téléréférence est celui des coûts de la recherche. La gestion financière est, en effet, ici un élément fort important. Elle doit donner lieu à l'ouverture d'un cahier des comptes sur lequel seront consignés par serveur et par base explorée, les coûts correspondant aux différents éléments comptabilisés dans l'interrogation des bases : heures de connexion, durée de la connexion, charge des télécommunications ; nombre de références visualisées en ligne; hors ligne, commande éventuelle de littérature originale...

La tenue rigoureuse d'un tel cahier permet l'évaluation de plusieurs points :
- évaluation de ses propres dépenses dans le cadre de la gestion globale d'un budget. C'est la gestion de l'enveloppe consacrée à cette activité. Cela permet également de chiffrer et d'argumenter la facture adressée à l'utilisateur final et d'établir, à long terme, le coût moyen d'une interrogation dans les conditions spécifiques où travaille un centre d'information donné, pour un type d'utilisateurs propre, pour des besoins spécifiques...
- le reproche le plus important adressé aux serveurs consiste en la difficulté de lecture des factures adressées périodiquement à leurs clients. La comparaison des factures du serveur et celles dressées par l'intermédiaire permet de vérifier les données financières. Toute interrogation doit faire l'objet d'une facture dressée par ce dernier. Il est vrai que les factures des serveurs sont parfois un peu obscures, mais leur lecture à la lumière de son propre cahier comptable devient chose aisée.

La gestion ne se limite pas au seul aspect financier. Elle doit être également l'instrument d'une analyse permettant l'évaluation des serveurs, des logiciels d'interrogation. Là encore, la tenue d'un cahier de bord devient nécessaire, où sera consigné, recherche après recherche, l'historique de ces dernières. Certains serveurs offrent l'accès aux mêmes bases. C'est le cas, par exemple, de PASCAL produite par le CNRS. C'est l'occasion d'une étude comparative des logiciels d'interrogation. Comment et par quelles commandes arriver à quels résultats en interrogeant PASCAL par l'ASE, par Questel ?... Combien d'étapes nécessaires avec l'un ou l'autre des serveurs; comment se fait l'analyse des résultats obtenus ? Comment les serveurs permettent-ils de déjouer les pièges éventuels de la troncature... Certaines commandes offertes par des serveurs peuvent changer totalement le cours d'une recherche conversationnelle (la commande ZOOM de l'ASE par exemple). L'évaluation d'un logiciel d'interrogation se fait recherche après recherche à partir d'observations rigoureusement consignées et non en fonction d'une impression.

La gestion, c'est enfin un regard approfondi sur les bases de données elles-mêmes. Dégager la richesse ou les défauts d'une base est le résultat d'un travail important qui permet au documentaliste responsable de la recherche de comprendre la politique documentaire du producteur de la base. C'est l'étude de l'indexation, du type d'analyse proposé. Il s'agit de refaire à l'envers le chemin parcouru par le producteur. A partir d'un échantillon de références bibliographiques obtenues en ligne, l'intermédiaire reconstitue le bordereau d'analyse et étudie le document original pour déterminer la fidélité, la clarté de l'analyse, le niveau d'indexation. Ce travail est impérativement nécessaire. Il est le seul qui permette de comprendre une base de données de l'intérieur et qui permette d'engager un dialogue constructif avec l'utilisateur dans son jugement sur la pertinence des références obtenues.

L'étude rapide de ce que doit être la gestion des recherches automatisées permet de mesurer leur importance au sein d'une unité d'information prise dans sa globalité. La recherche en ligne ne doit pas et ne peut pas être un travail isolé. Elle entraîne des conséquences sur la vie au quotidien d'un centre d'information.

Nous ne ferons ici que proposer quelques éléments de réflexion :
- la recherche documentaire automatisée peut modifier la politique d'acquisition d'une unité documentaire, soit par l'abandon d'abonnements, soit, au contraire, par de nouvelles acquisitions: solution éventuelle au problème important de l'accès à la littérature primaire ;
- elle peut être à l'origine d'une comparaison de deux démarches absolument complémentaires : la recherche manuelle et la recherche automatisée. Tout intermédiaire doit prendre' au moins une fois le temps pour une recherche de données de faire l'étude comparative, en temps, en argent, du nombre de références trouvées et des délais pour obtenir les articles originaux. Cette démarche conduit à comprendre quand, pour une demande d'information, le service peut se contenter d'une recherche effectuée à partir des ressources locales, ou quand elle doit être menée à partir d'un terminal. Elle permet également - et la profession n'a pas assez mis en évidence cet argument -de démontrer que la recherche documentaire automatisée ne revient pas forcément aussi cher qu'une première approche pourrait le laisser croire. Il y a là, preuve en main, un argument pour la valorisation d'une unité documentaire au sein d'une entreprise, pour la valorisation d'une profession toute entière.

L'observation systématique des activités de recherche peut conduire une unité d'information à pratiquer le télédéchargement et la diffusion sélective d'informations.

Enfin, la gestion des recherches automatisées peut être l'occasion d'une prise de conscience de la part des personnels concernés d'un besoin de formation, besoin de formation continue par rapport à la mise en oeuvre de technologies nouvelles, mais peut-être et surtout de formation ou de réflexions remettant en cause, grâce à ces nouvelles techniques, des manières de faire et d'être beaucoup trop traditionnelles dans ce métier placé sur l'axe des changements.

Formation ou fuite en avant ?

Il en est des métiers comme des mentalités : certains sont extravertis, d'autres intravertis. Celui de l'information est essentiellement extraverti. Mais ce qui pourrait passer pour une valeur positive nous apparaît ici comme un élément très négatif et même dangereux pour la profession. Les documentalistes et bibliothécaires considèrent que la formation des utilisateurs fait partie intégrante de leur travail. Ne pourrait-on pas estimer que les avocats, les médecins pourraient, ou devraient, tenir le même raisonnement ? Nous avons tous besoin du savoir médical, du savoir juridique. Nous ne contestons pas la spécialisation du médecin, de l'homme de loi. Jamais, sauf dans le cas de la vulgarisation scientifique qui ouvre un autre débat, ces professions n'ont tenté de poser le problème de la formation des utilisateurs. Ce sont des professions qui sont...

Pour l'information scientifique et technique, il devrait en être de même. Le documentaliste-bibliothécaire doit se considérer comme un spécialiste, un expert vers lequel on s'oriente lorsque l'on a besoin d'information, de bibliographie. Le leitmotiv de l'actuel monde de l'information scientifique et technique, la formation des utilisateurs, n'est-il pas l'indice d'un malaise grave de notre profession« d'une difficulté à être ? N'est-il pas le reflet d'un manque de confiance de cette profession, d'une mauvaise et dangereuse perception de son utilité, de sa raison d'être ? Déjà en 1972, G. Anderla le soulignait dans un rapport célèbre en parlant « des limites floues de la profession », de « sa profonde hétérogénéité », de la « méconnaissance des conditions dans lesquelles travaillent ces spécialistes », et du « flottement que l'on observe dans l'attitude des intéressés eux-mêmes à l'égard du métier qu'ils exercent » 5.

Malheureusement, l'observation de cette profession en 1986 révèle toujours ce même regard flou, cette même profonde hétérogénéité. Les professions de l'information sont mal parties. Elles n'ont pas encore trouvé leur identité. Elles ne sont pas sûres d'elles, convaincues de leur utilité. Vouloir faire partager son savoir en formant des utilisateurs est peut-être le reflet de cette incertitude, de cette recherche de soi, par elles-mêmes inhérentes à cette profession. Les technologies modernes offrent aux professionnels de l'information l'occasion de se trouver, de se convaincre de leur nécessité, de se vivre comme des spécialistes, comme des experts de l'information scientifique et technique. Lors du récent congrès IATUL 6, M. Moureau disait : « Tous les services de recherches bibliographiques devraient devenir des services d'experts en information, sur lesquels les chercheurs pourraient compter... L'intermédiaire devient ainsi un expert sur qui ses collègues peuvent compter et auquel ils préfèrent faire appel, plutôt que de se mettre eux-mêmes à appréhender toutes les « ficelles » d'un métier qui n'est pas le leur » 7. C'est là, à notre avis, le point le plus important. L'utilisateur n'a pas à exercer deux métiers, et vouloir le former à l'utilisation autonome des actuels systèmes d'information serait encourager cette dualité. Nous sommes des spécialistes de la recherche en information scientifique et technique. Cela implique une formation, un savoir, une pratique. Assurer la formation des utilisateurs c'est nier notre spécialité, notre identité, notre raison d'être et nos chances de prendre, face au malaise qu'accuse la profession, un nouveau départ.

Vers l'amont

« Il est certain que les modalités d'accès aux banques de données sont encore trop compliquées. Il ne suffit pas d'un téléphone, d'un clavier et d'un écran. Elaborés par des informaticiens ignorant la manière dont on travaille et dont on effectue des recherches dans d'autres domaines que le leur, les langages d'interrogation sont, en général, trop complexes, trop étriqués de conception et trop inadaptés aux besoins qu'ils sont censés satisfaire. Une recherche directe par l'utilisateur final est rarement possible, et l'intervention d'un documentaliste est nécessaire, avec tous les risques de perte ou de déformation de l'information inhérents à cette démarche. L'absence totale de normalisation et les modifications continuelles des systèmes d'exploitation achèvent de décourager les meilleures volontés... » 8.

Les intermédiaires doivent exister et pratiquer leur profession en délaissant dans l'immédiat le problème de la formation des utilisateurs. Il vaut mieux poser le problème de leur propre formation, en connaître les lacunes (initiation à la mercatique, aux outils de gestion...). Dans l'état actuel des choses, les professionnels de l'information ne peuvent assurer la formation des utilisateurs ni à la recherche documentaire automatisée ni, oserions-nous dire, à la recherche bibliographique tout court.

Nous conclurons, en effet, cette étude par une invitation à la réflexion sur la référence bibliographique. Les personnels de l'information scientifique et technique en connaissent la valeur. Ils savent les qualités intellectuelles qu'elle implique, esprit d'analyse et esprit de synthèse. Ils comprennent son importance dans la recherche de l'information. Savoir chercher l'information, savoir utiliser dans sa totalité la référence bibliographique pose un problème de formation. Mais il s'agit là d'un problème social, d'un problème que doivent se poser les responsables, les décideurs qui ont le pouvoir d'inclure dès les premières classes du primaire, des cours apprenant la démarche d'information. Dans nos écoles, dans nos universités, la recherche bibliographique est complètement (ou presque) ignorée tout comme le sont les formations à l'analyse, à la synthèse, à l'évaluation. C'est là un problème de base de tout le système éducatif français. S'il y a un combat à mener c'est bien celui qui consiste à faire prendre conscience de cette lacune, non pas en formant des utilisateurs dans des actions ponctuelles et non suivies, mais en multipliant les démarches auprès des responsables... et en assurant les assises d'une profession pas encore assez sûre d'elle.

  1. (retour)↑  Les stages de formation proposés correspondent à la classification suivante :
    - la formation à un logiciel d'interrogation, souvent prise en charge par le serveur ;
    - la formation à une base de données spécifiques. Formation assurée par le producteur ou par le serveur. C'est le cas du CNRS et de l'ASE proposant la connaissance de bases telles que PASCAL, CHEMICAL ABSTRACTS, BIOSIS... ;
    - la formation à l'ensemble du marché de l'information (connaissance des producteurs, serveurs, transporteurs). Pratique de l'interrogation des bases. Formation assurée par l'ADBS (Association des documentalistes et bibliothécaires spécialisés), par les URFIST (Unité régionale de formation et de promotion pour l'information scientifique et technique)... Tous ces stages présentent deux caractéristiques essentielles : ils sont de courte durée; ils sont axés sur l'aspect technique de la recherche documentaire automatisée. Ces stages sous-entendent que l'utilisateur domine toutes les informations qui se situent en amont de la recherche. Ils obligent également à penser que l'utilisateur parachève par une formation et par une pratique continues, les éléments de formation reçus au cours du stage suivi.
  2. (retour)↑  ABDA-FAM, ABDA-INTER, ABDA-STOFF (serveur DIMDI). BIAM (producteur et serveur). IPA (Dialog WSPS) PNI (dialog et BRS). RINGDOC (SDC et DERWENT) EXCERPTA MEDICA (DIMDI. DIALOG. DATA STAR). (Liste établie à partir de différents catalogues recensant les bases de données. Cette liste ne tient pas compte du problème de la documentation marginale).
  3. (retour)↑  Jacques ARCHIMBAUD, « La formation des utilisateurs à la bibliothèque de médecine, pharmacie et odontologie de l'université de Clermont-Ferrand », Documentaliste, vol. 13, n° 2, mars-avril 1976.
  4. (retour)↑  Jean MICHEL. La recherche en ligne : un prétexte efficace pour former des ingénieurs à s'informer, Compiègne, IATUL, 1986.
  5. (retour)↑  Georges ANDERLA, L'organisation, la technologie et le personnel des services d'information scientifique et technique. 1 : un inventaire d'études et d'enquêtes antérieures, Paris, OCDE, 1972.
  6. (retour)↑  International association of technological university libraries.
  7. (retour)↑  M. MOUREAU, A. GIRARD, A. BUFFETEAU. La formation des utilisateurs des bases de données en ligne à l'Institut français du pétrole, Compiègne, IATUL, 1986.
  8. (retour)↑  Les nouvelles technologies de la documentation et de l'information, Paris, La Documentation française, 1985.