Une Bibliothèque dans un pays rural
lecture et lecteurs à Saint Gengoux le National
Frédéric Schmidt
1985. - 84 p.; 30 cm.
Le cadre de l'étude est un DESS de sociologie appliquée à l'action locale. On ne peut que se réjouir d'une telle initiative universitaire, à l'heure où les crédits de la recherche au ministère de la Culture diminuent de manière draconienne. Dans ce mémoire, Frédéric Schmidt, pour tenter de cerner l'action d'une bibliothèque relais de la BCP de la Saône et Loire s'était proposé 3 axes de recherche :
- Une approche sociologique des lecteurs et de leurs lectures.
- L'impact de la bibliothèque : son insertion dans le tissu communal, l'influence de la zone géographique d'attraction de la commune sur sa fréquentation.
- Le fonctionnement et l'organisation de la bibliothèque.
Les limites de l'analyse, les difficultés rencontrées dans le cadre de ce mémoire sont aussi intéressantes à cerner que les résultats eux-mêmes, car elles sont bien représentatrices du fonctionnement réel d'un tel type de relais bibliothèque, et par suite des conditions de travail des BCP.
Étude difficile...
Les résultats statistiques, nombre de lecteurs, nombre de prêts, règlement et organisation interne de la bibliothèque, n'ont rien à apprendre aux professionnels. Il s'agit d'un cas typique de dépôt de la BCP installé dans un foyer rural, tenu par deux bénévoles, avec un fonds d'ouvrages propres, un dépôt de 300 livres trimestriels et un aménagement particulier du local grâce aux crédits mobiliers récemment mis à la disposition des BCP.
L'analyse des lecteurs est sommaire (enfants, adultes, sexe), comme les comptages sur les prêts. Mais il est bon de rappeler, comme le fait cette étude, qu'il y a antinomie à développer une petite bibliothèque loin de tout anonymat, dans laquelle la fréquentation des usagers tient autant à des relations personnelles avec les responsables (les interviews réalisées le mettent bien en valeur) qu'au fonds de livres, et où la tenue de fichiers et de fiches de renseignements sur les lecteurs est en fait inconcevable. La répugnance des responsables à se livrer à de telles enquêtes est bien ressentie. Pourtant le commerce de Saint Gengoux le National, chef-lieu de canton, a plus de 1 000 habitants et draine la population des communes environnantes. Sur 220 lecteurs inscrits, fin 1984, presque le tiers vient de l'extérieur. L'auteur propose un type de questionnaires, de fiches de renseignements, élaborés à des fins statistiques, sous couvert de la BCP, pour lever les hésitations et les réticences justifiées des responsables à se livrer à de tels interrogatoires.
Qu'en est-il de l'implantation choisie, une salle isolée dont nous ne connaissons pas la superficie, ni la capacité en volumes, dans le bâtiment du foyer rural ?
... d'un public obligé
Les enquêtes auprès des lecteurs révèlent l'impact de la double activité : aucun lecteur ne vient que pour la seule bibliothèque. Tous pratiquent une activité du foyer rural, les adultes viennent y chercher leurs enfants ou profitent de leur passage régulier au chef-lieu de canton. La bibliothèque a donc un public obligé, captif, celui du foyer rural. C'est autant un ferment de dévelopement qu'un risque de diminution et d'appauvrissement en cas de crise au foyer rural. Par ailleurs, la population d'adultes est presque exclusivement féminine, puisque ce sont les mères qui récupèrent les enfants inscrits au cours de danse ou qui pratiquent la gymnastique.
Fréquenteraient-ils la bibliothèque seule ? Les interviews semblent prouver le contraire. Ce double équipement est donc intéressant pour le développement de la lecture même s'il en marque d'avance les limites. A une échelle plus grande, celle de la commune, on retrouve la même analyse. La commune est très bien équipée en commerces, services et équipements intervenant dans les relations intercommunales puisqu'elle regroupe 82 % des éléments retenus par l'INSEE. La fréquentation en est donc obligatoire pour tous les habitants du canton. L'aire géographique d'influence de Saint Gengoux le National est donc large. C'est sur l'ensemble de cette zone que se recrutent, par voie de conséquence, les lecteurs extérieurs à la population du chef-lieu. Leurs déplacements sont donc toujours motivés par un ensemble de raisons différentes. On ne peut alors que regretter la fermeture de la bibliothèque le jour du marché. On se heurte à la réticence des responsables bénévoles que l'ouverture un matin, et sans doute le jour où elles-mêmes font leur marché, n'arrange pas.
Quoi qu'il en soit, la présence d'une bibliothèque à Saint Gengoux est bien comprise par les responsables municipaux comme faisant partie des équipements culturels et autres, rehaussant encore le niveau élevé du taux de services offerts par la commune. Il est sûrement utile à tous les directeurs des BCP de savoir consulter de telles nomenclatures INSEE comme l'inventaire communal avant de décider de l'implantation ou de l'extension d'un relais.
En conclusion, l'auteur fait une série de propositions tant pour développer la bibliothèque que pour disposer à l'avenir d'un meilleur outil statistique. En dépit de la fréquentation importante d'une telle structure, il me semble cependant que le seuil de non-retour n'est pas encore atteint du fait des conditions de son existence, fortement dépendantes d'éléments extérieurs, mais aussi à cause de son public étroit - mères et enfants - né d'un réseau de relation et de rencontres, et composé de lecteurs presque exclusifs de romans.
Mais c'est le mérite de cette étude, au-delà de la simple description, de mettre en évidence, avec réalisme, les limites et les atouts de ce relais bibliothèque ainsi que les conditions d'un essor à l'échelle de l'influence de la commune.