Du côté des prisons

Une annexe en prison, ou l'évasion en univers carcéral; c'est le pari lancé par la Bibliothèque municipale de Marseille qui a ouvert une véritable annexe dans le quartier des condamnés à la maison d'arrêt des Baumettes. A l'origine, un projet commun de l'administration pénitentiaire et de l'équipe socio-éducative des Baumettes, conscientes des enjeux liés à l'ouverture d'une bibliothèque; la bibliothèque municipale, pressentie, acceptait de collaborer à l'opération pourvu que cette bibliothèque de prison soit une bibliothèque à part entière, créée et traitée comme l'une des 36 annexes du réseau marseillais. Cela revenait à dire fonctionnement en libre-accès, pas de critères spécifiques au niveau des acquisitions.

Poli-Poli-Polisson

« Nous nous sommes montrés intransigeants sur ces deux points, raconte Danièle Oppetit, responsable de la Bibliothèque de Marseille. Nous ne croyions guère en l'efficacité de formules éculées comme le choix de livres sur listes et nous avons dit qu'il n'était pas question d'exclure a priori les Popopo (policiers, polissons, politiques) du stock de livres déposés. Toutes ces propositions sont bien passées et la bibliothèque des Baumettes est maintenant une annexe comme les autres, plutôt mieux traitée, mais pas de façon différente. Nous venons une fois par mois faire un dépôt de nouveautés si bien que le fonds des Baumettes compte actuellement près de 4 000 volumes. Il va sans dire que ces dépôts intègrent les demandes d'acquisition faites par les détenus. Or, ces demandes montrent, d'évidence, qu'il n'y a pas de lecture carcérale très spécifique. La demande sur les policiers ou les bandes dessinées existe, mais pas plus que dans d'autres annexes; la nuance la plus évidente concerne... la poésie, de toutes époques, qu'on retrouve en tête des demandes et des prêts. Cela tient, semble-t-il aux conditions psychologiques de détention et, partant, à l'utilisation dérivée de la poésie pour « illustrer » les lettres écrites aux proches et aux familles. Aux Baumettes la poésie retrouve son rôle de lien et moyen d'expression au sens littéral du terme.

La lecture carcérale est, aussi, très documentaire : dictionnaires et ouvrages techniques sont très demandés (le Code pénal, consulté et commenté avec l'avocat, est naturellement en tête au hit-parade), mais la plupart des demandes sont faites en liaison avec les activités du club d'alphabétisation suivies par les détenus. Par ailleurs les livres de géographie, de voyages, d'art et tous ouvrages abondamment illustrés rencontrent un vif succès; la lecture-évasion et l'illettrisme rampant semblent bien être l'explication de ces goûts de lecture.

S'il n'y a pas de lecture carcérale vraiment spécifique, il existe par contre une animation autour de la lecture et de l'écriture qui est très particulière, moins par les contenus qui sont étonnamment classiques (toute la littérature française de la Chanson de Roland au Temps perdu), que par ses modalités. Dominique Cier, notre animateur, se voit parfois contester ses meilleurs clients; car c'est parmi les DPS, les détenus particulièrement surveillés qui purgent les plus lourdes peines, que se recrutent les participants les plus assidus. Là non plus rien de véritablement surprenant si l'on songe que l'organisation d'un hold-up ou d'une escroquerie à grande échelle est, en règle générale, le fait d'individus culturellement moins démunis que de simples casseurs. C'est d'ailleurs dans ce « milieu-là » que nous recrutons nos meilleurs bibliothécaires ».

Bibliothèque rose

La lecture en prison ? Un phénomène de masse, qui touche 97 % des 900 détenus. Il est vrai que les conditions de détention s'y prêtent : en tant que maison d'arrêt, les Baumettes abritent plus de 2 000 personnes mais, à la différence des détenus en centrale, ces condamnés le sont d'abord... à l'oisiveté dans des cellules surpeuplées. C'est peu de dire que la fréquentation de la bibliothèque correspond à une attente, d'autant plus que son utilisation se veut libre, dans les deux sens du terme : aucune obligation réglementaire et liberté réelle de choix. La bibliothèque, tendue de rose du sol au plafond, est ouverte tous les jours et est aménagée comme une petite annexe. Le gardien présent sur place assure avant tout une fonction de... gardiennage. Le rythme et les modalités de fréquentation sont naturellement organisés (une visite par semaine), mais, sur place, les détenus disposent de 3/4 d'heure pour lire, choisir, feuilleter, bavarder avec le bibliothécaire. Ce dernier n'est autre qu'un « collègue » recruté par cooptation et formé par le personnel de la bibliothèque aux techniques de prêt, de tenue des fichiers et de classement. Contrairement aux craintes éprouvées au départ par l'équipe socio-éducative, le vol est, sinon inexistant, du moins très résiduel et en tout cas bien moindre que dans une annexe moins insolite.

Le bilan ? Non seulement positif, mais quasi ravageur puisque la bibliothèque a été saisie de quatre demandes d'implantations supplémentaires, pour les personnels de l'administration pénitentiaire, pour les prévenus, pour les femmes, pour les mineurs. La lecture s'avère une épidémie contagieuse. Pour la bibliothèque municipale, reconduire, dans des conditions similaires, cette opération, ne pose pas de problèmes... sinon de moyens. « Ce motif n'est pas recevable, aurait déclaré le responsable des Baumettes; la prison est, de toute évidence, le meilleur remède à l'illettrisme. Il faut donc la desservir en priorité, car elle est beaucoup plus efficace que n'importe quelle bibliothèque ». En attendant, il a été le premier lecteur à s'inscrire à la bibliothèque de Bonneveine qui vient d'ouvrir ses portes...