La biblioteca pubblica
manuale ad uso del bibliotecario
Milano : Unicapli, 1985. - 610 p.; 22 cm.
Cet ouvrage collectif peut se comparer au Métier de bibliothécaire rédigé par l'ABF dont il partage le but explicite. Il s'en distingue par son ampleur et les chapitres qui lui sont spécifiques sont comme un révélateur de deux univers bibliothéconomiques proches et différents, similaires et sans communication.
Rien de plus révélateur que ce qui est estimé devoir constituer le bagage d'un professionnel des bibliothèques publiques italiennes : rien moins que le Contenu du Métier de bibliothécaire déjà cité et d'Un espace pour le livre (J. Gascuel, Ed. Promodis) et des 2 ou 3 autres livres qui n'existent pas encore en France sur l'informatisation ou l'histoire de la législation sur les bibliothèques.
Ce manuel ne se contente pas d'une approche purement technique et l'annonce d'entrée de jeu dans la préface : il s'agit d'un panorama des systèmes de gestion et d'organisation des bibliothèques, réparti en 18 chapitres de longueur variable écrits par autant d'auteurs dont la carrière est retracée dans des notes biographiques en fin de volume. Si le contenu de la plupart des chapitres recoupe, à première vue, les thèmes des manuels français similaires (mobilier, architecture, catalogage, indexation, politique d'acquisitions, etc.), le lecteur français peut être surpris de percevoir que presqu'aucune description technique n'est vierge de proposition généralisatrice, que toute pratique est mise en perspective. Ainsi, l'article de 3 pages consacré aux bibliothèques pour enfants (outre qu'il se limite à des propositions de normes de catalogage, suivies d'exemples), débute par la définition de celles-ci comme « service culturel d'importance majeure ».
L'article intitulé « Le choix du livre : évaluation, instruments et procédures » débute par un résumé des attitudes passées et présentes des bibliothécaires sur la question du choix des livres, repli sur le traitement des documents sans réflexion sur les acquisitions ou sur l'animation culturelle laissant parfois le champ libre à d'autres intervenants (comités consultatifs). L'auteur met l'accent sur le fait qu'il incombe au bibliothécaire de bien connaître les conditions de la production éditoriale. Pour en maîtriser l'abondance et combler les écarts de notoriété entre ouvrages, le bibliothécaire doit se penser comme partie d'un ou plusieurs ensembles visant à « rationaliser les opérations et les procédures, y compris les acquisitions ».
Réseaux, régions, lecture
C'est un élément de ce que les Italiens désignent par les termes de « sistemi bibliotecari » et que nous appelons les réseaux de bibliothèques. Il existe d'ailleurs en Lombardie des « systèmes bibliothécaires locaux » concernant des communes rurales et groupant 10 à 25 000 habitants.
Le financement a été assuré par la centralisation des subventions régionales auparavant dispersées dans chaque commune. Bel exemple à méditer pour une France barricadée dans le municipalisme étroit qui empêche tout développement des services publics dans les zones rurales.
Sans faire de l'Italie un modèle (il y subsiste de larges zones de sous-développement culturel), des confrontations et des rencontres avec nos collègues transalpins seraient plus riches d'enseignement pour les bibliothécaires français que certaines visites démoralisantes dans les meilleurs bibliothèques de l'Europe du Nord et de l'Amérique.
La France et l'Italie, pays catholiques où le livre fut longtemps tenu à l'écart du peuple, sont plus proches l'un de l'autre par leur système politique souvent clientéliste que de leurs voisins protestants qui recherchent le consensus dans le développement des services utiles à la communauté. L'Italie a sur la France l'avantage d'un système régional qui est un cadre incitatif au développement des services culturels, et en particulier des bibliothèques.
Depuis 1975, chaque région italienne a pleine compétence pour promulguer des lois régionales dans le domaine culturel. Ces lois fixent des normes minimales pour les bibliothèques publiques du territoire de la région. Dans certains cas, elles incitent à créer un système d'achats centralisés (Vénétie) ou tout au moins à une mise en commun de ressources techniques et documentaires.
Cette réalité régionale de l'Italie, trop mal connue en France, a certainement renforcé l'émergence de l'institution bibliothèque au niveau politique, car les formations politiques et syndicales italiennes sont amenées à prendre position sur les politiques culturelles des gouvernements régionaux et donc sur la politique de développement des bibliothèques. C'est pourquoi un long article de Maurizio Belloti intitulé « l'Animation, pourquoi ? éléments pour une histoire de l'animation et de la politique culturelle » se présente au début comme un essai (au sens littéraire) de politique qui embrasse la quasi-totalité du panorama politique italien dans lequel sont cités un nombre impressionnant de penseurs de la chose culturelle, de Lénine à Ortega y Gasset et d'Edgar Morin à Jean-François Revel.
Partant des batailles politiques et syndicales sur le thème de l'appropriation par les travailleurs du patrimoine culturel, M. Belloti en vient à résumer des recherches anglo-saxonnes sur l'apprentissage de la lecture (l'analphabétisme était encore massif, il y a peu, dans le Sud italien), puis aborde la question de la formation des utilisateurs de bibliothèques, celles-ci étant vues comme le principal lieu de la promotion culturelle depuis que les télévisions privées ont fait réduire à peu de chose les émissions éducatives de la télévision d'Etat.
Un article élogieux d'Umberto Eco sur « le paradis du lecteur » que serait la Sterling library à New Heaven (Connecticut) en regard des bibliothèques d'études italiennes qui s'ingénieraient à compliquer au maximum leur organisation afin de ne pas offrir trop de facilités aux usagers, amène l'auteur à se poser une question essentielle : qui fréquente les bibliothèques ?
Cette question amène la suivante : qui ne les fréquente pas et pourquoi ? Nous sommes donc renvoyés aux problèmes de la « joie de lire » et du « goût de la lecture ». Doit-on ne pas s'inquiéter du fait qu'ils semblent être les privilèges d'une minorité et face à Dallas, doit-on faire de l'animation culturelle au risque de carnavaliser l'action des organismes culturels ?
Maurizio Belloti définit, à juste titre, la bibliothèque comme devant être un « point de référence » de la petite enfance à la tombe. Elle doit sortir du campus et aller, si besoin est, à domicile. Elle doit être un lieu « d'auto-éducation » et posséder un secteur de documentation utile aux demandeurs d'emploi, un centre d'information sur le travail, ainsi que réunir des matériaux d'intérêt local. Toutes évidences bien connues en dehors de la France et qui ont bien du mal à y pénétrer !
Notre auteur, parti de considérations fort générales, voit finalement les bibliothèques comme un lieu de référence (referimento) sur un territoire donné, pouvant créer des emplois partiels pour les jeunes et les anciens, fournissant à tous des matériaux utiles à la vie quotidienne, mais qui sont aussi la mémoire culturelle des sociétés humaines, un lieu d'aboutissement des actes culturels, pour leur réinvestissement au profit de la génération suivante.
D'autres articles plus techniques donnent une approche nuancée des forces et faiblesses des bibliothèques publiques italiennes.
Autant les réflexions et matériaux sur le traitement des documents sont abondamment et précisément développés, autant il apparaît que l'introduction des non-book materials n'est pas très généralisée en Italie, ainsi que nous le rapporte Daniele Poltronieri, lequel veut montrer que les vidéothèques ont leur place dans les bibliothèques. Il conseille de rechercher des films où l'image est prépondérante (spectacles, ballets, opéra, théâtre) ainsi que les documentaires et l'histoire locale.
L'auteur conclut par une proposition de catalogage des documents au-dio-visuels. Dans l'article suivant, Fiorella Pomponi traite des disques en s'appuyant sur son expérience de travail à la Bibliothèque communale de Milan. Elle décrit également un système de catalogage très élaboré incluant un catalogue-matières.
En ce qui concerne le catalogage des livres, une vingtaine de pages suffisent à en définir les règles, mais autant de place est ensuite consacrée à l'application des « Règles italiennes de catalogage par auteurs » aux livres anciens.
Parcourir ce livre est donc aller de contraste en contraste, le premier étant résumé par la couverture qui montre un ordinateur de la Bibliothèque Sormani à Milan et un tableau représentant la page de titre d'un livre du XVIe siècle. Contraste des techniques, contraste entre la richesse et la pauvreté, qu'elles soient culturelles ou financières, contraste entre les désirs et besoins des happy few et les préoccupations apparemment plus terre à terre de la grande masse.
Les Italiens semblent réfléchir plus qu'en France aux interrogations sous-jacentes, souvent d'une manière qui nous semble par trop brouillonne ou dogmatique. N'ont-ils pas cependant beaucoup à nous apporter, car leurs préoccupations et leurs réalités semblent proches des nôtres ? Ils semblent beaucoup se référer aux bibliothèques françaises, y compris au Bulletin des bibliothèques de France dont ils citent un dossier sur « Bibliothèque du futur ou futur sans bibliothèque ».
La bibliothèque du futur est évoquée par Liliana Aimone Prima dans quarante pages sur l'automatisation qui forment un excellent petit manuel à elles toutes seules, car on y trouve des généralités sur les ordinateurs, une revue de tous les formats d'échange et d'excellents conseils sur la mise en place de l'informatisation, le tout appuyé sur les publications américaines anciennes et récentes.
Mais cette bibliothèque du futur devra être faite en pensant aux 70 % de personnes qui maîtrisent mal le code écrit en France et en Europe pour inventer une nouvelle école qui serait celle de toute la vie.