Les livres de vos enfants, parlons-en !

par Nicolas Verry

Bernard Épin

Messidor/La Farandole, 1985. - 187 p.
ISBN 2-209-05738-8 : 85 F.

Bernard Épin est l'héritier d'une pionnière de la critique de littérature enfantine, Natha Caputo, qui exerça ses talents depuis l'après-guerre jusqu'à la veille de 1968 et publia une rubrique régulière dans l'Ecole et la nation - cette même Natha Caputo qui légua à la Joie par les livres naissante sa collection de livres pour enfants, embryon d'intérêt inestimable de l'actuel Centre national du livre pour enfants. Instituteur dans la région parisienne, collaborateur de Natha Caputo (en particulier pour son Guide de lectures de 4 à 15 ans qu'elle publia en 1967), Bernard Epin la remplaça dans les colonnes de L'Ecole et la nation depuis sa disparition en 1967. C'est dire s'il est habilité, par sa pratique du livre et sa connaissance de l'enfant, à parler de littérature enfantine.

Un autre aspect de sa personnalité mérite qu'on s'y attarde, à la fois parce qu'il marque l'homme et afin de dissiper tout malentendu. L'Ecole et la nation est la revue pédagogique du Parti communiste français, Messidor est le groupe d'édition du PCF, dont Bernard Épin est un militant déclaré. Mais on peut lire ses positions sans adopter ses idées, et pourtant les trouver justes; c'est que l'homme n'est pas lié à une idéologie, mais à des convictions profondes, et son style n'est pas forgé dans la langue de bois.

Parlons clair : le livre de Bernard Épin n'est pas le pendant communiste ou marxiste d'un Ecrits pour nuire, pamphlet commis la même année par Marie-Claude Mondaux à la demande de groupuscules d'extrême-droite, au parfum d'aigreur et de calomnie, et s'appuyant sur une lecture entièrement négative des livres d'enfants, où ce qu'on veut dénoncer est défini à l'avance. Non, rien de tout cela chez Bernard Èpin, mais, à l'opposé, une connaissance concrète des livres et une ouverture réelle sur toutes les questions qu'il aborde. Tout au plus peut-on lui reprocher une certaine complaisance, comme un militant discipliné, vis-à-vis des milieux de l'édition proches du PCF, mais il serait dommage que ce péché véniel éloigne de ce livre une partie du public.

A qui s'adresse Bernard Épin dans son livre ? A un public assez large, à commencer par les parents, comme le titre l'indique, mais aussi les éducateurs, enseignants, animateurs, étudiants... C'est en effet un livre de formation, mais non savante ou théorique. L'auteur pose des questions précises, de celles qu'on rencontre fatalement dès qu'on s'intéresse aux livres pour enfants; pas des questions neuves, mais des questions pratiques sur la lecture, les critères de qualité, les livres faciles ou difficiles, la littérature pour adolescents, les livres écrits et dessinés par les enfants, etc., autant de questions auxquelles les réponses sont données, nuancées, prudentes, comme seule l'expérience peut l'enseigner.

Dans une seconde partie Bernard Epin propose une liste de cinquante livres-repères de fiction, ceux qui ont fait avancer la création : déjà des classiques pour les spécialistes, mais des titres utiles pour s'initier aux livres pour enfants quand on part de zéro, un bon panorama qui donne à la littérature enfantine toute sa portée, sa densité. Cette liste est largement commentée, ce qui en fait non pas une bibliothèque idéale, comme le souligne l'auteur, mais un guide.

Troisième partie, l'image : ses langages, ses rapports aux textes. Le chapitre est peut-être un peu succinct vue l'ampleur du sujet, et on sent de la part de l'auteur une connaissance acquise plus qu'un goût particulier. Quoi qu'il en soit, l'image est montrée dans sa complexité, sa variété et, fait assez rare pour qu'on le souligne, des planches en couleurs viennent illustrer ce chapitre à la façon d'un montage audiovisuel, avec une trentaine d'illustrations correctement reproduites. Cela vient expliquer le prix assez élevé du livre, ce qui est justifié pour un ouvrage, répétons-le, de formation.

Dans la quatrième partie, qui traite du livre documentaire, Bernard Épin procède à une analyse plus précisément marxiste, le sujet - la transmission des connaissances -s'y prêtant. Mais, là aussi, prudence et honnêteté restent de mise, et l'auteur ne se contente pas d'un panorama caricatural de la production. Il sait rendre justice aux expériences novatrices, et son point de vue ménte d'être écouté puisque lui-même a signé trois albums documentaires publiés à La Farandole (Profession chanteur, Histoires d'école, Education civique).

Dans le chapitre suivant Bernad Épin nous fait connaître cinq auteurs importants et chers à son cœur, reprenant articles ou communications déjà publiés, Colette Vivier, Christian Bruel, Bertrand Solet, Astrid Lindgren et Gianni Rodari : approches en profondeur d'œuvres variées, originales, suivies de bibliographies. Non pas des auteurs exemplaires, mais exemples de l'analyse que chaque amateur, connaisseur de livres d'enfants pourrait faire d'une oeuvre qui l'a particulièrement touché, intéressé. A la fin, bibliographie d'études sur la littérature d'enfance et de jeunesse, l'image, le conte, la BD, la lecture, à rapprocher des « sources d'information » données page 50.

En définitive, un ouvrage pédagogique sur le livre pour enfant, facile à lire parce que concret, ouvert à la discussion, une bonne initiation, à rapprocher de l'album Aimer lire publié par Bayard-Presse (cf. BBF tome 28, n°2, p. 210) mais dans un tout autre registre, et qui pourra donner envie de lire, afin d'en savoir plus, le Guide de formation sur les enfants et les bibliothèques publié sous la direction de Claude-Anne Parmegiani aux éditions du Cercle de la librairie.