L'aBC des BCD

Les bibliothèques-centres documentaires à l'école

Odile Lambert-Chesnot

Les BCD (bibliothèques-centres documentaires) ont été lancées, à titre expérimental, dans six écoles pilotes il y a une dizaine d'années. Renouant avec la tradition des bibliothèques de classe de la fin du XIXe siècle, elles sont nées de la réflexion commune des enseignants et des bibliothécaires. Toute une série de textes et de mesures sont venus favoriser leur implantation à l'école primaire, en particulier l'action conjointe aux ministères de l'Education nationale et de la Culture menée depuis octobre 1984 pour hâter leur généralisation.

The libraries-documentation centers have been set, as an experiment, in six pilot-schools ten years ago. Renewing with the traditional class libraries of the late nineteenth century, they came up from the common thought of teachers and librarians. With the help of texts and measures, adopted by the ministry of National education and the ministry of Culture since October 1984, they have settled in primary schools and are now expanding countrywide.

La bibliothèque-centre documentaire était une innovation en 1975. Des crédits exceptionnels du ministère de l'Éducation nationale pour implanter six bibliothèques-centres documentaires dans les écoles primaires expérimentales, suivies par l'Institut national de la recherche pédagogique, avaient été versés à l'ADACES (Association pour le développement des activités culturelles dans les établissements scolaires) qui a pu suivre l'évolution de cette innovation.

En 1985 - dix ans après - la bibliothèque centrale d'école n'est plus une innovation; le terme BCD est devenu un terme générique comme employé par tous et toutes. Les BCD ont été officialisées par circulaire ministérielle dans certaines académies. Elles sont, si ce n'est monnaie courante, nombreuses et variées. Quelles ont été les principales étapes de leur développement ?

L'ancêtre de la BCD : la bibliothèque de classe

Les bibliothèques de classe ont existé dans les écoles relativement tôt, puisque, dès 1860, une armoire-bibliothèque est prévue dans le mobilier scolaire (circulaire du 31 mai 1860).

Divers arrêtés et circulaires organiseront peu à peu leur fonctionnement. Une circulaire du 24 juin 1862 définit ainsi les buts de la bibliothèque de classe :

« La bibliothèque scolaire est formée avant tout dans l'intérêt des enfants, mais, au terme de l'article 5, des livres pourront être prêtés aux familles. Ce sera pour elles, dans les longues veillées d'hiver, un excellent moyen d'échapper aux dangers de l'oisiveté (1) ».

En 1880, ces bibliothèques sont dénommées « bibliothèques populaires des écoles publiques » leur public en effet n'est pas uniquement scolaire, elles se doivent d'être une prolongation de la scolarité pour les adultes (2).

Au début de leur création, un gros effort financier est effectué afin de financer et de renouveler leurs fonds. En 1878, elles sont quelque 21 000, en 1888, 36 000, 43 000 en 1902. Malheureusement ces bibliothèques de classe ou d'école

- rappelons que les écoles rurales à classe unique étaient nombreuses - ne sont pas pour autant actives. Les crédits s'amenuisant, les fonds d'ouvrages ne sont plus renouvelés et perdent de leur intérêt pour les lecteurs potentiels.

Un arrêté du 15 décembre 1915 réglemente leur fonctionnement, alors même qu'elles sont complètement en déclin. Il est même précisé: « La bibliothèque de l'école est placée sous la surveillance de l'instituteur. Elle est, autant que possible, installée dans une salle spéciale qui est munie d'un mobilier adapté aux besoins des lecteurs ».

Plusieurs causes peuvent expliquer l'échec du fonctionnement des bibliothèques scolaires en France avant la Première Guerre mondiale: régime administratif très centralisateur, difficultés d'autonomie et d'initiative des associations. Mais l'une des causes principales est le modèle pédagogique en vigueur : l'école se préoccupe en premier lieu de l'instruction dont le maître est le dispensateur, la bibliothèque reste donc marginale par rapport à la vie scolaire (3).

Dans l'Entre-deux-guerres, les mouvements d'Éducation nouvelle, dont Célestin Freinet est une figure marquante, affirment la nécessité pour l'élève d'apprendre par lui-même en ayant recours à des documents.

Plus récemment, deux réformes de l'enseignement élémentaire ont été décisives pour le développement d'une pédagogie moins centrée sur le maître et visant à développer l'autonomie des élèves. Il s'agit, en 1969, de l'institution du tiers temps pédagogique qui engage les maîtres à substituer les activités d'éveil aux leçons d'histoire, de géographie et de sciences naturelles.

La même année, la commission Rouchette note l'importance de la communication dans l'apprentissage de la langue maternelle dans le document : Vers un enseignement rénové de la langue française.

En 1972, les instructions relatives à l'enseignement du français à l'école élémentaire préconisent les bibliothèques de classe, afin de redonner goût à la lecture. Ce désir des enseignants d'offrir aux élèves un fonds documentaire leur permettant de faire des recherches dans le cadre des activités d'éveil, ainsi qu'une lecture de détente, les amène à créer - non pas une armoire-bibliothèque - mais un « coin lecture » dans la classe. Quelquefois, ces coins lecture peuvent être alimentés par des dépôts des bibliothèques centrales de prêt ou municipales, ce qui leur permet d'être renouvelés et de conserver leur attrait.

Parallèlement à l'existence des coins lecture, des bibliothèques accueillent, pendant les horaires scolaires, des classes accompagnées de leur maître. Ces visites présentent d'énormes avantages : elles font connaître à des enfants le chemin de la bibliothèque, elles les invitent à un apprentissage de la documentation et de ses outils, mais elles ont tendance à ne pas pouvoir tenir compte de la démarche individuelle du lecteur (4).

Nous avons parcouru, en quelques lignes, un peu plus d'un siècle : les bibliothèques de classe ont été très tôt mises en place pour permettre et développer auprès des élèves et de leur famille des occasions de lecture. Pour les raisons que nous avons énumérées, elles sont vite tombées en désuétude, à tel point - comme le fait remarquer Francine Vaniscotte - que lorsqu'en 1972, les instructions officielles préconisent des bibliothèques de classe, on considère ces mesures comme novatrices (5).

Vers les années 60-70, on peut remarquer une convergence d'intérêts et d'attitudes entre les milieux de l'école élémentaire et les bibliothécaires qui s'aperçoivent de la complémentarité de leurs tâches : un premier pas est fait qui va continuer.

Le début d'une innovation (1975-1980)

De multiples écrits et publications témoignent de la réflexion qui s'amorce alors chez les bibliothécaires et les enseignants. Rappelons-les pêle-mêle :
- la revue Lecture et bibliothèques publiée par la section des bibliothèques publiques de l'Association des bibliothécaires français consacre en 1972 deux numéros à l'enseignement élémentaire et à la lecture, évoquant des expériences françaises et étrangères (6) ;
- un numéro du Bulletin d'analyses du livre pour enfants est consacré à « la lecture, l'école primaire, la bibliothèque », en octobre 1973 (7) ;
- la collection « Lecture en liberté » chez Magnard publie, au cours de ces mêmes années, plusieurs titres relatant des expériences d'incitation à la lecture : Lire en classe de Claude Bron, Le Centre culturel et la lecture des enfants (expérience de Saint-Pierre-des-Corps).

D'autre part, le ministère de l'Éducation nationale publie la circulaire du 20 août 1973, concernant l'aménagement de l'espace scolaire, déclarant obligatoire la création d'une salle pour le centre documentaire dans toute construction scolaire nouvelle :

« L'école élémentaire de tradition, faite de classes juxtaposées (...), doit faire place à des constructions d'un type nouveau (...). Par une architecture fonctionnelle, il s'agit d'adapter l'organisation scolaire aux différences individuelles, de favoriser toute forme de travail et d'effort, d'inciter aussi les maîtres à travailler ensemble. (...) L'école gravite autour d'un centre documentaire accessible à tous où sont rassemblés les moyens d'informer et d'apprendre ».

Si nous avons cité longuement cette circulaire, c'est que son énoncé est à bien des égards révélateur d'un désir de changement, orienté vers une pédagogie individualisée pour les élèves et un travail d'équipe pour les enseignants.

La note n° 4

Au cours de l'année 1974, un groupe composé de bibliothécaires de la Joie par les livres et de pédagogues de l'Institut national de la recherche pédagogique se réunit afin de constituer un document de base concernant le fonctionnement d'une bibliothèque centrale à l'intérieur d'une école élémentaire. Les bibliothécaires de la Joie par les livres ont à leur actif un travail de collaboration important mené avec les enseignants des écoles élémentaires de la ville de Clamart, ainsi que le suivi d'une bibliothèque centrale d'école implantée en 1972 dans une école élémentaire du Muy dans le Var 1. Les pédagogues de l'INRP suivent des écoles élémentaires, dites terrains expérimentaux, qui cherchent par diverses voies - pédagogie de soutien, pédagogie de niveau - à combattre l'échec scolaire.

Cette note, dite note n° 4, parce qu'elle est la quatrième d'une série de notes destinées aux écoles expérimentales, définit le rôle d'une bibliothèque à l'intérieur d'une école (8). La bibliothèque y est naturellement considérée comme un lieu de lecture, très diversifié. C'est aussi un lieu d'échanges et d'informations. Cadre de vie, la bibliothèque est ouverte pendant tout le temps scolaire. Le style de vie propre à la bibliothèque n'autorise pas une utilisation collective. La note n° 4 précise :

« Une utilisation naturelle de la bibliothèque offrant le maximum d'autonomie, de liberté aux enfants est celle qui se fait seule ou en petits groupes à partir d'une envie réelle et d'un choix personnel entre diverses activités. L'utilisation collective de la bibliothèque par toute la classe paraît donc exclue ».

À la fin de cette note, sont exposées les conditions matérielles nécessaires à la création d'une bibliothèque centrale. Ses auteurs insistent à plusieurs reprises sur le caractère particulier de l'institution bibliothèque qui permet une autonomie de l'enfant que l'environnement scolaire n'a pas l'habitude de lui donner. Il est donc plus ou moins stipulé qu'une création de bibliothèque ouverte pendant tout le temps scolaire amène nécessairement un changement dans les pratiques pédagogiques des enseignants et dans la structure de l'école.

« La bibliothèque n'est pas seulement pour l'école un lieu d'approvisionnement (...). De la sorte, la bibliothèque, par le style d'action éducative qui la caractérise, favorise la transformation des méthodes pédagogiques au sein même de l'école dans la perspective des objectifs communs qui ont été définis plus haut ».

La note n° 4 était naturellement destinée aux écoles qui allaient être pourvues d'une BCD, grâce aux subventions exceptionnelles...

La création de l'ADACES

Fin 1974, est née l'Association pour le développement des activités culturelles dans les établissements scolaires (ADACES), association loi 1901 dont le conseil d'administration est composé de pédagogues de l'INRP, de bibliothécaires de la Joie par les livres et de représentants des terrains.

Cette association reçoit des crédits exceptionnels du ministère de l'Éducation nationale et du Fonds d'intervention culturelle afin de doter 6 écoles d'une bibliothèque centrale, (mobilier, fonds initial et renouvellement du fonds pendant 6 ans), de suivre l'expérience (formation des instituteurs chargés de la BCD, réunions pédagogiques avec les autres enseignants) et de l'évaluer.

Les six écoles choisies font toutes partie du réseau des écoles expérimentales de l'INRP. Leur municipalité a accepté de collaborer à cette expérimentation en aménageant la salle prévue à cet effet et en versant une allocation de 10 000 F correspondant au mobilier. D'autre part, une personne à plein temps doit être dégagée pour assurer la gestion et le fonctionnement de la bibliothèque-centre documentaire. Dans cinq écoles, c'est un enseignant de l'équipe qui est détaché, dans la sixième, une bibliothécaire municipale, la BCD servant aussi d'antenne municipale hors du temps scolaire.

Au cours des premières années, ces six personnes seront plusieurs fois réunies en stage de réflexion. Dans le cadre des journées pédagogiques, les équipes enseignantes des écoles pourront réfléchir et coordonner leurs actions par rapport à la BCD. L'expérience ayant été lancée, l'ADACES, avec le concours de l'INRP, aura le souci d'évaluer cette innovation, et, pour répondre à un besoin qu'elle ressent de la part d'écoles autres que les six écoles expérimentales, elle va informer.

Ce double souci d'évaluation et d'information va susciter des mini-enquêtes, des interviews cherchant à cerner les incidences de l'implantation et du fonctionnement d'une BCD à l'école élémentaire.

Une brochure parue fin 1978 présente un premier bilan des travaux d'évaluation effectués autour des deux axes suivants : BCD et changement pédagogique, aspects du fonctionnement d'une BCD (9).

Ensuite, la plupart de ces études seront publiées dans le bulletin de liaison de l'ADACES, BCD, de mai 1978 à décembre 1980 (10).

L'évaluation

Les diverses études menées au sein de l'ADACES, de 1975 à 1980, nous permettent de cerner ce qu'a représenté la BCD pour les enseignants des six écoles dotées. Nous reprendrons les 3 axes de l'essai d'évaluation auquel nous avons collaboré et qui est paru en octobre-décembre 1980 dans la revue Médiathèques publiques (11) :

* La bibliothèque-centre documentaire et les lectures des enfants. La BCD suscite-t-elle des lectures ? Les enfants y ont-ils recours ?

Une enquête, lancée à la veille de l'implantation des BCD parmi quatre des six écoles concernées (12) montrait que l'origine privilégiée des lectures des enfants était leur domicile puisqu'il constituait 90,4 % des réponses. Trois ans après l'implantation de la BCD, une enquête effectuée dans quatre écoles possédant une BCD et auprès d'élèves du cours moyen, comme précédemment, montre que d'une manière générale « la BCD joue un rôle important dans l'approvisionnement des enfants en livres (13) » puisque dans trois écoles sur quatre, 40 à 50 % des livres cités proviennent de la BCD, 43 à 50 % ayant une origine privée.

D'autre part, l'étude des statistiques pendant 3 années scolaires consécutives tend à montrer que les élèves empruntent. Le nombre moyen de prêts par élève varie selon les écoles, mais il se situe entre 14 et 31 livres par élève pour une année scolaire.

* Le fonctionnement interne de la BCD. En dehors de l'activité de prêt, que se passe-t-il à la bibliothèque ?

Certaines écoles ont effectué des statistiques de fréquentation; celles-ci, même partielles, nous permettent de cerner un peu mieux la vie d'une BCD.

Dans une de ces bibliothèques où les statistiques de fréquentation ont été faites de façon régulière, on s'aperçoit que, d'une année sur l'autre, le nombre des enfants varie du simple au double pour les deux activités qui étaient notées : prêt et lecture sur place. Cette dernière a augmenté.

Si dans certaines BCD, les activités sont réduites au prêt et à la recherche documentaire, une enquête effectuée auprès des personnels a révélé que la BCD est aussi un lieu d'animation de l'école puisque cette activité peut occuper entre 14 et 50 % du temps du bibliothécaire scolaire. On y retrouve les activités traditionnelles, telles heure du conte, présentation de livres. Par contre, spécifique à la BCD est celle mentionnée sous divers vocables : « recherche de sons », « imprégnation de livres », qui s'adresse aux apprentis lecteurs (14).

* La BCD et le changement pédagogique. La BCD a-t-elle modifié les pratiques des enseignants ?

Deux points, la circulation des enfants vers la BCD et l'apprentissage de la lecture nous ont semblé apporter de bons éléments de réponse à cette question. Théoriquement, aucun enseignant n'a contesté le principe de l'autonomie de l'élève et donc de sa circulation vers la BCD. En pratique, la première année, une limitation numérique - de 3 à 5 élèves par classe - avait été imposée à la fois pour ne pas surcharger la BCD et ne pas vider les classes. Mais cette limitation numérique, au cours des années, a été supprimée dans certaines écoles, l'auto-régulation s'effectuant d'elle-même. Dans les faits, la circulation des élèves n'est pas toujours aisée lorsque les structures et les pratiques pédagogiques n'ont pas réellement été modifiées, les enfants sont conviés à aller en BCD à des moments spécifiques, en dehors des temps d'enseignement collectif.

Lorsque les pratiques pédagogiques ont évolué vers une pédagogie plus individualisée, ou le travail en groupe, elles permettent alors une utilisation plus rationnelle de la BCD dans la vie scolaire.

Le second élément qui permet de juger des changements pédagogiques est la manière dont les instituteurs conçoivent l'apprentissage de la lecture.

Au début de l'expérience, en 1977, les enseignants reconnaissent que l'apport de la BCD en livres nouveaux permet un réel choix surtout au niveau des albums ou livres d'images dont les bibliothèques de classe étaient peu pourvues. Une enquête effectuée en juin 1979 auprès d'une vingtaine d'enseignants de CP nous apprend qu'il existe deux modes d'utilisation de la BCD, différents selon la méthode de lecture utilisée.

Pour les enseignants utilisant une méthode d'enseignement de la lecture à caractère phonétique, la BCD n'a pas de répercussion sur l'apprentissage en tant que tel.

Par contre, les enseignants qui emploient une méthode à caractère global, utilisent beaucoup plus la BCD, en se servant des livres d'images, de comptines comme textes de base (15).

En dernier lieu, une étude comparée sur 3 ans portant sur la vie quotidienne de deux écoles pourvues d'une BCD par l'ADACES, montre que, même lorsque les conditions matérielles et pédagogiques sont optimales, ces conditions s'avèrent dans certains cas insuffisantes pour que l'institution BCD soit réellement intégrée dans la structure scolaire (16).

Les différents éléments d'évaluation rassemblés de 1975 à 1980 ont pu cerner les diverses facettes de l'innovation que constituait le fonctionnement d'une BCD en milieu scolaire : la BCD est d'un apport culturel certain. C'est un lieu connu par tous; les enfants y viennent régulièrement, et très souvent, seuls ou par groupes. Mais son fonctionnement est encore trop souvent lié à la structure et aux enseignements scolaires : elle est, dans certains cas, un équipement de plus (dont on reconnaît les mérites), mais elle n'est pas toujours autant intégrée à la vie de l'école que le souhaitaient les signataires de la note n° 4.

Parallèlement à ces conclusions, on peut noter que les six BCD créées par l'ADACES ne sont plus les seules... d'autres se créent, sans moyens exceptionnels, à l'instigation d'enseignants, d'associations de parents d'élèves : c'est le début de la phase de généralisation.

Extension ou généralisation

Aucune enquête officielle n'a été faite, à ce jour, sur les BCD 2. On pourrait alors considérer comme téméraire de parler d'extension des BCD : moins d'une dizaine en 1975, à combien peut-on les estimer 10 ans après ?

Et pourtant, collectant divers renseignements sur la période 1980-1985, il nous semble que les faits suivants peuvent être considérés comme des indicateurs, des témoins d'une généralisation.

De nombreuses publications

Des organismes publics tels que les Centres régionaux ou départementaux de documentation pédagogique font paraître fascicules, brochures diverses sur le sujet. Si le CRDP de Nancy faisait figure de pionnier en 1979 en publiant un dossier sur la littérature de jeunesse et la BCD (17), on compte une vingtaine de publications fin 1985 (18). Notons que certaines sont le fruit d'un travail commun entre bibliothécaires et enseignants tel le mini-guide d'implantation d'une BCD du CRDP de Grenoble.

Le sujet est aussi traité dans la presse pédagogique spécialisée et cela depuis plusieurs années. Dans le cadre des problèmes de la lecture, mention peut être faite des BCD comme solution... dans le numéro spécial d'Autrement « L'école plus », ou dans Le Monde de l'éducation... (19).

Deux revues traitent plus spécifiquement des BCD. Il s'agit de : Les Actes de lecture, revue trimestrielle de l'Association française pour la lecture, qui a créé une rubrique sur les BCD, lorsque le bulletin de liaison BCD, créé par l'ADACES, y a été intégré.

Aube, revue trimestrielle de l'Association des utilisateurs de bibliothèques d'écoles, a été créée en 1983. Cette revue présente des rubriques régulières (réflexion sur la bibliothèque, rubrique historique, littérature enfantine, relation d'expériences en cours, etc.) (20).

En dernier lieu, signalons la parution toute dernière d'un ouvrage chez Magnard, fin 1985: Créer une BCD. Pourquoi ? Comment ? (21)

Parallèlement à ces publications - dont elles peuvent être les comptes rendus -, se sont tenus des stages, une université d'été...

Cette effervescence d'écrits suppose un intérêt certain pour les BCD chez une partie non négligeable de la population enseignante et éducative (parents, bibliothécaires... )

Des mesures incitatives

Qu'en est-il des instances officielles ? Les textes officiels traitent-ils du sujet ? Favorisent-ils la création de BCD ? Trois textes nous semblent apporter une réponse affirmative.

- En premier lieu, les textes relatifs aux Projets d'action éducative (PAE), mis en place en 1981 (22). À l'origine, les PAE ne s'adressent qu'aux établissements secondaires. Dans les textes officiels, le PAE a toujours été considéré comme un outil de travail destiné à lutter contre les difficultés scolaires. Il implique un projet, une démarche de la communauté éducative, en échange de quoi des moyens sont alloués par l'Etat.

Dans le cadre des PAE de type III, concernant l'amélioration du cadre de vie scolaire, des établissements ont pu créer une BCD. Si ces établissements se trouvent être dans une zone d'Éducation prioritaire, ils bénéficient d'une priorité. Les témoignages au sujet de PAE ayant abouti abondent. Citons, par exemple, celui récemment paru dans Le Monde de l'éducation: « Nous avons saisi l'occasion, lors du lancement des Projets d'action éducative (PAE) de créer une bibliothèque-centre documentaire. Nous avons mis les enfants dans le coup, en les sensibilisant par des visites à la bibliothèque municipale... ».

- Ensuite une autre étape importante concerne la parution de la circulaire ministérielle n° 84-360 du 1er octobre 1984. Elle annonçait qu'une action conjointe Éducation nationale/Culture était effectuée dans quatre académies pour favoriser le développement de bibliothèques-centres documentaires. Ce texte est à bien des égards intéressant. En effet, il précise sous quelle forme et dans quel esprit sont conçus la création et le fonctionnement de ces BCD : « La BCD ne saurait être seulement un « équipement » supplémentaire dont serait dotée l'école; sa mise en place doit s'insérer dans le projet pédagogique de l'école et dans le projet local de développement de la lecture ».

La BCD est donc un lieu central de l'école : son fonctionnement induit des modifications dans les pratiques et les comportements de l'ensemble des partenaires de l'équipe éducative. Elle suppose de nouveaux rapports entre l'école et son environnement par la présence des parents d'élèves, par l'ouverture sur le quartier, par l'existence d'un comité de gestion de la BCD et par les relations que la BCD permet entre l'école et les bibliothèques de lecture publique. Les écoles dépendant des quatre académies et ayant déposé un projet accepté, recevaient une dotation de 20 000 F; une action de formation était organisée à la fois à un niveau national et local.

Ce texte a permis une généralisation des BCD et a surtout éclairé la position officielle. En effet, en dehors de l'expérimentation de 1975 sur six BCD, la position officielle n'avait jamais été aussi explicite. Le terme BCD avait déjà été employé au niveau d'instructions officielles concernant la lecture, mais dans ce texte-là, le caractère central de la BCD dans l'école, son ouverture nécessaire sur l'environnement, et les modifications pédagogiques qui s'ensuivent, sont nettement affirmés. On peut cependant regretter que ce texte ne juge pas nécessaire qu' « un membre de l'équipe éducative exerce des fonctions spécifiques de gestion de la BCD » (cf. 2.2.c.).

- En dernier lieu, une action conjointe ministère de l'Éducation/Fonds d'action sociale (23) pour les travailleurs immigrés et leur familles a décidé, dans le cadre des dispositions prises pour améliorer l'insertion scolaire des élèves étrangers et d'origine étrangère, de financer un programme expérimental de création ou de soutien de bibliothèques-centres documentaires ou de centres de documentation et d'information. Cette action concerne cinq académies (Aix-Marseille, Besançon, Créteil, Nancy-Metz et Versailles) et les crédits dégagés permettront, à raison de 20 000 F par BCD, de mettre en place 100 BCD.

Concernant les caractéristiques de la BCD et les modalités de fonctionnement, c'est le texte précédent (circulaire 84-360) qui est repris.

Quand on cherche à analyser les raisons pour lesquelles les BCD se sont développées au cours de cette phase de généralisation, on s'aperçoit que la fonction culturelle - si elle existe - n'est pas unique ni primordiale. En effet, les textes officiels, tout comme la presse pédagogique spécialisée, présentent la BCD comme un des moyens pour lutter contre l'échec scolaire :

Ainsi, les Projets d'action éducative sont acceptés à l'école primaire, dans un premier temps, uniquement dans les Zones d'éducation prioritaire, et précisément orientés vers l'amélioration des conditions de lecture. On peut aussi remarquer l'importance accordée à l'ouverture de l'école. Là aussi la BCD joue un rôle important : elle permet une pédagogie plus ouverte entre les différents niveaux et un travail d'équipe entre enseignants ainsi qu'une ouverture vers l'environnement (parents, collectivités locales...).

Un premier bilan

Il est difficile de conclure. On ne peut réellement faire un constat : dix ans, c'est trop court. Il suffit de prendre comme exemple le rapide essor des bibliothèques de classe dû aux décrets du ministère Roulland, et leur aussi rapide déclin...

Lorsque les BCD en 1975 ont commencé à être implantées, les intentions initiales étaient très clairement définies. Rappelons brièvement les conditions pédagogiques : la bibliothèque est une institution avec ses caractéristiques particulières. Le milieu scolaire - enseignants pris individuellement et en équipe - doit être favorable au fonctionnement de la BCD, institution privilégiant l'autonomie des élèves ainsi que la rencontre entre enfants et adultes.

Quelque dix années plus tard, ce sont ces mêmes idées qui sont largement reprises par les textes officiels.

Entre-temps, des BCD ont « essaimé » çà et là... Dans certains cas, même lorsque les conditions matérielles et pédagogiques étaient optimales, elles se sont révélées insuffisantes. À l'opposé, certaines équipes pédagogiques - qui n'ont pu au départ disposer des conditions précisées dans la note n° 4 - ont pu, peu à peu, en cheminant, assimiler le changement occasionné par la BCD et modifier la vie scolaire pour y intégrer la BCD.

Ces quelques réflexions nous amènent à penser que le mot BCD recouvre des réalités fort diverses. Une évaluation serait, à notre avis, nécessaire afin de mieux cerner le phénomène et ce qu'il recouvre. Combien y a-t-il de BCD ? Mais surtout quels sont les différents aspects de leur fonctionnement ? De quelle manière ont-elles été accueillies par le système scolaire ? Ces éléments nous manquent encore actuellement.

  1. (retour)↑  Cette opération est financée par l'Association Échanges et bibliothèques, organisme à l'origine de la fondation de la Joie par les livres.
  2. (retour)↑  En 1983, l'Association française pour la lecture a tenté de lancer une enquête. Devant le nombre limité de réponses aux questionnaires, elle a publié dans Actes de lecture, no 5, mars 1984, une « estimation » du nombre des BCD en France.