Plans départementaux de développement de la lecture publique

Bilan et perspectives

Gérard Briand

Mise au point sur la politique des plans départementaux de développement de la lecture publique mise en oeuvre depuis 1982 par la Direction du livre et de la lecture. Lancés dans la perspective de la départementalisation, les plans avaient pour objectif d'assurer le développement des BCP et de réorienter la politique de lecture publique. Les plans s'inscrivent dans une politique contractuelle entre Etat et départements, définie en liaison avec les directeurs régionaux des affaires culturelles et les responsables des BCP. Actuellement, la moitié des départements ont signé un plan. Les premiers résultats font apparaître une importante progression des moyens affectés aux BCP (emplois, bibliobus, locaux), en dépit d'inévitables inégalités dans la répartition des moyens. Le détail des moyens est donné en annexe.

The public reading development policies in the departments : state-of-the-art of the program carried out by the Direction du livre et de la lecture since 1982. These policies had been set up in prospect of the devolution and their main object was first to ensure the development of the central lending libraries, and then to redirect the public reading programme. The policies come within the framework of a contractual programme established between the Government and the departments and defined after consultation with the local directors for cultural affairs and the managers of the central lending libraries. At the moment, half the departments have already signed for a programme. The first results reveal an important development of the means of the central lending libraries (posts, bookmobiles, buildings) in spite of some differences in their distribution. The detailed account of the means is introduced in annex.

L'idée des plans départementaux de développement de la lecture publique a été lancée en 1982 par le ministère de la Culture. Il s'agissait de mettre en oeuvre une politique identique à celle menée dans d'autres domaines culturels dans le cadre des conventions de développement culturel visant à programmer l'action conjointe de l'Etat et des collectivités territoriales. La politique des conventions était ambitieuse et les nouvelles données budgétaires en matière culturelle donnaient au Ministre les moyens d'être reconnu comme un partenaire plus que crédible.

Néanmoins, ce facteur positif s'est parfois heurté au contexte politique dans les collectivités territoriales hostiles à la nouvelle majorité. A ma connaissance, seul le développement de la lecture s'est vu attribuer le terme de plan, ce qui a peut être contribué à le démarquer, vis-à-vis de certains départements, des conventions culturelles.

A mon sens, le terme de plan peut recouvrir deux idées courantes : tout d'abord l'idée de programmation, c'est-à-dire la mise en oeuvre échelonnée des moyens logistiques ; ensuite l'idée de projet.

Dans le premier cas, la programmation est guidée par le choix des moyens à mettre en oeuvre. Dans le deuxième cas, il s'agit d'analyser et d'établir une théorie de développement.

En bonne logique on doit commencer par réfléchir et il faut reconnaître que les bibliothécaires, le plus souvent seuls entre eux, avaient mené de longues et nombreuses réflexions sur le développement des bibliothèques, qui se résumaient grossièrement à un constat de carence, faute de moyens, et à des projets de développement plus ou moins grandioses. La logique consistait, suivant une pratique ancienne, à demander beaucoup en espérant avoir un peu. L'absence quasi totale d'intérêt des élus, au moins au niveau national, pour la lecture publique avait engendré dans notre profession un sentiment de frustration, de révolte ou pire, de passivité.

Le changement politique de 1981 allait quelque peu modifier cela, mais la préoccupation du nouveau gouvernement était de faire du développement de la lecture une partie du développement culturel. Cette approche globale a pu, au moins dans un premier temps, entretenir une certaine inquiétude chez certains collègues.

Est-il nécessaire de rappeler l'état de sous-développement des bibliothèques, et en particulier de la plupart des bibliothèques centrales de prêt, quand elles existaient avant 1981 ! Les chiffres sont connus (et les principaux figurent en annexe) mais par contre, il faut rappeler que le manque de moyens, pour les bibliothèques centrales de prêt était à mon avis une des causes du détournement de ces établissements destinés à assurer une mission de lecture publique, mission rappelée pourtant par des directives depuis 1978 et appliquées très imparfaitement. La desserte presque exclusive de l'école a été l'illustration de la recherche d'une justification quantitative à l'existence de services trop démunis pour assurer une réelle satisfaction des besoins de l'ensemble du public.

Par ailleurs, la volonté de décentraliser certaines structures, dont les bibliothèques centrales de prêt, fut accueillie avec un scepticisme non dissimulé par un nombre non négligeable de collègues dont la crainte affichée était de se trouver sous la coupe d'élus dont ils redoutaient la méconnaissance de leurs problèmes et la supposée versatilité.

Pourtant l'expérience des collègues des bibliothèques municipales, au moins dans les cas où la volonté des élus locaux était bien affirmée, témoignait d'un dynamisme évident. En résumé, nous étions en présence des facteurs suivants :
- un budget en très forte expansion ;
- la perspective de la décentralisation des bibliothèques centrales de prêt;
- le scepticisme d'une partie des professionnels;
- la volonté de mener une politique conventionnelle;
- la faiblesse matérielle des services.

C'est dans ce contexte que furent envisagés les plans départementaux de développement de la lecture publique.

Objectifs des plans

L'énoncé de l'objet de la circulaire du 8 avril 1983 indique, comme il se doit, l'objectif poursuivi ainsi que les interlocuteurs mutuels du ministère de la Culture et de ses représentants locaux.

L'interlocuteur local est le Conseil général, futur responsable de la bibliothèque centrale de prêt, et la logique administrative implique que le développement de la lecture publique ne soit donc envisagé qu'à travers cette structure qui, d'ailleurs, en a bien besoin. Contrairement au schéma que j'indiquais plus haut, on s'est préoccupé de programmer en premier lieu l'utilisation des moyens dont on disposait et ceci était d'autant plus naturel que, pressée inexorablement par le terme de son action, à cause ou grâce à la décentralisation, l'Administration centrale et ses relais ont dû mener une véritable course contre la montre pour amener les services au niveau optimum permis par ces moyens nouveaux. L'objectif essentiel de la politique des plans départementaux a donc été de développer les bibliothèques centrales de prêt.

Concrètement, cela s'est traduit par :
- l'aide aux créations d'emplois départementaux;
- l'augmentation du parc de véhicules (bibliobus, véhicules de liaison, camionnettes pour l'animation) ;
- le développement des annexes ;
- la programmation des constructions de bâtiments nouveaux ou d'agrandissement des bâtiments existants;
- pour mémoire, citons bien entendu le développement d'outils de coopération qui resteront du ressort de l'Etat.

L'objectif secondaire à ce moment-là a été d'améliorer le service rendu, de réorienter l'action des bibliothèques centrales de prêt vers la lecture publique, de préparer les bibliothécaires à jouer le rôle de conseiller technique en matière de lecture rurale - bien entendu beaucoup d'entre eux jouaient déjà ce rôle officieusement -, et de les faire reconnaître par les maires et les conseillers généraux comme les interlocuteurs professionnels indispensables. Deux mesures y ont contribué : le prêt de mobilier et le prêt permanent de collections. Dans le même temps l'objectif politique des plans était de répondre aux perspectives de la décentralisation et aux inquiétudes d'une partie de la profession.

Les négociations des plans, menées localement par les directeurs régionaux des affaires culturelles et leurs chargés de mission et par les commissaires de la République devaient associer étroitement les directeurs de bibliothèques centrales de prêt, dont le rôle a toujours été prépondérant dans cette affaire.

Par ailleurs, cela devrait permettre aux élus du Département de se préparer à accueillir la bibliothèque centrale de prêt dans les meilleures dispositions possibles au moment de leur départementalisation. Les éléments étaient donc connus, restait à négocier leur mise en œuvre.

Les négociations

On a déjà pu voir quels objectifs la Direction du livre poursuivait dans un contexte qui, compte tenu des délais, ne pouvait permettre d'aboutir à une situation idéale. A cela, il faut ajouter la volonté de faire accepter la bibliothèque centrale de prêt comme service public de la lecture par des élus dont certains considèrent la décentralisation comme un fait parisien ! Le meilleur témoignage de la volonté des élus est toujours de savoir quels crédits ceux-ci sont prêts à attribuer pour venir appuyer la politique de l'Etat. On réalise immédiatement la gageure, dans de nombreux cas, de faire accepter à des élus d'opposition une politique menée par la majorité. Mais, au-delà des discours, on s'aperçoit que les concours de l'Etat permettent aux décideurs départementaux de faire preuve de pragmatisme.

L'élément le plus important des négociations a toujours été le degré de motivation des élus. Ceci a impliqué un travail à la base considérable qui a été mené essentiellement par les directeurs régionaux des affaires culturelles et leurs chargés de mission au livre, et les directeurs de bibliothèques centrales de prêt et par la Direction du livre. Dans ce domaine, chaque département constitue un cas particulier et c'est la bonne volonté et les relations personnelles qui ont souvent permis de débloquer des situations critiques ainsi que la pugnacité des demandeurs. La diversité des situations, des motivations des négociateurs, de l'état des bibliothèques centrales de prêt, de l'interprétation des circulaires a entraîné certaines différences dans la réalisation de cette politique. Et enfin, l'évolution des conditions budgétaires dans le sens d'un resserrement des enveloppes, peu sensible il est vrai pour les bibliothèques centrales de prêt, si l'on excepte les constructions, a entraîné une rigueur plus grande de la part de l'Etat dans les négociations, et donc une plus grande exigence vis-à-vis des partenaires. Cela a été le cas, par exemple, lorsque des participations importantes furent sollicitées pour le financement des constructions, ou lorsque l'attribution de bibliobus supplémentaires fut conditionnée par la création de postes départementaux plus nombreux.

Il faut également indiquer que la Direction du livre a tenté, malgré l'étroitesse des délais, de rééquilibrer un peu, lorsque l'occasion s'en présentait, les moyens des bibliothèques centrales de prêt considérées comme les mieux dotées, vers celles qui l'étaient moins en évitant, autant que possible, de pénaliser les départements où les élus avaient manifesté le plus d'intérêt pour la bibliothèque centrale de prêt. Malheureusement, les mesures générales de gel des postes d'Etat n'ont pas permis de mener complètement, et de loin, cette action. A partir de ces conditions, on peut distinguer deux grands types de situations.

Pas de plan de développement signé

C'est le cas pour la moitié des départements environ. Cela, bien entendu, ne signifie nullement qu'il n'y ait pas eu développement de la bibliothèque centrale de prêt, mais simplement qu'aucun document contractuel n'a été signé entre l'Etat et le Conseil général.

A ce sujet, le principal critère d'appréciation qui peut être retenu est la création d'emplois départementaux. Or, onze départements métropolitains et deux départements d'outre-mer n'ont pas créé d'emplois. Sur ces treize départements, un, le Loir-et-Cher, avait créé ces emplois bien avant les mesures actuelles et un autre, l'Indre-et-Loire possède des emplois associatifs nombreux, subventionnés intégralement par le Département, cette situation n'est certes pas idéale. Il n'est bien sûr pas exclu que les treize départements restant créent prochainement des emplois (cf. la liste en annexe).

D'ailleurs ces treize départements ont pu bénéficier d'autres mesures proposées, en particulier de crédits exceptionnels pour le prêt de mobilier et d'usuels. Dans les autres cas, il y a simple application des aides proposées par la Direction du livre pour la création des emplois, l'affectation de bibliobus, l'ouverture d'annexes, l'attribution de crédits exceptionnels pour renforcer les collections, prêter du mobilier aux petites bibliothèques et des usuels.

Des plans signés

L'autre moitié environ des départements ont signé des documents appelés plans. On peut distinguer trois types de plans.

Ceux qui officialisent et constatent simplement la mise en œuvre réciproque des mesures habituelles décrites précédemment. Le plan a alors une valeur symbolique, et cette situation est à rapprocher de celle des départements envisagée ci-dessus.

Ceux qui envisagent en complément des mesures incitatives d'autres actions destinées à élargir l'action de la bibliothèque centrale de prêt et qui touchent à l'animation, à la formation ou à des actions de promotion du livre et de la lecture, en particulier vers des publics spécifiques.

Ceux enfin qui proposent des solutions moins classiques et qui ont fini par faire école, la caractéristique principale étant l'ouverture des annexes des bibliothèques centrales de prêt au public et/ou la participation directe des communes d'implantation à la gestion. On peut citer entre autres la Drôme, l'Ain, le Lot, la Loire et la Charente-Maritime, en rappelant malgré tout que la bibliothèque centrale de prêt du Bas-Rhin avait été précurseur en la matière bien avant la décentralisation.

En général, tous les plans ont procédé à une analyse globale de la situation de la lecture dans le département, faisant apparaître les carences les plus évidentes et cela a permis d'argumenter solidement auprès des élus de la nécessité du développement de la bibliothèque centrale de prêt. On peut estimer qu'il en a été de même dans tous les départements qui, sans signer de documents officiels, ont mis en oeuvre des mesures de développement.

Quelques résultats généraux

On trouvera, en annexe, des chiffres détaillés. Néanmoins, je donne ici quelques chiffres globaux.

- création d'emplois départementaux et transformation d'emplois associatifs à la fin septembre 1985 : 396. Il s'agit essentiellement d'emplois de bibliothécaires adjoints et de magasiniers de bibliobus.

- moyenne nationale: 4,4 emplois créés par département. - nombre de bibliobus: en service fin 1985-début 1986: 414. Véhicules de liaison (VL) et camionnettes : 146. Tous les départements ont au moins deux camions.

- prêt de mobilier: nombre de communes: 1544. Toutes ces communes ont signé des conventions avec les bibliothèques centrales de prêt et ouvrent des locaux de 20 à 150 m2 deux fois par semaine, bien entendu à tout public.

- annexes en service ou en cours de réalisation : 54. La plupart des annexes sont louées.

Ce bilan global ne traduit que l'effort fait d'un point de vue général et ne saurait traduire une situation idéale. En effet, la lecture détaillée des chiffres montre encore une trop grande inégalité dans la répartition des moyens. Certains conseils généraux qui ont marqué un intérêt précoce pour la bibliothèque centrale de prêt ont pu bénéficier depuis le début des mesures incitatives et se sont taillés la part du lion. La Direction du livre a dû parfois réfréner une ardeur budgétivore pour conserver les moyens d'aider ceux qui se manifesteraient plus tard. D'autres partent avec un handicap évident, mais l'on peut espérer que les premiers serviront de phares aux seconds et l'on peut également penser que les bibliothécaires ne manqueront pas de faire valoir à leurs élus la nécessité de rattraper leur retard.

Certes la situation n'est pas parfaite, mais la simple lecture des chiffres montre les progrès accomplis en quatre ans qui, à mon avis, constituent l'amorce d'un réel décollage de la lecture publique rurale.

Quel avenir pour les plans de développement ?

Ce qu'il a été convenu d'appeler plans départementaux de développement de la lecture publique jusqu'à présent n'a été, dans la majorité des cas, que la simple mise en oeuvre des mesures incitatives proposées par l'Etat qui se sont traduites avec le concours des départements sur le plan quantitatif.

Pourtant, les analyses menées par certains textes et des mesures particulières proposées par la Direction du livre comme le prêt de mobilier et d'usuels constituent, à mon sens, l'ébauche d'une politique qualitative qui peut permettre à la bibliothèque centrale de prêt de jouer un rôle différent de celui qui prévalait jusque-là. La réactualisation récente des missions et les objectifs des bibliothèques centrales de prêt va également dans le sens d'un développement qualitatif de la lecture publique. Par ailleurs, la décentralisation permettra d'orienter ce développement dans le sens le plus adapté aux structures démographiques, économiques, culturelles de chaque département.

L'avenir des plans de développement se situe dans cette perspective et les plans s'apparenteront donc davantage à une programmation qui tiendra compte des possibilités budgétaires et des critères propres à chaque département.

Il est évident, à mon sens, que l'élaboration d'une politique départementale de développement de la lecture publique ne peut se faire qu'à partir d'une analyse des besoins et de l'existant. Cela signifie que tous les types de bibliothèques sont concernés. La bibliothèque centrale de prêt devrait alors se voir confortée dans ses missions naturelles de desserte du public rural, d'encouragement et d'aide à la création de bibliothèques municipales, de service de coopération départemental et surtout de conseil aux élus désireux de mener une politique de développement sur des critères objectifs.

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Annexe 1 - BCP : Constructions à terminer à partir de 1985

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Annexe 2 - BCP : Opérations de construction à financer après 1985

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Annexe 3 - Emplois départementaux et annexes créés (1/2)

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Annexe 3 - Emplois départementaux et annexes créés (2/2)

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Annexe 4 - Moyenne des créations d'emplois départementaux par région (ordre décroissant)

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Annexe 5 - Prêt de mobilier aux dépôts : nombre de commune équipées

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Annexe 6 - Parc de bibliobus prévus fin 1985