Quand une BCP fait la foire

Enquête

Cet article fait le point sur l'action menée par la BCP de l'Aveyron pour amener les agriculteurs, qui forment une part importante de la population active du département, à utiliser ses services. Une politique de présence dans les foires agricoles et de contacts avec les différents organismes professionnels agricoles a permis de mieux cerner les attentes de ce public en matière de lecture : un fonds de livres techniques susceptible de répondre réellement aux besoins documentaires de la formation et du développement a été constitué. Il est mis en valeur dans le cadre d'un réseau de documentation agricole (lycées agricoles, Chambre d'agriculture...) auquel il apporte le niveau de vulgarisation le plus large; à ce titre, les livres agricoles de la BCP sont signalés dans la banque de données en cours de réalisation par le Conseil départemental de l'agriculture.

This article is a study of the effort made by the central lending library of the Aveyron department to incite farmers - who represent most of the active population - to use its services. After attending agricultural fairs regularly, and remaining in contact with the various professional organisms, the library can now identify the reading needs of that public : a collection of technical books has been therefore established in order to comply properly with the documentation request in the fields of training and development. This collection is enhanced by an agricultural information network (agricultural colleges, house of agriculture,...) to which it brings the largest vulgarisation scale; for that matter, the agricultural books of the central lending library are indicated in the nearly-ready databank of the agricultural council for the Aveyron department.

« Une des choses qui m'ont frappée quand je suis arrivée dans l'Aveyron, c'était la situation d'un prêt direct mensuel, le jour de la foire, comme celui de Marcillac : il y avait quinze agriculteurs inscrits - et parmi eux plusieurs gros lecteurs - mais tous, sauf un, étaient des retraités... ». Cette constatation, suivie d'autres du même ordre, marque les limites de l'action de la bibliothèque centrale de prêt de l'Aveyron dans le monde agricole. Et pourtant celui-ci pèse d'un poids important dans ce département où un actif sur quatre est un agriculteur (cf. encadré n° 1). L'argument de la non-lecture n'est pas convaincant pour Catherine Capdeville, conservateur à la BCP, qui a appris dans les bibliothèques de la ville de Grenoble à se demander d'abord si quelque chose, dans le fonctionnement de la bibliothèque, ne contribuerait pas à exclure - ou à ne pas attirer -une partie du public.

Et pourtant, ils lisent...

Ici, plusieurs facteurs pouvaient expliquer - au moins partiellement - le peu de succès rencontré auprès des agriculteurs actifs. D'abord, la prépondérance des points de desserte dans les écoles laissait assimiler la BCP à une œuvre para ou périscolaire; la prégnance de cette image s'est mesurée à l'étonnement des participants des Etats généraux du développement devant les propositions de services de la BCP -« On pensait que c'était une bibliothèque pour les écoles ».

Il faut ajouter à cela la gêne souvent éprouvée à l'âge adulte d'avoir à choisir des livres à l'école, devant l'instituteur. Autre handicap, les gens qui n'utilisaient pas la BCP n'avaient pas conscience du caractère encyclopédique du fonds et le réduisaient à la seule lecture de loisirs; or, si beaucoup d'agriculteurs en activité déclarent n'avoir pas de temps à consacrer à des « lectures futiles », une part non négligeable de ces « non-lecteurs » sont abonnés à plusieurs périodiques agricoles....

Enfin, un dernier point, à mettre au rang des effets plutôt que des causes, la BCP n'avait pratiquement aucun contact avec les institutions et les représentants du monde agricole.

Mettre en évidence ce qui, dans le mode de fonctionnement même de la BCP, contribue à éloigner les agriculteurs de l'idée que cette bibliothèque est aussi pour eux, ne fait faire que la moitié du chemin. Le problème se pose ensuite en ces termes : comment s'introduire dans un milieu qui n'attend a priori rien de vous ? Il fallait commencer en l'occurrence par se familiariser avec le maquis des organismes qui structurent le monde agricole, débrouiller certains sigles ainsi que les rapports que ces organismes entretiennent les uns avec les autres.

Le milieu agricole aveyronnais -le Ségala en témoigne 1 - est particulièrement entreprenant, ouvert aux expérimentations et solidement organisé. Les premiers contacts sont difficiles à trouver pour une personne ou un organisme étranger, mais une fois cette étape franchie, la cohésion du groupe fait aller les choses assez vite.

Comment s'introduire...

Le premier contact positif s'est fait en 1982 avec la documentaliste du lycée agricole de La Roque récemment nationalisé : elle souhaitait ouvrir les services documentaires du CDI au public agricole dans son ensemble et esquissait une politique de coopération avec d'autres établissements scolaires agricoles du département sur la base d'un partage des acquisitions selon les spécialités de chacun (l'élevage ovin à St-Affrique par exemple). Elargissement du public et réseau documentaire, ces deux objectifs rencontraient ceux de la BCP. Cette conjonction s'est concrétisée par un stand commun aux Foires 2 de Baraqueville pour confronter livres, revues et services offerts à un public spécifiquement agricole.

Le deuxième coup de pouce a été donné par l'aide de la rédaction de la Volonté paysanne, hebdomadaire de la Chambre d'agriculture, qui a publié des informations sur l'action de la BCP et l'a utilement conseillée pour prendre contact avec les responsables de quelques-unes des institutions agricoles importantes du département. C'est dans les pages de la Volonté paysanne toujours qu'une enquête sur les lectures des agriculteurs 3 a été lancée. Le taux de réponses était trop « léger » pour prendre une signification statistique, mais ce coup de sonde a atteint un de ses buts : trouver des interlocuteurs particulièrement motivés, représentants d'initiatives très localisées et très vivantes qui ont permis, à l'autre bout de la chaîne, de compléter les relations institutionnelles.

Parallèlement, il s'agissait de donner un contenu aux propositions de services de la BCP et de prouver le mouvement en marchant. Il ne fallait pas donner prise, de la part des personnes rencontrées, à un premier mouvement d'incrédulité ou d'indifférence et s'attirer des réponses dilatoires du type « faites d'abord, on verra après..... ».

Progressivement s'est défini le domaine d'intervention de la BCP : constituer prioritairement un fonds technique crédible de livres agricoles tout en préparant à terme la diversification des livres techniques (mécanique, habitat, travail du bois, du fer, etc.), avec aussi le désir de promouvoir et de diffuser plus largement, en milieu spécifiquement agricole, les livres pour enfants 4, faisant ainsi le lien entre les préoccupations professionnelles, la vie familiale et les loisirs. Quant aux moyens et aux conditions d'intervention, ils résultent d'une politique quotidienne de présence, de contacts et d'échanges.

Les rassemblements d'agriculteurs, foires et journées techniques, ont fourni à la BCP des occasions à la fois de manifester son existence, de tester ses collections et d'écouter. La tenue d'un stand aux Foires du matériel agricole de Baraqueville en 1982 et 1983, à la Foire de Laissac en 1983, aux journées de l'élevage à Rignac en 1983, aux Journées nationales de la préparation des sols, organisées en 1984 par le Comité de développement agricole du Ségala, lui ont permis de présenter ses ressources sur des sujets techniques correspondant au centre d'intérêt dominant de la manifestation ou sur le monde agricole en général, de prêter des livres d'enfants, mais aussi de recueillir des avis sur les thèmes à suivre, sur la qualité des livres. Beaucoup d'enseignements à tirer des discussions qui ont surgi autour des livres présentés, sur la validité des descriptions techniques de tel ouvrage sur les éoliennes, à propos des numéros d'Autrement sur les célibataires, sur les guérisseurs et rebouteux... Un succès de curiosité pour une part, mais aussi des demandes de documentation ou de conseils pour le choix des livres pour les enfants.

A un autre niveau, la BCP a tenu à participer à des réunions préparatoires aux Etats généraux du développement en 1982, où elle a pu dissiper le malentendu en affirmant sa vocation extra-scolaire et exposer ses arguments : un service public du livre auquel les agriculteurs ont droit d'accès, un réseau de dépôts dans tout le département sur lequel peut s'appuyer la diffusion de la documentation agricole nécessaire aux efforts de développement et de formation.

... durablement

Pour atteindre le public agricole en profondeur et durablement, la BCP s'appuie sur les organisations et leurs dirigeants et, en premier lieu, sur la Chambre d'agriculture et sur le Conseil départemental de l'agriculture (CDA) 5. Plus généralement, elle essaie de ne négliger aucun contact avec des groupes organisés et de tisser un réseau de relations et de relais dans les différentes régions agricoles et dans toutes les instances qui se préoccupent du développement de l'agriculture et des zones rurales : regroupement d'élus, organismes de formation, associations familiales, foyers ruraux, comités de développement locaux, associations professionnelles. C'est ainsi qu'elle a été invitée à une rencontre avec les techniciens agricoles du Villefranchois, a travaillé avec l'Association des maires du Ségala et le GRETA (énergies nouvelles, l'arbre et la haie), qu'elle est conseillée par les formateurs de l'ADPSA 6, qu'elle a participé à un important conseil d'administration du Comité de développement du Ségala, à l'assemblée générale et à diverses réunions de travail du Conseil départemental de l'agriculture et qu'elle a rencontré à plusieurs reprises les conseillères de l'ancienne Vulgarisation féminine agricole, etc. Il ne s'agit pas de collectionner les jetons de présence mais de suivre avec précision les orientations prises par les actions de formation et de développement et de les traduire en besoins documentaires. C'est donc une source directe d'informations. La BCP traite avec ses interlocuteurs sur la base de l'échange : elle propose des prêts de livres, s'appuyant le plus souvent sur son réseau de dépôts, elle attend de ses partenaires des conseils sur les thèmes à développer, sur le choix des livres, et une aide pour le repérage de la littérature technique « grise » (Cf. encadré n° 2).

Dans ce domaine, l'apport des techniciens agricoles et des animateurs d'organismes de formation est particulièrement fructueux. C'est ainsi que les formateurs de l'ADPSA ont été mis à contribution pour établir des listes de documents spécialisés sur les machines agricoles avec le centre de Rieupeyroux par exemple.

La Chambre d'agriculture a favorisé ce type d'échanges en nommant un groupe de travail composé de techniciens, d'agriculteurs et d'agricultrices, qui s'est réuni à plusieurs reprises à la BCP, pour aider les bibliothécaires à constituer un fonds de livres techniques correspondant aux besoins réels du département et des différentes régions aux productions bien spécifiques.

Le réflexe coopératif

La BCP a donc constitué un fonds de livres techniques agricoles -plus de 1 200 exemplaires représentant 300 ou 350 titres en 1985. Ce n'est qu'une base de départ. Le développement de ce service doit s'inscrire dans le cadre d'un réseau de coopération documentaire dont les contours se dessinent progressivement. Les principaux partenaires travaillent déjà ensemble; il s'agit de principaux détenteurs de documentation dans le domaine agricole : la BCP, les établissements d'enseignement agricole, parmi lesquels le CDI du lycée de La Roque fait figure de pièce maîtresse puisqu'il est déjà engagé dans des actions communes avec d'autres LEPA au niveau départemental comme au niveau régional, le centre de références de la Chambre d'agriculture qui diffuse des fiches de documentation technique et ouvre ses collections à la consultation sur place, le Conseil départemental de l'agriculture qui est en train de mettre sur pied une banque d'informations agricoles.

La coordination des efforts pour diffuser la documentation doit s'appliquer à trois niveaux de la chaîne : la coordination des collections, la constitution d'un réseau cohérent de circulation des documents, la diffusion d'une information bibliographique localisée.

La BCP s'efforce de situer ses acquisitions au niveau de vulgarisation le plus large, les manuels de base et les livres d'initiation 7. Elle renvoie d'ores et déjà les demandes les plus complexes vers les lycées agricoles qui disposent en outre de collections de périodiques spécialisés. Le niveau le plus « pointu » est du ressort du centre de documentation de la Chambre d'agriculture.

Les livres techniques de la BCP circulent pour la plus grande part dans les bibliobus et sont prêtés dans les dépôts ou en prêt direct.

Une sélection, conservée à la centrale, est disponible pour les actions de promotion et d'animation. Des dépôts de longue durée sont faits dans des centres de l'ADPSA pour des actions de formation précises. Enfin une collection de livres plus spécialisés va être déposée à la Chambre d'agriculture aux termes d'une convention qui fixerait également l'aide technique apportée par cette dernière à l'enregistrement des données bibliographiques de la BCP dans la banque de données du CDA.

La BCP est présente dans la banque de données constituée par le CDA. Celle-ci, chargée sur le serveur INFORSUD et accessible sur minitel (Télétel professionnel), doit fournir à l'intention des techniciens et des agriculteurs des informations diverses et utiles : prévisions météorologiques, actions de formation, dispositions pour l'installation des jeunes, etc.

Elle met l'accent sur les organismes départementaux offrant des services aux agriculteurs; parmi ceux-ci, la BCP apparaît à la rubrique documentation. Le projet en cours de réalisation est d'y faire figurer le signalement des collections de livres techniques à la BCP conjointement avec la liste des périodiques des lycées agricoles et des bibliothèques municipales du département. Les éléments de localisation accompagnant ces références devront permettre aux utilisateurs de demander documents ou photocopies - ceux de la BCP par l'intermédiaire du dépôt le plus proche. Dans ce réseau, la BCP est le seul organisme qui prête - gratuitement - ses documents. Elle attend de l'informatisation du prêt une rationalisation de la gestion et de la circulation de ces documents.

La constitution et la mise en valeur d'un fonds de livres techniques répond au souci de ne laisser pour compte aucune partie de la population desservie par la bibliothèque. Pour Henri Bosc, directeur de la BCP, cette expérience est tout à fait positive et enrichissante. Elle a contribué à consolider l'intégration de la BCP dans la vie départementale en la faisant reconnaître comme un partenaire actif dans les efforts de développement de l'agriculture, c'est-à-dire d'une activité prépondérante en Aveyron. Le réseau de contacts tissé à travers toutes les régions autour de ce service devrait profiter à terme à toutes les autres activités plus habituelles de la BCP; c'est un élément inséparable d'un effort d'ensemble pour proposer à chacun les livres dont il a besoin au moment où il en a besoin.

Illustration
L'Aveyron agricole

Illustration
Le fonds de la BCP

  1. (retour)↑  Cette enquête a été réalisée par Nicole LE POTTIER
  2. (retour)↑  Cette enquête a été réalisée par Nicole LE POTTIER
  3. (retour)↑  Le Ségala aveyronnais et le Lévezou, régions centrales du département entre la vallée du Tarn et celle de l'Aveyron, « connaissent un développement agricole remarquable malgré le vieillissement de la population et un fort exode; la contradiction n'est qu'apparente. Cette prospérité ininterrompue depuis un demi-siècle s'explique par les transformations successives introduites par les agriculteurs profondément attachés à la terre et ouverts aux innovations. Dans cette tâche de rénovation de l'agriculture, ils ont été soutenus par des organisations professionnelles efficaces à la tête desquelles se trouvent des hommes dynamiques ». Roger CALMES, Les Campagnes des Ségalas et de l'Aveyron, Rodez, Ed. Subervie, 1980, p. 9.
  4. (retour)↑  La Foire de matériel agricole d'occasion attire, chaque année en mai, à Baraqueville plus de 5 000 personnes en une seule journée, dont les agriculteurs de 4 ou 5 départements voisins.
  5. (retour)↑  La réponse la plus fréquente à la question « Si vous ne lisez pas ou peu, pourquoi ? » était le manque de temps, très nettement avant le manque de goût ou le prix des livres. On constate par ailleurs aux différents prêts directs une baisse très sensible des emprunts de livres, sinon du passage de lecteurs au bibliobus, lors des travaux agricoles de printemps et d'été.
  6. (retour)↑  En effet, les dépôts scolaires ayant toujours été effectués dans les écoles publiques, beaucoup d'agriculteurs (trices) dont les enfants sont scolarisés dans le secteur privé ne connaissent que très peu la littérature enfantine actuelle. L'enquête de La Vie paysanne révélait à la rubnque « Lectures de vos enfants » la connaissance des éditeurs suivants : Centurion, Bayard presse, Fleurus, ainsi qu'Hachette - le réseau confessionnel catholique donc, et celui des maisons de la presse prédominant en nombre pour la diffusion commerciale du livre en milieu rural. Par ailleurs, la restructuration de la desserte de la BCP (passage du dépôt communal de l'école à la maine) devrait permettre de servir plus démocratiquement la population de chaque commune, adultes et enfants, et de dédramatiser - en ce qui concerne l'accès au livre - la querelle école publique/école privée.
  7. (retour)↑  Le Conseil départemental de l'agriculture est une originalité du département de l'Aveyron. Il regroupe des représentants des principales instances professionnelles et du Conseil général. Son objet est de coordonner les actions en faveur du développement et de l'amélioration des revenus agricoles. Ses ingénieurs s'emploient à rassembler des moyens techniques et méthodologiques applicables au terrain, dans deux secteurs tout particulièrement : l'économie générale (harmonisation produit-marché) et l'utilisation ou la conception d'outils informatiques bien adaptés à la gestion des exploitations.
  8. (retour)↑  Association départementale de promotion sociale agricole : association-loi de 1901 liée à la FDSEA (Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles) habilitée à dispenser la formation nécessaire pour bénéficier de la prime d'installation.
  9. (retour)↑  Quand il n'existe pas d'ouvrages de vulgarisation dans certains domaines, on achète des ouvrages difficiles plutôt que de ne pas répondre à la demande.