L'ardèche à l'ère bus

Nelly Vingtdeux

Créée en 1982, l'Ardèche a mis en place un ensemble d'activités diversifiées (musique, art, théâtre), mais convergeant autour du livre et de la lecture. Dès le départ, la BCP a lancé des activités d'animation qui ont permis de sensibiliser les associations locales et les communes; elle a développé des animations originales en co-produisant des spectacles et pièces de théâtre autour du livre. A terme, la BCP devrait devenir une médiathèque développant des activités d'information et de soutien, jouant le rôle d'un service culturel auprès des collectivités locales.

Created in 1982, the central lending library of Ardèche has set up a range of various activities (music, art, theater), converging on book and reading. From the beginning, the central lending library has launched animation activities, which have sensitized the local associations and the towns; it has produced entertainments and plays focused on the book. Later on, the central lending library should become a multimedia library developing information and support activities and playing the part of a cultural center for the local authorities.

« Automne 82. Une roulotte tirée par un cheval parcourt pendant trois semaines les routes d'Ardèche, faisant halte dans les villes et villages. Sur ses flancs une inscription : « La lecture, les chemins de la liberté ». Autour de chaque halte s'organise la fête du livre, de la lecture, du théâtre et des conteurs. C'était un lancement d'une BCP aux allures certes un peu folkloriques, mais qui donnait bien la note d'itinérance qui est caractéristique des actions culturelles en pays ardéchois.

Automne 1985. La roulotte n'est qu'un souvenir. 5 bus sillonnent le pays : trois bibliobus, un musibus et un artobus. Mais surtout c'est pour la BCP une expérience de trois années qui ont aussi permis d'établir des actions de convergences entre les différentes composantes culturelles du département, et de confluences des différents modes d'expression : du livre aux arts plastiques, du bibliobus à l'artobus ».

De la roulotte aux bus : ce raccourci recouvre toute une histoire, la création d'une nouvelle BCP et l'analyse en profondeur d'un département. Le BBF a demandé à Nelly Vingtdeux de préciser sa démarche.

BBF. Une bibliothèque fonctionnant au plan départemental doit, pour s'intégrer, impérativement prendre en considération les caractéristiques géographiques, sociologiques, démographiques du département. Qu'en est-il de l'Ardèche ?

Nelly Vingtdeux. Absolument, surtout pour une création. L'Ardèche est un département très rural (environ 270 000 habitants). On y trouve poussées à l'extrême les caractéristiques d'une région peu urbanisée : aucune ville de plus de 20 000 habitants (cela est significatif quant à notre zone d'action) et sur 338 communes, 89 % ont moins de 1000 habitants. L'habitat dispersé implique donc une réalité démographique éclatée.

Un autre paramètre déterminant est bien sûr le relief très tourmenté qui détermine un réseau de petites routes fort sinueuses, peu de grands axes et pas de chemin de fer.

De plus, l'Ardèche s'est souvent sentie déshéritée sur le plan des équipements culturels, elle souffrait du voisinage de la Drôme, mieux pourvue. La bibliothèque centrale de prêt a donc d'emblée été ressentie au niveau institutionnel comme le véritable service extérieur du ministère de la Culture. Il y a enfin une donnée sociologique qui recouvre des différences de sensibilité confessionnelles, philosophiques et politiques. Toutes ces conditions expliquent la politique d'implantation de la bibliothèque centrale de prêt.

L'assujettissement de la lecture publique à une seule fraction de la population était le plus grand danger auquel nous avions à faire face. Il n'était pas question de nous laisser entraîner dans des « querelles de clochers » et d'être pris dans des clivages politiques ou sociaux. Nous devions dès le départ faire reconnaître la BCP comme l'affaire de tous et non comme l'activité d'un seul groupe culturel, ou d'une seule classe d'âge. Il a été clair dès le début qu'une des clés du bon fonctionnement de la BCP était son pluralisme.

L'époque de la commune

BBF. A partir de ce constat, quelle est votre orientation pour assurer pleinement votre mission de diffusion du livre ?

NV. Notre orientation a dès le départ été communale. Le réseau de la BCP repose sur les communes. Les relais sont créés par convention avec la municipalité. Il s'agit de poser les bases d'un véritable service municipal car la finalité de la BCP est de faire émerger l'idée d'une bibliothèque au niveau communal ou cantonal responsabilisant l'ensemble de la population et des élus.

C'est une exigence de départ : vouloir assurer la neutralité et la pérennité des structures mises en place. Sur le terrain, plusieurs de nos relais ont eu un effet conciliateur dans des climats difficiles et je dois dire que les dépôts scolaires de la FOL (Fédération des oeuvres laïques) ont bien accepté cette mutation qui leur offre plus d'avantages et d'autonomie.

BBF. Oui, mais quel est le rôle du monde associatif dans ce système ?

NV. Il est essentiel bien sûr, les associations sont un partenaire privilégié, voire naturel de la BCP. Un partenaire quasiment indispensable en beaucoup de cas, car il faut réaliser que dans un secteur très rural où les communes sont très petites, il leur est pratiquement impossible d'avoir à leur niveau un personnel professionnel rémunéré, cela représente une charge trop lourde pour elles. La bibliothèque centrale de prêt trouve alors souvent dans le milieu associatif les responsables de relais.

Cependant, cela n'est pas contradictoire avec la volonté que la bibliothèque municipale devienne une structure émargeant au budget communal et non une simple activité soumise aux éventuelles fluctuations, aux toujours possibles réaménagements d'une seule association.

BBF. C'est en quelque sorte l'époque de la commune ?

NV. Tout à fait, notre interlocuteur privilégié est le maire. D'ailleurs, s'il y a paradoxe entre cette volonté de municipaliser notre action et nos liens avec le monde associatif, il n'est qu'apparent. Par leur implantation dans le tissu social, le rôle des associations fédérées, (Fédération des bibliothèques pour tous, ou Fédération des oeuvres laïques) ou locales est important. En effet c'est souvent des associations que part l'impulsion de départ pour l'action culturelle. A ce moment là, la BCP soutient les demandes auprès de la commune et appuie de tout son poids institutionnel et administratif. Densité qui fait parfois défaut à certaines associations pour s'imposer.

BBF. Vous semblez dès le départ multiplier les exigences vis à vis de vos partenaires.

NV. Il ne faut rien exagérer; ce ne sont que des garanties pour un fonctionnement efficace, outre la convention que nous passons avec la commune pour l'ouverture du relais où chacun précise ses droits et devoirs notamment financiers, nous insistons beaucoup sur la qualité du local. Pour moi c'est quelque chose d'essentiel, le local clair et fonctionnel... D'ailleurs, le département aide à la rénovation des locaux grâce au Fonds d'aide à la lecture. Et je tiens à signaler le rôle, primordial à mon sens, du prêt de mobilier que nous sommes habilités à faire depuis maintenant trois ans. Ici, si l'on additionne le Fonds d'aide à la lecture, le prêt de mobilier et les crédits d'achats de livres, l'effort du Ministère se concrétise rapidement par l'ouverture de véritables petites bibliothèques municipales « clés en mains ». Ces apports donnent à la BCP à la fois crédibilité et assurance dans le dialogue avec les communes, et l'autorise à émettre des exigences de qualité.

Culture à tous les étages

BBF. Et une roulotte pour impulser tout cela était-ce vraiment le bon rythme ?

NV. Vous abordez là le problème de la publicité, de l'image médiatique de la BCP, élément déterminant pour la prise de conscience du public. Au démarrage de la BCP notre périple de 3 semaines en roulotte à travers l'Ardèche avait cet objectif : amener tous les partenaires culturels à se rencontrer autour du projet de développement de la BCP. L'idée de la roulotte qui peut paraître une boutade, s'est en fait concrétisée par une énorme animation non-stop de plus de 20 jours : à chaque étape nous avons présenté des expositions, des spectacles et des livres et organisé des rencontres avec les élus, conseillers généraux, maires et les associations culturelles pour leur présenter les orientations de la BCP et, en premier lieu, sa volonté de travailler avec tout le monde. Les résultats ont été concluants : les animations ont été très suivies par la population et je crois que le soutien du Conseil général à la BCP a pour une bonne part découlé du travail fait au cours de ces réunions.

C'est un point important, car je ne voudrais pas que l'aspect un peu « folklorique » de la roulotte masque tout l'impact réel de cet énorme programme.

BBF. Vous continuez cependant à déployer des activités très diverses. Pourquoi ?

NV. Parce qu'il est essentiel, en même temps que l'on implante des relais, de mettre en place les conditions favorables à leur fonctionnement. Pour reprendre l'image de la « greffe lecture » et pour éviter les rejets, il faut travailler le terrain et inscrire cette « greffe » dans un climat culturel élargi.

C'est un travail en profondeur indispensable, car l'on sait d'expérience qu'il n'est pas suffisant d'installer des relais ou des bibliothèques dans un terrain resté longtemps vacant pour qu'ils fonctionnent bien tout de suite. Ainsi avons-nous intensifié nos animations et nos actions de production.

BBF. Vous prétendez donc au statut de focalisateur de la vie culturelle locale ?

NV. Dans ce type de département, c'est quelque chose comme cela, oui. Nous avons l'étiquette culture et elle s'entend ici au sens le plus large et le plus vivant possible. Par exemple, notre travail avec les troupes de théâtre a commencé comme cela. Plusieurs d'entre elles sont venues nous faire des offres de service et nous avons progressivement mesuré tout le parti que pourrait tirer de cette collaboration la lecture en Ardèche. Je ne voudrais pas faire un catalogue fastidieux de nos activités théâtrales, mais sachez que nous sommes à l'origine impliqués dans plusieurs spectacles utilisables pour une bibliothèque, car ils ont un thème commun : le livre. Les plus remarquables quant à leur efficacité sont peut être un spectacle de la troupe de la Gargouille à partir de textes de Prévert, poète réellement populaire, ainsi qu'un autre spectacle Les Bouquins de la même troupe, dans l'esprit café-théâtre autour des différentes attitudes des lecteurs. A l'heure actuelle nous sommes plutôt engagés dans des spectacles de marionnettes avec l'adaptation de livres pour enfants tels que Hulul (par la troupe de la Gargouille), James et la grosse pêche (par la troupe de la Mazade), ou encore Yaquequam (par la troupe du Lézaribou). Ces spectacles sont excellents pour le lancement ou l'animation d'un relais et développent une dimension nouvelle de la bibliothèque, sa faculté d'insertion dans la vie quotidienne. Ici c'est la BCP ou ses relais qui vont au devant du public et qui finalement l'interpellent.

BBF. Vous mettez donc en pratique le vieil adage qui veut qu'en matière culturelle l'offre structure la demande.

NV. Surtout dans un département où il faut parfois créer des réflexes culturels en raison de la longue absence de structures. Ainsi la BCP s'ouvre à de nouveaux publics et remplit pleinement son rôle en participant activement au festival annuel du « Cinéma des pays et régions » à Lussas, en faisant tourner par des équipes professionnelles ou associatives des cassettes vidéo, tant sur nos animations que sur la bibliothèque elle-même.

La multiplicité de nos actions dans des domaines très diversifiés ne doit pas être interprétée comme un éparpillement, mais au contraire comme la détermination d'occuper tout le terrain culturel afin de se présenter comme une entité cohérente et ne plus être confiée à un seul rôle de distribution de documents.

BCP - MCP

BBF. Cependant, pour la diffusion, vous n'êtes pas en reste, il y a aussi les disques, les cassettes, les cassettes vidéo, et l'artothèque !

NV. Oui bien sûr, mais tout cela est lié : les actions théâtrales, cinématographiques ou autres (je ne dirai rien des nombreuses animations plus classiques mais tout aussi importantes) vivifient, irriguent le terrain culturel, sur lequel doivent s'implanter les relais.

Quant à la discothèque, c'est vrai, c'est un service très important qui est en soi un exemple de fonctionnement décentralisé avant la lettre, puisque nous avons négocié le financement de ce service dans le cadre d'une convention culturelle Etat/département, ce dernier prenant à sa charge le musibus et le recrutement d'un discothécaire qualifié pendant que le ministère de la Culture débloquait les crédits d'achat de disques.

BBF. Pourquoi avoir choisi la formule du bus spécialisé plutôt que celle de l'intégration des disques dans les bibliobus et pourquoi avoir choisi le prêt direct plutôt que le dépôt ?

NV. Ces deux choix répondent à un objectif très clair : imposer l'idée que la BCP doit avoir un service audiovisuel digne de ce nom. Si on songe combien l'Ardèche est dépourvue dans le domaine de la diffusion du livre (peu de véritables librairies, peu de grandes bibliothèques municipales), on peut imaginer ce qu'il en est du disque... Il y a donc tout à faire, ou presque, en la matière. Pour assurer un service efficace et repérable, il fallait éviter la tentation du saupoudrage : quelques disques dans chaque dépôt. Dans la période de mise en route, les relais ne sont pas prêts à recevoir ce type de documents et à les traiter; ce n'est pas encore mûr. Le choix du prêt direct et du musibus s'est donc imposé. Nous avons donc choisi de desservir une commune de moins de 5000 habitants par canton, souvent le chef-lieu, toujours un pôle d'attraction, lieu de foire, marché...

Un point très important, c'est l'inauguration de chaque arrêt cantonal du musibus. Cela permet de mettre en évidence l'échelon cantonal qui nous semble, en zone rurale, le plus apte à supporter des équipements complets de type médiathèque.

Avec le musibus (et le succès qu'il rencontre), le service audio-visuel de la BCP est connu, son intérêt est reconnu, on ne reviendra pas là-dessus.

BBF. Et la diffusion de cassettes vidéo ?

NV. C'est beaucoup plus récent. L'Ardèche fait partie des 12 BCP que la Direction du livre et de la lecture a équipées en matériel vidéo à titre expérimental. Nous augmentons donc régulièrement notre fonds de cassettes en fonction de l'utilisation que nous pouvons en faire actuellement : essentiellement la consultation sur place, dans les relais et dans le cadre d'animations dont elles sont alors une composante à côté des livres, des expositions et du théâtre. Nous avons fait l'acquisition de documentaires et de fictions d'après les thèmes des expositions que nous faisons circuler et d'après les demandes faites par les relais pour leurs propres activités d'animation.

Une évolution vers la consultation individuelle, ou le prêt, n'est pas envisagée pour l'instant. Nous utilisons également la vidéo pour la formation professionnelle que nous sommes amenés à dispenser à certains responsables de relais dans le cadre de l'ABF notamment.

BBF. Et l'opération artothèque, c'est vraiment une diffusion d'un type nouveau ?

NV. Oui dans la mesure où il n'existe pas ailleurs de système de diffusion d'oeuvres d'art rural et itinérant. C'est une sorte de pari, mais je suis persuadée que cela va marcher; car, là plus que jamais, l'offre structure la demande et, quand on songe à la difficulté des ruraux pour accéder à l'art contemporain (absence de musée, d'artothèque, etc.), on mesure l'intérêt qu'une telle opération peut susciter. C'est un projet qui me tient particulièrement à coeur depuis que les relais que nous avions équipés en mobilier se sont mis à accueillir des expositions d'artisans et de peintres locaux. J'ai donc encouragé les responsables de relais à faire installer des cimaises. Voilà pour le terrain. Quant à l'opportunité, elle a pris l'apparence du Fonds régional d'art contemporain Rhône-Alpes qui acquiert un grand nombre d'oeuvres d'art qu'il prête aux musées d'art contemporain de la région. L'Ardèche, faute d'équipement de ce type, ne pouvait bénéficier de ces prêts. Alors a germé l'idée d'une artothèque itinérante intégrant complètement la ruralité du département.

Ici, l'itinérance étant un facteur essentiel de diffusion et de « rentabilisation » culturelle.

Il s'agit de proposer des expositions d'oeuvres d'art actuelles « comme dans les grandes villes », avec, cependant, une différence de taille : ces oeuvres seront vues par un public habituellement à l'écart de telles manifestations, pas le public étroit des musées d'art moderne, mais celui de tous les gens qui passent dans le relais lecture d'une petite commune. Il faut adapter la présentation : en conséquence, le FRAC a préparé une dizaine d'expositions de quelques oeuvres originales (gravures, lithographies, photos), dont le regroupement constitue un survol assez complet des grandes tendances actuelles mêlant les artistes connus et moins connus. Le mouvement sera lancé dans les galeries du Casino de Vals-les-Bains par une exposition groupée de l'ensemble, qui éclatera ensuite dans 10 relais et circulera après dans les autres relais grâce à l'artobus !

Un catalogue très illustré, financé par le Conseil général, sera diffusé à cette occasion et j'ai beaucoup insisté pour que les commentaires soient pédagogiques. Il est important de faciliter au public l'accès à ces œuvres si l'on veut éviter les phénomènes de rejet ou de déception dus à la méconnaissance.

Ce souci a guidé le choix des oeuvres; il doit aussi orienter la conception des fiches d'accompagnement des petites expositions : elles proposent une initiation aux formes contemporaines en s'appuyant sur l'explication des techniques employées (lithographie, aquatinte... ) et du travail de l'artiste. Les responsables de relais et le personnel de la BCP seront préalablement formés par un stage, afin de donner le maximum de chances à ce nouveau service.

BBF. A l'aube de la décentralisation, la BCP de l'Ardèche se présente donc comme une médiathèque intégrée dans le département.

NV. C'est en tout cas notre but en adaptant nos interventions au niveau de développement de notre réseau de relais. Nous serons rapidement conduits à devenir une sorte de centre de documentation et d'information culturelles à l'intention des intervenants les plus diversifiés.

Et la construction de nouveaux locaux pour la centrale devra permettre à toutes ces composantes d'une véritable Médiathèque centrale de prêt de se développer pleinement.

Tout en ayant conscience des difficultés rencontrées par mes collègues dans d'autres départements, je fais partie des gens confiants dans l'avenir des BCP. Depuis le début, la BCP a été bien accueillie et soutenue par le Département. Celui-ci a accepté toutes propositions, parce que je crois qu'il considère d'ores et déjà la BCP comme un service culturel des collectivités locales.

Illustration
L'Ardèche