Petit dictionnaire des idées (non) reçues à la BCP des Pyrénées-Atlantiques

Nicole Mounier

Redéfinition des termes les plus courants du langage des BCP à la lumière d'une expérience concrète dans un département.

New definition of the most common words used in the speech of the central lending libraries in the light of a concrete experience tried in a department.

Et le terrain, c'est comment? C'est dur. Surtout quand on a des idées mais pas de pétrole, qu'il ne s'agit pas seulement de faire mais de faire faire, de convaincre, de persuader... Un exercice épuisant, mais stimulant; les propos de N. Mounier en apportent la preuve.

Animation. L'initiative de l'animation doit venir des villages, des associations. La BCP aide, permet de réaliser des initiatives locales, répond à des demandes, propose mais n'essaie jamais d'imposer. Ce qui se passe entre une animation et son public, qui fait qu'elle « marche », c'est ce qui se passe précisément entre un lecteur et un livre : une relation personnelle. A nous, à la BCP, de savoir en créer les conditions.

Plus qu'à des « coups publicitaires », nous tendons à une action lente, peu bruyante, et bien ciblée.

Il n'est pas désagréable de faire parler de soi (de la BCP) de temps en temps; il est bien plus agréable d'amener, à force de présence, de dialogues, de découvertes réciproques, un village ou une équipe d'enseignants à se mobiliser autour du livre et/ou de l'écriture. Peut-être sommes-nous là aussi comme garants d'une certaine qualité.

Annexe. La dimension du département et le caractère excentré de Pau (siège de la BCP), la partition linguistico-culturelle des Pyrénées-Atlantiques (Béarn-Pays basque), leur relief accidenté: les raisons ne manquent pas pour démontrer la nécessité d'une annexe. On y pense depuis 1968, date de création de la BCP.

1986 sera l'année, enfin, de la réalisation : à Hasparren, nous occuperons 450 m2 d'une usine désaffectée (la culture s'installe dans les ruines de l'industrie), avec un bibliobus et 3 personnes.

Cette annexe ne sera pas ouverte au public pour le prêt des livres : la commune n'a pas pu s'engager financièrement dans un projet de bibliothèque municipale. Mais ce sera néanmoins un lieu de rencontres pour nos dépositaires du Pays basque, un lieu d'animation ouvert, lui, sur la commune et le canton.

Bibliobus. A l'heure actuelle, la BCP dispose de trois bibliobus : les deux premiers nous ont été attribués en 1981. Le dernier est arrivé tout récemment. C'est peu de dire que c'est peu...

L'impact n'est pas satisfaisant : nous desservons actuellement 300 communes sur plus de 500, soit 300 000 habitants sur plus de 500 000 habitants, à raison de trois rotations annuelles. Nous n'avons, de fait, pratiquement pas de marge de manoeuvre pour mener une politique dynamique car nous n'arrivons déjà pas à répondre aux demandes. Pourtant, il est important de susciter le réflexe BCP, de sensibiliser le Conseil général, mais cela nous met ensuite au pied du mur.

Les changements (suppressions des dépôts scolaires, rotations plus fréquentes, etc.) seront lents, mais pourquoi ne pas rêver à un bibliobus, comme l'épicier, hebdomadaire ?

Bibliothèques municipales. Elles existent, j'en rencontre de temps en temps ! Dans les Pyrénées-Atlantiques, seules 4 villes ont plus de 20 000 habitants. Deux d'entre elles, Pau et Bayonne, disposent d'une bibliothèque municipale; les deux autres n'en ont pas ou si peu...

Un cran au-dessous, trois villes de plus de 10 000 habitants sur quatre en sont pourvues. Tout cela laisse à la charge de la BCP une population de près de 300 000 habitants répartie dans plus de 500 communes. Combien de bibliothèques municipales dans ce dernier ensemble : à Mourenx, ville-dortoir de la zone de Lacq, cosmopolite et vivante; au Boucau, la partie ouvrière de l'agglomération bayonnaise. Au-delà, une série de bibliothèques municipales... sur le papier, tenues par des personnes qualifiées mais non rémunérées, ou par des employés non qualifiés... Bref, des structures qui ne sont ni de simples dépôts ni de véritables bibliothèques, mais que trop souvent on fait semblant de considérer comme telles.

Nous aidons l'implantation de telles structures, tout en restant lucides quant à leur développement : la route est longue qui va du dépôt géré par une association au relais-bibliothèque, et jusqu'à la bibliothèque municipale. J'essaie de rester réaliste, crédible : pas question de parler trop fort, ni trop vite de créations d'emplois qualifiés ou de centaines de m2. Des petites communes (2 à 5000 habitants) semblent vouloir s'engager dans la bonne voie. Pourvu qu'elles y restent !

Mais la « concurrence » des Bibliothèques pour tous est parfois acharnée.

Décentralisation. J'en attends du mal et du bien. Un peu de mal, car la BCP est encore loin d'avoir trouvé sa vitesse de croisière, et c'est peut-être un risque de la décentralisation de lui faire perdre son élan.

Du bien, car nous allons perdre notre fil à la patte parisien, qui est à la fois contraignant et symbolique (Paris est loin). Evidemment nous allons nous retrouver dans une situation où rien n'est acquis, et nous aurons donc à nous battre pour poursuivre le développement. Compte tenu de la situation socio-économique, ce sera difficile, mais en définitive beaucoup plus stimulant.

En outre, il me semble que, tout particulièrement pour une BCP, pour laquelle l'enracinement local est important, la proximité du pouvoir peut présenter un intérêt considérable : il est vrai que ma nature est optimiste et, qu'à mon sens, un risque doit se prendre. Je vais même jusqu'à penser qu'on n'aurait pas dû s'arrêter en chemin : on ne décentralise pas à moitié !

Enfin, il me paraîtra toujours plus aisé d'adapter le « concept BCP » à une réalité départementale donnée, plutôt que de tenter d'harmoniser les 94 réalités départementales : je préfère expliquer la BCP à un Conseil général plutôt qu'expliquer les Pyrénées-Atlantiques à l'administration centrale...

Dépositaire (s). Il faut parler au pluriel. Un dépôt actif est un dépôt géré par une équipe. C'est quelque chose que j'essaie de susciter à chaque création : la pluralité des dépositaires et leur diversité : des littéraires, des gestionnaires, des militants, des jeunes, des vieux, des hommes, des femmes....

Globalement la population de nos dépositaires n'offre pas de traits particulièrement originaux: les instituteurs en forment la majorité, à côté des retraités et des personnes sans profession. J'ai tout de même l'impression qu'un renouvellement est en train de s'amorcer; les nouveaux dépositaires sont de plus en plus souvent des actifs, désireux de participer à la vie locale.

300 dépôts et donc environ 500 dépositaires : c'est un ensemble que nous voudrions constituer en réseau. Mais, ils se connaissent peu encore, et ne nous connaissent le plus souvent que de façon assez vague. Compte tenu des distances et des routes tortueuses, nous n'avons de relations qu'épisodiques avec nos dépositaires de la zone ouest - qui ne viennent pratiquement jamais à la BCP. Mais l'existence de l'annexe, et la multiplication des « journées de formation » ne vont pas tarder à améliorer les choses.

École. 60 % de nos dépôts sont situés dans des écoles. Cela ne signifie pas que ces dépôts soient à usage scolaire exclusivement; mais inévitablement dans les plus petites communes, des glissements se sont produits : petit à petit, la BCP prête moins de livres d'adultes et de plus en plus de livres d'enfants.

Et puis, il y a encore les livres laissés dans les CES ou les écoles à classes multiples, 20 par classe : une caricature encore trop fréquente.

Cette situation est gênante : nous nous donnons l'impression de fournir un alibi à une carence de l'Education nationale. Mais bien sûr, on ne peut pas aisément supprimer d'un trait de plume une situation acquise depuis plus de 10 ans. Il faut qu'il y ait une solution de rechange : ainsi à Mourenx, j'ai supprimé deux dépôts scolaires au bénéfice de la bibliothèque municipale. Cela n'enlève rien au fait que l'école reste souvent, et tant mieux, un des seuls lieux vivants dans un tout petit village. Et pourtant, quand l'école ferme, il est de plus en plus fréquent qu'une ou plusieurs personnes prennent le relais pour gérer le dépôt; peut-être nous faudrait-il, y compris dans nos discours, couper définitivement le cordon qui nous relie encore à l'école...

Informatisation : Bien sûr, nous sommes impatients. Comment peut-on accepter en 1985 de passer des heures à classer et à intercaler des fiches, à aligner puis additionner des chiffres rebelles ?

Mais pourquoi le plan d'informatisation des bibliothèques centrales de prêt a-t-il été conçu de façon si centralisée ? Et pourquoi avec si peu de moyens humains ?

La lenteur des opérations (plus d'un an de retard), les incohérences qui en résultent (payer la maintenance d'un matériel inutilisé), la rareté des informations qui nous parviennent ou qu'il faut réclamer..., toutes choses qui me poussent parfois à ruer dans les brancards. Est-ce que la décentralisation accélérera le processus ? Et comment les initiatives du Département pourront-elles être prises en compte ?

Suis-je seule à m'interroger ainsi ?

Livre. J'en ai vu quelques-uns à la bibliothèque... J'ai aussi jeté un coup d'oeil au budget de la BCP et aux factures en instance. Je me demande maintenant si je vais vraiment pouvoir continuer à en acheter, des livres. Pourvu que cette année encore, les jurés Goncourt décernent leur prix à un livre de moins de 50 F ! Comment choisir désormais entre l'acquisition de 50 exemplaires de La Bicyclette bleue et notre désir d'offrir un choix de titres plus vaste que celui d'Apostrophes ?

Je ne sais plus...

Je vais peut-être acheter des disques...

Ou demander une subvention exceptionnelle...

P(l)age (Bibliobus à la). L'affiche, la gloire, le panache blanc de la BCP des Pyrénées-Atlantiques ! Deux ans après l'opération nous sommes encore étiquetés comme « la BCP-qui-pendant-un-mois-a-desservi-les-vacanciers-sur-la-plage-d'Hendaye ». Alors démythifions : d'abord nous n'étions pas les seuls; les BCP de la Gironde et des Landes ont également installé un bibliobus de prêt direct sur les plages. Ensuite l'opération a eu des retombées appréciables mais sélectives : satisfaction des vacanciers, tous plus ou moins originaires de grandes villes, et qui n'avaient pas attendu notre bibliobus pour découvrir le livre et les bibliothèques; satisfaction du personnel de la BCP qui a agréablement partagé son temps entre le service public et les

bains de soleil; satisfaction des instances régionales qui ont patronné l'opération. Par contre, l'opération n'a eu pratiquement aucun impact au niveau de la population locale (Hendaye-ville est assez éloignée de la plage). Pour résumer, le bibliobus à la plage était un coup excellent pour nous donner une image de marque (beaucoup plus auprès des collègues que des élus locaux), un coup d'épée dans l'océan pour ce qui est de la conquête d'un nouveau public. D'ailleurs, nous n'avons pas recommencé.

Je n'ose penser que nos vacances 1983 à Hendaye aient influé si peu que ce soit sur la décision, l'année suivante, de la municipalité d'inclure une bibliothèque de 700 m2 dans le futur centre culturel...

Pyrénées-Atlantique. Terre de contrastes. A l'Ouest, le Pays basque, à l'Est, le Béarn; trois langues : le français, le basque, le béarnais et aussi un peu de gascon. Plus qu'ailleurs peut-être, ce qui se fait ici doit sans cesse se rapporter à l'échelle du département; il ne s'agit pas de favoriser l'un ou l'autre côté ! Comme la BCP est implantée à Pau, tout au bout du département, cela implique une certaine vigilance, de la diplomatie, des chiffres incontestables (56 % des communes de l'arrondissement de Bayonne sont desservies par le bibliobus contre 55 % de celles de l'arrondissement de Pau).

Superposée à la partition linguistique, une grande diversité géographique : des vallées de montagne à la côte basque, en passant par les zones très rurales du nord du département, et deux centres urbains importants, on trouve de tout dans les Pyrénées-Atlantiques ; la même diversité se retrouve dans la population, ses activités, ses états d'esprit, ses saisons (les vendanges, la palombe, les touristes, le ski...). Il n'est donc pas toujours facile, parfois même pas possible, d'avoir un discours unique, des solutions valables pour tout le monde, exportables d'un canton à l'autre. Cela nous protège de la routine, et des tentations du dogmatisme.

Terrain. Y être. L'occuper. S'y adapter.

Etre présent : c'est la seule approche vraiment efficace. Connaître personnellement les élus du département, les maires des communes, les présidents et militants d'associations...

Se déplacer aussi souvent qu'il est nécessaire, mais point trop non plus, pour ne pas créer de dépendance...

Prononcer quand il faut quelques mots de béarnais ou de basque... Sans vouloir se mêler de tout, se tenir au courant des choses de la vie locale...

Ne pas attendre de résultats immédiats de chaque démarche, de chaque parole... Savoir saisir au vol des occasions, profiter au mieux de situations favorables... Séduire... Convaincre...

Ni les subventions d'incitation (à la création de bibliothèques) ni les campagnes nationales « pour la lecture » ne pousseront jamais le maire d'un village à prendre contact avec la bibliothèque centrale de prêt, à s'y renseigner, à la solliciter. Il faudra qu'il ait un jour rencontré un bibliothécaire, un chauffeur de bibliobus... qu'il connaîtra par son nom...; ou qu'il connaisse quelqu'un qui connaît quelqu'un qui...

Cette stratégie de présence sur le terrain vaut aussi bien pour les dépositaires. Ils sont dans les communes le sel de la terre livresque; nous les rassurons, les stimulons, les félicitons, les soutenons, les formons : les stages ou les journées de formation (pratique, ou plus littéraire) répondent à une demande croissante.