Question de principes

Donald Urquhart

S'appuyant sur les règles qu'il a mises en oeuvre dans l'organisation de la NLL à Boston Spa, D. Urquhart énonce un certain nombre des lois bibliothéconomiques qu'il considère devoir s'appliquer à toutes les catégories de bibliothèques présentes et à venir. Ces principes découlent de deux idées de base : les bibliothèques sont faites pour leurs utilisateurs et aucune bibliothèque n'est une île. Il rappelle que l'offre crée la demande de l'utilisateur. Organismes pris en charge, les bibliothèques doivent s'efforcer d'évaluer le rapport entre leur coût et leur efficacité, même si cette dernière ne peut être évaluée en termes financiers. Ce souci de rendre un service efficace remet en cause la tendance au perfectionnisme et au repliement sur soi-même, et plaide pour le travail en équipe. L'auteur insiste enfin sur l'idée que la bibliothéconomie est une science expérimentale.

On the grounds of the rules he had settled for the NLL organization in Boston Spa, D. Urquhart states some of the principles that can be applied to all sorts of libraries (existing and coming). These principles are derived from two basic ideas : libraries are made for users and no library is an island. He also reminds us that supply is source of demand from the users. As they are subsidized institutions, libraries need to estimate the ratio between cost and performance, althought the last element may not be estimated in financial terms. This will of being an effective service tends to question the two old values - perfection and secluded work - and enhances the team work. The author insists also on the idea that librarianship is an applied science.

La NLL de Boston Spa est actuellement tenue pour la « fondation du XXe siècle » -Donald Urquhart plus fort qu'Asimov ! Les grandes œuvres ne sont pas bâties sur du sable, mais les idées directrices n'en avaient jamais été exposées. Selon Donald Urquhart, les 18 commandements de la bibliothéconomie procèdent d'abord du bon sens et de l'expérience.

La traduction de J. Damiens reprend toute la partie théorique des Principles of librarianship *. Tout pourrait se réduire à une seule idée : la bibliothéconomie est une science expérimentale.

In principio...

Voici maintenant plus de vingt ans que fut entreprise la mise en œuvre à Boston Spa de la NLL (National lending library for science and technology = Bibliothèque nationale de prêt scientifique et technique). Durant ce laps de temps, Boston Spa a, dans la littérature bibliothéconomique, pris valeur d'archétype. Pourtant, alors qu'elle en était encore à ses débuts, il avait semblé à certains que la NLL n'était pas une véritable bibliothèque. Cette opinion me fut rapportée après coup par Lord Eccles, entre temps devenu ministre des Arts et bibliothèques. Il l'avait sans doute entendue à l'époque où il était président du conseil d'administration du Bristish Museum.

Indéniablement, la NLL constituait un type nouveau de bibliothèque. Raconter la manière dont ce projet a été conçu, accepté et réalisé est une longue histoire. L'analyse initiale des problèmes qu'il était censé résoudre, alliée à un ensemble de circonstances fortuites et aux principes qui dictèrent mes décisions, ont joué, en cette affaire, un rôle déterminant. Ces principes, je les avais inconsciemment rassemblés au cours de mes activités antérieures. Je ne m'en considérais pas pour autant comme un bibliothécaire, et la Library Association du Royaume-Uni en convenait avec moi. Les principes que j'avais eu l'occasion de mettre en œuvre, je ne les tenais pas pour des règles de bibliothéconomie mais plutôt pour des données directement issues du bon sens ou de mes expériences.

Je me disais aussi, sans approfondir que, puisque la NLL était d'un type particulier, les principes susceptibles de me guider devaient l'être également. Mes doutes à ce sujet s'accrurent lorsque je pris conscience des problèmes auxquels devaient faire face d'autres bibliothèques. Sur ces entrefaites, par un heureux hasard, on me demanda d'analyser un ouvrage traitant des principes de bibliothéconomie, et je fus surpris de découvrir ceux que l'auteur considérait comme tels. Je fus plus étonné encore qu'un éditeur aussi familier avec la bibliothéconomie ait pu accepter de publier une telle étude. Cette expérience me conduisit à me demander quels étaient les principes de la bibliothéconomie et ce que j'en savais. Il me sembla qu'il était possible de distinguer entre les règles dont je m'étais servi et la manière dont elles avaient été mises en oeuvre à Boston Spa. De plus, alors que certains des principes utilisés n'étaient pas propres à la bibliothéconomie, ils avaient pourtant une portée générale en ce domaine.

Ces réflexions m'amenèrent à examiner de plus près mon projet de relater l'historique de la NLL. C'est une tâche immense dont je ne viendrai sans doute pas à bout. Qui plus est, c'était fort probable, les principes que j'avais appliqués risquaient d'être occultés par des détails ressortissant à l'histoire de la NLL. Je suis tout à fait conscient de ce que certains bibliothécaires n'accepteront pas les principes que j'énonce et je ne vais pas imaginer que cet ouvrage puisse contribuer à modifier les conceptions de nombre d'entre eux. Ce que je peux espérer, grâce à lui, c'est mettre à la disposition des bibliothécaires (et des archivistes) du futur quelques règles qui les aideront à prendre les décisions requises en fonction des évolutions technologique et sociale. C'est pourquoi cet ouvrage s'adresse particulièrement aux écoles et instituts chargés d'enseigner la bibliothéconomie. Telle que je la vois, la croissance de la NLL a dépendu d'un certain nombre de facteurs, y compris la chance, le travail en équipe et mes idées sur les bibliothèques et les bibliothécaires. Ce fut une chance que Sir Henry Melville ait pu me conseiller de créer une bibliothèque différente des autres. Ce fut aussi une chance que le DSIR (Department of scientific and industrial research = Ministère de la recherche scientifique et industrielle), avec Sir Henry à sa tête, ait eu pour tradition de laisser faire à ses directeurs ce que bon leur semblait, quitte à les remplacer en cas d'erreur. Je dirai ultérieurement ce qu'il en fut du travail en équipe. Pourtant la chance et le travail en équipe n'auraient pas suffi. Les décisions devaient être prises en accord avec les principes régissant les bibliothèques et la bibliothéconomie. Lorsque j'étais à Boston Spa, je n'avais pas le temps de mettre par écrit mes idées sur ce sujet. Peut-être n'aurais-je jamais tenté de le faire si le hasard n'avait mis sous mes yeux l'ouvrage dont il a été déjà question.

... Erat verbum

La première question à laquelle il faut répondre consiste à se demander ce qu'est un principe bibliothéconomique. J'ai déjà dit qu'il s'agissait d'un guide pour l'action, mais il faut ajouter que ce guide n'est pas censé jouer un rôle seulement dans une bibliothèque ou une catégorie de bibliothèques donnée. Il est des lois qui ne sont applicables qu'à des organismes particuliers - disons des ministères ou des universités - ce ne sont pas elles que je vise ici. Dans l'idéal, les lois de la bibliothéconomie devraient s'appliquer à toutes les catégories de bibliothèques et ne devraient être soumises ni à l'usure du temps ni aux progrès techniques. En tant que guide d'action, un principe devrait pouvoir orienter les décisions à prendre en fonction des situations nouvelles et des développements ultérieurs. Enfin, il est fort souhaitable de pouvoir formuler l'essentiel d'un principe en une seule phrase, car dans un flot de paroles il risquerait d'être dilué.

Qu'il me soit permis d'y revenir : un principe bibliothéconomique est un guide pour l'action des bibliothécaires. Qu'il appartienne ou non à la bibliothéconomie importe peu. En réalité, comme il apparaîtra plus loin, nombre de principes mis en oeuvre par les bibliothécaires sont utilisés en d'autres domaines. Cela, je le sais, ne sera guère apprécié par tous ceux qui considèrent que la bibliothéconomie constitue une activité tout à fait à part. Une telle conception est malheureusement entretenue par de nombreuses associations professionnelles et écoles de bibliothécaires. Elle a certainement conduit la bibliothéconomie - en la personne de représentants éminents - à ignorer certaines lois d'importance majeure qui s'appliquent couramment en de nombreux secteurs.

Pour en finir avec la bibliothéconomie du fourre-tout

« Qu'est-ce que je veux dire par bibliothéconomie ? » Il me faut répondre à cette autre question avant de préciser ce que sont les principes de cette discipline tels que je les conçois. La bibliothéconomie est, à coup sûr, liée aux bibliothèques (mais pas seulement aux bibliothèques), et celles-ci ont à rassembler les monuments de la pensée et des observations humaines. Les bibliothèques soumises à cette règle ne se réduisent pas toutefois uniquement à des collections d'enregistrements. De nombreuses bibliothèques privées, il est vrai, ont été créées par des collectionneurs. Ces derniers auraient pu collectionner des porcelaines de Chine, des oeuvres d'art ou des timbres-postes - ils choisirent de collectionner des livres. Peut-être appréciaient-ils particulièrement les reliures anciennes ou bien considéraient-ils l'acquisition de livres comme un placement. Peut-être même ont-ils pu juger que le contenu des ouvrages présentait, en tant que tel, un certain intérêt - mais il reste qu'en premier lieu il s'agissait de collectionneurs. Cette activité dont l'objet est de rassembler des livres relevait de conventions sociales. Ainsi, récemment encore, toute maison, à la campagne ou en ville, se devait - si son maître tenait à passer pour un homme cultivé - de posséder sa propre bibliothèque. Ce goût de la collection s'est maintenu mais il n'est pas aussi répandu que naguère. Les livres coûtent cher et mobilisent un espace relativement important par rapport aux habitations modernes. Les motivations animant les collectionneurs privés de l'ancien temps animent aujourd'hui les bibliothécaires qui collectionnent pour le compte d'un tiers et stockent les imprimés dans des bâtiments mis à leur disposition.

Le zèle des collectionneurs a eu sans doute pour résultat - du moins en ce qui concerne certains ouvrages qui, autrement, auraient disparu à jamais - d'assurer la conservation en vue d'une utilisation ultérieure. De là vient que certains bibliothécaires considèrent que l'objectif premier d'une bibliothèque est la collecte - ce qui contribue à perpétuer l'image, toujours dominante, du bibliothécaire-fouineur. Cette image ne favorise guère l'attribution de crédits supplémentaires aux bibliothèques. C'est pourquoi la bibliothéconomie moderne doit bannir la collecte pour elle-même. Celle-ci, par conséquent, doit s'effectuer en fonction d'un but, et le but le plus simple qu'on puisse imaginer est justement l'utilisation qui doit en être faite.

Le client d'abord

Les idées qui viennent d'être exposées conduisent à formuler un premier principe : les bibliothèques sont faites pour leurs utilisateurs. Cela, j'en suis certain, apparaîtra à beaucoup comme un truisme. Et effectivement il devrait en être ainsi, mais, en réalité, de nombreux bibliothécaires se comportent comme si cette loi n'existait pas. Selon certains, les bibliothèques n'ont été instituées que pour rassembler des documents dont l'utilisation n'a à leurs yeux aucune importance. Je me souviens d'un bibliothécaire d'université qui estimait plus urgent d'acquérir les ouvrages que sa bibliothèque ne possédait pas plutôt que de se procurer, en double, un titre très demandé. Si l'on s'en tient aux bilans annuels d'activité qui, le plus souvent, donnent aux accroissements une place de choix, ce type de bibliothécaire n'a rien d'exceptionnel. C'est, la plupart du temps, sans s'en rendre compte que certains bibliothécaires donnent la mesure de leurs activités en annonçant le nombre de volumes détenus. Ne serait-ce qu'à cause de tels praticiens, il importe de poser le principe selon lequel les bibliothèques sont faites pour leurs utilisateurs.

Nombreux sont les bibliothécaires qui, tout en admettant ce principe, omettent, en réalité, de se demander si leur bibliothèque parvient à satisfaire ses utilisateurs. Plusieurs raisons peuvent expliquer une telle attitude. Les uns se basent sur le nombre de prêts sans se douter que cette information ne fournit aucun indice de la mesure dans laquelle les demandeurs ont été satisfaits. D'autres, plus hardis, sollicitent les avis des lecteurs sur les services offerts sans s'interroger au préalable sur la fiabilité de telles appréciations. En définitive, la raison profonde pour laquelle de nombreux bibliothécaires s'avèrent incapables de réunir les données qui, seules, leur permettraient d'évaluer correctement la qualité de leurs services, tient à une particularité des services mêmes. C'est en les comparant avec d'autres services qu'on peut en prendre le plus clairement conscience. Si on prend l'exemple de l'eau ou de l'électricité, il est généralement facile de déceler toute carence, en quantité ou en qualité, par rapport aux besoins des utilisateurs. Par contre, lorsqu'il s'agit d'information, aucune carence ne peut être mise en évidence -c'est cela même qui constitue mon second principe bibliothéconomique.

Trop souvent en effet - nous devons en être conscients -, il arrive qu'un « utilisateur » pénètre dans une bibliothèque à la recherche d'information, échoue à l'obtenir et s'en retourne sans que, pour autant, cet insuccès ait pu être détecté au niveau de l'établissement. Or ce premier échec est gros de conséquences : il influence l'attente d'un client potentiel vis-à-vis d'un service et celle-ci, à son tour, en conditionne l'utilisation ultérieure.

En certains cas, cela peut transformer des utilisateurs potentiels en non-utilisateurs. Cette possibilité crée des difficultés particulières lorsqu'il s'agit de programmer des bibliothèques. En effet, pour un non-utilisateur d'eau ou d'électricité, le remède est connu - une conduite ou une ligne à poser dans son habitation ou son lieu de travail. Mais lorsqu'il s'agit des services d'une bibliothèque, la solution est beaucoup plus compliquée : jusqu'à présent, il ne pouvait y avoir de liaison entre les bibliothèques et le domicile des utilisateurs. A l'avenir, des systèmes tels que PRESTEL pourraient transformer cette situation. Aussi le réseau des bibliothèques doit-il se préoccuper de mettre à la disposition des utilisateurs des lieux d'accès à l'information commodes. Cela suppose - d'où la difficulté - que soient connus au préalable non seulement le domicile et le lieu de travail des utilisateurs potentiels, mais aussi la manière dont s'effectuent leurs déplacements en temps normal. La mesure dans laquelle ils accepteront de bouleverser leur itinéraire habituel pour se rendre dans une bibliothèque sera à la fois fonction de l'importance attribuée à ce qu'ils recherchent et des chances de l'obtenir effectivement. Ainsi la question de savoir si un utilisateur potentiel se rendra en telle occasion dans telle bibliothèque met en jeu un ensemble de facteurs dont nous n'avons pas la plupart du temps une connaissance suffisante. Nous savons, par contre, que les demandes des utilisateurs augmentent dans la mesure même où augmentent les chances de trouver ce qu'ils recherchent. En outre, des utilisateurs satisfaits constituent, pour une bibliothèque, la meilleure des publicités - c'est de cette manière que l'offre crée la demande.

Si les bibliothèques sont faites pour les utilisateurs, la question qui se pose est de savoir ce que ceux-ci souhaitent y trouver. La réponse est toute simple : ou bien ils souhaitent trouver des documents dans lesquels ils puiseront l'information qu'ils recherchent, ou bien ils souhaitent être orientés. Dans ce dernier cas, ils attendent d'une tierce personne qu'elle leur indique les sources à consulter. Ce que les utilisateurs requièrent des bibliothèques peut donc s'énoncer en deux recommandations : fournir des guides (ou catalogues) grâce auxquels les documents recherchés puissent être aisément localisés; proposer, le cas échéant, des reproductions de documents. Ces deux exigences donnent naissance à deux principes bibliothéconomiques complémentaires : les utilisateurs doivent pouvoir disposer de guides (ou catalogues) de manière à pouvoir sélectionner les documents recherchés; les bibliothèques doivent permettre l'accès aux documents que les utilisateurs souhaitent consulter.

Des comptes impossibles

Le présent paragraphe concerne la seconde loi fondamentale de la bibliothéconomie : les bibliothèques doivent être prises en charge. Tous les bibliothécaires - même s'ils ne l'ont pas toujours appris dans les écoles de bibliothéconomie - savent cela; pourtant, aussi étrange que cela puisse paraître, les règles d'action découlant de ce principe de base ne sont pas toujours bien connues.

Pour que les bibliothèques puissent être prises en charge, il faut qu'un organisme consente à les financer - et, tôt ou tard, celui-ci en viendra à poser la question du bon usage de ses deniers. C'est une question à laquelle - en ce qui concerne les bibliothèques -il est très difficile de répondre. Contrairement à d'autres activités en différents domaines, il n'est pas possible en effet de mesurer leur efficacité en termes financiers. On en verra la raison en comparant la bibliothéconomie avec d'autres activités susceptibles d'une analyse financière. Celles-ci disposent généralement de quelque unité de mesure grâce à laquelle le rendement peut être précisé et de méthodes d'évaluation exprimées en termes financiers. Rien de semblable, actuellement, n'existe en ce qui concerne l'information et il ne paraît pas que de telles possibilités puissent jamais se manifester. Ainsi, quoi que puissent en penser certains économistes, ni les coûts d'une bibliothèque ni son efficacité ne relèvent d'une analyse en termes financiers. Il ne reste donc plus qu'à envisager un rapport coût-efficacité dans lequel cette dernière se trouve mesurée en termes non financiers.

Il faut noter ici que c'est un même organisme qui, généralement, assure le financement d'un certain nombre de bibliothèques. C'est ainsi qu'en de nombreux pays, la plupart des bibliothèques sont financées par les deniers publics. D'où le plus souvent la nécessité, par-delà le rapport coût-efficacité d'un établissement particulier, d'envisager ce rapport globalement pour un certain nombre de bibliothèques.

La difficulté d'appliquer aux bibliothèques des critères de rentabilité tient au fait que les bibliothécaires n'ont que rarement, dans le passé, été formés au calcul des coûts, et les statistiques habituellement établies dans les bibliothèques n'offrent, de ce point de vue, qu'une aide minime. Pour corser la difficulté, certains administrateurs et économistes se sont mis à discuter de l'application de la notion coût-bénéfice aux bibliothèques sans se rendre compte que les bénéfices d'une bibliothèque peuvent rarement s'exprimer en termes financiers. Les coûts néanmoins ne sont pas difficiles à mesurer.

Actuellement, étant donné que le rapport coût-efficacité n'a jamais été sérieusement pris en considération, celui-ci, dans certaines bibliothèques, est susceptible de s'élever, soit par une réduction des coûts avec maintien d'une efficacité identique, soit par un accroissement d'efficacité sans hausse des coûts. Dans d'autres établissements le rendement ne pourra être amélioré qu'en élevant les coûts. Ce qui amène à se demander jusqu'où peut se poursuivre ce processus d'accroissement de l'efficacité aux dépens de coûts accrus. Le problème devrait être envisagé à partir d'un principe qui n'est pas spécifique à la bibliothéconomie mais qui, néanmoins, s'avère important dans cette discipline - celui des rendements décroissants. Ce dernier, qui suppose a priori la perfection hors d'atteinte, considère que les efforts mis en œuvre pour y accéder ont pour résultat, une fois atteint un certain niveau, en accroissant les coûts, de diminuer le profit qu'on peut en tirer. Pour des raisons qui restent à préciser, la bibliothéconomie a eu tendance dans le passé à ignorer cette loi. Il n'est pas rare, en effet, de constater que le rendement d'une bibliothèque dans son ensemble a pu être volontairement limité sous prétexte qu'une priorité devait être accordée à l'un des secteurs d'activité. Ainsi en va-t-il fréquemment du catalogage où la soif de perfection, qui se traduit par de multiples contrôles des notices avant leur entrée au catalogue, a pour résultat d'accroître les délais, c'est-à-dire de retarder la mise à disposition de ces catalogues au public. Ce retard dans la diffusion de cette information, même s'il permet d'améliorer la présentation des publications, peut, en réalité, aboutir à une baisse de rendement, à des coûts accrus - un cas particulier illustrant le principe général que le mieux est l'ennemi du bien. C'est un principe que les bibliothécaires souvent ignorent aussi.

Le perfectionnisme dans le catalogage se manifeste, en de nombreuses bibliothèques, par l'emploi de codes de catalogage et de classifications particuliers, au lieu d'aboutir à une réduction des coûts, en utilisant lorsqu'elles sont disponibles, des notices réalisées par d'autres. Une illustration spectaculaire de ce travers a été donnée lorsqu'il est apparu qu'un ouvrage de recherche reçu par la bibliothèque du British Museum avait été catalogué à trois reprises selon trois codes différents - le premier appartenant à la British national bibliography, le second au British Museum catalogue et le troisième au National reference library for science and invention...

L'obsession de la collecte est une autre forme de ce besoin de perfectionnisme. Cet excès a pu avoir son utilité lorsque les bibliothèques étaient peu nombreuses et que les communications entre elles étaient difficiles. Le coût d'une telle manie restait alors relativement limité en raison du nombre restreint des publications. De nos jours le volume global de la production est si important que la plus grande bibliothèque ne peut jamais en posséder qu'un échantillon. La conclusion qui s'en dégage représente une autre loi de la bibliothéconomie : aucune bibliothèque n'est une île.

L'archipel des corps impavides

Ce principe a été reconnu -peut-être de manière superficielle - par de nombreux bibliothécaires depuis quelques décennies car il a donné lieu à de nombreux débats sur la coopération entre les bibliothèques. Ces échanges de vues, comme cela sera souligné plus loin, n'ont pas été aussi fructueux qu'ils auraient pu l'être parce qu'ils ont méconnu quelques-uns des autres principes bibliothéconomiques, notamment le rapport coût-efficacité, à la fois du point de vue des établissements particuliers et de l'ensemble du réseau qu'ils constituent. Une des conséquences de cette négligence, eu égard au rapport coût-efficacité, se traduit par le manque d'attention accordé aux coûts unitaires. Il n'est pas rare en effet de constater, lorsque l'on considère ces coûts pour un groupe de bibliothèques apparentées, que ceux-ci s'accroissent avec l'importance de l'établissement. Tout le contraire de ce qui se passe dans les entreprises industrielles. A une telle remarque on pourrait opposer que, précisément, les bibliothèques n'ont rien à voir avec l'industrie. Pourtant, les mêmes raisons qui permettent dans l'industrie une réduction des coûts unitaires par l'augmentation du rendement, devraient aboutir à un résultat semblable dans les bibliothèques. Un résultat opposé donne à penser que les méthodes appropriées à la taille des opérations n'ont pas été employées. Cette carence pourrait s'expliquer par le fait que de nombreuses bibliothèques, conçues à l'origine comme de petits établissements, se sont notablement agrandies sans jamais remettre en cause leurs méthodes internes de fonctionnement.

Pour bien marquer la nécessité d'énoncer des principes additionnels, rappelons tout d'abord ceux qui viennent d'être exposés. Le premier principe - les bibliothèques sont faites pour les utilisateurs - exige des bibliothécaires qu'ils se soucient de la manière selon laquelle les utilisateurs sont satisfaits. Il importe de préciser ici qu'une interrogation sur l'utilisation n'est pas suffisante. L'évaluation ainsi réalisée peut, certes, indiquer un certain volume d'utilisation, et sa progression peut signifier une réelle amélioration du service, mais ce n'est pas toujours nécessairement le cas. L'accroissement peut provenir d'une augmentation de la population ou de changements intervenus dans ses habitudes, tous facteurs qui n'ont rien à voir avec la qualité des services de la bibliothèque -qu'il s'agisse de nouvelles méthodes de formation, de changements de personnel, de modifications des conditions de consultation, etc. Le point qu'il importe de souligner est le suivant : les statistiques sur le niveau d'utilisation n'indiquent pas par elles-mêmes la mesure dans laquelle les besoins des utilisateurs ont été satisfaits.

Du bon usage de l'usager

Le problème de la détermination de ces besoins demeure donc. Une manière directe de le résoudre serait, tout simplement, de demander aux utilisateurs ce qu'ils souhaitent. En règle générale, ce moyen n'est pas conforme au principe de base de la méthode scientifique - le souci d'objectivité. Ce que les utilisateurs estiment désirer, ou la manière dont ils imaginent leurs réactions dans une situation donnée, ne peut constituer une donnée objective. Ce principe de base est très souvent négligé, d'abord parce que seule une minorité de bibliothécaires a reçu une formation en sciences exactes, ensuite parce qu'on croit superflu d'utiliser les méthodes objectives des sciences exactes quand on recherche des faits ayant trait aux sciences sociales ou humaines. Mais, telle que je l'envisage, cette donnée est si importante que je la fais figurer au nombre des lois fondamentales de la bibliothéconomie.

Ce principe mène à un résultat inattendu : il limite le nombre des questions qu'il est utile de poser. Ainsi, une des questions dont on souhaiterait bien connaître la réponse consiste à se demander pourquoi des non-utilisateurs n'utilisent pas tel service. Il peut y avoir à cela de nombreuses raisons, y compris le fait que le service est inadéquat ou bien que sa publicité a été insuffisante; et il peut être malaisé d'attribuer, à ces raisons éventuelles de non-utilisation, l'importance relative revenant à chacune d'elles. En appliquant les principes déjà énumérés, il devient cependant possible d'en savoir davantage.

En dépit de ce que certains semblent espérer des soi-disant « projets de recherche » ou « études de faisabilité », ce qui, en règle générale, ne peut être obtenu, c'est une prévision fiable de la demande suscitée par la création d'un service nouveau. Naturellement si la ville B, qui est semblable à la ville A, crée un service déjà existant dans la ville A, elle peut raisonnablement s'attendre à une demande comparable. Mais s'il s'agit d'un nouveau type de service, la seule méthode fiable pour déterminer quelle sera la demande est de proposer effectivement ce service et de mesurer la demande - car si l'offre crée la demande, la relation exacte entre l'une et l'autre varie avec les circonstances.

Les vieux pots ne font pas toujours les meilleures soupes

Les principes exposés jusqu'ici impliquent que toute disposition en vigueur devrait être testée de manière à déterminer la mesure dans laquelle elle satisfait les exigences des utilisateurs et si, d'un point de vue coût-efficacité elle s'avère la meilleure; cette problématique signifie qu'il peut apparaître opportun de modifier les politiques ou procédures en vigueur. Les principes d'acquisition, par exemple, peuvent être changés d'un jour à l'autre; d'autres procédures, particulièrement celles qui touchent aux catalogues des fonds, peuvent offrir davantage de résistance au changement. Cette difficulté tend à s'amplifier lorsqu'il s'agit de bibliothèques dont le rôle propre est la conservation des documents anciens.

Inévitablement un tel rôle incline à privilégier les vieilles méthodes. Ce phénomène est tout à fait évident lorsque se manifeste la moindre tentative de modifier le système de catalogage ou de classification. L'argument le plus communément adopté est alors celui-ci : « Voyez ce que le système actuel a permis de réaliser ». Pour contrebalancer pareille attitude, il faut penser que dans la plupart des bibliothèques, le volume des acquisitions est, tôt ou tard, destiné à dépasser celui qui se trouve actuellement sur les rayons. Aussi devrait-on adopter le principe suivant : lorsqu'il s'agit d'utiliser des techniques nouvelles on doit regarder vers l'avenir, non vers le passé.

Le moral de l'équipe

Il est un principe bibliothéconomique que les mots expriment malaisément; il a trait au personnel. Il est important parce qu'en de nombreuses bibliothèques universitaires, le salaire du personnel correspond au chapitre budgétaire le plus fourni. Quelques-uns des principes bibliothéconomiques, tels ceux relatifs au service des usagers et au rapport coût-efficacité, prennent, en fonction du personnel, une importance très particulière. Immanquablement, lorsque la motivation du personnel est forte, le rendement des services de la bibliothèque s'accroît. Le problème est de créer une motivation ou de la maintenir lorsqu'elle existe. Si le personnel travaille en équipe, on peut y parvenir assez facilement. C'est pourquoi, alors même que les mots peuvent faire défaut pour exprimer ce qui est requis, il peut suffire, en ce qui concerne le personnel, d'énoncer cette maxime : le personnel d'une bibliothèque devrait travailler en équipe.

En réalité, la simple observation montre, qu'en de nombreuses bibliothèques, ce que suppose un tel principe fait défaut. La raison principale à cet état de choses tient au fait que le travail en équipe n'a pas été reconnu à sa juste valeur. Trop souvent, par exemple, la structure du personnel elle-même s'oppose au travail en équipe. Mes propres observations m'inclinent à penser que, lorsque la motivation du personnel est élevée, le rendement peut doubler celui atteint par un personnel moyennement motivé; si elle est faible, le rendement obtenu peut être moitié moindre que le rendement normal.

Dans de petits établissements telles les bibliothèques spécialisées, le personnel peut travailler en équipe sans que soit requis un effort particulier d'organisation; mais dans les bibliothèques plus importantes un tel effort s'avère indispensable. Le refus de fournir cet effort pourrait constituer l'une des raisons pour lesquelles les prix unitaires augmentent avec l'importance des bibliothèques. En créant la NLL, je me suis efforcé d'accorder une attention particulière à cette question. Rétrospectivement, cela me paraît constituer l'une des raisons pour lesquelles la NLL a pu se développer aussi rapidement.

Si le personnel d'une bibliothèque doit travailler en équipe, les cadres et le directeur doivent faire partie de l'équipe et apparaître comme tels. Cette conception s'oppose à l'idée jadis établie en de nombreuses bibliothèques universitaires - elle fut à l'origine de mon recrutement au Science Museum -, idée selon laquelle les postes de conservateurs sont des sinécures pour chercheurs. Aujourd'hui encore, de nombreux bibliothécaires ont tendance à se présenter à leurs alter ego scientifiques non pas comme des administrateurs de bibliothèques mais comme des chercheurs travaillant dans une bibliothèque. Aussi est-il nécessaire de préciser, et d'ériger en principe bibliothéconomique, qu'un emploi de bibliothécaire n'est pas une sinécure pour chercheur. La tâche principale d'un bibliothécaire consiste avant tout à faciliter le travail de nombreux utilisateurs. Ce principe découle de celui stipulant que le personnel d'une bibliothèque doit travailler en équipe. Il pourrait également procéder de celui selon lequel les bibliothèques sont faites pour les utilisateurs.

Qui suis-je ? D'où viens-je ? Où vais-je ?

Les principes exposés jusqu'ici se fondent sur le fait que les bibliothèques existent et qu'elles se soucient de se donner des règles de fonctionnement. Ils ne tiennent pas compte d'une éventuelle remise en cause de leur raison d'être. Ils ne soulèvent pas non plus la question des ressources dont devraient disposer les bibliothèques, même s'ils suggèrent qu'au cas où une partie des moyens disponibles n'a pas été judicieusement utilisée, une réduction correspondante desdits moyens pourrait intervenir.

La question fondamentale, pourquoi les bibliothèques nécessitent-elles une prise en charge, appelle un principe supplémentaire. Pour être efficace, celui-ci doit bénéficier de l'adhésion, non seulement des bibliothécaires mais aussi de larges fractions de la société. En prenant d'autres secteurs d'activité pour exemple, nous sommes davantage en mesure de réaliser la spécificité du problème de la fourniture d'information : s'il s'agit d'alimentation en électricité on peut se faire une idée de la demande, du coût de la fourniture correspondante et, ainsi, parvenir à établir un coût unitaire de l'électricité. On est alors en mesure de prévoir si le marché acceptera ce prix unitaire ou si les utilisateurs potentiels se tourneront de préférence vers d'autres sources d'énergie. Mais avec la fourniture d'information, on ne peut se livrer à semblable calcul. Il n'existe pas « d'unité-information », et, lorsqu'on se propose de créer une bibliothèque, nous n'avons aucun moyen de prévoir le volume d'information qu'elle sera en mesure de fournir. Dans certains cas, avec un peu de chance, on arrive à estimer la valeur financière d'un type particulier d'information - lorsque telle ou telle information permet d'épargner une dépense particulière, ou bien lorsque l'absence d'une information ordinairement disponible mène au désastre. Comme nous l'avons souligné plus haut, il n'existe aucune méthode reconnue, et il ne semble pas qu'il puisse jamais en exister une, permettant de mesurer l'information en termes financiers.

Les bibliothèques doivent avoir la cote

Nous sommes ainsi renvoyés à l'article de foi selon lequel les bibliothèques peuvent être utiles à la société. Nombreux sont les bibliothécaires qui, sans aucun doute, préféreront une expression plus franche de l'importance des bibliothèques par rapport à la société; ce qui importe, en l'occurrence, n'est pas tant ce que pensent les bibliothécaires mais plutôt le consensus qu'ils peuvent obtenir des milieux les plus influents. Dans le même ordre d'idées, on doit admettre que les différents groupes sociaux ont chacun leur échelle de valeurs. Ainsi certains se montrent attachés aux bibliothèques parce qu'elles apportent un élément irremplaçable à la qualité de la vie; d'autres sont prêts à soutenir les bibliothèques parce que, pensent-ils, elles facilitent la recherche ou en constituent l'instrument essentiel. Au tout début des bibliothèques publiques, beaucoup de gens étaient en leur faveur car, espéraient-ils, elles contribueraient à dissuader les travailleurs de fréquenter les débits de boisson. De nos jours, il existe des versions plus modernes de ce thème... La thèse la plus acceptable concerne sans doute la littérature scientifique et technique. Les scientifiques estiment en effet que l'exploitation des connaissances disponibles tend à faciliter des découvertes nouvelles. En outre de larges fractions de la communauté scientifique inclinent à penser que l'information spécialisée peut faciliter la multiplication des applications scientifiques pour le plus grand bien de la société. Ainsi, ce fut le Comité pour la productivité industrielle qui, le premier, suggéra de créer séparément une bibliothèque nationale de prêt scientifique et techniques. Puisque l'éventail des opinions sur l'utilité des bibliothèques est si largement ouvert, c'est aux bibliothécaires, a fortiori, d'expliquer l'intérêt de leurs projets pour les différents groupes sociaux, en tenant compte des préjugés et conceptions de ces différents groupes.

Il existe encore un principe, tellement axiomatique à mon point de vue que j'allais oublier de l'inclure : la bibliothéconomie est une science expérimentale. Cette loi résume la conception de base qui fut la mienne lorsque j'ai eu à me familiariser avec les problèmes bibliothéconomiques. C'est d'ailleurs cette conception qui, fondamentalement, a conduit à tous les autres principes que j'ai énoncés et se trouve à l'origine d'un certain nombre de questions/réponses (...).

Si tous les bibliothécaires en activité étaient rompus aux méthodes scientifiques, l'ensemble des principes qui viennent d'être énumérés pourraient se réduire à une seule et unique loi. Actuellement on en est loin, et il ne semble pas qu'un changement notable puisse intervenir dans un avenir proche compte tenu du fait que les écoles de bibliothéconomie et de sciences de l'information sont très rarement, s'il arrive qu'elles le soient, implantées dans des universités scientifiques et techniques. Le développement des techniques de l'information pourrait contribuer à modifier une telle situation et peut-être verrons-nous un jour des écoles enseigner les techniques de l'information et la bibliothéconomie dans des établissements d'enseignement technique. En attendant, le mieux qu'on puisse faire est de mettre en application mes dix-huit principes de bibliothéconomie.

Et pour quelques principes de plus

Ces principes qui, me semble-t-il, relèvent d'une application générale en bibliothéconomie, ont probablement une portée permanente. Quelques autres ont une application plus limitée. Le plus important d'entre eux est peut-être le suivant : la production mondiale annuelle des imprimés continue de croître. Il en est ainsi depuis plusieurs siècles - probablement depuis la diffusion de l'imprimerie dans le monde occidental. Cela peut continuer pendant des décennies, d'autant plus que l'éducation pour tous se répand dans le monde entier -mais cela pourrait ne pas durer éternellement. C'est pour cette raison que je ne l'ai pas porté dans ma liste. Il est néanmoins d'une importance majeure pour tous les bibliothécaires actuellement en activité et en cours de formation; car la production croissante des publications exige une transformation des techniques bibliothéconomiques et les bibliothèques doivent devenir plus dépendantes les unes des autres. Cette pensée a joué un rôle capital dans le projet et la mise en œuvre de la NLL. Peut-être est-ce seulement la négligence qui explique son exclusion de ma liste. Cependant, en raison de son importance, je l'ai ajoutée à la liste des principes complémentaires.

D'autres principes ont joué un rôle dans le développement de la NLL; ils ont de l'importance sans pour autant être toujours susceptibles d'une application générale. C'est ainsi, par exemple, que la NLL était censée constituer un type nouveau de bibliothèque - une bibliothèque au service des bibliothèques. Un certain nombre de circonstances favorables ont contribué à la décision de sa création. Le risque d'une modification de ces circonstances n'était pas à écarter - par exemple, une crise financière pouvait rendre cette initiative inopportune. Dans l'intérêt de la NLL il était donc important de « battre le fer tant qu'il était chaud ». Dans de nombreuses entreprises il s'agit d'une considération de tout premier ordre mais, en certaines circonstances, elle ne doit pas être retenue. C'est pourquoi je l'ai incluse dans la liste des principes auxiliaires.

Afin de mieux battre le fer tant qu'il est chaud, il est nécessaire de disposer (ou de s'attribuer) d'un certain degré d'autonomie locale. Cette autonomie, notamment, ne devrait pas être limitée par le simple fait que la bibliothèque est rattachée à un organisme dont les objectifs sont tout à fait différents. La situation de la bibliothèque du British Museum -lorsqu'elle faisait encore partie du British Museum - est le cas typique d'une cote mal taillée. Il n'est pas possible de définir en termes simples le degré d'autonomie requis, il suffit d'indiquer que celui-ci doit être d'autant plus important que la disparité d'objectifs entre la bibliothèque et son organisme de rattachement est grande. Cela peut donner lieu à une sorte de règle assez mal définie, c'est pourquoi je l'ai inscrite sur ma liste des principes auxiliaires. L'autonomie de la NLL vis-à-vis du DSIR a été un facteur important qui a facilité l'essor rapide de cette bibliothèque. Pour résumer ce dernier point, on ne peut que rappeler la politique déjà évoquée : un directeur de DSIR pouvait faire ce que bon lui semblait, à condition de ne pas se tromper, auquel cas il se trouvait remplacé. Une telle autonomie était tout à fait inhabituelle dans la fonction publique britannique (...)

Les principes qui nous gouvernent

Si ces principes n'avaient reçu d'application qu'à Boston Spa, leur intérêt serait surtout académique (...) mais ils me paraissent applicables aux bibliothèques et services d'information où que ce soit. Peu de personnes oseront se déclarer en désaccord avec l'une ou l'autre de ces lois mais le principal risque est qu'elles restent largement méconnues.

Plusieurs des idées que j'ai érigées en lois de bibliothéconomie ne sont, à l'évidence, pas mises en oeuvre dans de nombreux établissements. Les difficultés principales tiennent au fait qu'on n'y tient pas compte des considérations coût-efficacité et qu'on n'y dispose pas de données objectives sur les services existants. Elles s'aggravent du fait des traditions pernicieuses issues du long passé des bibliothèques. Une des plus marquantes pose qu'une bibliothèque doit tendre à la perfection et ignorer la loi des rendements décroissants. Cela se traduit surtout dans les efforts consacrés au catalogage des collections, et en particulier des monographies. La réalisation de ces catalogues est très onéreuse et leur utilité pour nombre d'usagers est limitée. Alors que l'introduction de l'automatisation a amené un changement de format, on n'a pas cherché à limiter les notices de catalogues à l'essentiel.

Une autre difficulté de fond est due au fait que les bibliothèques ont été créées comme des entités séparées alors qu'elles sont dépendantes les unes des autres. C'est une situation imputable aux autorités responsables des bibliothèques ; toutefois de nombreux bibliothécaires témoignent par leur comportement qu'ils continuent à défendre la thèse de l'insularité. La diffusion des préoccupations coût-efficacité parmi les bibliothécaires et leurs bailleurs de fonds - tant du point de vue des bibliothèques individuelles que de leur organisation globale - devrait tôt ou tard faire triompher le principe selon lequel aucune bibliothèque n'est une île - cette loi s'appliquant et aux collections et aux catalogues. A ce moment-là le personnel chargé du catalogage devrait subir des compressions considérables. Parallèlement on devrait assister à une augmentation des effectifs chargés d'aider les utilisateurs et de déterminer dans quelle mesure ceux-ci sont satisfaits des services. Une telle révolution devrait améliorer l'image de marque des bibliothèques et les aider à se procurer les ressources dont elles ont besoin. Les modifications appelées par de tels changements ne devraient pas seulement porter sur les formations mais aussi sur les profils de recrutement des bibliothécaires.

On devrait en particulier se mettre à recruter des personnes à l'esprit suffisamment analytique, les plus aptes après formation, à disséquer les problèmes qui se posent en bibliothéconomie.

Des lettres et des chiffres

On considérait autrefois que les bibliothécaires devaient avoir des lettres. Il est maintenant fondamental que ce soient des « matheux ». A l'avenir, si une école de bibliothéconomie prétend former autre chose que des techniciens, elle devrait exiger plus que le niveau zéro en mathématiques aux différents stades de sa formation. Si les étudiants recrutés n'ont pas ce niveau minimal, elle devrait organiser des cours de rattrapage en mathématiques. Une bonne part des difficultés dont ont hérité les bibliothèques tient à ce que, dans le passé, trop de bibliothécaires ont été des littéraires purs.

Bien entendu les éléments conservateurs s'opposeront aux changements que je viens d'évoquer. Cependant l'augmentation des difficultés économiques rencontrées par les bibliothèques et la poussée des évolutions technologiques pourraient faciliter ces transformations. Il y a néanmoins un risque, celui de voir les bibliothécaires, obnubilés par les nouvelles technologies, prêter moins d'attention que par le passé aux objectifs réels des bibliothèques. L'historique de l'informatisation des bibliothèques représente de ce point de vue une bonne illustration. J'espère que les lois de la bibliothéconomie seront mieux assimilées de manière à préserver les bibliothèques de ce danger.

Enfin, et pour résumer cette conclusion : à la différence de nombreux bibliothécaires, j'ai reçu une formation en sciences expérimentales. Je ne suis devenu bibliothécaire que par accident mais il s'est avéré que cette formation était tout à fait adaptée à la tâche que j'ai eu à accomplir, car la bibliothéconomie est une science expérimentale.

Illustration
Les 18 commandements de la bibliothéconomie

  1. (retour)↑  Traduction par Jacques DAMIENS, direction de la Météorologie, division Documentation, de la première partie et de la conclusion de l'ouvrage de Donald Urquhart, The Pnnciples of librarianship, Woodgarth, 15, First Avenue, Bardsey, Leeds, LS17 9BE, 1981, 98 p. ISBN 0-950750-107. Le titre et les intertitres sont du traducteur.