Stratigraphie de l'information

Entretien avec la rédaction

Jean-Claude Dumort

Entretien avec le responsable du service édition au BRGM; description de l'établissement et du service d'information et de documentation. Les prestations du BRGM vont de la participation à PASCAL-GEODE à la publication de revues, manuels et cartes. Les pratiques documentaires des chercheurs incluent l'utilisation régulière de profils d'information mais restent encore très liées aux périodiques-papier. Le développement de l'édition électronique sera fonction de l'amélioration des conditions techniques, de la baisse des coûts et surtout de son acceptation par la communauté scientifique.

Interview with the manager of the publishing service at the BRGM : description of the institution and of the information and documentation service. The action of the BRGM includes a participation in PASCAL-GEODE as well as the publication of reviews, textbooks and maps. If scientists evenly tend to use information profiles, they still remain wedded to printed periodicals. The development of electronic publishing will depend a great deal on better technical basis, on a lower cost, and above all on its beeing accepted by the scientific community.

Comment fonctionne l'information dans un centre de recherches ? La généralisation des profils d'information a-t-elle induit de nouveaux modes de consommation documentaire ? A la lumière de l'expérience du Bureau des recherches géologiques et minières, Jean-Claude Dumort se montre réservé; l'évolution des pratiques d'information n'apparaît liée que de manière assez lâche aux nouvelles technologies et le terme de cumul semble plus approprié que celui de substitution pour traduire le rapport aux différents supports d'information.

BBF. Le Bureau des recherches géologiques et minières : une institution ou un organisme de recherches ? Le nom même prête à confusion.

Jean-Claude Dumort. Très exactement, le Bureau des recherches géologiques et minières, ou BRGM, est un établissement public à caractère industriel et commercial. Il s'agit d'une société de droit privé, dont l'Etat est le seul actionnaire, qui a un quadruple rôle : le BRGM, est d'abord le service géologique national français, rôle qui implique la collecte d'informations factuelles et la mise à disposition du public français de cette information. La notion de « public » reste quelque peu théorique; le BRGM s'adresse à tous ceux qui ont peu ou prou affaire à la géologie - l'enseignement secondaire est ainsi concerné par les cartes géologiques et les revues éditées par le BRGM - mais l'action vers le grand public reste malgré tout limitée.

En second lieu, le BRGM est un établissement de recherche appliquée qui travaille en liaison avec le CNRS et l'Université. Par ailleurs, le BRGM contrôle tout un groupe d'opérations minières avec une dizaine de filiales. Pour terminer, il est aussi une société de services à la disposition de l'industrie française mais aussi de pays étrangers comme l'Arabie Saoudite, Oman et de nombreux pays africains.

BBF. En somme, le BRGM couvre les différentes étapes entre la recherche et l'ensemble de ses applications. Comment est-ce organisé ?

JCD. C'est effectivement un organisme spécifique qui reflète une organisation de la recherche géologique appliquée française très structurée : l'intégration de ces quatre fonctions fait du BRGM un ensemble original et unique au monde - qui n'est au reste compris ni par nos collègues américains ni par les soviétiques; quoi qu'il en soit c'est le deuxième ensemble géologique du monde... Il y a regroupement de tâches diverses autour de la géologie appliquée dans un seul organisme. Mais à partir de là il y a, bien sûr, une grande décentralisation en fonction des rôles joués : le BRGM a quinze implantations à l'étranger, d'importance extrêmement variable; en métropole la fonction recherche est très largement concentrée à Orléans mais on compte 19 implantations régionales qui assument les fonctions de service public et de recherche appliquée.

Au total le BRGM emploie 2 000 personnes, chercheurs, ingénieurs, techniciens et personnels administratifs. Pour la clarté de l'exposé je vais donner un minimum de définitions : j'entends par « chercheur » toute personne dont le rôle est d'innover; par « ingénieur » toute personne chargée d'appliquer l'innovation ou d'aider les chercheurs à innover ; les « techniciens » apportent enfin une aide technique aux deux premières catégories. Sur l'ensemble des 2 000 personnes, les ingénieurs et chercheurs représentent la moitié et, une bonne moitié de cette moitié est regroupée à Orléans-La Source dans une installation récente, à l'allure de campus dans un cadre de verdure.

Déconcentration documentaire

BBF. Et l'organisation documentaire ?

JCD. Elle reproduit l'organisation générale : à Orléans on trouve d'abord une bibliothèque centrale qui a des fonctions de gestion pour toute la consommation documentaire du BRGM (commande des documents, organisation des échanges, prise d'abonnements) et qui est une « bibliothèque de recours » : elle stocke les collections anciennes de périodiques et de séries, les thèses (7 000) et les rapports de recherche. Cette bibliothèque n'est pas ouverte au public. L'accès des chercheurs à l'information est très décentralisé : à Orléans même fonctionnent 8 unités documentaires dans les principaux départements (Géologie, Hydrogéologie, Géotechnique, Gites minéraux...). Ces bibliothèques ne sont pas très volumineuses, ni par les titres suivis (une trentaine en moyenne), ni par les collections : leur rôle est de répondre aux besoins courants.

Il en va de même pour les unités implantées dans les services régionaux et les implantations étrangères : elles s'adressent à la bibliothèque centrale dès que la demande dépasse le cadre ordinaire. Cela dit, la hiérarchisation documentaire s'accommode d'une certaine souplesse: selon leur éloignement ou leur contexte, ces unités bénéficient d'une certaine autonomie pour leurs achats.

BBF. Comment se passent les rapports avec l'extérieur ?

JCD. C'est là qu'intervient la bibliothèque centrale, à différents titres; en premier lieu elle assume les échanges qui constituent un circuit important d'approvisionnement : environ 1 300 périodiques ou séries à rapprocher des 2 300 abonnements souscrits, mais souvent en multiples exemplaires.

La bibliothèque centrale du BRGM et la cellule d'indexage du département de l'information géologique participent à l'alimentation de PASCAL-GEODE qui est la base sectorielle « Sciences de la terre » de PASCAL, coproduite par le BRGM et le CDST (Centre de documentation scientifique et technique). Actuellement chacun des deux partenaires dépouille plus de 9 000 titres de périodiques ; il s'y ajoute tout un réseau européen - République fédérale d'Allemagne, Roumanie, Pologne, Tchécoslovaquie, Espagne - qui dépouille également 9 000 titres. PASCAL-GEODE a eu une base commune avec GEOREF, son homologue américain, pendant 3 ans; nous nous acheminons maintenant vers une procédure d'échanges. Un appendice intéressant de PASCAL-GEODE est la bibliographie géologique exhaustive de la France, réalisée entre 1968 et 1972 et entretenue depuis. La quasi totalité de la littérature géologique française (70 000 références) depuis 200 ans est ainsi disponible via GEODE et, bien sûr, TRANSPAC.

Le dernier rôle de la bibliothèque centrale consiste à assurer la fourniture de tous les documents demandés par les chercheurs et ingénieurs du BRGM qu'ils n'ont pas pu obtenir de leur bibliothèque de départ: sur les 13000 demandes annuelles de recours, 80 % sont satisfaites par ses moyens propres. Pour les autres, soit 2 600 environ, elle a recours essentiellement à cinq établissements parisiens : le Centre de documentation scientifique et technique du CNRS, la Société géologique de France, puis la bibliothèque du Muséum, le CADIST Sciences de la terre de Jussieu et l'Ecole des mines. En ce moment nous avons fait des propositions afin d'inverser le flux; nous pourrions nous associer au CADIST Sciences de la terre de Jussieu et devenir sa bibliothèque de recours. Mais ce retournement pose un problème de financement : la bibliothèque du BRGM est une bibliothèque privée et le BRGM a les contraintes et le mode de fonctionnement des entreprises du secteur privé. Les contrats d'assistance documentaire passés avec nos clients, la consultation de notre cartothèque (une des plus importantes du monde), la fourniture de DSI (diffusion sélective de l'information), toutes ces prestations sont payées à leur prix.

BBF. Précisément à ce propos, quel usage faites-vous des DSI et des banques de données ?

JCD. C'est un des moyens de documentation de notre clientèle - clientèle-maison des ingénieurs et chercheurs et clientèle privée de sociétés avec lesquelles nous avons passé contrat. La DSI fonctionne au BRGM déjà depuis une quinzaine d'années : la plupart des profils sont évidemment établis à partir de PASCAL-GEODE. Pour le compte du seul BRGM, tournent 240 profils établis à l'intention de 110 groupes d'utilisateurs. Les questions documentaires rétrospectives, par contre, sont moins fréquentes; peut-être parce qu'elles correspondent à des travaux nouveaux. Il y a enfin les DSI établies à la demande de notre clientèle (clients internes, sociétés et équipes universitaires) sur des secteurs totalement extérieurs à notre domaine, économique, juridique ou autres. Il peut paraître étrange que cette tâche soit confiée au BRGM; mais c'est le cas. Cette délégation traduit probablement une reconnaissance de l'efficacité de nos documentalistes ; leur intervention signifie un gain de temps et de fiabilité : tous ces systèmes sont en effet extrêmement variables et nécessitent une longue adaptation avant d'obtenir des réponses pertinentes.

Picotin documentaire

BBF. Comment fonctionne le système d'information et de documentation ?

JCD. Pour la plupart des équipes de chercheurs (30 à 40 personnes), il existe un ingénieur-documentaliste qui gère la documentation présentée dans les « mangeoires » des unités documentaires. Selon le cas il s'agit de quelques revues ou de plusieurs dizaines avec un coin « nouveautés » plus ou moins développé le tout en libre accès. Ce sont des revues d'information primaire de tous niveaux - de La Recherche et Scientific American aux revues les plus spécialisées.

Contrairement à ce qu'on pourrait croire, les revues secondaires, sommaires ou abstracts, ne sont guère utilisées; les chercheurs disposent de l'essentiel de l'information par les revues principales qu'ils ont pu feuilleter, qui leur fournissent plus de la moitié de leur information. Le relais est ensuite pris par les DSI, où les utilisateurs retrouvent les publications déjà repérées par le feuilletage et un complément représentant moins de la moitié de leur « consommation totale » et naturellement la plupart des références d'importance moindre (un article sur le phosphate publié dans une revue javanaise...). Les publications secondaires ne trouvent guère leur place dans ce schéma - sauf cas particulier, dans certains secteurs où l'information des banques de données s'avère insuffisante.

Il existe un troisième canal d'information plus spécifiquement BRGM, c'est Géochronique qui est publié depuis 1982 en collaboration avec la SGF. L'ambition de départ a été de faire un périodique « tertiaire », le pendant français et « méditerranéen » de la revue américaine Geotimes. Dans le contexte français c'est le « trimestriel du géologue », comme il y a un Quotidien du médecin, avec pour axe l'information et la culture géologique générale : les articles sont rédigés par des spécialistes mais à un niveau d'écriture qui permette l'ouverture sur l'ensemble de la « communauté géologique ». Comme cette information se double de tout un travail de présentation (maquette, iconographie), Géochronique a déjà une bonne audience et tire à 4 300 exemplaires. Environ 1/3 est autoconsommé par les ingénieurs, chercheurs et une bonne part des techniciens du BRGM; il s'agit vraiment pour ce public d'un instrument d'information et de formation permanente - aussi fait-elle l'objet d'une diffusion directe et personnalisée en dehors du cadre hiérarchique.

BBF. L'information serait donc freinée par la hiérarchie ! Voilà qui ne serait pas spécifique au BRGM... Mais celui-ci, j'imagine, ne se limite pas à la seule publication de Géochronique ?

JCD. Pour répondre à votre remarque un peu ironique : la circulation de l'information est freinée par certains éléments de la hiérarchie, mais pas par « la » hiérarchie ; comme c'est le cas sans doute dans beaucoup d'organismes français, européens ou nord-américains. N'oublions pas que, 1. « l'information est une des clés majeures du pouvoir » et 2. « L'homme est humain ». Mais je n'ai rien d'un théoricien de la communication. Pour revenir au concret : il existe au BRGM toute une gamme éditoriale, de la revue au manuel, sans oublier les cartes. Pour détailler un peu, le BRGM est éditeur (ou coéditeur) de quatre revues trimestrielles -sans compter Géochronique -, chacune correspondant à un projet précis : Géologie de la France est une revue purement scientifique tirée en 1 000 exemplaires ; Hydrogéologie et Chroniques de la recherche minière ont une orientation technologique plus affirmée et tirent à 1 500. Géothermie actualités, qui est toute récente, se veut franchement technologique et devrait se stabiliser autour de 800 à 1 000 exemplaires.

Les ouvrages publiés se situent à différents niveaux : synthèses géologiques comme Le Bassin houiller du Nord ou Synthèse géologique du Sud-Est de la France, mais aussi des résultats de recherches plus ponctuels édités en camera ready copy. Nous jouons également un rôle de diffuseur : le Catalogue des sciences de la terre regroupe nos propres ouvrages mais aussi ceux publiés par une grande partie des éditeurs publics ou para-publics : ORSTOM, CNRS, Elf-Aquitaine, une dizaine d'instituts et de laboratoires de géologie. Depuis peu nous avons entrepris d'élargir la gamme vers le bas; en liaison avec la MIDIST nous nous sommes lancés dans l'édition de méthodes ou manuels niveau fin du 2e cycle : Utilisation de la télédétection dans les sciences de la terre vient d'être publié, et Géoécriture ou l'Art d'écrire la géologie va sortir très prochainement.

Profils et pertes

BBF. Pour en revenir aux pratiques d'information, est-ce que vous avez le sentiment que la DSI a eu une incidence sur les comportements des chercheurs ?

JCD. Dans le cadre du BRGM, l'usage de DSI introduite, rappelons-le, il y a 15 ans, est pratiquement de règle. Il est impensable qu'un chercheur n'ait pas accès à une DSI d'une façon ou d'une autre, avec ou sans médiateur. Ce n'est donc pas la DSI qui fait la différence. Les différences de « productivité » qu'on peut observer entre nos chercheurs semblent liées à leur champ de lectures : les plus performants sont ceux qui lisent beaucoup de « sciences » et ne se cantonnent pas aux lectures de leur champ d'intérêt strict, aux lectures résultant de la réception des DSI. La DSI constitue un acquis appréciable : elle fait gagner du temps mais ce n'est pas une panacée. Si on la considère comme la seule manière d'accéder à la lecture, elle peut jouer un rôle négatif, en fermant des horizons.

Par ailleurs, surtout lorsqu'elle tourne depuis plusieurs années, il y a toujours le risque d'un décalage avec les intérêts et les pistes de recherche; cette inadéquation peut être catastrophique car la DSI donne une fausse sécurité : on a pratiquement toujours de l'information mais ce n'est pas nécessairement de l'information qui peut faire progresser ses travaux. Il faut que le documentaliste soit très vigilant sur cette question, qu'il suive vraiment l'évolution de chaque chercheur et reste en contact permanent avec lui pour éviter ce risque. A la limite il vaut mieux déboucher sur des DSI un peu « bruyantes » qui évitent cet « enfermement ».

BBF. Mais est-ce que la structure de PASCAL ne permet pas, justement, ce « butinage » aux franges d'une spécialité donnée ?

JCD. Je ne pense pas que les banques de données bibliographiques puissent fournir l'information sur les franges et les interfaces. Mais je ne connais bien que PASCAL-GEODE qui est une base sectorielle et mon point de vue est peut-être faussé. Dans notre cadre, celui de la recherche appliquée, le foisonnement a peut-être moins d'importance que pour la recherche pure. Ceci dit, les revues les plus consultées sont les revues-carrefour: la Recherche (achetée en 30 exemplaires), Scientific American, Nature, plus Géochronique qui donne l'information autour d'une spécialité.

Pour ma part, je pense que tout chercheur est capable de s'informer sur son domaine précis; ce sont les à-côtés qui posent problème - bien sûr il existe d'autres canaux, par exemple les séminaires et les congrès mais il est difficile d'en mesurer l'efficacité. Pourquoi assiste-t-on à un congrès ? Surtout pour s'informer ou surtout pour présenter une communication ?

Micro-utilisations

BBF. Quelle est votre position par rapport à l'édition électronique ? Dans les années à venir, celle-ci devrait privilégier l'édition d'articles fournis à la demande et non plus des titres de revues...

JCD. J'ai tendance à prédire à l'édition électronique dont on entend beaucoup parler actuellement un sort analogue à l'édition par microfiches dont on a beaucoup parlé il y a quelque 3 à 4 lustres. Mais le raisonnement par analogie - très utilisé par les naturalistes - ne s'applique peut-être pas aux sciences de la communication. Il faut rappeler l'histoire de l'essor manqué de la microcopie. On a assisté, il y a une quinzaine d'années, à un déferlement de prédictions sur l'avenir de la microédition; on a vu se monter d'énormes chantiers documentaires de microformes; on sait ce qu'il en est advenu... Dans le secteur des sciences de la terre il n'y a pas plus de 2 % à 3 % des périodiques édités sur microfiches; il n'existe qu'une vingtaine de revues importantes qui utilisent les deux supports. Avec le recul, on ne peut vraiment dire que la microforme ait eu d'impact sur l'édition des périodiques !

Ne voyez pas dans ces propos une allergie du BRGM à la microcopie : elle est utilisée comme moyen de sécurité pour les rapports internes, pour les dossiers de sondage et tout ce qui est littérature grise, mais tout cela reste limité. Par ailleurs nos chercheurs n'acceptent la consultation de microformes que s'ils disposent d'un lecteur-reproducteur !

BBF. Il y a tout de même le problème du stockage auquel la microcopie apporte une solution intéressante, surtout pour les périodiques.

JCD. Evidemment, étant en province et sur un campus moderne, nous n'avons pas de problème de place ! Tous les périodiques sont conservés à la bibliothèque centrale qui fournit documents et photocopies à la demande. Il ne me semble pas, en sortant du cadre étroit du BRGM, que la microforme soit la véritable réponse ; celle-ci se trouve plutôt dans l'organisation d'une politique (nationale ?) de conservation : les périodiques anciens ne sont que très peu consultés et il sera infiniment plus économique de conserver l'intégralité des collections dans un ou deux établissements que d'en organiser le microfichage systématique.

Je réfute tout de suite l'argument que vous pourriez m'opposer : le document n'étant plus sur place, les délais de communication seront allongés, d'où une gêne pour le chercheur. Cet obstacle n'est pas vraiment fondé : il est exceptionnel que le chercheur ait besoin, de façon instantanée, d'un document donné. Ou alors, il s'agit d'une information factuelle mais celle-ci est disponible en interrogeant une banque de données ou en téléphonant à la bibliothèque centrale. L'impératif de brièveté absolue ne vaut que pour les gestionnaires et les décideurs en matière économique. Dans la perspective qui est la nôtre, les délais de communication sont plus souples et les documents qu'on nous demande voyagent beaucoup plus fréquemment par la poste que par télécopie...

Une fois de plus il convient de replacer les choses dans leur contexte : les chercheurs acceptent couramment des délais de quelques jours (deux à trois), occasionnellement des délais d'une à deux semaines ou même de l'ordre du mois. Comme preuve : le chercheur au BRGM Orléans a le choix entre obtenir immédiatement le prêt du document (ou la remise de la copie) en se déplaçant à la bibliothèque centrale (un trajet de 100 à 400 m - nous sommes dans une sorte de campus) et obtenir la même chose avec un différé de 2 ou 3 jours en le demandant par le courrier interne. Dans 9 % des cas il fait sa demande par le courrier !

Le choc du futur

BBF. On en reste au même problème : celui des besoins de la communauté scientifique. Mais il y a aussi les producteurs, tous les éditeurs du secteur privé qui souhaitent pouvoir contrôler la reproduction des articles. L'édition électronique d'articles fournis à la demande serait un moyen de contrôler et de rentabiliser la reproduction. Le projet ADONIS est bien dû à un consortium de grands éditeurs...

JCD. Certainement, mais les grands éditeurs privés sont loin de représenter la totalité des producteurs, encore qu'ils seront appelés à faire école si l'édition électronique connaît le développement que je ne prophétise pas ! Il faut bien voir une chose : l'édition électronique permettra de contrôler la production d'une première hard copy d'article mais certainement pas la reproduction de cet « archétype ».

On peut imaginer l'édition sous les deux formes, mais on ne pourra pas longtemps escamoter le problème des coûts - qui sont considérables : les coûts de stockage et les coûts de restitution. Fatalement on aboutira à une pénalisation des utilisateurs, moins d'ailleurs les chercheurs dans leurs laboratoires que les particuliers - les 120 enseignants de CEG et de lycées abonnés à Géologie de la France pour citer un exemple bien précis.

Les chercheurs auront tout de même leur mot à dire sur la question : une hard copy, même soignée, est d'un abord plus aride et fatigant qu'un périodique. La notion d'appel d'un article donné est trop restrictive et ne rend pas compte de l'ensemble des services que le chercheur attend d'un périodique.

BBF. C'est évident en ce qui concerne Géochronique et les revues-carrefour. La question reste posée pour les périodiques purement scientifiques. On travaille déjà sur les revues de synopsis qui représentent le niveau d'information supérieur à l'abstract : on pourrait imaginer des sommaires de revues en ligne avec éventuellement une accroche sur le synopsis; la consultation du synopsis appellerait la facturation. Dans le même ordre d'idée (alléger les coûts) se monte le projet TRANSDOC qui prévoit d'utiliser conjointement le disque optique et la microfiche *.

JCD. Il y a effectivement beaucoup d'expérimentations à entreprendre dans ce domaine. La première hypothèse semble d'ailleurs prometteuse : nous avons réalisé, à partir d'une banque d'informations factuelles sur les sondages, un service de branchement sur synopsis, GEOTESSE d'application encore limitée; l'utilisateur qui souhaite une information donnée a à sa disposition 5 menus successifs qui renvoient finalement au service documentaire (votre information se trouve à la bibliothèque, dans les microfiches de sondage, etc.). C'est un service d'une portée limitée, mais qui a su trouver son créneau, contrairement à la banque d'informations de départ, onéreuse et encore relativement peu consultée.

Nous avons mené d'autres expériences, créé des banques factuelles en géologie qui amenaient à condenser l'information fournie par un article et à effacer son origine : ça n'a pas marché... Je ne nie pas, bien évidemment, toute possibilité d'évolution; on a calculé qu'aux USA l'information consommée a été multipliée par 8 depuis 1945. Parallèlement, le chiffre d'affaire des livres et journaux n'a été multiplié que par 2,5. Il est évident qu'il est en train de se mettre en place un nouveau système de transmission de l'information, mais je crois que ça ne se passera pas en termes de substitution mais de complémentarité et d'élargissement - de redondance éventuellement: la télévision n'a pas tué le cinéma mais a récupéré tout un créneau supplémentaire qui aurait probablement été occupé par le cinéma. Les banques de données que nous utilisons depuis quinze ans n'ont pas encore « eu la peau » des périodiques...

BBF. Sans mesurer le temps à l'échelle géologique, quinze années représentent peu de choses dans la vie d'une société.

JCD. Il n'en a guère fallu davantage pour bouleverser toute la structure du transport intercontinental. Il a fallu, je crois, moins de 15 ans pour que les jets petits et gros porteurs fassent disparaître les paquebots...

De fait, la durée de quinze ans me paraît applicable dans une optique prospective. Je crois que c'est ce délai qui sera nécessaire pour aboutir à une réelle intégration de l'édition électronique. Il faut que les conditions techniques soient véritablement assurées - et pas de manière incertaine et dissuasive comme c'est actuellement le cas avec l'annuaire électronique. Il faut aussi que soit résolu le problème des coûts. Si ces deux difficultés sont surmontées - ce qui est de l'ordre du possible -, l'édition électronique s'insèrera, à la différence de la microcopie, dans un processus global et a donc de meilleurs atouts au départ. La question fondamentale est à mes yeux l'acceptation par la communauté scientifique : il faudra longtemps avant que prenne la greffe de l'édition électronique, longtemps avant que celle-ci ne soit crédible comme service à part entière - parallèle ou complémentaire d'un périodique. Actuellement, en tant qu'éditeur, je considère qu'une revue marche bien lorsqu'on la retrouve abandonnée après usage dans le train entre Paris et Orléans. C'est ce qui me paraît le plus fondamental, la logique d'usage et non la technologie. Dois-je rappeler que la télécopie n'est pour l'instant qu'un nouvel avatar du bélino qui, lui, date de 1923 ?

BBF. Il y a quelques différences, la couleur ! Ainsi que les délais...

JCD. Oui, mais... les cartes géologiques, par leurs dimensions, sont peu adaptées au vidéodisque ou aux terminaux graphiques. Une fois de plus ce sera à la technologie de s'adapter à l'usage.

  1. (retour)↑  Pour plus de détails, voir « TRANSDOC : projet de transmission électronique de documents », dans Documentaliste, vol. 21, n° 3, p. 119-121.