Books and society in history

papers of the Association of college and research libraries rare books and manuscripts preconference, 24-28 June 1980, Boston

par Daniel Renoult
ed by Kenneth E. Carpenter
New-York : London : R.R. Bowker, 1983. - XXIII - 254 p.

Du 24 au 28 juin 1980, la section des manuscrits et des livres rares de l'Association des bibliothèques de recherche et de collège, branche de l'American Library Association, avait organisé un colloque international d'histoire du livre auquel participèrent plus de 275 personnes. Ce sont les communications présentées lors de cette manifestation, augmentées d'un essai méthodologique de Robert Darnton qui font l'objet de la présente publication. Pour Kenneth E. Carpenter, organisateur et éditeur du colloque, l'enjeu de la conférence de Boston était de relancer la coopération internationale en matière d'histoire du livre en montrant la complémentarité des approches européennes et américaines.

Selon Robert Darnton, professeur à l'Université de Princeton, dont les travaux sont maintenant bien connus en France 1, l'histoire des livres peut se définir comme l'histoire sociale et culturelle de la communication par l'imprimé et de son influence sur la pensée et les comportements humains. Issue à l'origine de problématiques très différentes (Que doit-on considérer comme textes originaux de Shakespeare ? Quelles ont été les causes de la Révolution française ?), l'histoire des livres - Robert Darnton réserve l'expression histoire du livre à la conception française -s'est assez vite située au carrefour de plusieurs disciplines (histoire, littérature, sociologie, bibliographie). Devenue une spécialité universitaire, elle possède son langage, ses revues, ses centres de recherches, mais elle est encore à la recherche de son unité. Si l'on veut concilier cohérence et diversité, il est nécessaire de se référer à un modèle général qui permette d'analyser les phénomènes de production et de diffusion du livre dans une société. Ceux qui s'intéressent au livre contemporain remarqueront que les préoccupations des historiens rejoignent singulièrement celles des bibliologues : constitution de la recherche sur le livre en domaine scientifique autonome, recherche de modèles conceptuels. R. Darnton se défend cependant d'imposer un schéma bibliologique intangible : il souhaite avant tout jeter les bases méthodologiques d'une coopération entre chercheurs.

La communication d'Elisabeth Eisenstein, intitulée Des scriptoria aux imprimeries, constitue une tentative de penser dans sa globalité le passage du manuscrit à l'imprimé. Reprenant les thèses développées en 1979 dans The printing press as an agent of change 2, l'auteur montre que l'apparition de l'imprimerie en Europe Occidentale au XVe siècle constitue bien une révolution d'abord à cause de l'amplitude et de la rapidité du phénomène, mais aussi en raison du caractère irréversible du processus (contrairement à l'imprimerie en Extrême Orient) et de ses conséquences à très long terme. Nouveau système culturel, technique et économique, la typographie va dominer pendant cinq siècles. Pensant implicitement à une théorie générale de la communication, E. Eisenstein laisse entendre que mieux connaître les facteurs favorisant la suprématie typographique permettrait sans doute de mieux analyser la révolution de la communication que nous vivons aujourd'hui.

C'est également à une réflexion d'ensemble que nous convie l'intervention d'Henri-Jean Martin sur les stratégies éditoriales dans la France de l'Ancien Régime. Evoquant trois siècles d'édition française, l'auteur de l'Apparition du livre, qui prépare actuellement un ouvrage sur le rôle joué par l'écrit dans la société occidentale, souligne que l'histoire du livre doit prendre en considération les interactions entre les divers moyens de communication : oral. écrit, imprimé. Il met en évidence par exemple le rôle intellectuel de la communication manuscrite aux XVIIe et XVIIIe siècles. Retraçant l'itinéraire de quelques éditeurs français, il s'efforce de dégager les caractères permanents de la fonction éditoriale. Selon H.-J. Martin le capital d'une maison d'édition n'est pas seulement un capital économique mais aussi un capital social. Les relations entretenues avec un groupe, la confiance et les protections obtenues sont indispensables aux succès d'entreprises qui naissent presque toujours d'une idée et d'une spéculation : « le livre est avant tout l'instrument idéologique de catégories sociales déterminées ».

Katharine F. Pantzer, bibliographe à la Harvard College Library, procède actuellement à la révision du Short title catalog of English printed books de Pollard et Redgrave. Son travail l'a conduite à étudier les différentes éditions des actes du Parlement d'Angleterre. Elle présente dans sa contribution les conclusions d'une très minutieuse enquête de bibliographie matérielle sur les statuts imprimés entre 1484 et 1640, depuis le règne de Richard III jusqu'à celui de Charles 1er. En annexe figurent les dates, les imprimeurs, et les collations par signatures des éditions in-folio.

La communication de Bernhard Fabian, professeur à l'Université de Münster, reflète encore un autre courant méthodologique. A partir d'une analyse des catalogues et des bibliographies mais aussi des sources littéraires, l'auteur caractérise les débuts de l'édition en langue anglaise en Allemagne. Au XVIIe siècle, les auteurs anglais sont connus du public allemand par de rares traductions en latin. C'est également en latin que paraissent les premières grammaires de la langue anglaise, qui sont suivies par des éditions en langue allemande à partir de 1688. Au XVIIIe siècle sont publiées des anthologies de textes littéraires, puis des éditions bilingues de grands auteurs comme Pope. Cependant la grande période des éditions de langue anglaise en Allemagne se situe au cours des trois dernières décades du XVIIIe siècle. Elle coïncide avec l'émergence d'un nouveau public de lecteurs suscité par le mouvement littéraire « Sturm und Drang ». Cependant il y a davantage de lecteurs du français que de l'anglais et l'édition de langue anglaise n'est pas considérée par les grands libraires allemands comme une bonne affaire commerciale. Très précise et vivante, l'étude du professeur Fabian montre assez bien ce que l'histoire du livre peut apporter à l'histoire de la diffusion de la langue et de la culture anglaise en Europe au XVIIIe siècle.

Raymond Birn, professeur à l'Université d'Oregon, prouve une fois encore combien l'étude des livres interdits peut être révélatrice de la situation politique, sociale et religieuse en France à la fin du règne de Louis XIV. Dans son intervention consacrée à la censure de 1700 à 1715, il met en rapport les thèmes des mauvais livres avec le non-dit du régime : perte de confiance dans l'absolutisme et dans un système économique fondé sur les privilèges corporatifs, crise religieuse. Les mesures bureaucratiques et répressives prises par la Chancellerie n'ont que peu d'effet sur le commerce des livres prohibés qui répond à la demande d'un public, et qui bénéficie de protections et de complicités multiples, y compris à Versailles. R. Birn analyse les critères de décision des censeurs royaux et montre comment le système aboutit à exclure toute idée nouvelle de l'édition officielle.

En Angleterre, la censure et la permission préalable sont abolies en 1695. John P. Feather, maître de conférences à l'Université de Loughborough rappelle que la liberté anglaise contraste vivement avec la tyrannie française. Etudiant la politique des gouvernements anglais vis à vis du commerce du livre de 1695 à 1775, il analyse les limites de la liberté de publier. Sont considérés comme séditieux et passibles de poursuites les écrits favorables à Jacques II. Jusqu'en 1730, la propagande jacobite s'exprime cependant par de nombreux livres, pamphlets et surtout par des ballades - très populaires - vendues et chantées dans les rues. S'il est très aisé de se procurer les libelles interdits, il est par contre beaucoup plus difficile d'en identifier les responsables et d'obtenir contre eux des témoignages décisifs devant les tribunaux. Pour cette raison, les autorités ne poursuivent qu'une très faible part des publications interdites, préférant allumer des contre-feux en suscitant des pamphlets et des ballades favorables au régime.

C'est une brillante synthèse des connaissances concernant l'évolution de la production imprimée française au XIXe siècle que nous propose ensuite Frédéric Barbier, actuellement chercheur au C N R S. Analysant, statistiques à l'appui, les fondements économiques et sociaux de la « seconde révolution du livre », l'auteur décrit les grands marchés que développe l'édition française de 1811 à 1914: marché du livre religieux qui domine la production provinciale et marque la continuité avec le XVIIIe siècle, la controverse restant une spécialité parisienne; marché du livre scolaire à l'origine de la croissance de bon nombre d'entreprises d'édition dont celle de Louis Hachette; marché du livre encyclopédique avec les grands ouvrages de P. Larousse et d'E. Littré; marché du livre pour la jeunesse, en pleine expansion; marché du roman enfin où s'imposent les éditeurs parisiens tant dans le domaine littéraire que dans les œuvres de grande diffusion. En conclusion. F. Barbier caractérise l'évolution des structures de la production éditoriale et des structures de la diffusion.

Malgré son titre ambitieux « Dépression et innovation dans le commerce du livre en Grande Bretagne et aux Etats Unis de 1819 à 1939 », la communication de James J. Barnes, professeur au Wabash College, paraît d'un intérêt plus limité. Il s'agit pour l'auteur d'illustrer par des exemples empruntés à l'histoire récente de l'édition anglaise et américaine la thèse selon laquelle les crises économiques sont un facteur décisif d'innovation et de baisse des prix. Bien que l'article fourmille de renseignements en partie inédits sur l'économie de l'édition, sur le développement des bibliothèques, sur le rôle des sociétés philanthropiques dans le développement de la lecture, sur l'édition à bon marché et notamment sur l'édition au format de poche, on n'assiste pas à une démonstration très probante. Souvent utilisée, la notion de crise économique n'est guère définie, et on a le sentiment que la cause était jugée avant d'avoir été entendue.

C'est par l'intervention du Dr Paul Raabe que se clôt le volume. L'animateur du très actif centre de recherches de l'Herzog August Bibliothek de Wolfenbüttel rappelle que les études minutieuses menées par des bibliothécaires sur les manuscrits médiévaux, ou sur les incunables ont fait progresser l'histoire du livre. Chargés de veiller sur le patrimoine écrit, les bibliothécaires doivent continuer à jouer leur rôle dans les programmes de recherches : étude des manuscrits, de la production imprimée, de l'illustration, du matériel typographique, et du papier, de la reliure, du commerce du livre et de la lecture.

Donnant un bon aperçu des travaux en cours, des diverses approches utilisées, le colloque de Boston a également eu pour mérite d'avoir contribué à la réflexion sur les recherches futures. Adopté par les participants lors de la réunion, un inventaire des programmes et des actions à entreprendre est publié au début du volume, mais on retrouve dans plusieurs contributions de nombreuses suggestions de recherche. L'accent mis sur la méthodologie, l'abondance d'informations inédites sont parmi les grands mérites de ce recueil qui devrait intéresser les chercheurs, les enseignants et les bibliothécaires.

  1. (retour)↑  Robert DARNTON, L'Aventure de l'Encyclopédie, 1775-1800:un best-seller au siècle des Lumières, Paris: Librairie académique Perrin, 1982. 445 p. Id., Bohème littéraire et Révolution : le monde des livres au XVIIIe siècle, Paris, Gallimard, Le Seuil, 1983, 210 p.
  2. (retour)↑  E.L. EISENSTEIN, The Printing press as an agent of change : communication and cultural transformation in early modern Europe. Cambridge : Cambridge University Press, 1979. 2 vol., 749 p.