L'accès à la littérature grise

contribution du centre de documentation scientifique et technique du CNRS

Jacques Keriguy

Parce qu'elle échappe aux circuits commerciaux et au contrôle bibliographique, la littérature grise est difficile à collecter, à traiter et à communiquer. Elle est peu signalée dans les bases de données. L'action de plusieurs organismes mis en place au niveau national (le National Technical Information Service aux Etats Unis, la British Library Lending Division au Royaume Uni) ou international (la base de données SIGLE) est décrite. Dans le système français, par nature décentralisé, le Centre de documentation scientifique et technique du CNRS acquiert, introduit dans la base de données PASCAL et fournit à ses utilisateurs les thèses scientifiques et techniques soutenues devant les universités françaises, les 1 700 rapports de recherche et les 1 800 comptes rendus de congrès qu'il acquiert chaque année. Il publie des catalogues spécialisés pour chaque catégorie de documents. Il participe au World Transindex, base de données signalant les traductions et est associé au Commissariat à l'énergie atomique pour assurer la participation française à la base SIGLE.

Grey literature is not integrated in normal commercial circuit and often escapes bibliographical controls, which makes it difficult to collect, treat and communicate. It is seldom found in data bases. The efforts of several national (National Technical Information service of the United states, British library lending division of Great Britain) and international (data base SIGLE) organisms are described before discussing the decentralized system in France. In this system, the scientific and documentation center of the CNRS acquires each year for the PASCAL data base and document delivery all the scientific and technical dissertations presented in French universities, 1700 research reports and 1800 congress proceedings. It publishes specialized catalogues for each of these different types of document. It participates in World Transindex, a data base for translations, and it works with the French Atomic energy Commission within the framework of SIGLE.

Pour désigner un objet dont la nature est imprécise, la terminologie se réfugie volontiers dans l'image ou la périphrase. Voilà une trentaine d'années, une littérature nouvelle est née de l'essor de la reprographie et de la multi-graphie : dactylographié sur un stencil ou sur une simple feuille de papier, un texte pouvait désormais être reproduit en un nombre d'exemplaires parfois considérable et diffusé à un groupe de personnes soigneusement répertoriées à l'intérieur ou à l'extérieur de l'organisme dont il émanait. Peu coûteux, rapides à établir, donc efficaces, ces documents se sont mis à proliférer au sein des sociétés commerciales ou industrielles, des associations, des établissements de recherche et des administrations. Leur intérêt peut paraître inégal, mais la fraîcheur de l'information qu'ils transportent attise d'autant plus la convoitise du bibliothécaire ou du documentaliste qu'ils demeurent le plus souvent hors de sa portée.

De fait, c'est bien à la naissance d'une littérature d'un type nouveau que l'on a assisté : la forme, en effet, a déterminé le fond, et une documentation, jusqu'alors virtuelle, car non matérialisée, a pu voir le jour et se répandre abondamment; ainsi des communications présentées à des congrès ou des colloques, des rapports de recherche ou des rapports internes des entreprises, des travaux universitaires tels les thèses ou les mémoires, des preprints, des publications officielles, des traductions ou même de certains périodiques.

Qualifiée de « non-conventionnelle » (mais où fixer les limites de la convention ?), de « semi-publiée », sur le modèle de l'anglais semi-published ou, comme l'usage semble l'imposer, de « grise », cette littérature s'inscrit dans un cadre difficile à cerner. Elle rassemble des documents dont la caractéristique première est qu'ils échappent aux circuits habituels de production et surtout de distribution; en conséquence, ils ne sont pas soumis au dépôt légal, n'apparaissent guère dans les bibliographies courantes établies par les agences bibliographiques nationales et échappent, de ce fait, au Contrôle bibliographique universel. Leur tirage diffère suivant le nombre des destinataires, mais reste faible ; leur diffusion s'effectue sans publicité; leur présentation est peu conforme aux usages de l'édition classique; leur support varie, papier ou microforme. La commission de terminologie de l'AFNOR a retenu ces critères et propose la définition suivante : « Littérature grise : document, dactylographié ou imprimé, souvent de caractère provisoire, reproduit et diffusé à un nombre d'exemplaires inférieur au millier, en dehors des circuits commerciaux de l'édition et de la diffusion » 1. A la différence de la littérature souterraine, la littérature grise n'a pas la volonté délibérée de se tenir en marge des dispositifs de contrôle des publications, pour des raisons politiques, morales ou artistiques.

Littérature blanche car nimbée de toute la pureté des normes bibliographiques et bibliologiques; littérature grise souillée de ses écarts par rapport à ces mêmes normes : pareil manichéisme hérité de la galaxie Gutenberg peut faire sourire. Il n'en reste pas moins vrai que la confusion qui préside à la production et à la diffusion de la littérature grise entraîne des difficultés presque insurmontables à toutes les étapes de la chaîne documentaire.

Cependant, en raison de son volume sans cesse croissant, en raison aussi de l'importance qualitative de l'information qu'elle véhicule, cette littérature a incité de nombreux pays à mettre en œuvre des efforts particuliers pour qu'en soient assurés la collecte, la description bibliographique, le signalement dans les bases de données et l'accès.

Deux chiffres permettront d'évaluer l'ampleur de la production des seuls rapports de recherche : le nombre de ceux qui rendent compte, chaque année, de recherches menées aux Etats-Unis sur des fonds publics s'élève à 80 000; 30 000 rapports sont rédigés, chaque année également, dans les pays de la Communauté européenne.

La littérature grise est certes une littérature éphémère, une littérature de l'éphémère, mais elle représente sans conteste une source toujours renouvelée de connaissances scientifiques et technologiques trop longtemps ignorée de bon nombre d'utilisateurs potentiels.

Cet article se propose de mesurer et de décrire la participation du Centre de documentation scientifique et technique (CDST) du Centre national de la recherche scientifique à une entreprise indispensable au développement de la recherche française. Il a toutefois paru utile, dans un premier temps, de décrire quelques-unes des solutions retenues dans certains pays étrangers, ne serait-ce que pour permettre une comparaison avec l'organisation française, qui sera sommairement rappelée.

Le contexte international

Deux exemples étrangers

Plusieurs mesures peuvent être prises pour résoudre les difficultés énumérées plus haut. L'une consiste à confier à des organismes documentaires la responsabilité de collecter, de traiter et de fournir tous les documents publiés dans les disciplines qu'ils sont chargés de couvrir, y compris ceux de littérature grise; une autre est de spécialiser un centre qui ne recueillera, pour une ou plusieurs disciplines, que les documents de la littérature grise et correspondra avec ses homologues étrangers. Des ressources particulières doivent être accordées à ces organismes, spécialement en matière de personnel, qui doit être assez nombreux et qualifié pour suivre les méandres des circuits de diffusion de la littérature grise, pour pénétrer, souvent par effraction, il est vrai, dans ces microcosmes fermés que de Solla Price a nommés « collèges invisibles », pour, ensuite, expliquer quelle complémentarité unit le producteur et le documentaliste, pour, enfin, convaincre et jeter les bases d'une collaboration durable.

Le premier exemple qu'il faille citer, car il est riche d'enseignement et peut être considéré, sur bien des points, comme un modèle, est celui du National Technical Information Service (NTIS) des Etats-Unis. Succédant, en 1970, à une « Clearing house » chargée de collecter et de diffuser « les rapports, études ou analyses de recherches, de développement ou d'ingénierie financés sur fonds publics, c'est-à-dire élaborés par les agences fédérales, leurs contractants (universités ou grandes entreprises) ou les organismes bénéficiaires de leurs subventions ainsi que divers groupes technologiques spécialisés, il peut se prévaloir avec quelque satisfaction d'être la source centrale et unique des rapports de recherches et autres informations techniques émanant du vaste réseau fédéral des ministères, des bureaux et des agences » 2. Disponibles sur microfiches, les rapports sont vendus dans le monde entier, soit directement, soit par l'intermédiaire de dépositaires agréés, liés par contrat au NTIS. La notice signalétique des documents, ainsi que leur résumé, apparaissent dans un bulletin bibliographique bimensuel, Government Reports Announcement and Index et sur les bandes magnétiques de la base de données du NTIS, interrogeable en ligne. A l'inverse, le NTIS acquiert et met à la disposition de ses utilisateurs bon nombre de rapports étrangers. Son action est complétée par celle de plusieurs centres directement placés sous la tutelle du gouvernement fédéral, comme, à titre d'exemple, la National Aeronautics and Space Agency (NASA), le Department of Energy (DOE), etc., qui, chacun dans son domaine, assurent l'accès aux documents primaires et élaborent, pour la diffuser sur un bulletin imprimé ou par l'intermédiaire d'une bande magnétique, l'information secondaire correspondante.

Si cette organisation est présentée comme exemplaire, c'est qu'elle s'inscrit dans un vaste dessein politique ou, à tout le moins, économique : assurer le bon usage des crédits publics de recherche, c'est imposer que le résultat des travaux qu'ils ont contribué à mener soit accessible dans les plus brefs délais à tous les bénéficiaires possibles; c'est faire profiter l'innovation des résultats de la recherche fondamentale et appliquée.

La British Library Lending Division (BLLD) propose une conception d'un genre différent : sa recherche de l'exhaustivité s'applique aussi bien à la littérature traditionnelle qu'à la littérature grise, thèses, rapports de recherche, traductions, publications officielles, communications de congrès et conférences. Elle bénéficie du dépôt des documents britanniques. Des organismes producteurs et des bibliothèques de nombreux pays lui fournissent les documents étrangers dans le cadre d'échanges institutionnalisés, des correspondants locaux et les ambassades britanniques complètent ses acquisitions. Le signalement des documents est assuré par des répertoires bibliographiques publiés sur papier : les British Reports Translations and Theses, mensuels, qui signalent 1 500 documents dans chaque livraison, et l'Index of Conference Procéedings Received by the BLLD 3.

Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni se sont développés deux systèmes différents, mais efficaces en proportion de la volonté que traduisent clairement les moyens mis en œuvre. Ailleurs, rien de comparable n'existe, sinon des tentatives isolées, dont la marque commune est qu'elles reposent sur un schéma identique : un service de fourniture de documents, allié à un autre service chargé d'élaborer des outils bibliographiques, le plus souvent informatisés. Deux exemples : l'International Atomic Energy Agency (IAEA), qui signale dans INIS Atomindex les documents qu'elle possède ou que reçoivent les organismes avec lesquels elle coopère et la Food and Agricultural Organization (FAO), à l'origine de Agrindex. A remarquer, toutefois, que plusieurs pays mettent actuellement en place des systèmes nationaux et, parfois, engagent une coopération avec des pays géographiquement, culturellement ou politiquement voisins.

La coopération à l'échelle européenne : SIGLE

Un séminaire s'est tenu en Grande-Bretagne, à York, les 13 et 14 novembre 1978, sur l'initiative de la Commission des Communautés européennes en coopération avec la BLLD.

Il était consacré aux problèmes posés par la littérature grise. Parmi les recommandations édictées 4, celle qui préconisait la création d'une base de données propre à ce type de littérature a rapidement été suivie d'effet. Il s'agissait de confier à des autorités nationales, éventuellement constituées en réseau chaque fois que le pays considéré ne peut ou ne veut recourir à une solution centralisée sur le modèle britannique de la BLLD, la responsabilité de recenser les documents de littérature grise publiés sur le territoire dont elles ont reçu la charge, d'en rédiger la description catalographique, d'attribuer un code de classement et de participer à l'élaboration d'une base de données européenne, régulièrement constituée par l'envoi à un « centre commun de traitement » des notices signalétiques. Ainsi est née, en février 1980, à Luxembourg, la base de données SIGLE (System for Information on Grey Literature in Europe), de par la volonté de la BLLD, du Commissariat à l'énergie atomique (Centre d'études nucléaires, Service de documentation) et du Fachinformationszentrum Energie, Physik, Mathematik (FIZ) et grâce à l'aide financière de la Commission des Communautés européennes. SIGLE commença à fonctionner en janvier 1981. Pendant la première période de son existence, considérée comme expérimentale, SIGLE s'intéressa surtout aux rapports de recherche scientifiques et techniques. Dès 1983, d'autres documents, des thèses en particulier, et d'autres disciplines devaient enrichir la base et s'ajouter aux rapports. Un pas en avant a été franchi au début de 1983, lorsque SIGLE a été implanté sur le serveur INKA de Karlsruhe. Le serveur britannique BLAISE offre depuis peu l'accessibilité en ligne de la base.

De façon plus limitée, sont régulièrement édités des instruments bibliographiques qui signalent les documents de littérature grise publiés dans un pays donné.

Ainsi, le Forschungsberichte aus Technik und Naturwissenschaften signale quatre fois par an les rapports scientifiques et techniques parus en République fédérale d'Allemagne et indexés par la Technische Informationsbibliothek (TIB) et le FIZ.

L'organisation française

La France a choisi un système d'accès à la documentation primaire décentralisé et encourage le partage des tâches fondé sur les disciplines ou les types de documents. Plusieurs établissements, au nombre desquels se range le CDST, participent à ce réseau national en cours de constitution. Une telle option interdit évidemment à un organisme unique de détenir l'ensemble de la littérature grise française, la Bibliothèque nationale ne recevant, grâce au dépôt légal, que la littérature conventionnelle et, en matière de littérature grise, les publications officielles.

La répartition s'effectue comme suit :
- Le Service des échanges internationaux de la Bibliothèque nationale bénéficie du dépôt des publications officielles 5. La loi de finances du 14 avril 1952 énumère les « ministères, les administrations publiques, tant de Paris que des départements et d'Outre-Mer, les établissements publics, les entreprises nationalisées » tenues d'envoyer « tous documents qu'ils feront imprimer soit à leur compte, soit au compte d'une maison privée d'édition ». Un arrêté interministériel fixe le nombre des exemplaires destinés à satisfaire aux accords d'échanges internationaux signés par le gouvernement francais. Ce nombre est, actuellement, de dix 6. Un département spécialisé de la Bibliothèque nationale accueille, décrit, conserve et communique ces publications.
- Les brevets sont déposés, signalés et conservés par l'Institut national de la propriété industrielle (INPI), dont l'activité fait l'objet d'un article dans ce même numéro du Bulletin des bibliothèques de France.
- Les catalogues industriels sont collectés et conservés par la Bibliothèque de l'Université de technologie de Compiègne, à laquelle est également consacré un article.
- Les normes : rédigés sur l'initiative de l'Association française de normalisation (AFNOR), correspondant français de l'International Organization for Standardization (ISO), et diffusés par les soins de cet organisme, les normes et projets de normes français, les règlements techniques, les spécifications professionnelles et les normes étrangères contenant les données techniques sont signalés depuis 1976 dans la base bibliographique NORIANE, accessible sur Télésystèmes-Questel.
- Un arrêté ministériel datant de 1976 impose le dépôt de toutes les thèses, doctorats d'Etat, d'université et de troisième cycle, diplômes de docteur-ingénieur à la bibliothèque de l'université de soutenance. Un exemplaire des thèses littéraires, économiques et juridiques est adressé au Centre de documentation sciences humaines (CDSH) du CNRS où il est analysé. Les thèses scientifiques soutenues devant les universités et les établissements d'enseignement supérieur sont, de la même façon, envoyées par les soins de la bibliothèque universitaire au CDST 7.
- Le sort des rapports de recherche est plus incertain : répartis selon les hasards des conventions ou des traditions, selon les disciplines dans lesquelles ils s'inscrivent, également, entre différents organismes, le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) pour ceux qui traitent de l'énergie, le Centre de documentation de l'armement (CEDOCAR) et le CDST pour les rapports scientifiques et techniques, le CDSH pour les rapports de sciences humaines, ils sont, de par leur éparpillement, difficiles à obtenir. Un projet INEDIT (Information essentielle sur les documents et travaux inédits en sciences sociales), conçu par la Commission de coordination de la documentation administrative, placée sous la tutelle du Premier ministre, se met actuellement en place pour en assurer le signalement.

Le rôle du CDST

La vocation du CDST est de mettre à la disposition de tous les spécialistes, français (universitaires, chercheurs appartenant au secteur public ou privé), mais aussi étrangers, l'information et la documentation nécessaires à leurs travaux. Dans les domaines scientifiques et techniques (sciences exactes, sciences de la vie, sciences de la terre, technologie) il collecte, analyse, indexe et communique ce qu'il considère comme l'essentiel de la littérature mondiale. A partir d'une bibliothèque riche de 20 000 titres de périodiques, dont 13 500 sont vivants, et de nombreux documents non périodiques, il a développé depuis 1973 la base de données de références bibliographiques PASCAL (Programme appliqué à la sélection et à la compilation automatisées de la littérature), qui s'accroît chaque année de 450 000 références nouvelles et comprend aujourd'hui 5 millions de références. Confié aux serveurs Télésystèmes-Questel et ESA-IRS, PASCAL est interrogeable en conversationnel par l'intermédiaire de plusieurs réseaux (EURONET, TYMNET, et, bien sûr, en France, TRANSPAC). Entre autres produits extraits de PASCAL, le CDST propose des bulletins bibliographiques, des profils standard ou personnalisés et des cartindex des sciences et des techniques, qui offrent la possibilité de visualiser l'état de la recherche scientifique et technique et de suivre son évolution. De la même façon, la bibliothèque alimente le service spécialisé dans la fourniture de documents, qui propose de reproduire ces derniers sur papier et microforme et donne satisfaction, chaque année, à 370 000 demandes.

Voilà rapidement esquissées les missions du CDST. On conçoit que, pour répondre à l'attente de ses utilisateurs, cet organisme s'efforce de réunir, de traiter et de communiquer la littérature grise française et étrangère. Mais, bien entendu, il ne retient que ceux dont la nature et la discipline correspondent aux fonctions qui lui sont imparties : thèses, rapports de recherche, comptes rendus de congrès. Pour chacun de ces documents, les trois étapes de la chaîne documentaire, collecte, traitement des documents et de l'information et communication seront successivement décrites. La question des traductions sera abordée séparément.

Collecte

- Thèses. Bien qu'imparfaitement respecté, l'arrêté de 1976 permet d'obtenir une collecte satisfaisante. La réception régulière des listes établies par les secrétariats des universités offre la possibilité de repérer les lacunes et de procéder à des réclamations. Dans certains cas, les candidats eux-mêmes, convaincus de l'utilité du dépôt au CNRS, lui font parvenir un exemplaire de leur travail. Le bilan est donc favorable : 90 % environ des 3 500 thèses scientifiques soutenues chaque année parviennent normalement au CDST. Le ministère de l'Education nationale envisage de réformer les textes réglementaires et de subordonner désormais l'attribution du diplôme au dépôt de la thèse. Des réformes plus profondes sont d'ailleurs envisagées, qui, lorsqu'elles aboutiront, modifieront profondément le circuit de production et de diffusion des thèses. Quoiqu'il en soit, le CDST possède actuellement une collection de 76 000 thèses scientifiques. Il a cessé de recevoir les thèses des disciplines médicales. Faute de place, il ne les conservait pas dans ses locaux et ne les analysait que de façon sélective. La section médicale de la Bibliothèque interuniversitaire de Clermont-Ferrand effectue ce travail d'analyse et publie chaque année le Thesindex qui caractérise le contenu de chaque thèse à l'aide de vedettes-matières.

- Rapports de recherche. Le problème est de nature fort différente : les rapports sont parfois produits par des centres de recherche publics ou privés qui ont bénéficié de l'aide financière d'un organisme public, généralement un service ministériel. Le contrat alors passé entre les deux parties impose la rédaction d'un rapport destiné à présenter les résultats de la recherche. Or aucun texte officiel ne recommande ou n'impose le dépôt des rapports, même s'ils succèdent à une recherche financée sur fonds publics. Il appartient donc aux bibliothèques et organismes documentaires de convaincre, soit les organismes habilités à passer des contrats de recherche, soit les multiples établissements qui bénéficient de ces contrats, de leur adresser un exemplaire des rapports. L'obtention des rapports qui n'ont fait l'objet d'aucun contrat, c'est-à-dire le plus grand nombre, est encore plus malaisée. Tâche difficile, pour ne pas dire impossible : les avantages (publicité accordée au document et, en conséquence, à l'organisme émetteur lui-même grâce au signalement dans la base de données et ses produits sur papier) sont loin de compenser, aux yeux des auteurs, les inconvénients de l'opération (perte du contrôle de la diffusion des rapports). S'ajoutent à ces difficultés des restrictions souvent artificielles, nées de la nature juridique des contrats, qui dans bien des cas interdisent ou limitent la diffusion des documents.

Le-CDST a établi des contacts plus ou moins réguliers avec 250 organismes, qui lui adressent chaque année environ 1 700 rapports. Des relations privilégiées existent avec certains services ministériels comme la Délégation générale à la recherche scientifique et technique (DGRST) et, après sa disparition, le Fonds de la recherche et de la technologie du ministère de l'Industrie et de la Recherche, le Service de la recherche, des études et du traitement de l'information au Secrétariat d'Etat à l'environnement et à la qualité de la vie, la Mission interministérielle d'information scientifique et technique (MIDIST), qui déposent les rapports rédigés au terme de contrats passés avec des laboratoires et des centres publics ou privés. Une action est menée actuellement pour accroître les acquisitions. La question se pose, d'ailleurs, de savoir combien de rapports scientifiques et techniques sont rédigés chaque année en France. 5 000 ? Davantage ? Dans l'état actuel des choses, on en est réduit à des estimations très grossières. Le fonds, ouvert en 1973, se compose de 20 000 rapports.

- Comptes rendus de congrès. Le CDST ne recherche pas à acquérir les communications isolées présentées lors des congrès et conférences parce qu'elles paraissent souvent dans des périodiques auxquels il est abonné. Mais, revus et complétés, ces textes aboutissent parfois à des publications de comptes rendus, soit dans les circuits traditionnels de l'édition, soit de façon moins formelle. C'est pourquoi la bibliothèque tente d'obtenir par achat, en service de presse ou, dans certains cas, par échange, des comptes rendus de congrès français et étrangers individualisés, c'est-à-dire publiés sous forme de monographies. Elle en reçoit environ 1 500 par an. Il faut doubler ce chiffre si l'on prend en compte les congrès publiés dans des périodiques ou dans des séries spécifiquement consacrées aux congrès. Le fonds comprend 27 500 congrès.

La collecte entraîne des difficultés considérables, même si existent des instruments efficaces pour annoncer les manifestations 8 (comme la base Meeting agenda du CEA, qui est accessible en ligne sur le réseau TRANSPACEURONET par l'intermédiaire du serveur Questel-Télésystèmes depuis janvier 1982) ou faire connaître les documents, comme l'Index to Scientific and Technical Proceedings (ISTP), édité par l'Institute for Scientific Information (ISI). Pourtant, l'expérience montre que, si l'on rédige les commandes à partir de l'annonce des congrès, 20 % de ces commandes seront satisfaites. Comment savoir si un congrès annoncé s'est effectivement tenu ? Comment savoir s'il a donné lieu à une publication ? Comment repérer ceux qui paraissent dans des périodiques ? Comment réunir la commande et le document qui arrive, tant varient les éléments bibliographiques ?

A l'instar des grandes bibliothèques étrangères, le CDST doit se résoudre à constituer un réseau de correspondants étrangers seul capable de repérer les documents dans des délais satisfaisants.

Traitement du document et de l'information

Thèses, rapports de recherche et comptes rendus de congrès sont catalogués par la bibliothèque suivant les normes de l'ISBD; une notice signalétique est établie d'après les recommandations de l'UNISIST. Les documents sont ensuite transmis aux spécialistes de la base de données qui les analysent, les indexent et rédigent les résumés.

Depuis avril 1982, les signalements des rapports français sont envoyés sur bande magnétique au CEA. Le CDST et le CEA ont en effet décidé de collaborer et d'harmoniser les efforts qu'ils consentent de longue date en faveur de la littérature grise. Au CEA revient la tâche de servir de centre communautaire de traitement : il reçoit les bandes magnétiques provenant des autorités nationales, les fusionne et retourne les bandes cumulées aux pays participants. Les entrées sont traitées dans un format international lisible par machine, déjà utilisé par le système international d'information nucléaire INIS et le système mondial d'information agricole AGRIS. Pour sa part, le CDST se charge de collecter les documents français, de les cataloguer et d'en assurer la fourniture, et enfin, de transmettre au CEA la bande contenant les notices.

Tout comme les autres documents, les thèses, les rapports et les comptes rendus de congrès sont signalés dans la base de données et apparaissent dans les produits imprimés extraits de PASCAL. Ils sont, de plus, regroupés depuis 1981 dans la section 401 du Bulletin signalétique qui, chaque mois publie, pour ces documents de littérature grise, une notice composée du numéro de signalement, du titre, du nom de l'auteur ou des auteurs, des références et du résumé indicatif. Les notices sont classées selon un plan systématique par grandes disciplines.

Pour les thèses, des index par auteurs paraissent dans le dernier fascicule de l'année. A partir de 1984, le PASCAL explore, qui prend la suite du Bulletin signalétique n° 401, est doté d'un index cumulatif annuel pour les 6 500 documents qu'il signale chaque année.

Les divers documents de littérature grise donnent en outre naissance à des catalogues particuliers :
- L'Inventaire des thèses de doctorat soutenues devant les universités françaises, qui, en 1982, a succédé au Catalogue des thèses de doctorat de la Bibliothèque nationale. Les notices catalographiques des thèses scientifiques sont, depuis 1983 (thèses soutenues en 1982) extraites de PASCAL. Pour plus de détails, on se reportera à la mise au point de Marie-Claude Vitoux dans ce numéro.
- Le Catalogue des rapports de fin de contrat DGRST: depuis 1968, le CDST est chargé de conserver et de diffuser les rapports rédigés au terme de recherches menées grâce à une subvention de l'ancienne DGRST. Deux catalogues de base, couvrant les périodes 1968-1975 et 1976-1978, ont été suivis de mises à jour régulières, obtenues par photocomposition après extraction de PASCAL. Les notices signalétiques sont classées par discipline et sous-classées par thème de recherche. Des index par auteurs et par numéros de contrat complètent chaque fascicule. L'ensemble du catalogue contient environ 10 000 notices.
- Le Catalogue des rapports de recherche sur l'environnement: conçu suivant les mêmes principes que le précédent, il a vu le jour en 1981. Les fascicules annuels signalent environ 500 rapports.

Il n'existe pas encore de catalogue imprimé des congrès possédés par la bibliothèque. On peut le déplorer lorsque l'on considère l'ampleur de la demande. Le CDST projette d'extraire de PASCAL les notices de congrès enregistrées depuis 1979 et de les éditer. Ne serait-ce pas l'occasion de concrétiser la coopération engagée avec les Centres d'acquisition et de diffusion de l'information scientifique et technique (CADIST) et d'envisager l'élaboration d'un catalogue collectif ?

Les brevets, on l'a vu, n'entrent guère dans la composition de PASCAL, sauf dans le domaine de la biotechnologie pour lequel l'INPI envoie au CDST les documents qu'il possède. Cet enrichissement de la base est susceptible de s'étendre à d'autres secteurs. Jusqu'à 1981, certains brevets étaient déjà signalés. L'information, cependant, était puisée non dans le document original, mais dans le Bulletin officiel de la propriété industrielle.

Communication

Tous les documents acquis par la bibliothèque sont accessibles sur place, dans la salle de lecture, ou à distance par l'intermédiaire du service spécialisé dans la fourniture de documents, qui effectue, à la demande des utilisateurs, des reproductions sur papier ou microformes.

Bien que le CDST n'ait pas l'exclusivité de la fourniture de ces documents (les thèses peuvent être obtenues à la bibliothèque de l'université de soutenance, certains rapports de recherche au service ministériel contractant), leur regroupement dans un endroit unique est un facteur appréciable.

Respectant les recommandations de SIGLE, le CDST ne signale que les rapports qu'il possède effectivement. Quand lui parviennent des demandes de rapports d'un pays appartenant à la Communauté européenne qu'il ne peut satisfaire, il les transmet aux autorités nationales intéressées.

Les statistiques prouvent que la demande est déjà élevée. En 1982, 630 thèses et 1120 rapports ont été reproduits. Il est vrai que, malgré des recherches effectuées auprès d'autres bibliothèques françaises, 50 % des demandes n'ont pu être satisfaites. Ce fait montre, s'il en est besoin, quels efforts restent à accomplir pour assurer la diffusion de la littérature grise. La communication sur place permet de mieux cerner les besoins des utilisateurs : toujours en 1982, 469 thèses, 480 rapports et 1167 comptes rendus de congrès ont été consultés.

Cas particulier : les traductions

Une convention passée entre l'International Translations Centre (ITC) de Delft et le CDST associe ce dernier à la collecte et au recensement des traductions. Le fichier automatisé World Transindex (WTI), implanté sur le serveur ESA/IRS, donne accès à 110000 références et s'accroît chaque année de 25 000 références nouvelles. Son objectif est de regrouper l'ensemble des informations sur les traductions recueillies depuis 1978 par l'ITC, les Communautés européennes et le CDST et, tout particulièrement, de les localiser en mode conversationnel ou en différé. Il donne naissance à un produit sur papier mensuel, le World Transindex. Autre instrument mis à la disposition des chercheurs, l'Inventaire général des traductions qui répertorie plus de 300 000 traductions effectuées avant 1977 vers le français ou l'anglais et complète le WTI.

Il existe au CDST un service spécialisé dans la traduction des textes scientifiques et techniques, vers le français, ou à partir du français vers n'importe quelle langue étrangère. Des traducteurs spécialisés, choisis en fonction de la discipline scientifique ou du domaine technique concerné, sont chargés de ces tâches.

Accès à la littérature grise non-européenne

Les rapports de recherche américains rassemblés par le NTIS sont adressés, sous forme de microfiches, au Centre de documentation de l'armement (CEDOCAR) ainsi que la bande magnétique qui les signale. Cette dernière est désormais accessible sur le serveur national Télésystèmes.

Par ailleurs, les gouvernements français et japonais ont engagé des négociations auxquelles participe le Japan Information Center of Science and Technology (JICST).

Elles suggèrent la mise à la disposition du JICST d'un bureau situé dans les locaux du CDST durant l'année 1984. A l'inverse, le CNRS pourrait ouvrir prochainement à Tokyo une antenne. Au programme de cette coopération, entre autres sujets, un échange régulier d'informations sur la littérature grise publiée dans les pays partenaires et la fourniture de ces documents.

Par artifice, certains romanciers proposent deux dénouements à l'intrigue qu'ils ont tramée; il revient au lecteur de choisir celui qui flatte ses goûts. S'il ne paraît trop sacrilège d'utiliser, pour cet article, les méthodes de la fiction, ainsi sera fait en guise de conclusion.

Les nombreuses entraves à la libre circulation de la littérature grise, dénoncées tout au long de ce texte, appellent naturellement des recommandations, souvent présentées et jamais respectées. Une fois encore, réjouissons-nous devant l'intérêt que suscite actuellement la littérature grise, sous toutes ses formes, auprès des bibliothèques et des centres de documentation; exprimons notre inquiétude devant le volume de travail encore à accomplir et notre déception de constater l'insouciance, voire la mauvaise volonté, des producteurs de cette littérature, accentuée, dans certains pays, par l'indifférence des autorités politiques; affirmons que rien de satisfaisant ne sera obtenu sans une aide financière ni une allocation en personnel particulières, destinées à compenser le temps et le travail considérables engagés dans cette entreprise; répétons que rien de cohérent ne sera acquis sans que soit mis en application un règlement contraignant l'auteur à assurer à ses oeuvres une présentation et un tirage qui en permettent le signalement, le dépôt dans des agences nationales et la consultation par l'utilisateur final dans tous les cas où la confidentialité n'intervient pas; incitons les organismes internationaux, la Fédération internationale des associations de bibliothécaires et des bibliothèques (IFLA), l'Unesco, dans le cadre du Contrôle bibliographique universel, la Commission des Communautés européennes, à militer auprès des gouvernements, pour les convaincre de l'importance de l'enjeu.

Après les recommandations, une question, qui paraîtra les contredire. Le bibliothécaire ne se laisse-t-il pas abuser par son goût du prosélytisme ? Ne cherche-t-il pas à susciter, chez les lecteurs, des besoins qu'ils n'éprouvent pas toujours ? Vouloir ordonner la documentation est légitime, mais pour quoi, ou pour qui ? S'il existe une unité de la recherche scientifique et technique, les utilisateurs de la littérature grise sont ceux-là mêmes qui la produisent ou la produiront, à partir de leurs investigations personnelles, mais aussi du travail de leurs prédécesseurs tel que la documentation en rend compte. Or beaucoup de chercheurs considèrent avec dédain les thèses, les rapports et dénonçent (sans la regretter) leur mauvaise qualité. Le système serait-il vicié à ce point que nul n'a confiance dans les travaux des autres qu'il refuse de consulter ? Cette confiance, il ne l'éprouve pas davantage pour ses propres travaux, qu'il refuse de laisser consulter. Si cette hypothèse, bien sûr forcée pour les besoins de la cause, est vraie, le bibliothécaire est la victime d'un code déontologique exigeant, qui lui interdit d'apprécier la valeur réelle des documents dont il doit assurer la diffusion.

Où se trouve la vérité ? A chacun de répondre selon son expérience.

La question devait être posée, même si elle comporte une part de provocation: le temps, l'énergie, l'argent dépensés supposent qu'un service effectif soit rendu à la collectivité scientifique nationale et internationale. A elle, finalement, de dire si tant d'efforts sont justifiés.

  1. (retour)↑  Cet article reprend, dans ses grandes lignes, une communication présentée à la 49e conférence de l'IFLA (Munich, août 1983).
  2. (retour)↑  Cet article reprend, dans ses grandes lignes, une communication présentée à la 49e conférence de l'IFLA (Munich, août 1983).
  3. (retour)↑  ASSOCIATION FRANÇAISE DE NORMALISATION, Projet de norme enregistrée. CF/TC 46/SC 3 N 63. Vocabulaire de la documentation, novembre 1983.
  4. (retour)↑  J.L. CRÉMIEUX-BRILHAC, Documents et réflexions sur quelques développements récents de l'informatique aux Etats-Unis, 2e partie, Paris, Documentation française, 1977.
  5. (retour)↑  D. WOOD, « Grey literature, the role of the British Library Lending Division », dans : Aslib Proceedings, vol. 34, n° 11-12, 1982, p. 459-465.
  6. (retour)↑  J.M. GIBB et E. PHILIPPS, « Un Meilleur sort pour la littérature "grise" ou "non conventionnelle" », dans : Bull. Bibl. France t. 24, n° 7, 1979. p. 349-353. J.M. GIBB et M. MAURICE, « The System for Information on Grey Literature in Europe (SIGLE) », dans: Aslib Proceedings, vol. 34. n° 11-12, 1982, p. 493-497.
  7. (retour)↑  Loi de finances du 31 décembre 1953, article 31.
  8. (retour)↑  Arrêté du 28 avril 1980 (J.O. du 27 juin 1980, p.5551).
  9. (retour)↑  Arrêté du 11 février 1976 : Modalités du dépôt des thèses ou travaux présentés en soutenance en vue des doctorats (J.O. du 24 février 1976, p. 1272).
  10. (retour)↑  C. DESCHAMPS, " Etude bibliographique sur les congrès médicaux ", dans Bull. Bibl. France, t. 26, n° 9-10, 1981, p. 523-534.