Quelle bibliothèque pour la recherche ?

Enquête auprès des chercheurs scientifiques de l'Université Caude Bernard - Lyon I

Marie-France Rochard

Une enquête a été menée en 1983 auprès des chercheurs scientifiques de l'Université de Lyon afin de connaître leurs besoins en documentation. Ce compte-rendu analyse d'abord la situation actuelle : comment les chercheurs utilisent la bibliothèque universitaire, quel jugement ils portent sur ses services, quelles améliorations ils souhaiteraient ? Il résume ensuite les idées exprimées sur l'organisation future de la documentation à l'université avec plusieurs thèmes : rôle de la bibliothèque universitaire en relation avec les bibliothèques de laboratoires, utilisation des bases de données pour la recherche documentaire, nécessité de coordonner les moyens.

An inquiry was held in 1983 among scientists of Lyon University in order to fix their needs for documentation. After a survey of the state of the art -how they use the library, their opinion about the specific services and the improvements they wish-, this study gives the picture of the planning of documentation at the university.

Devant les difficultés rencontrées par les bibliothèques scientifiques pour maintenir leur fonds documentaire, il a semblé nécessaire aux conservateurs de la BU Sciences de Lyon de diffuser une enquête auprès de leurs lecteurs afin de les informer de la situation et de recueillir leur avis.

Les raisons d'une enquête

Les méthodes de recherche documentaire évoluent rapidement, le travail des chercheurs aussi. Peut-être serait-il temps de concevoir un autre type de bibliothèque ? Est-il vraiment nécessaire de conserver à tout prix des abonnements aux périodiques très coûteux alors que l'on peut se procurer les articles par d'autres voies ? Quel serait alors le rôle de la bibliothèque universitaire ? Quelle place devrait-elle occuper dans l'ensemble du système documentaire de l'Université ?

Chacun connaît le coût des publications scientifiques et les problèmes que pose aux bibliothèques la hausse constante des tarifs à laquelle s'ajoutent les fluctuations des monnaies.

Il n'est peut-être pas inutile de rappeler quelques chiffres. En 1983 à la BU Sciences de Lyon, les 40 périodiques les plus coûteux valaient 400 000 F soit une moyenne de 10 000 F par revue. 39 de ces titres étaient des périodiques étrangers (dont 300 000 F à payer en dollars). Entre 1983 et 1984 le dollar a augmenté de 20 %, s'ajoutant à une hausse moyenne des prix de 10 à 20 % selon les titres. Il nous faudrait donc en 1984 100 000 F de plus uniquement pour garder l'abonnement aux 30 revues les plus importantes de la zone dollar.

En 1983 avec un budget d'abonnement de 650 000 F (et déjà un déficit de 100 000 F) la BU Sciences recevait moins de 200 titres de périodiques. Ce qui représente une dépense moyenne de 3 300 F par revue.

Il est vrai qu'il suffirait de supprimer les 10 revues les plus chères pour faire une économie de 200 000 F. Malheureusement il se trouve qu'en sciences l'intérêt et l'importance des publications sont souvent proportionnels à leur prix de vente. De plus ces revues très onéreuses ont été abandonnées depuis longtemps par les laboratoires et nous sommes les derniers à les recevoir à Lyon.

On pourrait donc faire la politique inverse et ne garder que les revues de premier plan mais cela reviendrait à réduire le nombre de titres reçus à une cinquantaine. Répartis sur une vingtaine de disciplines de recherche, la moyenne est vite faite. Quel intérêt aurait alors la bibliothèque pour les chercheurs ?

De guerre lasse, on pourrait renoncer totalement à maintenir un fonds de recherche. Plutôt que d'avoir une bibliothèque médiocre dans tous les domaines ne serait-il pas plus efficace de gérer une très bonne bibliothèque pour étudiants ?

Mais il se trouve que l'utilisation de la documentation de recherche est en fort accroissement à la Bibliothèque universitaire depuis quelques années. Il semble en effet que beaucoup de laboratoires aient été contraints de supprimer les abonnements qu'ils recevaient dans des périodes plus faciles.

Ce dilemme se pose en des termes presque semblables à toutes les bibliothèques scientifiques (sauf à celles, si elles existent, qui auraient vu croître chaque année leur budget de 40 % depuis 5 ans !) et les décisions sont très difficiles à prendre car elles engagent vraiment l'avenir. C'est pourquoi il était indispensable de faire connaître le problème aux chercheurs et de les consulter.

L'information constitue une démarche essentielle. D'une part on reproche trop souvent à la bibliothèque de vivre à l'écart de la vie universitaire; d'autre part presque tous nos utilisateurs étaient tout à fait ignorants de ces difficultés.

Nous espérions aussi que cette information pourrait peut-être inciter les responsables de l'Université Claude Bernard à organiser une politique documentaire et à soutenir la Bibliothèque universitaire. Il se dépense en effet beaucoup d'argent en documentation dans les laboratoires et les UER. Mais tous ces moyens sont dispersés, ignorés, souvent mal gérés. L'intérêt de cette enquête était aussi pour nous, en posant le problème financier du fonds commun de la Bibliothèque universitaire, de voir si les universitaires allaient évoquer d'eux-mêmes cet aspect. Les esprits avaient-ils évolué ? Serait-il possible de construire quelque chose de différent dans les années qui viennent ?

En février-mars 1983, près de 700 exemplaires du questionnaire ont été envoyés dans les laboratoires ou distribués dans la salle Chercheurs de la bibliothèque. 120 réponses ont été recueillies. Une vingtaine de ces réponses étaient collectives, le problème ayant été discuté en réunion de laboratoire, de département ou d'institut. On peut donc estimer à plus de 200 le nombre de personnes ayant répondu à l'enquête. 75 % des laboratoires ont renvoyé au moins un questionnaire.

Ce que les chercheurs ont répondu

Comment ils utilisent la bibliothèque

Le premier groupe de questions visait à mesurer l'utilisation par les chercheurs de la section Sciences et de ses différents services (cf. Tableaux 1 et 2).

Concernant plus précisément les périodiques, les réponses aux questions : Quels sont les périodiques ou les services que vous consultez régulièrement? et Quels sont les périodiques qui vous paraissent indispensables dans votre discipline ? S'ils ne se trouvent pas à la bibliothèque universitaire, pensez-vous qu'ils devraient y être ? devraient permettre d'une part d'évaluer le taux de consultation des titres, donnée qui sera utilisée localement lors de l'étude d'éventuelles suppressions d'abonnements, et d'autre part de repérer, dans les disciplines hors CADIST, les lacunes de la bibliothèque universitaire (et parmi ces lacunes, celles qui ne sont pas comblées de façon satisfaisante par les autres bibliothèques du campus).

Comment ils conçoivent le rôle de la bibliothèque

On demandait ensuite aux usagers de donner leur appréciation sur le fonctionnement actuel de la bibliothèque universitaire et d'indiquer comment ils concevaient son rôle à l'avenir.

De nombreux questionnaires ne répondent pas à la question: Quelles sont vos critiques par rapport au fonctionnement actuel de la bibliothèque universitaire ? A plusieurs reprises, au contraire, on insiste sur le bon fonctionnement des services « chercheurs » et sur la compétence du personnel. Toutefois, il y a des critiques et les plus fréquentes portent sur les moyens dont dispose la bibliothèque : elle manque de livres et de périodiques. Du fait de l'existence du CADIST, on lui reproche aussi une trop grande spécialisation en chimie. Beaucoup se plaignent des horaires d'ouverture trop réduits en période de vacances et du prix élevé des photocopies (1F). Plusieurs personnes souhaiteraient une meilleure information et une collaboration plus étroite avec les laboratoires. Les idées émises en réponse à la question : Par rapport à la documentation que vous avez sur place dans votre laboratoire, comment concevez-vous le rôle de la bibliothèque universitaire ? peuvent se distribuer en deux grands thèmes : le rôle de la bibliothèque dans l'université d'une part, les rôles respectifs des bibliothèques de laboratoire ou d'UER et de la bibliothèque universitaire d'autre part.

Le rôle de la bibliothèque universitaire

La bibliothèque doit être le lieu de consultation des périodiques. Elle doit avoir un très large éventail et être la plus complète possible. Priorité doit être donnée aux périodiques concernant un domaine assez large ou intéressant plusieurs disciplines, plusieurs laboratoires ou plusieurs équipes.

L'avantage d'un point central est d'être une source d'information sur toutes les disciplines. Il permet d'avoir une ouverture sur des ouvrages et périodiques extérieurs à sa spécialité. Le coût des revues rend nécessaire un regroupement. Maintenant les périodiques essentiels sont inaccessibles aux laboratoires. Aucun ne peut espérer avoir lui-même toute sa documentation.

La bibliothèque doit assurer la gestion et le stockage des documents. C'est un lieu pratique et ouvert à tous, étudiants et chercheurs. C'est un fonds sur lequel on peut compter. Il faut veiller à la continuité. Certains laboratoires ont des collections incomplètes; certaines années de périodiques sont introuvables. Il faut éviter la dispersion : ainsi, la recherche est plus rapide et plus sûre.

La bibliothèque doit assurer les échanges avec les autres organismes documentaires. Elle a un rôle d'information et de prestataire de service. Elle peut être un intermédiaire pour faire venir des documents. Elle favorise et garantit les relations avec les autres bibliothèques. L'importance du prêt interbibliothèque est soulignée à plusieurs reprises.

La bibliothèque a un rôle d'avant-garde pour la documentation informatisée. Elle est ouverte sur les techniques nouvelles de recherche documentaire. Elle doit en assurer la promotion et la diffusion.

Elle a aussi une mission pédagogique auprès des étudiants et des chercheurs en leur apprenant à trouver leur documentation (par exemple, un article à partir de mots-clés).

En conclusion, beaucoup insistent sur le rôle vital de la bibliothèque universitaire pour la recherche (« indispensable », « capital », « essentiel », etc.). Quelques uns parlent des bibliothèques étrangères qu'ils ont eu l'occasion de connaître et de leur étonnement devant leur richesse. Certaines font observer que si une université n'est plus capable d'avoir une bibliothèque digne de ce nom, ce n'est plus une université.

Bibliothèque universitaire et bibliothèques de laboratoires

Les propositions suivantes reflètent l'orientation générale des réponses sur ce point. Le rôle de ces deux catégories de bibliothèques est complémentaire. Ce sont surtout les périodiques qui devraient être à la bibliothèque universitaire, et tout particulièrement les périodiques d'intérêt général et ceux qui sont trop coûteux pour être acquis par un seul utilisateur. Les traités fondamentaux et les ouvrages couvrant plusieurs disciplines voisines devraient également s'y trouver. Certaines revues spécialisées et les livres pourraient être achetés par les laboratoires, mais cela devrait rester très limité et la bibliothèque universitaire en aurait connaissance afin d'y envoyer les chercheurs ; les laboratoires auraient l'obligation d'en faciliter l'accès à tous. Une concertation serait nécessaire, car il faudrait déjà éviter que différents services prennent le même abonnement.

Trois points, sur lesquels beaucoup de réponses insistent, paraissent très importants.

Il y a très peu de périodiques dans les laboratoires. Depuis deux ou trois ans, le coût de la documentation scientifique est tel que les suppressions d'abonnements se sont multipliées. Le plus souvent, il ne reste que les Current contents, des sections du Bulletin signalétique du CNRS et des revues reçues à titre privé par des membres de sociétés scientifiques.

C'est par insuffisance de la bibliothèque universitaire que les laboratoires achètent des livres. Les livres récents devraient être achetés par la bibliothèque universitaire sur demandes de chaque département de recherche. La bibliothèque universitaire doit garder son potentiel de périodiques et même l'augmenter afin de couvrir toutes les disciplines.

Il vaudrait mieux une bibliothèque centrale bien fournie que des bibliothèques de laboratoires.

L'avantage d'une bibliothèque générale est de mettre à la disposition de tous un fonds scientifique important sans le lier aux avatars des répartitions de crédits entre les UER. Les laboratoires dépensent des sommes importantes pour des périodiques qui sont difficilement accessibles pour l'ensemble des lecteurs. C'est une situation anormale.

Les demandes à l'extérieur, une solution ?

Le « scénario » proposé -Etes-vous d'accord avec le raisonnement suivant: les périodiques scientifiques sont très coûteux; il existe des bases de données permettant de repérer rapidement les articles; il suffit alors de les demander à l'extérieur (soit à la base de données, soit à des bibliothèques spécialisées comme les CADIST) ? - amène une réponse quasi unanime (95 %) : Il est indispensable de pouvoir continuer à disposer des périodiques. Sont invoqués alors des arguments de coûts, de délais et de méthodes de travail en recherche fondamentale. On ajoute que toutes les disciplines ne sont pas couvertes de façon satisfaisante par les bases de données (mathématiques, paléontologie, par exemple). On fait remarquer qu'il y aurait aussi une grosse perte de temps pour les chercheurs qui devraient attendre leurs articles, qu'on ne peut déterminer l'intérêt d'un article qu'en le feuilletant et qu'on risque donc de payer très cher des photocopies pour un document qui ne vous apportera rien. Enfin, cette méthode serait dangereuse car, si les périodiques scientifiques n'ont pas un nombre d'abonnés suffisant, ils disparaîtront.

Les solutions pour l'immédiat

La suggestion : Pensez-vous que l'université devrait participer au financement des périodiques de recherche à la bibliothèque universitaire ? a recueilli les avis suivants, ventilés par discipline (cf. tableau 3).

Les modalités de cette participation font l'objet d'un certain nombre de propositions. Elle se ferait par un prélèvement à la source sur le budget de l'université avant distribution aux UER; mais les achats ne devraient-ils pas ensuite être répartis également entre toutes les disciplines ? Il faudrait attribuer à la bibliothèque universitaire un fonds spécial « achats de périodiques », l'université pourrait prévoir un pourcentage sur les frais d'inscription et une subvention sur les crédits recherche.

D'autres questions ont amené les chercheurs à donner leur avis sur les corollaires administratifs de ces propositions. Il en ressort que la bibliothèque universitaire accèderait au statut de centre ou de service commun, mais il faudrait que la section sciences soit rattachée à l'université Claude Bernard car le statut de bibliothèque interuniversitaire est gênant.

Diverses autres solutions sont envisagées. On propose une réduction des dépenses de documentation de l'université. Il faudrait alors supprimer les périodiques achetés par les laboratoires et verser les sommes correspondantes à la bibliothèque universitaire, mais à la condition que les photocopies y soient à bas prix.

Les services comptables de l'université devraient autoritairement modifier l'adresse de toute demande d'abonnement au profit de la bibliothèque universitaire afin que les revues y soient adressées, domiciliées et conservées.

On pourrait augmenter le prix des services de la bibliothèque universitaire : les laboratoires payeraient plus cher les photocopies, le prêt interbibliothèque, etc.

Les abonnements pris individuellement par les laboratoires pourraient être déposés à la bibliothèque universitaire.

Si l'université éditait une revue, elle obtiendrait d'autres revues par échange et recevrait gratuitement des ouvrages pour analyse.

Quelques leçons de l'enquête

Il est intéressant d'examiner d'abord qui a répondu à cette enquête.

S'agit-il seulement de ceux qui fréquentent beaucoup la Bibliothèque ?

Personne n'a prétendu ne jamais venir à la Bibliothèque : l'hypothèse la plus vraisemblable est que les non utilisateurs de la bibliothèque se sont également abstenus de répondre à l'enquête. Par ailleurs, certains professeurs ne viennent pas personnellement mais envoient un technicien ou une secrétaire chercher un livre du prêt interbibliothèque ou faire des photocopies.

Quatre-vingts pour cent de ceux qui ont répondu viennent au moins une fois par mois, certains plusieurs fois par semaine. Dans plusieurs laboratoires, l'un des membres de l'équipe est chargé de faire la bibliographie pour ses collègues et de suivre les fascicules de revues au fur et à mesure de leur parution. Ces chercheurs sont alors les plus assidus et les plus exigeants quant aux délais d'arrivée des périodiques. Ce sont eux parfois qui nous alertent sur des retards ou des numéros manquants. Leurs réclamations nous font bien sentir que la recherche scientifique ne peut pas travailler renfermée sur elle-même. Elle a un besoin vital d'information sur ce qui se fait dans le monde, informations qui doivent être extrêmement rapides.

Toutes les disciplines ont-elles répondu ?

Oui, tout l'éventail des UER et des laboratoires est représenté. Cependant il y a une dominante des gros utilisateurs de la bibliothèque : chimie, biochimie et sciences de la nature.

Enfin on observe qu'aussi bien les chercheurs de base que les directeurs de laboratoire ont participé à l'enquête. Leurs réponses divergent parfois mais ce n'est pas aussi net que l'on aurait pu le supposer. Les directeurs de laboratoire ont généralement de lourdes tâches de gestion et les jeunes chercheurs leur reprochent souvent de ne pas faire de bibliographie mais de se cantonner à la lecture des 2 ou 3 revues auxquelles ils sont abonnés, ce qui les enferme dans un domaine trop étroit.

Les différences d'utilisation de la BU sont surtout fonction des disciplines. Si 95 % des lecteurs viennent consulter les périodiques, ce sont plutôt les chimistes qui interrogent les bases de données très souvent et souvent, les physiciens et les biologistes quelquefois.

Nous avons été surpris de constater qu'un tiers des personnes n'utilisaient pas du tout et ne connaissaient pas le prêt interbibliothèque. Les plus gros demandeurs sont les laboratoires de géologie-paléontologie qui ont besoin de livres anciens et difficiles à localiser. Les moins intéressés sont les chimistes qui cherchent plutôt des articles récents et qui trouvent beaucoup de choses sur place.

Si on veut analyser le rôle de la Bibliothèque universitaire on peut comparer deux cas extrêmes: d'une part les disciplines pour lesquelles l'existence d'une bibliothèque d'UER importante et bien organisée a amené la BU à supprimer presque tous ses périodiques, d'autre part le domaine de la chimie où la création du CADIST a provoqué depuis trois ans des achats importants. Comment les chercheurs ont-ils réagi dans l'un et l'autre cas ? Comment se sont-ils adaptés ? Sont-ils satisfaits de cette situation ?

A Lyon, les deux disciplines principales qui disposent d'une bibliothèque de département ou d'UER sont les mathématiques et la géologie. Dans l'ensemble les chercheurs sont contents du fonctionnement de leur bibliothèque. Ils reprochent cependant à la bibliothèque universitaire de s'être trop déchargée sur eux car ils consacrent maintenant une partie importante de leurs crédits de recherche à l'entretien de leur documentation ; ils n'ont pas encore de réels problèmes financiers mais redoutent un peu que l'existence et les ressources de leur bibliothèque puissent être remises en cause par leurs collègues de l'UER ou d'une autre instance universitaire.

Ils continuent à utiliser la bibliothèque universitaire soit comme prestataire de service (prêt interbibliothèque), soit pour la consultation de revues anciennes ou de périodiques d'autres disciplines. Certains regrettent que leur bibliothèque n'emploie pas de moyens modernes de documentation et reconnaissent à la BU un rôle important dans ce domaine.

A l'opposé, les chercheurs de chimie ont vu évoluer le fonds de la BU dans une direction toute différente car elle a les moyens d'acquérir l'essentiel de la documentation dans ce domaine. Il est intéressant de voir si dans ce cas les laboratoires continuent à s'abonner individuellement aux revues et y consacrent des sommes importantes sur leur budget.

La réponse est variable selon les équipes de recherche et certaines dépensent encore 20 000 F à 40 000 F chaque année. Mais la plupart ont abandonné tout ou partie de leurs achats et viennent régulièrement consulter les périodiques et faire des photocopies à la BU. Cette évolution est très sensible depuis deux ans. Dans les questionnaires, ce sont les chercheurs de chimie qui se déclarent le plus favorables à une documentation centralisée et plusieurs professeurs affirment supprimer tout titre et revue dès que la BU s'y abonne. Ils sont aussi de ceux qui se félicitent du fonctionnement de la BU et qui se déclarent d'accord pour que l'Université la subventionne.

Cet exemple prouve que les esprits ont évolué et que l'individualisme recule devant les difficultés financières. Quand la BU a les moyens de répondre aux besoins des chercheurs, ceux-ci s'en réjouissent, l'utilisent, sont prêts à défendre son existence et à participer sur leurs propres crédits à son fonctionnement.

Quelle bibliothèque pour la recherche ?

A partir des réponses à cette enquête nous pouvons essayer de décrire un système d'organisation documentaire favorable au travail des chercheurs.

Plusieurs questions se posent.

La plus fondamentale : les bibliothèques continueront-elles d'exister ? Est-il indispensable de payer des abonnements et de stocker des tonnes de papier alors que les bases de données sont très performantes en sciences et qu'il suffit ensuite d'avoir un bon réseau national et international pour se procurer les documents ?

Cette perspective est rejetée presque unanimement. En dehors des critiques faites aux bases de données (imparfaites et très coûteuses) et des inquiètudes sur le temps perdu à attendre un document, les arguments les plus sérieux sont ceux de ce chercheur qui décrit ainsi le rôle de la bibliographie en recherche fondamentale : « La bibliographie du chercheur universitaire devrait lui permettre de tirer parti de résultats obtenus dans des domaines voisins mais différents du sien en lui suggérant des expériences originales avant que les autres ne les fassent. Elle va vers un objectif a priori non défini. Seul le pillage de nombreuses revues consultées directement et feuilletées permet d'obtenir cet objectif. Encore faut-il qu'elles soient le plus possible concentrées en un seul lieu : la bibliothèque universitaire.

La situation est assurément très différente en recherche appliquée car l'ingénieur de recherche sait alors ce qu'il cherche et d'une façon précise (ex. : Quels brevets ont été publiés sur la synthèse de tel composé défini ?)

Le chercheur universitaire peut sûrement tirer parti des banques de données, mais à titre d'appoint. Si son emploi devait être exclusif, la documentation qui en résulterait serait à la foi lacunaire et d'un prix multiplié par dix ».

Ainsi l'utilisation des bases de données est-elle considérée comme une aide supplémentaire très intéressante mais non comme une méthode exclusive. Elle permet la recherche dans un domaine très précis alors que la consultation des périodiques élargit votre champ de vision et vous amène à prendre connaissance de travaux que vous n'auriez pas commandés.

Une autre question importante porte sur la centralisation ou la décentralisation de la documentation dans l'université. Est-il préférable d'organiser une multitude de petits centres documentaires ou de regrouper le plus de choses possibles à la bibliothèque universitaire ?

S'il n'y avait pas de problème financier, l'idéal serait de combiner les deux systèmes. Chaque laboratoire aurait les moyens de recevoir la documentation spécialisée correspondant à son domaine de recherche. Il aurait recours à la BU pour des périodiques généraux et pour ceux d'autres disciplines. Il faudrait donc aussi une très bonne bibliothèque centrale largement ouverte et accessible à tous, qui serait le lieu privilégié où l'on peut élargir ses connaissances en feuilletant des revues dans tous les domaines.

Or la situation économique et le coût de la documentation scientifique imposent un choix. Il n'est plus possible de maintenir à la fois des achats importants dans les laboratoires et une bibliothèque pluridisciplinaire. La plupart des chercheurs commencent à être conscients du problème et une large majorité (près de 80 %) déclare préférer une bibliothèque bien fournie à des périodiques dispersés.

Ils reconnaissent que, dans les laboratoires, les revues sont mal gérées, des numéros disparaissent, des abonnements sont interrompus, puis repris. Il est difficile pour une personne extérieure au laboratoire d'avoir accès aux publications, non par mauvaise volonté mais pour des raisons pratiques (qui a la clé de l'armoire ? A quelle heure la secrétaire est-elle là ? Le dernier fascicule reçu n'est-il pas sur le bureau du professeur ?).

De plus, il serait fastidieux d'avoir à parcourir toute l'université d'un bâtiment à l'autre pour faire sa bibliographie, cela représenterait une grosse perte de temps.

La meilleure solution semble être la constitution d'une bonne bibliothèque universitaire couvrant tous les domaines de recherche ou collaborant pour certaines avec quelques bibliothèques spécialisées. Sur le seul budget de la BU, c'est à l'heure actuelle impossible. Il serait donc absolument indispensable de regrouper les moyens de l'Université afin de constituer un instrument de travail valable.

En contrepartie, il faudrait imaginer des améliorations du service de la BU : ouverture plus large pendant les vacances, meilleure consultation et meilleure information des usagers, aménagement des locaux permettant un travail plus calme. Quant au tarif de la photocopie, il s'agit uniquement d'un problème financier qui peut très bien s'étudier localement.

Cela ne veut pas dire que la centralisation doive être complète, ni qu'il sera nécessaire d'avoir un fonds tout à fait exhaustif. Les actuelles bibliothèques d'UER ou de département qui donnent satisfaction à leurs utilisateurs pourraient subsister à condition qu'elles respectent les mêmes règles d'accessibilité à tous, d'ouverture large et de bonne gestion que la bibliothèque universitaire. D'autre part des périodiques très spécialisés et qui intéressent un seul laboratoire de recherche pourraient continuer à être reçus directement par ce service. On devrait cependant envisager son dépôt à la BU ou dans une autre bibliothèque après un délai à fixer, délai variable selon les disciplines (de 1 mois à 2 ans par exemple).

Enfin les revues dont le coefficient de lecture est faible, qu'elles soient moins importantes ou très hautement spécialisées, seraient demandées à l'extérieur, soit à des centres comme les CADIST, soit aux bases de données. Ce serait alors le rôle de la BU de faire venir ces documents dans des délais rapides.

Certains imaginent le chercheur de demain ayant accès par le terminal de son laboratoire à un système informatisé central lui permettant de consulter toutes les revues existant dans le monde. Il pourrait demander à visualiser complètement un article et en obtenir la copie immédiate.

Un tel système n'existe nulle part à l'heure actuelle.

La mise en place du schéma décrit auparavant, infiniment moins ambitieux, nécessite déjà toute une évolution des mentalités et tout un effort pour organiser et parfois imposer une politique documentaire.

Peut-être n'est-il pas complètement utopique d'affirmer qu'il est réalisable ?

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Tableau 1 - Venez-vous à la bibliothèque ?

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Tableau 2 - Quels sont les services que vous utilisez ?

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L'Université Claude Bernard et la section Sciences de la Bibliothèque interuniversitaire en chiffres

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Tableau 3 - L'Université devrait-elle participer au financement des périodiques de recherche de la BU ?