Le b.A. BA des BD

deux ans d'interrogation des banques de données françaises à la Bibliothèque publique d'information

Hubert Dupuy

Depuis avril 1981, la BPI s'est dotée d'un service d'interrogation des banques de données françaises. Une étude a permis de déterminer, sur une période de 2 ans, le nombre d'interrogations, les catégories d'usagers, leurs motivations et leur degré de satisfaction ; quels sont les fichiers les plus consultés et quel est le coût des interrogations pour la BPI ? Un premier bilan soulève le problème du choix entre la gratuité de l'interrogation ou la refacturation partielle à l'usager, et établit qu'un des obstacles à une augmentation des interrogations réside dans l'insuffisance de l'offre d'informations en langue française par rapport aux banques de données étrangères.

Since April 1981, the " Bibliothèque publique d'information " has been holding an enquiry service for French databanks. A two years study has revealed the number of enquiries, the types of users, their objects and the degree of statisfaction. A choice must be done between free enquiry and charging the users for a part of the cost. It appears also that the supply of French databanks is less important than of foreign databanks : which is a bar to an increase of enquiries.

Après une expérience portant sur l'interrogation d'une seule banque de données, la Banque d'information politique et d'actualité (BIPA), d'avril 1978 à la fin de 1979, la BPI, à la fois bibliothèque publique et bibliothèque de référence 1 s'est dotée d'un service de téléconsultation des banques de données françaises à partir d'avril 1981. C'est la volonté conjuguée de bibliothécaires de la BPI et des pouvoirs publics - incarnés en l'espèce par la MIDIST 2 - qui ont conduit à la mise en oeuvre du service. Le but poursuivi était double : évaluer les demandes et les réactions d'un large public vis-à-vis d'un mode assez neuf d'accès à l'information et permettre un meilleur usage des revues du fonds de la bibliothèque notamment pour les domaines de l'actualité économique, sociale, politique et administrative. Il n'est pas indifférent d'observer que, pendant le même temps - cela a commencé en 1978 avec cinq bibliothèques -en Grande-Bretagne, les services de recherche documentaire automatisée se développaient rapidement dans les public libraries :
- 5 bibliothèques étaient équipées dès 1978.
- 8 bibliothèques étaient équipées en juillet 1979.
- 18 bibliothèques étaient équipées au début de 1980 3.

En France, au début de 1983, semble-t-il, aucune bibliothèque municipale n'a mis sur pied un tel service, même si certaines, comme par exemple celle de Miramas, permettent l'interrogation en ligne de leur catalogue. Ainsi a-t-il paru intéressant après deux années de fonctionnement de livrer quelques informations sur la façon dont le service est organisé, sur des éléments du bilan et de se risquer enfin à quelques observations nourries par les problèmes rencontrés et les attentes des usagers du service.

Où, quand, comment ?

Physiquement, le site d'interrogation est lié au bureau d'information des sciences sociales : classe 3 de la CDU plus psychologie (15) et gestion (65). La collecte des questions s'effectue toute l'année sans interruption en semaine, lundi, mercredi, jeudi, vendredi entre 15 h 30 et 19 h, ce qui représente un volume de plages horaires faible par rapport aux heures totales d'ouverture de la bibliothèque (64 heures par semaine), mais l'on s'emploie à se montrer souple lorsque l'usager se trouve dans l'impossiblité de venir à la BPI pendant les plages indiquées. Pour le moment ce service est gratuit 4 pour le lecteur.

Il s'agit d'un service complémentaire des autres services de la bibliothèque ; c'est pourquoi un usager qui s'adressera directement au service télématique sera préalablement orienté vers les instruments de travail manuels (catalogues, annuaires, bibliographies sur papier, ouvrages de référence).

En outre, on effectue, au moyen de filtres, des sélections parmi les usagers. Nous estimons en effet que la BPI n'a pas à imiter les services d'interrogation des bibliothèques universitaires ou des bibliothèques spécialisées : à cet effet on s'emploie à dissuader les étudiants de troisième cycle de recourir au service télématique de la BPI en les réorientant vers leur bibliothèque universitaire ou vers le producteur (CDST et CDSH du CNRS notamment).

Bien entendu, la BPI n'effectue pas des investigations exhaustives : donc toute recherche est limitée à vingt références au maximum. Toutes les éditions sont réalisées on-line, ce qui est coûteux en redevances aux serveurs - majoration des temps d'interrogation surtout quand les résumés sont longs -, mais évite un travail administratif supplémentaire et permet au lecteur d'être servi immédiatement (désormais 60 % des interrogations sont effectuées en sa présence).

Qui interroge les banques de données ? Une équipe de douze interrogateurs se répartit les interrogations. En son état actuel, le service télématique représente trois postes de travail : deux personnes y sont affectées à plein temps, dix autres ont une occupation principale différente. La formation initiale des interrogateurs se présente ainsi : - 7 : études en sciences humaines, sciences sociales.

- 2 : études juridiques.
- 2 : études scientifiques.
- 1 : études en sciences économiques.

La spécialisation des interrogateurs est réduite : pour l'heure elle n'est appliquée avec rigueur que pour le droit (interrogation de SYDONI). Ainsi la moitié de l'équipe interroge-t-elle PASCAL par exemple. Ne nous cachons pas que cette non-spécialisation a des incidences sur la pertinence des interrogations, mais c'est la rançon à payer pour un mode de fonctionnement qui se veut différent de celui pratiqué dans les bibliothèques universitaires et dans les centres spécialisés.

Lucy A. Tedd, dans son bilan de cinq expériences anglaises, note parmi les problèmes rencontrés 5 : "lack of subject knowledge : inevitably, in a public library situation, there will be a lack of any in-depth subject knowledge for any particular search". A cet égard, il convient également de souligner les insuffisances - dans certains cas, c'est une absence, par exemple pour REDOSI ou MERL-Eco - des documents mis à la disposition des interrogateurs par les serveurs ; une fiche de présentation recto-verso pour un fichier, cela relève du gag.

Un premier bilan

La problématique gratuité /refacturation à l'usager

La question de savoir si, dans une bibliothèque publique, l'interrogation des banques de données doit être refacturée à l'usager a déjà fait l'objet d'une littérature - anglo-saxonne - assez abondante, qui pose correctement les questions 6. Il convient d'abord, me semble-t-il, d'écarter deux arguments extrêmes : à la bibliothèque publique, service public, tout doit être gratuit, pétition politique de principe qui ne souffre aucune discussion (mais longue est la liste des services publics français dont l'usage est conditionné par l'acquittement d'une taxe, redevance ou autre péage) ; et à l'autre bout de la chaîne les efforts des tenants de la « marchandisation » à outrance de l'information et de la documentation dont l'ultima ratio peu se résumer en la formule : pour que l'information que vous procurez soit prise au sérieux, il faut qu'elle soit chère. Il reste entre ces deux pôles toute une palette de possibilités et nos collègues d'Outre-Manche ont fait montre d'une grande flexibilité en la matière et déployé une grande imagination (cinq premières minutes d'interrogation gratuites le reste étant payant ; service gratuit pour l'usager occasionnel, payant pour le récidiviste, etc.). Ce qui est certain, c'est qu'en tout état de cause, la facturation - partielle - à l'usager de l'interrogation doit, d'une part être cohérente avec les objectifs du service (donc il n'est pas question de mettre la barre trop haut si l'on souhaite toucher une frange du public non spécialisé) et d'autre part, la participation demandée à l'usager doit être au moins supérieure au coût du système de facturation mis en place.

A notre point de vue, trois arguments militent en faveur de la refacturation partielle des interrogations, même dans une bibliothèque publique : en premier lieu on ne sera poussé à bien prendre en compte les demandes et à perfectionner le service rendu aux usagers, tant dans la gamme des banques interrogées que dans les modalités de fonctionnement du service, que si les interrogations sont payantes ; ensuite il convient de se donner les moyens d'écarter les demandes fantaisistes ou motivées par la seule curiosité de voir fonctionner la machine ; enfin, s'agissant de la sélection des questions, il est sûr que la gratuité conduit les interrogateurs à un trop grand libéralisme. Ceci posé, il importe de dire un mot à propos de la « cherté » des interrogations télématiques : cette cherté souvent mise en avant tient essentiellement au fait que le coût des interrogations est visible car assez facile à calculer, même si l'on ergote sur le coût du personnel (évaluation du temps de travail réel + évaluation de la valeur ajoutée par la prestation si l'on se trouve dans le secteur commercial). Mais, si l'on raisonne en observant les différents postes de coût dans une bibliothèque, ce qui coûte le plus cher et de très loin c'est le prix de la constitution, de la gestion et de la maintenance du cimetière de documents, c'est-à-dire la part du capital de documents qui ne sont jamais consultés ; du reste la télématique et surtout l'informatisation de la gestion des bibliothèques devraient nous livrer des données intéressantes pour que des économies puissent être réalisées sur ce poste...

Les insuffisances dans l'offre d'information

Peut-être l'un des principaux obstacles à l'extension de l'utilisation des banques de données (tant bibliographiques que factuelles) par des franges plus larges du public non spécialisé réside-t-elle dans une insuffisance de l'offre d'informations en langue française. On se doit tout d'abord d'invoquer les graves lacunes françaises en matière d'information de presse : jusqu'à quand la grande presse nationale quotidienne (Le Monde, par exemple, ou Le Figaro) et hebdomadaire (Le Point, Le Nouvel Économiste, Le Nouvel Observateur, l'Express) continuera-t-elle sa politique suicidaire de non-coopération ? A l'exposition Infodial 1983, The Economist proposait l'interrogation de sa banque en texte intégral (600 F par heure) ; où étaient les Français ?

Apprécions donc à leur juste valeur les efforts de l'Agence France Presse (AGORA, AECO, ADOC) et ceux de la Documentation française (PAPYRUS), même si ces produits doivent être améliorés, (on pense à une plus grande rigueur dans la rédaction des dépêches : il conviendrait entre autres de bannir l'expression « sur la base des données », lorsque l'on livre des statistiques dans une dépêche), ou développés (23 000 références par an pour PAPYRUS, c'est maigre).

Outre l'information de presse, deux autres lacunes méritent d'être soulignées : la banque de données de la Fondation nationale des Sciences politiques se fait toujours attendre ; donc, pour les références de fond sur la politique française ou pour la politique des pays étrangers, on reste sur sa faim. En plus, et il s'agit là de l'expérience ressentie en raison des demandes des usagers du service télématique de la BPI, les lecteurs nous demandent pour les ouvrages de sciences sociales des critiques de livres (sur le Travail en miettes de Fourastié ou sur la Critique de la décision de Lucien Sfez par exemple). Un pendant français de la banque Book review index, serait vraisemblablement fort apprécié.

Reste en dernier lieu une question d'inadéquation plutôt que de couverture documentaire. On veut parler de l'information scientifique et technique de large diffusion qui n'est pratiquement pas retenue dans PASCAL. Si cette banque pouvait entrer chaque année 2 000 à 2 500 références en langue française d'articles destinés à des non-spécialistes, là encore une part du grand public y trouverait son compte (les 2 000 références évoquées représentent moins de 0,5 % des enrichissements annuels de PASCAL).

Un faux débat pour une bibliothèque : banques de données françaises /banques de données étrangères

Bien entendu, il est logique qu'un établissement comme la BPI - elle a le statut de bibliothèque nationale 7 - développe prioritairement l'utilisation des banques de données françaises. Mais il est avéré, qu'une fois atteint un certain stade de développement, les produits français ne suffisent pas : ainsi, que cela plaise ou non - « domination culturelle américaine », impérialisme ou autre sont des incantations inopérantes - le stock le plus important de données en sciences sociales et sciences humaines se trouve sur le serveur de Lockheed. Or, dans une bibliothèque comme la BPI, c'est dans ces secteurs que la demande du public non spécialisé est la plus soutenue. Le rôle de l'intermédiaire/bibliothécaire consiste à procurer à son usager la meilleure information (meilleure quant à sa pertinence, mais aussi quant à son accessibilité aux deux sens, physique et intellectuel, du terme), au meilleur coût possible ; et dans cette dernière perspective, « le meilleur coût », MEDLINE a toujours de beaux jours devant lui.

Peut-être pourrait-on alors s'interroger sur les raisons qui ont conduit à interdire aux serveurs français de proposer les meilleures banques étrangères - à l'exception des Chemical abstracts. Le développement de l'interrogation des banques de données, nous semble-t-il, passe par l'utilisation des meilleurs fichiers ; ce truisme ne semble pas toujours être pris en compte.

Pour conclure, on esquissera certains critères qui font à notre sens qu'une banque de données peut être utilisable par un large public. Sans prétendre à la scientificité - car notre expérience est courte - on peut dire qu'une banque de données documentaires -on ne prend pas en compte les banques d'information-service, telles que celles que procure TELETEL, sans en mépriser l'intérêt qui va bien au-delà du gadget à notre sens - qui veut toucher un assez large public doit :
- d'abord faire référence à un volume significatif de données rédigées en langue française ;
- indexer des documents de large diffusion (c'est un des atouts majeurs d'Isis, banque pour laquelle nous obtenons par ailleurs les résultats les plus pertinents) ;
- permettre la consultation en un lieu unique des documents (le réseau est efficace pour la collecte de l'information ; c'est une catastrophe pour la dispersion des documents de base 8) ;
- veiller à proposer des documents de niveau différent (dans les grands fichiers destinés à la recherche et à l'industrie, l'adjonction d'articles de bonne vulgarisation en créant un code spécifique dans la zone DT, par exemple ne devrait pas coûter trop cher).

Enfin la banque doit être servie par un logiciel facile à manipuler et là encore - dût notre honneur national en être chatouillé - MISTRAL/QUESTEL s'avère bien moins flexible que le logiciel du G.CAM ; il convient de pouvoir interroger directement avec des opérateurs de proximité ; il importe également que l'on puisse directement avoir accès aux mots du titre. Or, en l'état actuel, les unitermes sont piqués dans le titre et dans le résumé ; curieusement, dans l'expérience de la BPI, la fraîcheur de l'information a rarement été déterminante.

22 juillet 1983

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Quelques données sur les questions et les banques les plus interrogées

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Quelques données sur les usagers

  1. (retour)↑  Dans la bibliographie anglaise Library and Information science abstracts, les articles qui traitent de la BPI sont indexés sous public libraries et reference libraries.
    Examiner les articles de Jean-Pierre SEGUIN, La Bibliothèque publique d'information au Centre Georges Pompidou, Paris : les données et les paris de l'entreprise, dans le Bulletin de l'Unesco à l'intention des bibliothèques, vol. XXXII, n° 2 (mars-avril 1978) p. 102-107, et de René FILLET, La Bibliothèque publique d'information dans Les Amis de Sèvres, 103 (sept. 1981), p. 21-30.
  2. (retour)↑  La Mission interministérielle de l'information scientifique et technique a consenti un gros effort financier pour aider la BPI à commencer l'expérience d'interrogation. Depuis juillet 1982, le coût des interrogations est entièrement pris en charge par la bibliothèque.
  3. (retour)↑  A.J. Oulton, Factors affecting and user charges for online bibliographic information retrieval services in public libraries ? dans les comptes rendus du 3rd International on line information meeting (Londres 4-6 décembre 1979), p. 35-44.
  4. (retour)↑  Comme on le verra plus loin, l'auteur de ces lignes est défavorable au maintien de la gratuité.
  5. (retour)↑  Lucy A. Tedd, Experimental use of on line search services by five english public libraries, dans les comptes rendus du 6th International on line information meeting (Londres, décembre 1982) p. 463-473. « Manque de connaissance du sujet : inévitablement, dans le cas d'une bibliothèque publique, il y aura une connaissance insuffisante du sujet pour toute recherche spécialisée ».
  6. (retour)↑  Voir notamment A.J. Oulton, Factors affecting and user charges... Thomas J. Waldhart, et Trudi Bellardo, The Fees in publicly funded libraries, dans Advances in librarianship, vol. 9 (1979), p. 31-61. L'Association des bibliothécaires français a consacré une journée d'étude au thème Information : service gratuit ? service payant ? dont les comptes-rendus ont été publiés dans son Bulletin d'informations, n° 118 (1er trimestre 1983).
  7. (retour)↑  Article 2 du décret du 27 janvier 1976 publié dans le Bulletin des Bibliothèques de France, t. 21, n° 3 (1976) p. 120-123.
  8. (retour)↑  Certes la commande en ligne et l'édition électronique font des progrès. Mais, sauf pour LOGOS, ce sont les fichiers destinés aux spécialistes qui proposent la commande au terminal des documents primaires.