Le livre aujourd'hui en Afrique

par Paule Brasseur

S.I.A. Kotei

Presses de l'Unesco, 1982. - 232 p. ; 26 cm. - (Livres sur le livre.)
ISBN 92-3-201876-4 : 32 F

S.I.A. Kotei, qui enseigne la bibliographie et les sciences du livre à l'Université du Ghana (Legon-Accra), a rassemblé en un ouvrage très dense de nombreuses données sur les problèmes très complexes du développement de la lecture et de l'extension de l'industrie du livre au sud du Sahara essentiellement, bien que le Maghreb ou l'Égypte soient parfois évoqués. Le domaine francophone n'en est pas absent, mais l'auteur n'a visiblement pas pu recueillir une documentation aussi riche et aussi sûre, même pour le Zaïre ou les pays côtiers de l'Afrique de l'Ouest, que pour le domaine anglophone. Ainsi lorsqu'il écrit (p. 30) que « ces dernières années, l'Institut fondamental d'Afrique noire (IFAN), a donné la préférence à une plus grande décentralisation et a publié une série remarquable d'études sociales, culturelles et anthropologiques », on ne peut que s'étonner, l'IFAN étant devenu sénégalais depuis 1960 et n'ayant publié depuis 1968 que 9 mémoires pour 76 dans les vingt années précédentes, nombre de ceux-ci dans le domaine des sciences de la nature. De même (p. 29) les publications scientifiques de l'époque coloniale n'étaient pas le fait de l'Office de la recherche scientifique et technique d'Outre-Mer (ORSTOM), celui-ci n'ayant développé sa production africaine que dans les années 60. Le reproche essentiel concerne toutefois l'éditeur, et non l'auteur : il s'agit de l'absence d'un index absolument indispensable pour se reconnaître dans la masse considérable des informations accumulées.

C'est en effet un panorama d'ensemble qu'a établi S.I.A. Kotei, depuis une étude rapide des rares alphabets africains (vai et bamoun) et de leur échec, ainsi que de celui, relatif toutefois, de l'alphabétisation islamique au sud du Sahara, jusqu'à l'analyse des difficultés actuelles que rencontre un peu partout la diffusion du livre.

Si les premiers écrivains africains furent édités en Europe, dès les indépendances, les jeunes états se préoccupèrent d'étoffer les maisons d'édition d'État de la période coloniale. L'étude est faite pays par pays et conclut à l'importance primordiale de l'édition de livres scolaires et à l'implication obligatoire d'éditeurs étrangers pour remplir ce programme (ainsi Macmillan en Zambie et au Ghana, Oxford University press au Nigeria, Hachette et quelques autres dans l'ex-Afrique occidentale française (AOF)). S.I.A. Kotei évoque ensuite les obstacles auxquels se heurte l'édition scientifique, toujours tributaire de l'étranger faute de moyens financiers, à quelques exceptions près, comme l'East African publishing house (EAPH) de Nairobi, qui édite d'ailleurs toutes sortes d'ouvrages. Le système des co-publications ne fonctionne pas entre universités africaines, mais fort bien avec les maisons d'édition, britanniques notamment.

L'édition privée autochtone est tributaire de la situation économique de chaque pays, de l'existence d'une main-d'oeuvre qualifiée, et enfin et surtout d'un marché. L'exemple du succès de la Onitsha market literature, malgré les moyens très modestes mis en œuvre, demeure quasi unique. On peut noter cependant les éditions du Centre de littérature évangélique (CLE) de Yaoundé, l'EAPH déjà cité et quelques autres au Nigeria. Un chapitre spécial est consacré aux manuels scolaires, dont le problème essentiel est sans doute celui du coût et des subventions afférentes. Kotei insiste sur les politiques ambiguës des gouvernements africains à l'endroit des langues locales. Leur utilisation s'est surtout développée dans les pays anglophones, grâce à une politique délibérée, mais aussi à l'existence de langues véhiculaires importantes, comme le kiswahili, ce qui ne résoud qu'à moitié le problème du multilinguisme (120 langues différentes en Tanzanie par exemple). Il montre bien comment les missionnaires ont été les premiers à promouvoir les écrits en langues locales, mais semble ignorer qu'il en fut de même dans les pays sous contrôle français jusqu'au moment où la tutelle administrative les proscrivit absolument en vue de sa politique assimilationniste.

Sortant du domaine technique, il analyse la création littéraire, les thèmes qui ne se sont pas vraiment dégagés, à part l'anticolonialisme qui a beaucoup servi, le rôle du critique qui jusqu'à présent ne peut s'adresser qu'à une frange de la population, le statut peu brillant de l'écrivain, puis, passant de l'autre côté de la barrière, les lecteurs potentiels et le développement de la lecture, notamment chez les enfants et adolescents. Mais la production qui s'adresse à ceux-ci en français, anglais, portugais ou en langues vernaculaires est fort limitée. C'est pourtant là que doit porter l'effort le plus grand, susceptible d'avoir des prolongements chez les adultes. L'effort des bibliothèques scolaires est insignifiant et les bibliothèques publiques sont encore bien peu développées, avec une tendance manifeste à stocker des manuels scolaires, plus souvent destinés aux adultes qu'aux jeunes. Il semble qu'en général l'Africain, hormis l'écume occidentalisée, n'ait pas dépassé le stade de la lecture utilitaire, tendance difficile à combattre en raison du prix élevé des livres.

La deuxième partie de l'ouvrage, beaucoup plus brève, s'interroge sur les perspectives d'avenir, qui demeurent fort limitées. Entraves administratives à la diffusion et au stockage, fluctuations du marché des changes (notamment entre pays africains), inexistence de la publicité pourraient être surmontées par un certain nombre de mesures que propose l'auteur : création de comités nationaux du livre, de dépôts, de clubs du livre, de revues et de journaux, mais auxquelles il ne fait peut-être pas vraiment confiance. Il insiste pour finir sur la nécessité d'autres mesures liées d'avantage à l'État : l'établissement de bibliographies nationales, l'essor des publications professionnelles, les foires promotionnelles du livre, comme à l'Université d'Ifé, l'utilisation de l'audiovisuel, les concours et prix littéraires, la libéralisation en Afrique de l'accord de Florence (1950) sur l'importation en franchise des objets de caractère éducatif, scientifique ou culturel, l'établissement d'opérations de troc inter-États, enfin, le financement de coopératives d'édition dans la langue de relation.

Outre une documentation très riche, cet ouvrage contient une réflexion très poussée, fruit de vingt années passées à examiner le sujet sous tous ses aspects. Il ne manquera pas d'intéresser tous les Africains responsables à quelque niveau que ce soit, et il faut souhaiter que l'Unesco lui assure une diffusion très large.