« Le Livre en animation » : colloque organisé à Bordeaux par la Ligue de l'enseignement et de l'éducation permanente (9-10 novembre 1982).
Compte-rendu de Renée Bronoff, Bibliothèque municipale de Neuilly-Plaisance.
M. Bottineau, directeur de la Bibliothèque municipale de Bordeaux, ouvre le colloque en évoquant les résultats des deux enquêtes en 1973 et 1981, sur les pratiques culturelles des Français. Entre ces deux dates la fréquentation des bibliothèques n'a guère progressé et celles-ci apparaissent comme « des lieux de lecture qui facilitent la pratique mais ne la créent pas ».
Manuelle Damamme, responsable lecture de la Ligue, définit les objectifs du colloque préparé en liaison avec la Région Aquitaine. Elle rappelle les principes de l'économie sociale et la nécessaire liaison entre le culturel et l'économique ; elle insiste sur l'importance d'une action interministérielle par rapport au livre (Culture, Temps libre, Éducation nationale) à l'échelon régional et national, en invitant les participants du colloque à se situer sous le signe de la collaboration entre les réseaux.
Avec Jean Foucambert, chercheur à l'INRP (Institut national de recherches pédagogiques) s'engage un dialogue sur le thème « lecture et scolarité ». Après avoir rappelé les conditions historiques et économiques d'alphabétisation des milieux populaires au XIXe siècle (amélioration de l'outil de production), Jean Foucambert met en cause les méthodes actuelles d'apprentissage qui reposent encore sur l'avancement d'une technologie d'alphabétisation et non sur la mise en place de véritables « statégies de lecture ».
Apprendre à déchiffrer ce n'est pas apprendre à devenir lecteur : aujourd'hui, les moyens de conserver l'oral et de transmettre l'information n'étant plus liés seulement à l'écrit, les raisons de s'alphabétiser diminuent. Un « comportement alphabétique » peut s'acquérir en six mois alors qu'une réelle « lecturisation » demande environ quatre années de travail qui devraient se situer entre la deuxième et la huitième année de l'enfance : Jean Foucambert s'interroge donc sur le rôle de l'école dans ce changement d'orientation. II ne lui paraît pas que l'institution scolaire doive et puisse être seule à assumer cette tâche, d'autant plus que la demande du corps social y est encore contraire alors qu'un véritable consensus serait indispensable. De même que l'enfant apprend à parler chez lui, dans la rue, en classe, il doit pouvoir apprendre à lire dans divers lieux familiaux, sociaux et culturels.
Quant à l'adulte, les mécanismes de lecture mis en œuvre peuvent varier entre 2 000 et 15 000 mots à l'heure ; au-dessous d'un certain seuil la fatigue prime sur le plaisir et l'intérêt de la lecture. Jean Foucambert préconise des méthodes de lecture rapide pour améliorer les possibilités de ces lecteurs.
Une démonstration de lecture rapide assistée par ordinateur est présentée après l'intervention de Jean Foucambert. L'Association française de lecture a participé à la mise au point d'un « didacticiel » d'entraînement à la lecture pour tout public à partir de huit ans et envisage, en collaboration avec la Ligue de l'enseignement, d'organiser des dépôts de ce matériel dans diverses structures culturelles. II faut noter qu'un entraînement efficace nécessite environ 30 heures de travail dont 10 heures de rencontre avec un formateur.
L'après-midi du 9 est consacrée à la relation de diverses pratiques d'animation par réseaux.
- Les associations avec le Mai du livre à Tarbes : associations diverses, librairies, bibliothèques ont transformé une halle de commerce en grande bibliothèque, tous s'apportant une aide réciproque mais chacun ayant sa propre démarche.
- Les bibliothèques municipales : D. Martinez, à Pessac, cherche à intégrer la bibliothèque à un programme « Culture » communal et à multiplier les centres d'intérêt autour du livre et aussi autour de toute expression écrite ou orale.
- Les bibliothèques centrales de prêt en milieu rural : après avoir mis l'accent sur la pauvreté des fonds scolaires de sa région, la Dordogne, M.C. Germanaud souligne la nécessité pour les bibliothèques de disposer d'un fonds cohérent, actualisé, organisé et répertorié, nécessité préalable ou du moins parallèle à toute action d'animation. Elle présente ensuite le responsable de l'association « Culture et expression » qui a créé avec succès en 1982 une bibliothèque dans un canton de 2 000 habitants.
Le deuxième jour du colloque s'ouvre sur l'intervention de Yves Pinguilly, écrivain et animateur, qui traite de la démocratisation de l'accès au livre et à la culture par l'action culturelle ou l'action socio-culturelle. Yves Pinguilly différencie l'action culturelle qui se situe du côté de l'œuvre et de la création avec sa spécificité et son développement, de l'action socio-culturelle qui se situe du côté du public avec ses intérêts, ses attentes et ses plaisirs.
Il donne ensuite le compte rendu détaillé d'ateliers d'écriture dans une maternelle et un cours préparatoire d'Aulnay-sous-bois : « Il était une fois les mots », afin de préciser les différents « actes » de ce type d'animation.
La matinée se termine par la formation de groupes de réflexion autour de plusieurs thèmes : les projets inter-réseaux à l'échelon local, départemental, régional, etc.
- les rapports entre écrivains, illustrateurs et le public ;
- les adolescents et la lecture ;
- problèmes des non-lecteurs.
L'après-midi, un rapporteur s'efforce pour chaque groupe de faire une synthèse des propos échangés, synthèse difficile et qui reflète bien la disparité des moyens, des formations et des solutions, l'absence aussi de concertation et de vraie coordination, bien qu'elles soient souhaitées par tous, et enfin la réalité des difficultés de chacun.
Les représentants des ministères concluent : pour la Culture, l'accent est mis sur les bibliothèques et le plan de rattrapage en cours, pour l'Education nationale aucun projet nouveau ne semble actuellement envisagé ; quant au Temps libre, une enquête et un rapport sont en cours d'élaboration.