Le rôle des bibliothèques spécialisées dans l'accès aux documents primaires : exemple de la bibliothèque du Musée océanographique de Monaco

Jacqueline Carpine-Lancre

La contribution des bibliothèques spécialisées au prêt interbibliothèque est encore difficile à évaluer, faute de données suffisantes. A titre d'exemple, l'activité de la bibliothèque du Musée océanographique de Monaco a été analysée pendant l'année 1981. Les points suivants ont été examinés : la nature, la provenance géographique et la date de publication des documents demandés ; le statut et la situation géographique des emprunteurs ; les raisons du développement du prêt interbibliothèque et les répercussions sur le fonctionnement du Service

As an example, this activity of the Library of the Oceanographic Museum of Monaco is analysed for the year 1981. The following aspects are studied : type, geographic origin and publication date of the requested documents ; status and location of the borrowers; reasons for the development of inter-library loan and its effects on the work of the library

Parmi les tâches qui incombent aux bibliothèques et aux centres de documentation, le prêt interbibliothèque a longtemps semblé une fonction accessoire. Rebaptisée « accès aux documents primaires », cette activité a acquis récemment une importance nouvelle (1). En fait, particulièrement dans les domaines scientifiques et techniques, deux raisons principales sont cause de cette évolution. D'une part, le nombre des documents - et surtout des publications en série - n'a cessé de croître et leur coût unitaire, d'augmenter. D'autre part, l'apparition des bases de données bibliographiques et leur utilisation de plus en plus fréquente impliquent la consultation d'un éventail beaucoup plus large de documents. A de rares exceptions près, aucune bibliothèque ne possède des collections aussi vastes que celles qui sont exploitées par les producteurs de bases de données. Cette double évolution s'est produite à un moment où, en France, les budgets d'acquisitions des bibliothèques stagnaient ou régressaient. L'emprunt des documents, autrefois occasionnel, devenait une démarche courante, indispensable.

Les caractéristiques des prêts demandés et consentis par les bibliothèques publiques françaises sont relativement bien connues. Les enquêtes concernant les bibliothèques universitaires et une partie des bibliothèques municipales ont été régulièrement présentées et commentées depuis plusieurs années dans les revues professionnelles (2, 3, 4, 5). Les chiffres du Centre de documentation scientifique et technique du Centre national de la recherche scientifique sont également accessibles (6). En revanche, le rôle que jouent dans ce domaine les bibliothèques et centres de documentation appartenant à des organismes publics, semi-publics et privés, n'a pu jusqu'ici être correctement évalué, faute de données suffisantes (7). Le constat de cette lacune a suscité l'enquête entreprise par le Groupe de travail interassociations sur l'accès aux documents primaires, au printemps 1981. C'est aussi la raison pour laquelle il a semblé qu'une analyse relativement détaillée des prêts effectués pendant une année (1981) par une bibliothèque spécialisée privée - celle du Musée océanographique de Monaco - pouvait apporter quelques éléments utiles à l'examen de cette situation.

Les points suivants seront abordés dans cette étude :
- l'origine, le statut, les collections et les utilisateurs de la bibliothèque ;
- les modalités du prêt ;
- le nombre et la répartition (par catégories, origine et date) des documents dont le prêt est demandé à la bibliothèque ;
- le nombre et la répartition (par catégories et situation géographique) des emprunteurs ;
- la place du prêt dans les activités de la bibliothèque ;
- quelques réflexions sur le fonctionnement actuel du prêt à l'échelon national et la position des bibliothèques spécialisées dans l'ensemble du système.

Le Musée océanographique et sa bibliothèque

Le prince Albert Ier, pionnier de la recherche océanographique, avait prévu une bibliothèque dans sa première ébauche de laboratoire en Principauté. Le projet aboutit à la réalisation du Musée océanographique destiné à assumer trois fonctions : conserver les collections récoltées pendant les campagnes accomplies chaque année en Atlantique et en Méditerranée ; développer la recherche dans les laboratoires ; familiariser le grand public avec le monde marin grâce à l'aquarium et aux salles d'exposition. Le bâtiment, commencé en 1899, est solennellement inauguré en 1910. Entre temps, pour compléter son œuvre, le prince crée à Paris l'Institut océanographique voué à l'enseignement, tant au niveau universitaire qu'élémentaire. Il réunit les deux établissements en une Fondation qui est donc un organisme privé, reconnu d'utilité publique, dont le siège est à Paris. Les ressources extrêmement importantes dont le prince l'avait dotée n'ont évidemment pas résisté à l'érosion monétaire des soixante-dix dernières années. Actuellement, les visiteurs du Musée océanographique sont les mécènes qui permettent à la Fondation de vivre et de travailler.

C'est dans ce cadre administratif et financier que s'est développée la bibliothèque du Musée océanographique. Ses collections comprennent aujourd'hui près de vingt mille monographies (ouvrages, thèses, rapports, congrès), plus de trois mille cinq cents publications en série dont mille deux cents en cours, les rapports d'une centaine d'expéditions océanographiques et plusieurs milliers de tirés à part.

Ces documents traitent, pour l'essentiel, des sciences et techniques de la mer, mais avec une conception qui a évolué au fil des ans. Les documents les plus anciens, de 1850 à 1920 environ, appartiennent à presque tous les domaines scientifiques car la documentation spécifiquement océanographique n'était encore véritablement constituée dans aucun pays. Par la suite, jusque vers 1960, périodiques et ouvrages spécialisés se sont multipliés et ont été acquis. Depuis 1960, un choix est devenu nécessaire dans une production de plus en plus abondante. Aucun aspect des recherches fondamentales et appliquées sur le monde aquatique n'est négligé ; mais quelques domaines sont couverts de façon plus complète : océanographie biologique et biologie marine ; aquariologie et aquaculture ; protection de l'environnement marin et lutte contre la pollution ; histoire de l'océanographie et des expéditions marines. Ces publications sont, pour la plupart, destinées aux professionnels, étudiants et chercheurs confirmés. Néanmoins, la fréquence des demandes de renseignements, sur place comme par correspondance, nécessite un minimum d'ouvrages accessibles à tous. La provenance géographique de ces documents est très variée ; pour les périodiques, près de mille d'entre eux sont reçus par échange avec les publications du Musée océanographique, diffusées dans quatre-vingts pays répartis dans les cinq continents.

Tous ces documents sont librement et gratuitement accessibles à tous ceux qui désirent les consulter. Les lecteurs les plus immédiats sont les chercheurs, techniciens et administratifs du Musée océanographique proprement dit et de ses laboratoires associés (Centre scientifique de Monaco, Laboratoire international de radioactivité marine) ; viennent ensuite les personnels des autres organismes de recherche et des établissements scolaires de la Principauté. Plus loin, les laboratoires de Villefranche-sur-Mer et de Nice sont également des utilisateurs assidus. Au-delà, les chercheurs ont deux possibilités : certains viennent régulièrement à Monaco « faire leur bibliographie » et consulter sur place les documents qui leur font défaut ailleurs ; mais la plupart, tant en France qu'à l'étranger, ont recours au prêt interbibliothèque.

Les modalités du prêt

Les demandes sont reçues par courrier, par téléphone ou par télex. La communication à distance des documents de la bibliothèque se fait dans les conditions suivantes :

Les prêts ne sont consentis qu'à des collectivités (bibliothèques, laboratoires, instituts, etc.) ; les photocopies peuvent être fournies aussi bien aux personnes physiques qu'aux collectivités.

La photocopie remplace systématiquement le prêt pour les documents de moins de cinquante pages et pour tous les documents que leur fréquence d'utilisation sur place, leur rareté, ou leur état matériel interdisent de faire sortir de la bibliothèque.

Si le document est disponible, le volume prêté ou les photocopies sont envoyés le jour où la demande est reçue. Si le document ne peut être fourni par la bibliothèque, le maximum d'informations pour son identification et sa localisation est transmis au demandeur. Les recherches, toujours minutieuses, souvent assez longues, pour obtenir ce résultat, ne sont faites qu'une ou deux fois par semaine. Peu de bibliothèques pratiquant le prêt interbibliothèque ont adopté cette démarche, nous semble-t-il. Elle nous a été dictée par la constatation qu'un nombre non négligeable de demandes non satisfaites et retournées sans commentaires, nous revenait quelques jours ou quelques semaines après. Le travail entrepris une première fois pour obtenir la certitude que la bibliothèque ne possédait pas le document devait être repris en totalité. Il a donc semblé plus satisfaisant, tant pour notre bibliothèque que pour ses correspondants, de remplacer une simple fin de non-recevoir par une information positive : adresse de l'éditeur et/ou de l'auteur ; adresse de bibliothèques françaises et/ou étrangères signalant le document dans leurs collections. Les renseignements sont extraits de la section de répertoires d'adresses, de catalogues individuels et collectifs de bibliothèques, d'instruments bibliographiques et documentaires, constituée sans relâche depuis près de vingt-cinq ans.

Le remboursement des frais d'envoi des documents prêtés et le dédommagement des frais d'exécution et d'envoi des photocopies sont demandés aux emprunteurs. Pour réduire au maximum le temps et les frais qu'entraîne la préparation des notes de débours, celles-ci sont établies selon un rythme convenu avec l'emprunteur (trimestre, semestre, année). Chaque fois que cela est possible, un système d'échange (de photocopies ou de publications) est établi pour supprimer ces facturations.

Documents demandés en 1981

Le tableau 1 présente les nombres de demandes reçues pendant l'année 1981 suivis, entre parenthèses, des nombres de celles qui ont pu être satisfaites.

Sur un total de 1 016 documents demandés, 16 l'ont été par téléphone (par cinq organismes français et un organisme étranger) et 18 par télex (tous par la Bibliothèque interuniversitaire de Bordeaux, section sciences) ; en effet, seule cette bibliothèque a utilisé cette possibilité dont tous nos correspondants ont été informés.

Parmi les demandes satisfaites, 86,57 % l'ont été sous forme de photocopies. Les trois années précédentes, ce pourcentage avait été respectivement : 1978 = 88,85 % ; 1979 = 87,97 % ; 1980 = 87,33 %. La tendance est donc à une légère diminution. A l'opposé, le nombre moyen de pages par document reproduit a augmenté : 11,13 en 1979, 14,05 en 1980 et 14,31 en 1981.

La répartition du nombre de demandes reçues selon les mois, de 1977 à 1981 (figure 1), met en évidence certaines particularités. Le mois d'août est très nettement marqué par le nombre le plus bas de l'année, ceci bien que la bibliothèque n'ait pas de période de fermeture annuelle et soit donc, en août comme tous les autres mois, en mesure de répondre aux demandes qui lui parviennent. Une deuxième période de moindre demande, moins marquée, se situe en avril ou mai, suivant les années ; elle coïncide, en partie, avec les vacances de Pâques. Les périodes de forte demande se situent au mois de mars et à l'automne ; elles correspondent, de façon intéressante (et qui n'est certainement pas fortuite), avec les périodes où les interrogations de bases de données sont particulièrement nombreuses (8).

Six catégories de documents ont été distinguées : les monographies ; les publications en série ; les thèses ; les publications de congrès ; les rapports d'expéditions océanographiques ; les « autres » documents.

Les chiffres concernant les thèses et les congrès sont probablement inférieurs à la réalité car ces deux catégories de documents peuvent paraître dans des monographies ou des publications en série sans que leur « identité » véritable ne se manifeste clairement.

La notion de publication en série a été entendue dans un sens très large ; seuls ont été séparés les rapports d'expéditions océanographiques qui constituent une section bien définie et importante de la documentation océanographique.

Quant à ce qui a été classé dans la rubrique « autres », il s'agit de deux cartes, un atlas et un document totalement impossible à identifier.

A l'intérieur de chacune des six catégories, la distinction a été faite entre les documents français et les documents « étrangers », c'est-à-dire publiés hors de France et par des organisations internationales même si celles-ci ont leur siège en France.

Le pourcentage de ces subdivisions par rapport au total des demandes reçues se situe dans l'ordre décroissant que voici :
- publications en série étrangères 68,01 %
- monographies étrangères 10,14 %
- publications en série françaises 9,65 %
- publications de congrès étrangers 7,77 %
- rapports d'expéditions étrangères 2,46 %
- monographies françaises 1,18 %

Le pourcentage des autres catégories n'est pas significatif car il porte sur un nombre trop restreint de documents.

Le taux de satisfaction des demandes est sensiblement différent ; le pourcentage, toujours par ordre décroissant, s'établit ainsi :
- publications en série françaises 89,79 %
- rapports d'expéditions étrangères 88,00 %
- publications en série étrangères 75,10 %
- monographies françaises 66,66 %
- monographies étrangères 62,13 %
- publications de congrès étrangers 62,02 %

Les autres catégories ne peuvent donner de chiffres significatifs en raison du nombre réduit de documents.

Pour l'ensemble des demandes reçues, le taux de satisfaction a été, pour 1981, de 74,01 %. Pour les années précédentes, il avait été de 77,91 % en 1977 ; 72,19 % en 1978 ; 79,05 % en 1979 et 71,07 % en 1980. Ces pourcentages sont d'environ 10 % inférieurs à ceux que mentionnent la plupart des bibliothèques (5, 9). Deux explications semblent pouvoir être avancées : pour bon nombre de nos emprunteurs, notre bibliothèque constitue « la dernière chance » ; en outre, la probabilité d'obtenir sinon le document du moins un complément d'identification et une localisation incite à nous adresser les cas difficiles...

Les publications en série méritent un examen plus approfondi. Les demandes qui ont été satisfaites concernent 215 séries différentes, dont voici la répartition géographique :
- 26 séries françaises, correspondant à un total de 88 demandes satisfaites ;
- 70 séries publiées en Europe, France exceptée, par 15 pays, pour 211 demandes ;
- 60 séries publiées en Amérique, par 5 pays, pour 165 demandes ;
- 24 séries publiées en Asie, par 5 pays, pour 67 demandes ;
- 12 séries publiées en Afrique, par 5 pays, pour 14 demandes ;
- 5 séries publiées en Océanie, par 2 pays, pour 12 demandes ;
- 18 séries publiées par 11 organisations internationales, pour 50 demandes.

Les pays les plus « productifs » sont, dans l'ordre :
- les États-Unis, avec 145 documents parus dans 53 séries ;
- la Grande-Bretagne : 99 documents dans 27 séries ;
- la France : 88 documents dans 26 séries ;
- le Japon : 46 documents dans 17 séries ;
- les Pays-Bas : 36 documents dans 11 séries ;
- l'Allemagne fédérale : 27 documents dans 7 séries ;
- l'Espagne : 19 documents dans 4 séries ;
- le Canada : 15 documents dans 3 séries ;

- l'Inde : 13 documents dans 2 séries ;
- l'Australie : 10 documents dans 3 séries.

Pour tous les autres pays et toutes les organisations internationales, il y a eu moins de 10 demandes satisfaites.

La fréquence des demandes pour chaque série est conforme au schéma courant en documentation : « loi » de Bradford (10, 11). Les 9 séries les plus demandées ont fait l'objet, respectivement, de 36, 32, 18, 17, 16, 14, 13, 11 et 10 emprunts ; viennent ensuite 53 séries, empruntées de 9 à 3 fois ; enfin, 153 séries n'ont été empruntées que 2 ou 1 fois. Cette dispersion est illustrée par la figure 2. Sur un total de 215 séries utilisées, 13 suffisent pour satisfaire le tiers des demandes ; pour en satisfaire la moitié, 29 sont nécessaires ; 100 séries (moins de la moitié du total) couvrent plus de 80 % des prêts (12).

Pour la répartition chronologique des documents selon leur date de publication, quatre classes ont été définies. La première classe correspond à l'année même étudiée ; elle ne concerne que 3 % des demandes. Bien que faible, ce chiffre n'est pas négligeable, compte tenu des délais avec lesquels les travaux sont intégrés dans les bases de données bibliographiques et, surtout, de ceux avec lesquels ils sont, à leur tour, cités dans les publications ultérieures.

Les trois autres catégories se partagent, presque également, le reliquat des demandes :
- de 1978 à 1980 : 32 % ;
- de 1970 à 1977 : 31 % ;
- jusqu'en 1969 : 34 %.

Ce dernier pourcentage mérite réflexion, surtout si l'on tient compte de la date des documents les plus anciens pour lesquels une suite positive a été donnée : 1840 pour les monographies ; 1890 pour les rapports d'expéditions ; 1899 pour les publications en série. Au moins deux explications peuvent être proposées pour cette « longévité » exceptionnelle : la « durée utile » des documents océanographiques est supérieure à celle des autres disciplines scientifiques ; la demande de prêt porte surtout sur les documents difficiles à localiser. La première raison serait confirmée par la répartition chronologique des rapports d'expédition, tandis que la seconde serait justifiée par celle des monographies et des publications en série françaises.

Comme il a été indiqué au paragraphe « Modalités du prêt », les demandes qui ne peuvent être satisfaites par la bibliothèque sont, dans toute la mesure du possible, retournées avec des indications destinées à faciliter la recherche ultérieure du document 1.

Il faut encore signaler que les insuffisances dans l'établissement et l'orientation des demandes demeurent encore trop fréquentes. Il est banal (et probablement sans effet) de se plaindre des demandes manuscrites (et illisibles), des noms d'auteurs sans prénom ni même initiales (de préférence pour les Smith, Brown et autres Martin...), des titres réduits à leurs cinq premiers mots, tout spécialement pour les : Contribution à l'étude de... ! Plus grave nous paraît le fait de demander un document à une bibliothèque qui n'a que des chances infimes de 'le posséder : il est original (mais inefficace) de s'adresser à une bibliothèque océanographique pour obtenir un article sur le soja ou les insectes non aquatiques. Un peu de réflexion et la consultation d'instruments adéquats auraient évité les pertes de temps et d'argent liées aux fausses manœuvres. Il semble inquiétant que, pour les demandes que nous n'avons pu satisfaire, près de 80 % aient été retournées avec des indications de localisation ou de moyen d'accès puisées dans des répertoires que toute bibliothèque devrait posséder et utiliser.

Les emprunteurs

Une remarque préliminaire s'impose : les chiffres qui suivront sont, dans une proportion impossible à déterminer, approchés par défaut. En effet, parmi les emprunteurs, un certain nombre se bornent, dans bien des cas, à jouer le rôle de rélais. Ainsi, lorsque le Centre de documentation scientifique et technique du CNRS adresse une demande, notre bibliothèque agit comme un « sous-traitant », sans savoir en faveur de quelle personne ou de quelle collectivité, française ou étrangère, le prêt est sollicité. D'une façon comparable, les mentions portées sur les demandes de la Bibliothèque universitaire de Brest témoignent que la plupart des documents sont destinés au Centre océanologique de Bretagne du Centre national pour l'exploitation des océans (CNEXO).

Il est patent que, depuis une dizaine d'années, les bibliothèques universitaires constituent de plus en plus des nœuds importants dans les réseaux d'accès aux documents primaires : leur professionnalisme, les autres prestations de service (interrogations de bases de données, en particulier) et le privilège de la franchise postale ont grandement contribué à cette évolution.

Les emprunteurs - ou tout au moins les porte-parole identifiables des emprunteurs - ont été, en 1981, au nombre de 72 : 58 en France, 14 à l'étranger (cf. tableau n° 2).

Tableau 2

Le tableau 2 concerne les emprunteurs et indique :
- le nom et la localisation ;
- le nombre de documents demandés (colonne D) ;
- le nombre de demandes satisfaites (colonne S) ;
- la date de la première demande adressée à la bibliothèque du Musée océanographique (colonne V).

Les 58 emprunteurs français peuvent être répartis en 5 catégories :
- les bibliothèques interuniversitaires (10) et les bibliothèques universitaires (13), représentées par 31 sections, toutes situées en province et outre-mer, ont totalisé 525 demandes, soit près de 52 % de l'ensemble ;
- des organismes publics (laboratoires universitaires, centres de recherche, écoles nationales, etc.), au nombre de 20, ont adressé 345 demandes ;
- 4 organismes privés ont fait 12 demandes ;
- 2 particuliers, 31 demandes ;
- 1 seule bibliothèque municipale, avec 1 demande.

Les bibliothèques interuniversitaires et universitaires occupent, par conséquent, une place remarquable parmi les emprunteurs. Comme il est normal, ce sont surtout les universités situées en bordure du littoral et dotées de laboratoires maritimes qui figurent parmi les demandeurs les plus réguliers. De 1964 à 1981, deux bibliothèques interuniversitaires de Paris et 29 bibliothèques interuniversitaires et universitaires de province et d'outre-mer ont eu recours à nos collections. Il s'agit donc bien là du groupe le plus stable.

Pour les quatre autres catégories, les fluctuations selon les années sont beaucoup plus marquées puisque, pour la même période de 1964 à 1981, on a compté 73 organismes publics, 15 organismes privés, 22 particuliers et 6 bibliothèques municipales. Ce dernier chiffre confirme le résultat des enquêtes déjà publiées : les bibliothèques de lecture publique ne participent que faiblement au mouvement du prêt interbibliothèque.

Les 14 emprunteurs étrangers appartiennent à 12 pays différents : 7 en Europe, 3 en Afrique, 2 en Amérique.

Deux bibliothèques universitaires ont envoyé 2 demandes ; 8 organismes publics, 89 demandes ; 3 organismes privés, 3 demandes ; 1 particulier, 8 demandes. Seuls, 5 de ces 14 demandeurs avaient déjà eu recours à notre bibliothèque.

De 1964 à 1981, on a dénombré parmi les emprunteurs étrangers 10 bibliothèques nationales, 15 bibliothèques universitaires, 54 organismes publics, 8 organismes privés, 1 bibliothèque municipale et 14 particuliers. Ces 102 demandeurs étaient situés, pour 75 en Europe (dans 23 pays), pour 11 en Amérique (dans 4 pays), pour 10 en Afrique (dans 5 pays), pour 4 en Asie (dans 2 pays) et pour 2 en Océanie (dans 2 pays). Les emprunteurs étrangers sont donc, dans leur majorité, des demandeurs occasionnels et largement dispersés.

Le prêt dans les activités de la bibliothèque

Depuis plusieurs années, les chiffres de notre bibliothèque sont du même ordre de grandeur que ceux des sections sciences de la plupart des bibliothèques universitaires de province, pour les prêts consentis en France et, plus encore, à l'étranger. Comment en est-on arrivé à cette situation ? La figure 3 illustre l'évolution depuis 1964 (date des premières demandes satisfaites) jusqu'en 1981. Il faut noter que, jusqu'en 1976, les chiffres sont limités aux demandes satisfaites ; depuis 1977, les demandes non satisfaites sont également prises en compte.

Le rythme a commencé à s'accélérer en 1969 pour atteindre un pic en 1978 (pic qui s'explique par les quelque 200 demandes envoyées, en bloc, par un thésard désireux d'obtenir des travaux qu'il n'avait pu se procurer jusque-là !). Depuis, le chiffre se maintient aux environs de mille demandes par an.

Comment expliquer que le nombre des emprunts ait plus que décuplé en moins de dix ans ? Nous proposons plusieurs explications, liées les unes à des facteurs que nous qualifierons d' « internes », les autres à la situation générale du monde scientifique et documentaire ; ces différents éléments ont pu se faire sentir successivement ou simultanément selon les cas.

Au premier rang des facteurs « internes », nous placerons les stages d'initiation à la documentation océanographique organisés par notre bibliothèque de 1965 à 1979 (13). Les centaines d'étudiants, français et étrangers, qui ont, à cette occasion, découvert les ressources de notre fonds en ont vraisemblablement fait état auprès des responsables des organismes où ils ont poursuivi leur carrière. Il en a sans doute été de même pour les chercheurs et les stagiaires qui ont passé quelques semaines ou quelques mois au Musée et dans les laboratoires associés.

Autre facteur « interne » : la diffusion, par la bibliothèque, de renseignements sur ses collections. Elle a participé aux éditions de l'Inventaire permanent des périodiques étrangers en cours (IPPEC) échelonnées de 1955 à 1970 (la participation au Catalogue collectif des ouvrages étrangers (CCOE) est malheureusement restée à l'état de projet.) Depuis 1965, une liste hebdomadaire des monographies nouvellement reçues et une liste, établie trois fois par semaine, pour les nouveaux fascicules de périodiques, de rapports d'expédition et les brochures, sont distribuées tant dans le Musée qu'à une vingtaine de correspondants français et étrangers. En 1972, une liste des publications en série en cours, avec mention des collections, a été établie et diffusée ; elle est complétée depuis, tous les ans ou tous les deux ans, par un additif et rectificatif. Ces listes de publications en série et leurs mises à jour sont adressées aux emprunteurs dès que leurs demandes présentent une certaine régularité.

Enfin, la participation du personnel de la bibliothèque à des réunions professionnelles à peut-être révélé à certains collègues que le Musée océanographique n'était pas seulement un prestigieux centre touristique mais aussi un complexe de recherches doté d'une documentation abondante, couvrant plus d'un siècle et soigneusement mise à jour.

Parmi les facteurs « externes », il faut probablement citer pour commencer le développement considérable de la recherche océanographique, dans le monde entier, à partir des années soixante. Sur le plan national, la multiplication des nouvelles universités et de leurs bibliothèques a mis certaines d'entre elles dans la situation de devoir satisfaire une « clientèle » d'océanographes sans pouvoir constituer les fonds adéquats. Les restrictions budgétaires et la flambée des prix des documents scientifiques, depuis 1970, ont certainement eu un rôle déterminant.

Cet examen de la situation serait incomplet si l'on n'évoquait pas, à son tour, notre bibliothèque en position d'emprunteur. Le tableau sera rapidement tracé car ces emprunts se sont limités, pendant l'année 1981, à 35 documents dont 18 ont été communiqués par 12 bibliothèques françaises et monégasques et 17 fournis sous forme de photocopies par la British library lending division (BLLD).

La comparaison du nombre de demandes de prêts (1 016) et d'emprunts (35) ne peut manquer de suggérer quelques commentaires. Partie intégrante d'une fondation privée, fonctionnant sans subvention, notre bibliothèque n'a donc pas d'obligation légale - et, à la limite, a-t-elle une obligation morale ? - de contribuer au prêt interbibliothèque.

Elle a délibérément choisi, par volonté d'être utile aux chercheurs et par sens de la solidarité envers nos collègues, de maintenir, contre vents et marées, sa participation au réseau national et international de prêt. Ces demandes de l'extérieur constituent un surcroît de travail non négligeable pour les effectifs restreints (de 4,5 à 5 personnes en 1981) qui doivent aussi faire fonctionner en permanence la bibliothèque et satisfaire les demandes internes. Le temps consacré à cette fonction (de l'ordre d'une personne à mi-temps, toutes opérations confondues) l'est au détriment de travaux dont le rythme est ralenti ou de réalisations bibliographiques ou documentaires originales qui valorisent notre fonds et accroissent son utilité, sur place comme à distance.

Le coût de ces opérations ne peut non plus être passé sous silence (14, 15). Les notes de débours ne couvrent en fait que les frais les plus immédiats, mais ce n'est que la partie émergée de l'iceberg... La prise en compte de tous les frais de personnel et de matériel occasionnés par l'ensemble des demandes, satisfaites ou non, exigerait probablement de multiplier par dix les coûts directs de photocopies ou de port. Dans ces conditions, l'autofinancement n'a aucune possibilité d'être atteint.

Le prêt à l'échelon national

Des données qui ont été présentées, de la place des prêts dans l'activité d'une bibliothèque spécialisée, quelles conclusions peut-on tirer ?

En premier lieu, il faut souligner qu'il existe des lacunes ou des insuffisances persistantes dans les instruments d'accès à certaines catégories de documents. Les chiffres de notre étude confirment qu'il s'agit des monographies françaises et étrangères, et, plus encore, des secteurs jugés à juste titre les plus difficiles, les congrès et les thèses (16). Pour les publications en série, les perspectives proches sont encourageantes avec la fusion des grands systèmes existants, l'incorporation des séries françaises et la mention des collections (17). Les craintes subsistent devant les risques d'engorgement du catalogue collectif, faute d'une sélection des participants selon les critères d'accessibilité, d'originalité et de continuité proposés voici quelques années (18).

Le recours, en constante augmentation, au prêt interbibliothèque traduit assurément la multiplication et la spécialisation croissante des domaines de recherche ; celles-ci ont pour conséquence la création de nouvelles publications en série, souvent coûteuses, et la réunion de congrès dont les actes sont parfois difficiles à obtenir. Mais l'évolution du prêt reflète bien plus encore une pénurie qui ne justifie que trop le cri d'alarme lancé par l'Académie des sciences : « Le XIXe siècle avait créé et peuplé les bibliothèques et le rythme s'était tenu jusqu'à des temps récents. Ce siècle sur sa fin sera-t-il celui qui les ferme ? » (19).

La crise a pu, parfois, révéler les ressources des bibliothèques spécialisées et des centres de documentation. Mais l'afflux de demandes reçues par ces organismes a provoqué à son tour un déséquilibre dans leur fonctionnement. Il est apparu plus urgent que jamais d'organiser le réseau des bibliothèques à l'échelon national. Des réflexions multiples, et contradictoires, ont rarement pris en compte les collections qui, même lorsqu'elles relèvent d'un organisme privé, appartiennent cependant au patrimoine national dès lors qu'elles sont librement accessibles à tous.

La création d'une bibliothèque nationale de prêt, sur le modèle britannique - que l'on pouvait encore envisager au début des années 70 - est désormais exclue : les conditions économiques en éliminent la possibilité. D'ailleurs, la BLLD assume son rôle au bénéfice de tous, avec une efficacité et une rapidité universellement reconnues. La formule actuelle des centres d'acquisition et de diffusion de l'information scientifique et technique (CADIST) (20) suscite des réserves en raison des contradictions internes dans la définition même de leur fonctionnement. Leur création est trop récente pour qu'un jugement puisse être porté sur leur activité même si, pour notre bibliothèque, cette nouvelle organisation ne semble pas avoir entraîné de modifications sensibles dans les demandes reçues. Il est vrai que le CADIST chargé, entre autres, des sciences de l'océan, ne couvre en fait que le secteur 'limité des aspects physico-chimiques et géologiques de l'océanographie.

Il paraît difficile de ne pas souscrire au souhait récemment exprimé : « Un cadre de recherche primaire au niveau régional serait peut-être plus efficace, et permettrait d'utiliser également les ressources des bibliothèques municipales, des bibliothèques d'étude et de recherche, des laboratoires, des sociétés savantes, etc. Pour obtenir une bonne efficacité, il faudrait se souvenir que la concertation vaut souvent mieux qu'une décision autoritaire qui ne tient pas toujours compte des problèmes locaux » (21).

Enfin, les retards, les hésitations, les contradictions dans la politique d'accès aux documents primaires, en France, risquent d'avoir des effets dramatiques et irréversibles pour les bibliothèques de toutes catégories. Une menace extrêmement sérieuse pour le développement, la survie des bibliothèques de recherche apparaît : les bases de données bibliographiques offrent, ou offriront dans un court délai, la possibilité de commander immédiatement copie des documents dont elles auront fourni les références. Le dynamisme, intellectuel et commercial, de ces entreprises documentaires peut, dans un très proche avenir, priver les bibliothèques de ce qui était une de leurs principales raisons d'être.

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Tableau 1

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Figure 1

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Figure 2

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Tableau 2 (1/2)

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Tableau 2 (2/2)

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Figure 3

  1. (retour)↑  Lorsqu'un document dont notre Musée assure l'édition est encore disponible, nous indiquons les modalités d'acquisition ainsi que l'adresse des bibliothèques où il peut être consulté ; s'il est épuisé, il est traité de la même manière que tous les autres documents.