Les trois couleurs du tableau noir
la Révolution
Dominique Julia
Jacques Prévot
Jacques Prévot
Index p. 389-391. - ISBN 2-7011-0378-9
Bibliogr. Index. - ISBN 2-7011-0356-8
Bibliogr. p. 284-286. - ISBN 2-7011-0357-6
Le nom de la centenaire librairie classique Eugène Belin est attaché à la publication du premier « best-seller » de l'édition scolaire : Le Tour de France par deux enfants, qui a donné lieu à la publication d'une édition du centenaire et à celle d'un nouveau Tour de France (en 2 vol., chez Tchou, par Anne Pons).
Aujourd'hui, sortant du cadre étroitement spécialisé qui était le sien, cet éditeur nous propose une collection de textes fondamentaux concernant l'histoire de l'éducation (qui est aussi celle des sensibilités et des utopies), à travers les siècles et les pays. Cette opportune initiative est une façon de marquer l'anniversaire des lois fondatrices de l'école publique, gratuite, obligatoire et universelle à laquelle le nom de Jules Ferry (qui fera l'objet du quatrième volume de la collection) est resté attaché.
Soulignons l'agrément de la présentation des trois premiers volumes sortis simultanément : la maquette est due à l'atelier Pascal Vercken : sur la couverture blanche le titre se détache nettement en deux couleurs ; une illustration évocatrice occupe la moitié inférieure. A l'intérieur des volumes, les marges sont larges, l'usage des manchettes permet de repérer facilement les citations de textes.
Les deux auteurs de ces trois livres ont joué le rôle d'éditeurs scientifiques : présentant, choisissant, commentant, parfois traduisant (dans le cas de Coménius). Chaque livre comporte une importante introduction qui « situe » le personnage et les circonstances de sa vie et de son action ; les notes sont abondantes et éclairantes (celles de J. Prévot particulièrement). Pour le volume consacré à la Révolution, au lieu d'une bibliographie, Dominique Julia nous propose une chronologie détaillée, allant du règne de Louis XV à l'établissement de l'Empire, et un index alphabétique des 94 auteurs cités.
Le nom de Jan Amos Komensky (en latin Coménius) est resté attaché à la publication dans un très grand nombre de langues, entre 1658 et 1845, du Monde sensible illustré. Mais la bibliographie de ses œuvres comporte une centaine de titres et sa vie n'est pas moins intéressante que ses œuvres. Tchèque, appartenant à une « confession » protestante, minoritaire parmi les églises protestantes, elles-mêmes minoritaires dans l'Empire austro-hongrois officiellement catholique, victime de la rivalité des princes et des troubles de la Guerre de Trente ans, grand voyageur (par force), réputé dans l'Europe entière,
Coménius est un « personnage-charnière » : il est nourri d'Aristote (qu'il lui arrive de critiquer au nom de son expérience quotidienne et de sa connaissance directe du comportement des êtres humains), et de la Bible. Il croit à l'immutabilité du monde et professe des opinions scientifiques dont on sait, déjà en son temps, qu'elles sont erronées. Il croit à la bonté de l'homme, que ses fautes et ses erreurs ne sont dues qu'à un manque de connaissances. Il défend l'ordre et la hiérarchie, le gouvernement par les « meilleurs » (élus), directement inspirés par Dieu. Mais il défend aussi le principe de la censure, du contrôle permanent de la vie de tous les citoyens. Influencé par les prophéties millénaristes, il croit à la prochaine fin du monde actuel, mauvais, et à la venue de l'Age d'or.
Et pourtant ce bâtisseur de systèmes (qu'il n'a pu que rarement expérimenter) ne résiste pas aux conclusions que lui imposent une observation attentive et un intérêt très vif pour les enfants. Les intuitions qu'il a eues, les reproches qu'il adresse tant au système scolaire de son temps (qui « torture » les enfants) qu'aux parents dont il stigmatise la coupable indulgence, rendent un son singulièrement moderne et actuel. Dans sa postface, Jean Piaget, comme Jacques Prévot dans l'introduction, montrent avec clarté quelle dette est encore la nôtre aujourd'hui envers cet homme qui, l'un des tous premiers, aima et comprit les enfants et garda toute sa vie confiance en Dieu et en l'homme (dont il tenta d'assurer le bonheur par un système éducatif bien tempéré et une organisation parfaite de la société).
Françoise d'Aubigné, veuve Scarron, épouse morganatique d'un grand roi fut introduite à la Cour à un âge où beaucoup de femmes se retiraient du « monde ». Elle eut la chance d'obtenir les moyens et les appuis qu'il fallait pour réaliser un établissement modèle (qui dura plus de 100 ans), qui fut imité et dont les Maisons d'éducation de la Légion d'honneur sont aujourd'hui les héritières.
Elle fut une grande travailleuse et veilla de très près, jusqu'à sa mort (à plus de 80 ans), à l'organisation et au fonctionnement de la Maison de Saint-Cyr. Ce livre nous fait découvrir une personne douée d'une autorité naturelle, d'un sens aigu de l'observation, d'un véritable amour des enfants, d'une très haute idée de la fonction d'éducateur (qui déborde largement celle d'enseignant). Elle fut aussi une infatigable épistolière et un écrivain de talent : elle écrivit des proverbes (avant A. de Musset, G. Sand ou S. de Ségur) et des maximes qui supportent la comparaison avec celles de La Bruyère et La Rochefoucauld.
Le livre de Dominique Julia embrasse la période qui va de l'expulsion des Jésuites (créateurs des premiers collèges), sous Louis XV jusqu'au Consulat. Un vaste débat idéologique s'instaure - qui n'est pas encore terminé aujourd'hui - pour le contrôle du système d'éducation, c'est-à-dire de production des futures élites de la nation. En dix chapitres sont évoqués des problèmes qui sont encore d'une évidente actualité. Les représentants du « peuple » (en fait de la bourgeoisie montante) dans les assemblées révolutionnaires (la Convention principalement) ont voulu extirper les fondements du monde ancien pour créer un « homme nouveau » régénéré, vivant selon la « nature ». Les plus grands « ténors » ont fait entendre leur voix dans ce débat. Il est, par exemple, particulièrement intéressant de voir quel usage est fait, par Talleyrand, du concept de « nature » pour expliquer et justifier que les femmes n'aient rien à voir dans les affaires autres que domestiques. Toutes les sensibilités se sont exprimées mais certaines ne pouvaient pas être entendues.
A près d'un siècle de distance (1789-1793/1881), ce choix de textes permet de constater à quel point les fondateurs de l'École laïque se situent dans le droit fil de la pensée, des objectifs et des expressions des penseurs révolutionnaires. C'est toujours le combat des forces de la réaction et de l'obscurantisme contre celles du Progrès (avec majuscule) et du bonheur pour le genre humain. Confiance en l'Homme et en la vertu transformatrice de l'École.
Dans sa préface, d'ailleurs, Dominique Julia montre qu'à travers les troubles et les agitations de la politique, un très petit nombre de personnalités de premier plan (anciens enseignants ou membres du clergé d'Ancien régime) ont siégé presque continuellement au Comité d'instruction publique. Ce livre fait justement la part belle à Condorcet dont les propositions lucides et courageuses ont nourri jusqu'après sa mort la réflexion des Assemblées.
Ces trois ouvrages se lisent « en continu » avec un vif intérêt. Ils devraient devenir aussi des ouvrages de référence très utiles et commodes à consulter. Souhaitons que les autres titres de cette collection soient d'aussi bonne tenue.