Informatique et bibliothécaires : quelques réflexions
Cet article traite des rapports entre les bibliothécaires et l'outil informatique. Sont abordées les questions liées à la conception du catalogue (forme actuelle et avenir), à l'utilisation de l'ordinateur dans les bibliothèques (problèmes psychologiques, fichiers et libertés, coûts) et à la formation des bibliothécaires
This article is concerned with the problem of relationship between librarians and data processing. The main topics are : the catalog conceptual setting, today and in the future, the use of computer in libraries (in relationship of private and public liberties, cost), the library staff training
« Le conservateur - un professeur d'histoire de l'art spécialisé dans les Fêtes de la Renaissance - recevait les personnalités habilitées à consulter le fonds - chercheurs, critiques dramatiques, historiens du spectacle, musicologues, metteurs en scène, décorateurs, musiciens, costumiers, interprètes, etc. - et organisait des expositions (Hommage au MET, Centenaire de la Traviata, etc.) ; la sous-bibliothécaire lisait presque tous les quotidiens parisiens et un nombre relativement important d'hebdomadaires, magazines, revues et publications diverses, et encadrait d'un trait de crayon rouge tout article traitant de l'Opéra en général (Va-t-on fermer l'Opéra ?, Projets pour l'Opéra, Où en est l'Opéra, Le Fantôme de l'Opéra : la réalité et la légende, etc.) ou d'un opéra en particulier ; le sous-bibliothécaire adjoint à temps partiel découpait les articles encadrés de rouge et les mettait, sans les coller, dans des « chemises provisoires » (CP) fermées par des élastiques ; au bout d'un temps variable, mais n'excédant pas généralement six semaines, on sortait les coupures de presse (dont l'abréviation était également CP) des CP, on les collait sur des feuilles de papier blanc 21 × 27, en écrivant, en haut et à gauche, à l'encre rouge, le titre de l'œuvre, en majuscules soulignées deux fois, le genre (opéra, opéra-comique, opéra-bouffe, oratorio dramatique, vaudeville, opérette, etc.), le nom du compositeur, le nom du chef d'orchestre, le nom du metteur en scène, le nom de la salle, en majuscules soulignées une fois, et la date de la première représentation publique; les coupures ainsi collées étaient alors remises dans leurs chemises, mais celles-ci, au lieu d'être fermées avec des élastiques, l'étaient désormais par des cordonnets en lin, ce qui en faisait des « dossiers en attente » (DEA) que l'on rangeait dans une armoire vitrée du bureau de la sous-bibliothécaire et du sous-bibliothécaire adjoint à temps partiel (SB2ATP); au bout de quelques semaines, lorsqu'il était devenu depuis longtemps évident que l'on ne consacrerait plus d'articles à la représentation en question, on transférait le DEA dans une des grandes armoires grillagées des salles d'exposition et de lecture où il devenait enfin un « dossier en place » (DEP) relevartt du même régime que le reste du Fonds Astrat, c'est-à-dire, en l'occurrence, « consultable sur place sur présentation d'une carte permanente ou d'une autorisation particulière délivrée par le Conservateur administrateur du Fonds » (Extrait des Statuts, article XVIII, § 3, alinéa c.) ».
Perec (Georges). - La Vie mode d'emploi. - Hachette, 1980. - Le Livre de Poche ; 5341.) (Extrait p. 300-301).
Favoriser le développement de l'informatisation des bibliothèques implique la mise en œuvre de moyens techniques importants. Cependant le facteur humain est essentiel et souvent sous-estimé. Nous présentons ici quelques réflexions sur les rapports qu'entretiennent les professionnels des bibliothèques et centres de documentation à l'informatique. Certaines remarques ne sont pas spécifiques à ce type de profession et seraient sans doute vérifiées pour bien d'autres.
Nous ferons, préalablement, une remarque de vocabulaire. Il est souvent question d'automatisation des bibliothèques, concept qui pose ici problème : en effet, automatiser une tâche signifie, strictement, qu'il n'y a plus d'intervention manuelle. En ce sens, on peut à la rigueur parler d'automatisation du prêt. Mais parler d'automatisation des bibliothèques nous semble à la fois ambigu et abusif. Parler d'informatisation, c'est-à-dire de l'utilisation des moyens informatiques dans les activités quotidiennes, paraît plus juste.
Dans la définition des besoins (qu'informatiser et quels produits obtenir ?), très souvent et trop longtemps, l'idée sous-jacente est de faire faire à l'ordinateur le même travail que celui fait manuellement sans repenser les tâches effectuées jusqu'ici quotidiennement sans mise en question de l'existant.
Ainsi, encore aujourd'hui, l'ordinateur est perçu par exemple comme un outil à imprimer des fiches de catalogues. De ce point de vue, le CANAC (Catalogage national centralisé) est un produit qui calque le travail de dactylographie des fiches dans une bibliothèque : différentes possibilités de présentation, rappel de vedettes sur les fiches, fiches secondaires, renvois, etc. Cette critique apparente n'a pas ici pour but de nier l'intérêt d'un outil tel que CANAC pour les bibliothèques (qui ne pourront être toutes informatisées en même temps), mais de mettre l'accent d'une manière générale sur le manque de créativité dans l'utilisation de l'outil informatique. Ainsi, quelques bibliothèques municipales ont mis au point des systèmes de production de fiches sur l'ordinateur de leur municipalité avec l'aide des informaticiens des collectivités locales. On a tendance à donner à informatiser le travail le plus « manuel » et à oublier d'autres aspects plus « intellectuels » mais routiniers tels que l'intercalation de fiches, leur tri. Derrière cet exemple anodin, c'est la conception du catalogue dans une bibliothèque et l'image que le professionnel s'en fait qui est en jeu. Et sous cette conception, c'est son identité professionnelle, sa conception et sa pratique du métier de bibliothécaire ou documentaliste qui apparaît. En d'autres termes, quel est l'aspect dominant : le rapport à l'utilisateur ou le rapport au livre ?
De la conception du catalogue
- Description minimum et accès maximum
La normalisation du catalogage, développée dans le cadre du programme ISBD (International standard bibliographic description), a permis de rapprocher les pratiques des bibliothécaires en matière de catalogage. Sans nier les aspects positifs de la normalisation, un regard critique peut cependant s'avérer utile. Philip Bryant, de l'Université de Bath, n'hésite pas à affirmer que les catalogueurs deviennent un groupe à part au sein des bibliothécaires et des documentalistes, que leur vocabulaire devient de plus en plus ésotérique et que la tendance actuelle va à l'encontre de la vocation de « communication » propre à la profession (1) !
La normalisation du catalogage et la mise au point de formats bibliographiques d'échange se sont développées sur la base de la notice conventionnelle sans remettre en cause la nature des informations nécessaires pour identifier un document et surtout sans se préoccuper des informations réellement utilisées par les lecteurs.
Dans un ouvrage paru en 1972, Richard Palmer, de l'Université du Michigan, analysait un nombre important d'enquêtes américaines qui montraient nettement que l'utilisateur final n'était intéressé que par une faible partie de l'information présente sur une fiche de catalogue (2). Paul Fasana, de la Bibliothèque publique de New York, notait que ces dernières années beaucoup de discussions ont eu lieu à l'intérieur des groupes professionnels d'experts pour établir sans cesse des normes plus fines, mais non pour enquêter auprès des utilisateurs afin de savoir si la conception du catalogue telle qu'elle est développée satisfait l'utilisateur : il n'y a pas d'analyse des effets des décisions prises en matière de catalogage (AACR2 : Anglo-American cataloguing rules, 2nd ed.) et de complexité d'accès à l'information bibliographique (3).
Par ailleurs, la normalisation de la rédaction de la notice bibliographique s'est beaucoup plus vite (et mieux ?) développée que celle des vedettes. C'était certes plus facile. Il est cependant beaucoup plus important pour l'utilisateur final d'accéder à l'information sur un ouvrage par une indexation matières fine, par l'auteur et le titre, que de disposer d'une notice bibliographique complète. Peut-être y a-t-il eu dans la profession une confusion entre la notice bibliographique (le « pavé ISBD ») et les vedettes auteurs et matières donnant accès à cette notice ? Ou plus simplement une évaluation erronée de l'importance de la description par rapport à celle de l'accès au catalogue ? Ainsi, la normalisation de la rédaction des vedettes matières est fort réduite. Seule existe une norme ancienne et insuffisante. En revanche, le monde des documentalistes a, semble-t-il, beaucoup plus avancé sur la question du thésaurus. Si la distinction entre bibliothécaires et documentalistes se justifie encore dans les faits, c'est, entre autres choses, dans la différence de rapport à l'utilisateur et à la pratique du catalogage. Le documentaliste se soucierait moins de la présentation des références que de la nécessité de retrouver rapidement l'information. Il dépouille davantage l'information qu'il stocke et utilise généralement un système d'accès par mots clés ou une indexation à l'aide d'un thésaurus. Le bibliothécaire - bien que ce concept et la réalité qu'il représente soient en pleine mutation - aurait davantage tendance à être plus pointilleux sur le respect de la normalisation du catalogage descriptif, mais à négliger un peu le contenu des documents et leur analyse. La formation reçue de part et d'autre, les méthodes d'indexation et d'analyse enseignées, les habitudes de travail ne sont bien évidemment pas étrangères à cette situation.
Cette problématique évolue rapidement car l'accès de plus en plus généralisé aux bases bibliographiques qui dépouillent les revues, ouvrages, thèses, etc., et l'informatisation du catalogage font prendre conscience de tous ces aspects.
Aujourd'hui en France, la nécessité de mettre au point un « mini-format » (MINIMARC * ou MINI-INTERMARC) apparaît de plus en plus. Les bibliothécaires canadiens utilisent déjà un format MINIMARC. Par ailleurs, l'IFLA (International federation of library associations and institutions) a inscrit à l'ordre du jour de ses travaux la création d'un ISBD minimum. En France, une réflexion se développe également sur la rédaction des vedettes matières : outre l'utilisation par certaines bibliothèques du Répertoire des vedettes matières de la Bibliothèque de l'Université Laval, plusieurs centres de formation professionnelle de préparation aux diplômes et concours de bibliothécaires proposent à leurs étudiants des textes de réflexion et de méthode sur ce sujet. Dès 1971, la mise au point par la BNB (British national bibliography) du système PRECIS (Preserved context indexing system) représentait une nette amélioration de l'accès par sujet aux notices de la bibliographie nationale britannique.
- Forme du catalogue
Parallèlement à cette évolution de son contenu, la présentation du catalogue se transforme : des fiches bristol à la liste papier, de plus en plus de bibliothèques, à l'étranger surtout, sont passées au catalogue COM (Computer output microfilm). Celui-ci, outre le gain de place, permet de diffuser très largement le catalogue à un grand nombre d'utilisateurs, et chaque bibliothèque peut diffuser dans l'ensemble de ses sections ou annexes la totalité de son catalogue.
- Quel avenir pour les catalogues de bibliothèques ?
L'accès au catalogue en conversationnel transformera encore plus radicalement cette situation. Chacun pourra obtenir, grâce à la télématique, l'accès à un grand nombre de catalogues et surtout aura la possibilité de poser des questions plus précises impliquant des sélections et des tris. L'interrogation d'un catalogue de bibliothèque se rapprochera de plus en plus de celle d'une base de données. Il faudra cependant que le logiciel soit facile à manier par l'utilisateur final. Enfin, il sera possible de choisir différentes possibilités d'affichage.
Jusqu'ici, les bibliothécaires ont davantage accentué leur réflexion sur la manière de cataloguer et de structurer les données pour le traitement informatique - ce qui était malgré tout nécessaire -que recherché une transformation possible de la nature des catalogues de bibliothèque grâce à l'utilisation de l'informatique.
Norman Stevens, de l'Université du Connecticut, envisage l'existence de catalogues différents selon l'utilisateur et distingue trois niveaux (4) :
- le catalogue pour le professionnel, qui donnerait accès aux enregistrements complets en conversationnel,
- le catalogue pour l'ensemble des utilisateurs, qui serait simplifié et ne contiendrait donc que l'information réellement utilisée par les usagers. Il pourrait être disponible sous forme de microfiches et accessible en conversationnel selon les moyens disponibles (videotex, etc.),
- le catalogue pour l'utilisateur individuel, qui répondrait aux besoins spécifiques d'une catégorie d'utilisateurs, par exemple dans un champ scientifique donné. Ce pourrait être une partie du catalogue général de la bibliothèque, éventuellement enrichi par des références plus précises concernant des articles de périodiques repérés par les bibliothécaires et/ou les utilisateurs. Une telle démarche sera grandement facilitée dans les années à venir par le développement des micro-ordinateurs télématiques. Sans doute sommes-nous ici en face d'une conception plus dynamique de l'utilisation des catalogues de bibliothèque, voire des bases de données bibliographiques, l'utilisateur pouvant manier plus souplement l'information recueillie, la compléter pour ses besoins propres, etc.
Ces quelques réflexions illustrent la valorisation des fonds que permet l'utilisation de l'outil informatique en matière de catalogage.
De quelques autres aspects
- 20 % de technique, 80 % de psychologie
L'implantation de systèmes informatiques dans des établissements rompus aux seules méthodes traditionnelles ne va pas sans difficultés. L'informatisation peut être vécue négativement : peur du nouveau, perte de son identité professionnelle (que ferai-je si je ne fais plus mon travail habituel ?). L'introduction de méthodes nouvelles de travail peut amener à repenser son activité professionnelle, à remplacer un travail routinier par un service dynamique en direction des utilisateurs.
Cette méfiance vis-à-vis de l'informatique se traduit parfois sous des formes plus subtiles et, à terme, probablement plus gênantes. D'un comportement de blocage qui peut après discussion se transformer en souhait, on passe à une attitude d'ordre charismatique : grâce à l'ordinateur, toutes les difficultés vont s'aplanir d'elles-mêmes et, quoi qu'il arrive, l'ordinateur pourra tout faire ! Une telle attitude apparaît rarement de manière aussi brutale, mais toute une série de comportements s'en rapproche : manque d'analyse de ses besoins, incompréhension des implications qu'engage le choix d'un système informatisé pour l'organisation du travail futur, etc. Tout ceci peut considérablement fausser le dialogue entre informaticien et utilisateur intermédiaire (bibliothécaire ou documentaliste) qui parfois, sans s'en rendre compte, feront des choix se révélant ensuite très gênants... et chacun rendra l'autre responsable.
- L'informatique, enjeu du pouvoir
La profusion actuelle de discours à propos de l'informatique et de l'informatisation fait parfois de l'informaticien une sorte de démiurge qui disposerait d'un pouvoir occulte et, plutôt que de s'y opposer, la solution serait non d'acquérir la connaissance nécessaire, mais d'utiliser coûte que coûte et si possible de posséder un ordinateur. Disposer d'un ordinateur semble aujourd'hui conférer un titre que l'on pourrait ajouter sur sa carte de visite. Cette attitude plutôt drôle, parfois sympathique quand il s'agit de vouloir faire évoluer des situations routinières et bloquées, a des conséquences beaucoup plus lourdes et peut provoquer des conflits inutiles quand elle se développe à des niveaux institutionnels élevés (qui contrôle quoi ?). Le but n'est plus alors de résoudre un problème précis, ponctuel et clairement délimité, mais bien d'affirmer un pouvoir nouveau par la maîtrise et la possession d'importants moyens informatiques !
On peut heureusement espérer que l'évolution constante des capacités des matériels informatiques parallèlement à une baisse de leurs coûts d'une part, et l'accès généralisé, facile et relativement peu coûteux, aux bases et banques de données à l'avenir d'autre part, mettront à la portée du plus grand nombre l'outil informatique et des systèmes d'information de plus en plus sophistiqués. Tout ceci rendra plus difficiles les attitudes précédemment décrites. L'introduction de la bureautique (ou « burotique » selon les auteurs) dans les activités du secteur tertiaire, de l'informatique domestique et des services d'information par videotex dans la vie quotidienne transformera le rapport à l'informatique dans les années à venir. L'opposition entre informatique centralisée et informatique domestique (télématique ou privatique) perdra son sens, les deux étant complémentaires.
- Déontologie, fichiers et libertés
La méfiance vis-à-vis de l'informatique s'exprime parfois à propos de l'usage qui peut être fait des données concernant les personnes et, en matière de bibliothèques, les lecteurs. Qui lit quoi ? Cette question, en apparence banale, intéresse les bibliothécaires, les éditeurs, les sociologues, etc. L'informatisation du prêt permet, si les critères nécessaires sont pris en compte, d'obtenir des statistiques plus ou moins complexes croisant, par exemple, le niveau d'études et/ou la catégorie socio-professionnelle et le nombre d'ouvrages empruntés par mois à la bibliothèque. Une statistique plus fine précisera la nature des emprunts : romans ou documentaires, en donnant éventuellement le décompte par domaines. Jusqu'ici, il n'y a rien de répréhensible : la connaissance des emprunts des utilisateurs d'une bibliothèque peut orienter les acquisitions futures. Par exemple, en lecture publique, une bibliothèque constatant que les ouvrages sur la moto, l'énergie nucléaire ou tel autre sujet sont très empruntés pourra choisir soit de compléter le fonds dans le domaine, soit de mettre l'accent sur des aspects voisins du domaine (la sécurité, la géothermie) et/ou d'organiser une conférence, une exposition sur le thème ou encore d'insister sur d'autres richesses peu utilisées de la bibliothèque, etc.
Dans d'autres cas, les résultats statistiques du prêt permettront de repérer l'origine géographique (lieu d'habitation) des utilisateurs de la bibliothèque et de prendre la décision de faire connaître les services offerts par la bibliothèque dans un quartier donné (ou d'y implanter une annexe). Ces exemples rapides illustrent ce que peut apporter l'outil informatique dans la gestion quotidienne du prêt d'une bibliothèque. Les résultats statistiques obtenus sont ici une aide éventuelle à la décision, mais ne peuvent se substituer à cette décision. Mais un système de prêt permet également de connaître les lectures d'une personne donnée. L'informatique peut ici présenter un danger et toute bibliothèque dont le prêt est informatisé devra respecter les mesures adoptées par la Commission informatique et libertés en matière de fichiers des personnes.
Cependant, rappelons que certains systèmes de prêt manuel sont tout aussi précis et vulnérables. L'informatique permet d'effacer avec certitude l'information une fois que celle-ci n'est plus nécessaire : en règle générale, la transaction d'un prêt (ou ouvrage emprunté par une personne) n'a plus besoin d'être mémorisée une fois l'ouvrage rendu à la bibliothèque. Certains systèmes de prêt manuel et leurs fiches ou bordereaux résistent mieux à l'épreuve du temps...
- Informatisation, rentabilité et coût
La connaissance des coûts (investissement et fonctionnement) est indispensable au bibliothécaire qui déciderait d'informatiser sa bibliothèque. L'évolution des matériels est telle que l'on assiste à une baisse des coûts côté matériel par rapport aux performances et à une augmentation sensible côté logiciel. Il ne pouvait être question de présenter ici un dossier technique particulier, mais ce problème des coûts ne peut être négligé : il faut que les professionnels sachent ce que coûte la demande d'une amélioration typographique par rapport au matériel standard ou encore l'interrogation en conversationnel de plusieurs fichiers volumineux. Une sous-estimation ou une méconnaissance des coûts peut s'avérer très gênante notamment quand la bibliothèque passera de l'investissement (ponctuel) au fonctionnement (habituel) avec un volume de données sans cesse croissant à gérer.
Il faut indiquer à ce sujet la tendance générale dans les services qui s'informatisent (bibliothèques ou autres) à « demander trop de papier ». Combien de services voient s'accumuler des résultats de toutes sortes, statistiques, listes, etc., qui ne seront jamais consultés ? Les possibilités actuelles du travail en télétraitement permettent d'éviter la production inutile de documents lorsqu'un seul affichage de résultats à la demande, et non systématiquement, est suffisant.
En informatique, la saisie des informations coûte cher. Il convient donc d'éviter la reprise continuelle d'informations déjà saisies pour correction. En matière de catalogage, l'informatique peut s'avérer très rentable si les bibliothécaires utilisent les enregistrements bibliographiques déjà présents dans les fichiers. Mais si, pour chaque notice bibliographique, le catalogueur juge indispensable de faire « son » indexation ou de créer « sa » notice, l'économie offerte par l'utilisation d'autres fichiers sera réduite. De même, en matière de produits édités, le choix d'une sortie COM ou papier, la fabrication de catalogues avec des notices simplifiées ou très complètes sont autant de facteurs de réduction ou d'augmentation des dépenses.
La plus-value réelle, nous l'avons déjà évoqué, sera de mieux servir l'utilisateur et de libérer le bibliothécaire pour des tâches plus dynamiques mettant en valeur les richesses documentaires et leur accès.
De la formation des bibliothécaires à l'informatique
Cette question des coûts peut introduire directement celle de la formation des bibliothécaires à l'informatique. De plus en plus de bibliothécaires et de documentalistes ressentent le besoin d'une formation minimale leur permettant d'être compris et de comprendre le discours de l'informaticien. Peut-être les années à venir verront-elles de « nouveaux bibliothécaires ou documentalistes » dont la vocation sera essentiellement de faire « l'interface » entre leurs collègues et les informaticiens. Il est certes utile d'organiser dès à présent des sessions de formation à l'informatique, mais plus que la connaissance de l'outil technique, les bibliothécaires et documentalistes devront maîtriser l'analyse de leurs besoins et des services que peuvent leur offrir différents logiciels disponibles dans leur domaine d'application. La connaissance des systèmes existants en France et à l'étranger doit leur permettre de ne pas rester muets d'admiration à la première présentation d'un système, mais bien de conserver un regard critique (aspects positifs et négatifs) et de savoir faire la différence entre un logiciel très élaboré nécessitant des moyens informatiques puissants, et un système beaucoup plus léger, développé sur micro-ordinateur qui pourra également être très utile, mais dont la fonction et les possibilités seront bien sûr très limitées s'il n'est pas connecté à une machine plus puissante.
Conclusion
Inclure davantage la connaissance des moyens informatiques dans la formation professionnelle des bibliothécaires est certes utile, mais probablement insuffisant. Les problèmes d'organisation et de méthode, de relations humaines dans le travail sont essentiels en matière d'informatisation des bibliothèques, d'autant plus que l'informatique a généralement pour effet de les amplifier et non de les résoudre.
Une décision d'informatisation ne devrait jamais être prise à la légère. La connaissance des besoins, la conscience des difficultés qui seront rencontrées, le souci d'une information large auprès du personnel ne doivent pas être sous-estimés.
Enfin, si l'informatisation des bibliothèques permet un meilleur service de l'utilisateur et une suppression des tâches fastidieuses pour le personnel (accès généralisé et facilité aux catalogues et prêt plus efficace, par exemple), elle ne prend tout son sens que dans la perspective d'un réseau où le concept de bibliothèque autonome se suffisant à elle-même tombe en désuétude pour laisser place à la coopération et au partage des ressources, de plus en plus nécessaires.