La formation permanente à la bibliothèque d'application de Massy en 1980-81

Jacqueline Gascuel

Compte rendu des trois sessions d'une semaine, destinées à des bibliothécaires de lecture publique et consacrées à la vulgarisation scientifique et technique et aux ouvrages historiques. Organisées sous des tutelles administratives différentes, ces sessions de formation permettent aux bibliothécaires d'approfondir leurs connaissances personnelles et de mieux répondre à l'attente du public

A report on three one week sessions, intended for librarians in the public sector, and devoted to the popularisation of pure and applied sciences, and to historical works. Organised by different administrative authorities, these training sessions enable librarians to deepen their personal knowledge, and to respond better to the needs of the public

Objectifs et moyens

Absorbés par les multiples tâches administratives ou les exigences du service public, beaucoup de bibliothécaires se sentent frustrés de n'avoir pas plus de temps à consacrer au contenu même des collections qu'ils gèrent. C'est pourtant là que réside l'essentiel de leur fonction : la richesse et la qualité de ses collections font la valeur d'une bibliothèque ; elles sont sa raison d'être et le moyen par lequel elle attirera et retiendra les lecteurs. C'est une vérité d'évidence et pourtant il n'est peut-être pas mauvais de le rappeler, au moment où de nombreuses bibliothèques voient baisser dangereusement leur pouvoir d'achat. Mais cette fonction essentielle du bibliothécaire est aussi une fonction qui demande une perpétuelle remise à jour des connaissances. Il est difficile en effet d'opérer des choix judicieux à travers la production éditoriale, en évitant tout autant de céder aux modes passagères que de se limiter aux valeurs éprouvées... c'est-à-dire peut-être déjà dépassées !

Il est donc apparu indispensable de centrer sur une discipline précise certaines sessions de formation permanente destinées aux bibliothécaires exerçant en lecture publique. Ainsi les stagiaires peuvent passer une semaine entière à s'informer des principaux axes d'étude et de recherche dans cette discipline et à réfléchir aux moyens de les mettre à la portée d'un plus large public. Certes la coupure entre recherche et vulgarisation n'est pas près de disparaître : elle tend probablement même à s'accroître dans la mesure où la recherche a de plus en plus tendance à se spécialiser ; mais en même temps, et de façon qui peut au premier abord sembler un peu contradictoire, des chercheurs de tous niveaux éprouvent le besoin de s'adresser à des non spécialistes, à des enfants parfois ; et même de dialoguer avec des bibliothécaires !

C'est donc dans une conjoncture très favorable que nous avons décidé d'organiser un certain nombre de stages de perfectionnement consacrés à un domaine relativement restreint : le roman français contemporain, l'histoire, l'édition musicale, la documentation artistique, etc. Mais le premier stage, celui qui apparaissait le plus urgent, a été consacré à un domaine où la plupart des bibliothécaires se sentent particulièrement démunis : la vulgarisation scientifique et technique.

Organiser un stage, c'est répondre à une demande de nos collègues, parfois clairement formulée, parfois plus imprécise. Mais c'est aussi avoir pour partenaire une administration susceptible de prendre en charge le financement du stage et certains aspects de sa gestion. Pour nous, ce partenaire est tout naturellement le Service des bibliothèques publiques du Ministère de la culture, puisque la raison pour laquelle a été créé notre établissement est justement la formation dans le domaine de la lecture publique. C'est donc cette administration qui a pris en charge les stages sur l'édition musicale et le roman français : stages destinés aux conservateurs et sous-bibliothécaires d'État dépendant du Ministère de la Culture, mais stages réservant aussi quelques places aux bibliothécaires municipaux ou même aux conservateurs de bibliothèques universitaires, chargés de cours dans le cadre de la préparation au CAFB (Certificat d'aptitude aux fonctions de bibliothécaire).

Pour d'autres stages, notre partenaire a été le Centre de formation du personnel communal (CFPC), qui a pris en charge tous les frais relatifs à l'enseignement : rémunération de l'animateur et des enseignants, achat de matériel pédagogique. C'est dans ce cadre qu'ont eu lieu le premier stage consacré aux livres scientifiques et techniques, les stages sur l'histoire ou le domaine artistique. Situé dans la banlieue de Paris, notre établissement collabore surtout avec les deux délégations de la grande et de la petite couronnes parisiennes ; mais certains stagiaires de province ont pu s'inscrire avec leurs collègues parisiens, et, par accord de réciprocité, quelques places ont été réservées au personnel d'État.

Avec le CFPC, nous organisons également des stages consacrés aux techniques professionnelles : administration et gestion, catalogage, préparation aux concours municipaux, etc. Il nous paraît important, en effet, que le personnel de l'École nationale supérieure de bibliothécaires intervienne, sinon comme enseignant, (nos effectifs ne le permettent pas !) du moins comme conseiller pédagogique ; et cette intervention a toujours été très bien accueillie.

Mais ces deux administrations n'exercent pas leur tutelle sur toutes les catégories de bibliothèques publiques : n'en dépendent pas, en particulier, les bibliothécaires d'entreprises ou le personnel de la ville de Paris ; sans parler de nos collègues suisses qui souhaitent approfondir leurs connaissances de l'édition française. C'est pourquoi, nous avons cette année, comme nous l'avions fait dès 1976, organisé un stage sous notre propre responsabilité financière et administrative : les employeurs versant au régisseur de recettes de la Bibliothèque de Massy le montant des frais pédagogiques, celui-ci se charge de rétribuer les intervenants. Cette formule permet de réunir des stagiaires provenant d'horizons très différents, ce qui donne lieu à des échanges de vue fructueux... dont malheureusement sont exclus les cadres d'Etat.

Toutefois, c'est pour la Bibliothèque de Massy une charge plus lourde sur le plan de la gestion comptable, c'est pourquoi nous l'avons, cette année encore, limitée à une seule activité de formation : le deuxième stage consacré à l'édition scientifique.

Il serait long et fastidieux de faire le compte rendu de tous les stages, c'est pourquoi nous nous limitons ici aux bilans faits par trois des animatrices de stage ; bilans qui nous paraissent représentatifs de notre démarche actuelle.

La vulgarisation scientifique et technique

Ce n'était pas un thème tout à fait neuf puisque l'Association des bibliothécaires français lui avait déjà consacré une journée d'étude (Villeneuve-le-Roi, 1977) et un colloque (Nice, mai 1978). Mais c'était la première fois que les participants bénéficiaient de deux atouts importants : un petit effectif de stagiaires et une semaine complète de travail.

Finalement les candidats à cette session de formation étant très nombreux, il a été décidé de la répéter deux fois : en novembre 1980 et en janvier 1981, avec certains points communs aux deux stages et aussi des divergences importantes.

La semaine était répartie entre des séances de travaux pratiques sur les documents (indexation, recherches documentaires et analyse critique), des débats avec ceux qui « produisent » ces documents (auteurs, directeurs de collections, rédacteurs de revues ou éditeurs) et entretiens sur des questions scientifiques qui font actuellement l'objet de recherches importantes, ou de controverses passionnées.

L'organisation de ces deux stages a été confiée à deux « spécialistes », Annie Adam, chimiste, bibliothécaire du Relais-Nature de Jouy-Velizy et Dominique Cartier, animatrice au Palais de la découverte : c'est à leur enthousiasme et à leur compétence que nous devons la qualité des stages. Nous leur laissons la pardle, puisqu'aussi bien c'est elles qui ont choisi les thèmes, recherché les intervenants et animé chacun des stages.

Stage du 17 au 22 novembre 1980 (Annie Adam)

Ce premier stage a comporté des exposés généraux sur trois thèmes :

* « L'énergie », présenté par Paul Ginot, physicien au CEA (Commissariat à l'énergie atomique).

* « Les manipulations génétiques et gènes de cancer » par Marcel Blanc, biologiste, journaliste à La Recherche.

* « La situation de l'informatique sur le plan international » par Jean-François Degremont, professeur à l'Université de Paris VIII et journaliste à l'Ordinateur individuel.

Une partie, plus technique, assurée par Michel Bethery, responsable du secteur scientifique à la BPI (Bibliothèque publique d'information), a permis aux participants de passer en revue les différents ouvrages de référence (encyclopédies, dictionnaires, annuaires) ainsi que les principales collections et revues de vulgarisation scientifique. Une matinée également de travaux pratiques d'indexation était dirigée par Chantal Freschard et Eliane Bernhart, conservateurs à la BPI. Et enfin il nous a semblé important d'associer les participants à des débats : au premier participaient Jean-Pierre Maury, physicien (auteur d'un article dans La Recherche sur la vulgarisation scientifique pour enfants) et Daniel Sassier, directeur des collections jeunesse chez Hachette, qui ont exposé deux conceptions assez différentes de l'édition scientifique destinée aux enfants. Le stage s'est terminé par une table ronde où éditeurs, auteurs et journalistes ont pu confronter leurs points de vue sur les problèmes essentiels que pose la vulgarisation scientifique et sur l'intérêt d'une collaboration plus étroite avec les bibliothécaires. Ont participé à ce débat : Roger Caratini auteur de l'encyclopédie Bordas, Jean-Marc Lévy-Leblond, directeur de collection au Seuil, Élisabeth Briot, rédactrice de BD Sciences, Jean-François Degremont et Marcel Blanc, journalistes.

Une après midi a été consacrée à une visite du Relais-Nature de Jouy-Vélizy, exemple d'une application de vulgarisation scientifique pour enfants. M. Dussardier, inspecteur départemental de l'éducation a insisté sur la nécessité d'une certaine approche pédagogique indispensable pour intéresser l'enfant à l'information scientifique et ceci quel que soit le média utilisé (films, livres, documents).

Ce stage a correspondu à une demande actuelle des bibliothécaires mais il n'y a répondu que partiellement. Nous pensons qu'il doit se répéter et surtout se prolonger. Actuellement, à la Bibliothèque publique de Massy, un groupe de travail se constitue auquel participeront des scientifiques, des auteurs, des bibliothécaires ainsi que des enseignants. Leur objectif est d'analyser sur le plan du contenu la production éditoriale de vulgarisation scientifique et d'étudier son utilisation, en particulier avec un puhlic d'enfants et d'adolescents.

Stage du 12 au 16 janvier 1981 (Dominique Cartier)

En n'abordant pas la vulgarisation scientifique pour enfants et en s'intéressant à d'autres supports que le livre, le second stage s'est voulu différent et complémentaire du précédent. Durant cette semaine, des journalistes de la presse écrite et audiovisuelle se sont joints aux spécialistes de l'édition ainsi qu'à des scientifiques, chercheurs et écrivains, pour évoquer les difficultés de diffusion propres à ces domaines.

L'abondance des titres de périodiques scientifiques a exigé un choix. Aussi nous a-t-il paru souhaitable de présenter des mensuels aux prétentions diverses, tant par leur écriture que par le profil de leurs lecteurs. Aux côtés de Claude Cherki (directeur de La Recherche) et d'Anne Voileau, rédactrice en chef de Monde et minéraux, Élisabeth Briot, rédactrice en chef d'un périodique à paraître (BD Sciences), a développé l'idée originale que la bande dessinée peut être une approche souple d'un monde parfois hostile.

Ont également participé à cette rencontre, Aline Chabreuil et Laurent Broomhead, lauréats du Prix Glaxo 1980 de vulgarisation scientifique et récompensés, l'une pour ses travaux d'auteur et l'autre pour l'ensemble de ses émissions télévisées.

En intervenant à propos de la science et de la fausse science, Michel Rouze, producteur délégué à Radio-France et membre de l'Association des écrivains scientifiques de France, a vigoureusement dénoncé la pléthore croissante d'ouvrages pseudo-scientifiques et leur influence néfaste sur le grand public, il a évidemment souligné le rôle primordial des bibliothèques.

Le point de vue de Guy Marchal, écrivain, fut intéressant en ce sens que son analyse de livres de biologie a permis d'apprécier une vulgarisation adaptée à plusieurs niveaux de compréhension.

Le dialogue avec des directeurs de collection (Jean Olivesi pour Belin, J.-Pierre Grognet pour Dessain et Tolra, Yves Christen pour Albin Michel) et éditeurs (Pierre Beres, pour les éditions Hermann, M. Glatini pour Études vivantes SA) a montré que les impératifs de conception, de réalisation et de distribution souvent évoqués seraient moins pesants si la collaboration avec les bibliothécaires était plus étroite.

D'autre part, des exposés complétés par des films, des diapositives et des brochures, sur des sujets actuels faisant l'objet d'une demande massive de la part du public, ont été confiés à des scientifiques. Paul Ginot, physicien au CEA et Monique Sene, physicienne au CNRS (Centre national de la recherche scientifique) ont différemment expliqué le thème de l'énergie. Quant à l'informatique, problème d'importance pour les bibliothèques, il a été longuement traité par M. de Lapparent de l'Agence pour le développement de l'informatique et M. Robineau des éditions Cédic. Ceux-ci ont surtout abordé des questions relatives à l'informatisation de la société.

L'aspect technique du stage a comporté des activités de groupe. Ainsi, durant toute une journée, Michel Bethery a dirigé un travail basé sur la recherche de documents, sur certains thèmes précis, parmi les dictionnaires, encyclopédies, principales collections et revues de vulgarisation. Des travaux pratiques d'indexation matière et systématique ont été assurés par Claude Belayche, conservateur de la ville de Paris, de formation initiale scientifique.

Par ailleurs, une journée a été consacrée à la visite du Palais de la découverte, exemple concret d'animations en milieu scientifique, destinées à un public non spécialiste. Ce musée vivant apporte une information sérieuse modulable selon les capacités de chacun, grâce à l'extrême diversité des moyens utilisés (audiovisuel, maquettes, expériences...). Au cours d'exposés et de démonstrations présentés en physique nucléaire, informatique, génétique et astronomie par les différents chefs de section, les stagiaires ont pu se documenter sur la possibilité d'utiliser l'audiovisuel dans les bibliothèques et d'organiser des expositions en collaboration avec le Palais de la découverte.

En conclusion, il a paru souhaitable de renouveler de telles expériences, de les axer davantage sur la technologie (électronique par exemple) et sur les multiples formes d'animation ou sur la préparation technique des expositions.

Stage histoire du 15 au 19 juin 1981, organisé par Nicole Le Pottier

Ce stage a rassemblé des bibliothécaires, sous-bibliothécaires et employés de bibliothèques municipales de la région parisienne. Quelques places ont été offertes à la Direction du livre qui a envoyé trois stagiaires.

Une journée préparatoire réunissant les stagiaires trois semaines avant le début du stage a permis de préciser un double objectif : informer les stagiaires sur les développements actuels de la recherche historique, leur donner des éléments pour leurs acquisitions d'ouvrages historiques en s'appuyant, pour chaque thème, sur ce que propose l'édition.

Le stage a donc comporté trois journées consacrées à des exposés sur les tendances et les résultats de la recherche, pour chaque grande période, l'accent étant mis plus particulièrement sur l'histoire immédiate et sur l'histoire des mentalités sous l'Ancien Régime. Chaque exposé s'est appuyé sur une bibliographie d'ouvrages accessibles à un public non spécialisé. Des listes bibliographiques ont été données sur des thèmes non abordés au cours du stage mais qui intéressaient les stagiaires (Mouvement ouvrier, Révolution française, Moyen-Orient).

Une autre journée a été consacrée aux problèmes de l'histoire locale.

Le dernier jour a été l'occasion d'un bilan sur les tendances de l'édition historique et d'une réflexion sur les critères à adopter pour les acquisitions d'ouvrages d'histoire dans les bibliothèques publiques. Les discussions ont pris comme base de départ les documents établis par les stagiaires (acquisitions des derniers mois dans leur bibliothèque, demandes de renseignements concernant des questions historiques formulées par les lecteurs) et les problèmes soulevés tout au long du stage.

Nous avons pu nous assurer le concours d'universitaires spécialistes des thèmes ou des périodes traitées : Jean Lecuir (Paris-Nanterre) qui a suivi l'ensemble du stage, Henry Rousso et Arlette Farge (attachés de recherche au CNRS), Jean-Pierre Azema (Institut d'études politiques), Michel Sot (Paris X-Nanterre).

Sont également intervenues : Nicole Simon (Bibliothèque municipale de St-Denis) et Claire Berche (Service d'archives du Val-de-Marne).

En guise de conclusion

La formation permanente des personnels des bibliothèques s'est considérablement développée et nul ne met en doute que les bénéficiaires de cette formation, ainsi que les établissements où ils exercent, en aient tiré un grand profit. Toutefois, en pensant aux acquis de ces dernières années, une certaine inquiétude se mêle à notre satisfaction : ne sommes nous pas en train de construire un colosse aux pieds d'argile ? Le colosse, c'est l'enthousiasme des stagiaires, leur volonté d'aboutir à des réalisations concrètes : groupe de travail permanent, liaison avec d'autres structures culturelles comme le Palais de la découverte, ou les services d'archives ; le colosse, c'est aussi les encouragements et l'aide efficace qui nous sont donnés par les spécialistes de toute origine : journalistes, écrivains, éditeurs, universitaires ; spécialistes éminents parfois puisque le stage sur le roman, dont nous n'avons point fait ci-dessus le compte rendu, nous a permis de réunir des personnalités aussi connues que Bertrand Poirot-Delpech, Maurice Nadeau ou Anne Golon. Mais « les pieds d'argile », c'est la base fragile sur laquelle tout ceci repose : une certaine expérience pédagogique et beaucoup d'imagination ne sauraient pallier l'absence de concertation entre les partenaires chargés de promouvoir la formation, concertation qui seule pourrait assurer la cohérence des contenus et des méthodes ; la persévérance d'une petite équipe et le dévouement ne sauraient compenser le manque de moyens dont disposent les bibliothèques d'application de l'École nationale supérieure de bibliothécaires, et tout particulièrement le manque de conservateurs affectés à l'encadrement et à la programmation des actions de formation continue.

15 juillet 1981