Fonds local et régional

François Hauchecorne

En hommage à M. François Hauchecorne, conservateur en chef de la Bibliothèque municipale d'Orléans, la rédaction du Bulletin des Bibliothèques de France publie, ci-après, le texte de la communication qu'il avait présentée lors du stage sur les fonds anciens, organisé à Orléans en 1978.

Il n'est pas nécessaire de s'étendre longuement sur l'intérêt qui s'attache au fonds local et régional, tout particulièrement dans les bibliothèques municipales. Celui-ci apparaît comme répondant à l'une de leurs vocations de base. Il est l'enracinement de la bibliothèque dans la ville et le terroir qui l'entoure. Il constitue comme tel une spécialité de la bibliothèque. De là découle le soin particulier dont il est entouré. Dès leur création, les bibliothèques centrales de prêt éprouvent elles-mêmes le besoin de constituer un tel fonds. L'attention accordée aujourd'hui à la vie locale et régionale, la place plus grande qui lui est donnée dans l'enseignement, la multiplication des associations et groupes manifestant, pour des raisons diverses, un renouveau d'intérêt pour cet enracinement, viennent réveiller et relayer le rôle qui était et reste encore traditionnellement joué par les sociétés savantes locales et provinciales. Tout cela contribue à accroître l'importance reconnue à ces fonds.

I. Définition et constitution

En dehors des articles signalés à la fin de ce texte, il n'existe pas d'étude approfondie et détaillée sur le sujet. Ce n'est probablement pas un hasard, car les fonds locaux et régionaux présentent deux caractéristiques fondamentales : l'une est la spécificité de chaque fonds particulier existant concrètement dans chaque bibliothèque avec des contours et des contenus qui diffèrent, l'autre vient de ce que presque tout ce qui peut être dit sur la façon de constituer ou traiter le fonds local peut également l'être de quelque autre fonds sous l'un de ses aspects.

Que l'on parle de fonds local ou de fonds régional, la seule définition générale par laquelle il soit possible de les identifier est une définition géographique. Il n'y a pas d'autre critère et à partir de là commencent toutes les ambiguïtés les concernant. Ce critère, apparemment simple et clair, a en effet pour conséquence de faire recouper par le fonds local tous les autres fonds, car il comprend, aussi bien des livres et publications actuelles que des manuscrits et des livres anciens, des ouvrages rares et des ouvrages de grande diffusion, des périodiques, des cartes et plans, des documents iconographiques allant des gravures artistiques aux photos documentaires, et tous les autres medias, disques, diapositives, films, cassettes et même vidéo-cassettes: quel que soit son support, tout document peut se trouver pris, par son sujet, par son auteur, par son lieu d'édition ou d'impression dans le fonds local ou régional. Il ne faut certainement pas chercher ailleurs l'imprécision et la diversité qui affectent ces fonds d'une bibliothèque à l'autre, voire au sein d'une même bibliothèque, surtout si l'on tient compte en outre des situations héritées du passé.

Cadre géographique

En premier lieu, il faut aborder la distinction entre fonds local et fonds régional. Ce n'est pas la même chose, mais la confusion est de règle, non seulement à un niveau pratique, sous la forme d'une seule collection, mais bien souvent aussi en tant que notion. Le fonds local constitue un cas particulier du fonds régional, un secteur auquel un intérêt tout particulier est accordé. Mais où fixer la limite de ce qui est proprement local : est-ce la ville avec son environnement proche ? Va-t-on prendre une limite administrative : un canton, un groupe de cantons ? Ira-t-on au-delà jusqu'à l'arrondissement ? Autant de bibliothèques, autant de réponses pourrait-on presque dire. Il apparaît qu'en fait toutes les bibliothèques débordent le plan strictement local et seraient sans doute bien en peine de délimiter exactement ce fonds.

Une analyse plus fine, touchant à l'importance quantitative des documents conservés et peut-être encore plus à la politique d'acquisition, montre que le niveau strictement local est très largement privilégié, en particulier dans les bibliothèques de rayonnement et de moyens limités. Seul ce fonds tend à l'exhaustivité et, sans que l'on puisse tracer de frontières précises, que les bibliothèques ne se donnent généralement pas, on s'aperçoit en fait que plus la distance au siège de la bibliothèque s'accroît, plus la consistance du fonds s'éclaircit.

Il y aurait cependant là un critère de définition du fonds local, par rapport au fonds régional : le cadre géographique à l'intérieur duquel le bibliothécaire se sent tenu à l'exhaustivité. Afin que soit vraiment couvert tout le territoire, peut-être pourrait-on proposer, de la façon la plus empirique, que le fonds local d'une bibliothèque municipale s'étende jusqu'au point où une autre bibliothèque est en mesure de prendre le relais !...

Il faudrait aussi distinguer BCP et BM, car on peut supposer que par définition, les BCP se constituent un fonds couvrant tout le département. Mais on constate habituellement, que les collections locales des BCP, ne dépassent pas quelques centaines de documents : c'est l'indication, même en tenant compte de leur création récente par rapport aux BM, que leur vocation locale - en ce cas départementale -diffère de celle de ces dernières.

Il serait intéressant d'aborder la question de l'extension géographique du fonds sous l'angle de la coopération entre bibliothèques ; et en particulier sous celui des rapports entre bibliothèques d'importance différente. Car si l'on cartographie, même sommairement, cette extension des fonds, on s'aperçoit très clairement que leur composition crée des liens entre bibliothèques voisines, qui ont donc intérêt à collaborer en vue de la connaissance et de l'exploitation de leurs fonds. Si l'on prend le seul exemple de la BM d'Orléans, on s'aperçoit que son fonds, qu'il convient ici d'appeler régional, contient une documentation non négligeable qui la met en rapport avec Pithiviers, Montargis, Gien dans le Loiret, mais aussi avec Chartres, Dreux, Châteaudun, Vendôme, Blois, Romorantin. Il serait assez facile, une fois muni des données de base, de dresser ainsi une carte ou un tableau des bibliothèques entre lesquelles leur fonds local et régional crée un lien de coopération nécessaire.

Constitutions du fonds. Critères de choix

Le critère d'exhaustivité indiqué tout à l'heure mérite d'être examiné de plus près, car il permet d'aborder le problème de la constitution du fonds. Le fonds local d'une bibliothèque, sauf cas particulier, est seul à jouir de ce privilège. Cela amène aussitôt à poser la question : que va-t-on y mettre, selon quels critères, où faut-il s'arrêter ? Nous nous trouvons donc devant un nouvel aspect de la question des fonds locaux, - laissons à présent de côté la distinction entre fonds local et fonds régional - : en fonction de quoi le bibliothécaire va-t-il considérer tel document comme relevant du fonds local et quelles limites se fixera-t-il ? Nous sommes amenés à explorer ces questions sous plusieurs angles.

Le critère d'entrée dans le fonds local le plus immédiat, est évidemment le sujet. Cela ne pose guère de problème, encore qu'il soit parfois nécessaire d'apprécier, en face d'un ouvrage ne traitant que partiellement d'un sujet local, où le classer matériellement. Toutes les bibliothèques n'ont d'ailleurs pas cette difficulté, puisque certaines intègrent les documents locaux dans le fonds général.

Mais il faut bien voir que « sujet », cela recouvre tous les aspects des activités et des réalités locales et régionales. La notion, parfois encore prédominante, tout au moins dans l'esprit des lecteurs, du fonds local comme fonds surtout historique, n'en recouvre pourtant qu'un des aspects et il est indispensable de concevoir ce fonds comme destiné à refléter tout ce qui constitue la vie locale et donc de collecter toutes les sortes de documents, qu'ils soient officiels ou privés. Nous reviendrons plus loin sur cette collecte et ses difficultés. Elle est essentielle si l'on veut que le fonds local soit représentatif, en prenant bien conscience que c'est aujourd'hui que se constituent les collections qui serviront à l'usager futur, par-delà l'intérêt immédiat de l'actualité documentaire.

L'auteur né dans la région est aussi un élément du choix. Mais faut-il aller jusqu'à considérer celui-ci, comme relevant du fonds local, même si son œuvre n'a rien à voir avec la région ? Une majorité de bibliothèques semble le faire, bien que ce critère manque parfois d'évidence surtout si l'auteur a en fait vécu ailleurs. Par contre, il est bien certain que celui, d'où qu'il soit, qui a participé à la vie régionale a sa place toute désignée dans le fonds local.

Le critère d'édition ou d'impression dans la région semble moins suivi, sauf pour les ouvrages antérieurs à 1810, dont on voit mieux l'intérêt qu'il y a de les rechercher et de les recenser. Il n'est pourtant pas sûr que cette date soit satisfaisante, car l'histoire de l'édition et de l'imprimerie ne s'arrête pas en 1810, mais, du moins vu sous l'angle du fonds local, ce critère du lieu d'impression trouve assez vite sa limitation. Viendrait-il en effet, par exemple, à l'idée du bibliothécaire de Vendôme de considérer comme faisant partie de son fonds local la production des PUF ?

Nous reviendrons sur cette question du lieu d'édition ou d'impression à propos du traitement des collections, mais ne pourrait-on pas lancer la date de 1943, qui a vu la création du dépôt légal imprimeurs, comme tout autant justifiée et probablement mieux que celle de 1810. Après 1943, aucune publication ne devrait en principe échapper.

Le problème des critères de sélection, en fonction cette fois de la nature des documents doit être également abordé. Le dépôt légal ne permet d'acquérir qu'une partie de la production locale. La chasse aux imprimeurs, déjà pas toujours facile avec les imprimeurs professionnels, l'est encore bien plus à l'égard de ceux, imprimeurs ou éditeurs occasionnels, qui n'ont pas conscience de faire acte de publication, encore moins que leur production puisse intéresser la bibliothèque. Situés par rapport à l'objectif immédiat qui les amène à publier, le point de vue du bibliothécaire est complètement en dehors de leur préoccupation.

Des publications administratives officielles aux feuilles ronéotées de groupements fluctuants, la gamme est immense et le renouvellement très rapide. Leur collecte pose donc de sérieuses difficultés. Elle oblige à ne pas attendre passivement que la documentation vienne à la bibliothèque. Il faut aller la chercher, être à l'affût de ce qui se diffuse sous une forme ou une autre, et cela avec des moyens artisanaux, au coup par coup et avec le sentiment et même la certitude que bien des choses échapperont de toute façon. Comme beaucoup de ces publications apparaissent souvent d'un intérêt très mineur, la tentation est grande de les négliger. C'est pourtant à ce niveau que se saisit la vie locale.

Pour y aider, toute collaboration peut être utile et en premier lieu celle des établissements ayant une vocation voisine ; c'est tout particulièrement le cas des dépôts d'archives départementaux. Les points de vue ne sont pas exactement les mêmes, mais ils se recoupent et peuvent donc se compléter. D'autre part, tous les liens, plus ou moins directs, qui peuvent s'établir avec les organismes locaux, la publicité qui peut être faite autour de la bibliothèque comme centre documentaire local et régional, sont des aides dans cette collecte. Nous retrouvons sous cet angle l'insertion nécessaire du bibliothécaire dans la vie locale, qu'il suffit de rappeler au passage.

Mais jusqu'où aller dans cette collecte ? Recueillera-t-on systématiquement sans faire le tri, tout ce qui se présente : affiches de toutes sortes, tracts politiques, syndicaux ou autres, dépliants touristiques ou publicitaires, programmes de manifestations de tous genres. Le risque d'être submergé par une masse documentaire que l'on ne pourra ensuite pas traiter est réel. Dans le numéro 16 (été 1978) des Nouvelles du Livre ancien, notre collègue Garreta parlait plaisamment de la « norme internationale de catalogage des étiquettes de camembert ». Le fonds du propos était pourtant des plus sérieux. Car, par exemple, les étiquettes commerciales ou industrielles que l'on trouve collés sur les produits en vente et qui sont les marques des fabricants, en même temps que leur publicité, sont incontestablement des témoignages imagés de l'activité économique. Dans la mesure où ces productions ont un caractère local, ces étiquettes présentent donc bien un intérêt pour le fonds du même nom.

Quoiqu'il en soit, il ne serait pas possible de fixer une norme en ce domaine, encore moins de l'imposer. C'est à chaque bibliothécaire responsable de la constitution d'un fonds local, en fonction de la situation et de l'importance de sa bibliothèque, des moyens et du temps dont il dispose, d'évaluer ce qu'il peut faire en vue de cette collecte et jusqu'où il peut se permettre d'aller. Ce qui importe avant tout, c'est qu'il soit bien conscient de la valeur que peuvent prendre des documents apparemment très mineurs et, par conséquent, s'efforcer de les recueillir avant qu'ils n'aient disparu.

II. Conservation et exploitation. Conservation et communication

Le fonds local, par sa nature même, est un fonds unique. Même si d'autres établissements, bibliothèques, archives, éventuellement d'autres organismes possèdent de leur côté des collections qui recoupent partiellement le fonds propre à une bibliothèque donnée, il n'en reste pas moins qu'au mieux, cela voudra dire qu'il existe 2 ou 3, 3 ou 4 exemplaires d'une partie des documents conservés, en des lieux où cette conservation est sûre. Cela ne change donc pas la nature du problème pour le bibliothécaire. Celui-ci se trouve devant la nécessité impérieuse de le protéger très soigneusement.

Mais par ailleurs, chaque bibliothécaire sait très bien par expérience que son fonds local fait l'objet, de la part d'un certain nombre de lecteurs de sa ville et de sa région, et aussi de la part de chercheurs extérieurs, de nombreuses demandes de consultation ou de prêt. C'est bien normal et il serait regrettable, aussi bien que personne ne s'y intéresse, ou que le fonds demeure inaccessible. La contradiction entre conservation et communication est donc en ce cas poussée à l'extrême.

Il n'y a pas de réponse globale à ce problème, et de fait, les usages diffèrent selon les bibliothèques, mais il existe tout une série de mesures particulières à prendre qui sont fonction des différents types de documents comme des demandeurs. On se trouve donc à nouveau ici devant la difficulté indiquée au début : celle qui est inhérente à la complexité de ces fonds et à la diversité de leur composition.

En effet, pour tout ce qui est manuscrit ou ancien, le problème de conservation ne se pose pas en d'autres termes que pour les autres fonds précieux. L'accès en demeure toujours indirect et il ne peut être question de communiquer ces documents à n'importe qui dans n'importe quelles conditions, encore moins de les prêter à domicile. D'autre part, la place normale de la partie la plus précieuse du fonds est tout naturellement à la réserve. On sera même amené à pousser plus loin que pour le fonds général le classement à la réserve, quand il s'agit du fonds local.

C'est pour la partie du fonds plus récente, d'usage plus courant, que des hésitations peuvent se produire quant à la politique à adopter. Certaines bibliothèques pratiquent l'accès direct pour une partie du fonds local, d'autres non, mais cela veut-il dire qu'aucun livre du fonds local n'est directement accessible : c'est peu probable.

Il en va de même pour le prêt : certaines bibliothèques prêtent les ouvrages du fonds local, mais souvent avec plus de restriction que pour le fonds général. Quant à celles qui ne prêtent pas, cela peut être un principe susceptible de dérogations pour des cas particuliers. Cette diversité est cependant significative des différences d'attitude à l'égard du fonds local. Que peut-on dire alors à ce sujet et que peut-on proposer du moins pour la partie du fonds pour laquelle la question du prêt peut se poser ou qu'il peut être utile de mettre en libre accès ?

La garantie essentielle est de disposer d'exeniplaires multiples des ouvrages mis en accès direct ou prêtés à domicile, l'un d'entre eux restant en magasin et exclu du prêt. Cela n'est pas non plus sans problèmes : dépenses pour acquérir ces doubles, difficultés à se les procurer, s'ils ne sont plus récents. Cela ne semble pourtant pas un obstacle insurmontable, puisque beaucoup de bibliothèques le font.

C'est évidemment la meilleure solution pour satisfaire le lecteur sans nuire à la conservation. Dans tous les cas où ce n'est pas possible, et pour des documents que l'on prêterait s'ils n'appartenaient pas au fonds local, il n'y a plus que des cas d'espèce et la décision est soumise à l'appréciation qui peut être faite tant du sérieux de la demande que du caractère ou de l'état du document en cause : cela ne concerne plus qu'un nombre de cas relativement réduit.

Pour l'accès direct, il paraît assez normal que certains livres à caractère d'usuels et de référence soient à la libre disposition des lecteurs ainsi que la documentation d'actualité, pour autant que les locaux le permettent. La nécessité de conservation ne doit en effet pas aller à l'encontre de l'information du public, ce que seul l'accès direct permet commodément.

Mais la conservation ne consiste pas seulement à prendre des précautions à l'égard des lecteurs. Elle consiste aussi à préserver les ouvrages et autres documents de la dégradation par les mesures habituelles, mais en y apportant pour le fonds local une attention plus systématique. L'une de ces mesures est une politique de reliure des livres, pour éviter la détérioration des volumes lors des manipulations par les lecteurs. Il y aura intérêt à relier aussi les collections, souvent uniques, de périodiques, ou pour le moins à les placer dans des boîtes cartonnées, ce qui n'évite pas le risque que soit égaré un numéro isolé, mais assure en tout cas une conservation satisfaisante à l'abri de l'air et de la lumière, ce qui est essentiel pour les journaux, et cela pour un coût supportable.

Les pièces, très fréquentes dans les fonds locaux, sont particulièrement sujettes au risque de perte et de détérioration. En ce qui les concerne, le rangement dans des boîtes en carton paraît la solution la plus satisfaisante, car elle permet un classement systématique et laisse la possibilité d'y adjoindre éventuellement de nouvelles pièces.

Exploitation : utilisateurs et instruments de travail

C'est le catalogue qui permet de donner aux utilisateurs la connaissance du fonds et ainsi d'en assurer la meilleure exploitation. Il joue un rôle essentiel, comme pour tout fonds en accès indirect, mais nous allons retrouver une fois encore cette complexité qui provient de la diversité des collections et des types de documents rassemblés. Il n'y a donc pas non plus de réponse générale et le bibliothécaire est obligé de procéder différemment selon les genres de documents à traiter. Il lui faut s'adapter à la composition de son fonds local, aux circonstances particulières à sa bibliothèque et notamment à ce qui a déjà été fait avant lui, et tenir compte aussi du temps qu'il peut effectivement consacrer au classement et au traitement du fonds. Si, ce qui arrive fréquemment, il n'a pas une disponibilité suffisante pour le traitement approfondi, il est préférable qu'il procure en priorité des moyens sommaires d'utiliser le fonds, avant de se lancer dans un catalogage plus fouillé.

Cependant, il faut bien envisager les différents aspects d'un catalogage aussi exhaustif que possible, puisque le fonds local - c'est se répéter que de le dire - a besoin, à cause de sa spécificité, d'être exploité avec un soin particulier. Le but de ce traitement étant d'en faciliter l'accès aux différents publics, il n'est pas inutile de rappeler d'abord quels ils sont.

Utilisateurs

Il y a le cercle traditionnel des érudits et amateurs locaux, un petit nombre de personnes qui gravitent autour de la bibliothèque à cause de l'existence de ce fonds local, très souvent membres des sociétés savantes de la ville. De ce fait, les responsables de bibliothèques municipales sont forcément eux-mêmes liés à cet aspect de la vie culturelle locale, touchant particulièrement à l'histoire et l'archéologie, sans oublier les cercles littéraires, artistiques ou bien les généalogistes, les numismates, les naturalistes et d'autres encore.

Le milieu universitaire fournit un autre type de clientèle avec des chercheurs préparant des thèses ou d'autres travaux personnels, mais aussi des étudiants de maîtrise pour des mémoires. A un autre niveau, il n'est pas rare d'avoir affaire à des étudiants qui, pour l'initiation à la recherche et envoyés par leurs professeurs, recourent aux documents du fonds local. Bien des élèves des lycées ou des CES le font aussi, ce qui n'est pas sans poser des problèmes pour l'intégrité des documents : recherches dans les journaux anciens, recours à des cartes anciennes. La reproduction des documents les plus demandés peut être un bon moyen de préservation, ce type de public n'ayant pas besoin de recourir à l'original.

C'est au niveau des CES et de l'enseignement primaire que de telles mesures sont le mieux adaptées. L'orientation de la pédagogie vers la connaissance du milieu multiplie les demandes tournées vers le fonds local et régional. Les sections pour enfants ont besoin d'avoir les principaux livres de base permettant de répondre aux questions posées ou aux enfants de procéder aux recherches qui leur sont demandées. Mais l'on s'aperçoit que le personnel est bien souvent amené à refaire chaque année les mêmes recherches pour répondre aux mêmes questions, car en raison des programmes, ce sont à peu près toujours les mêmes sujets qui reviennent.

D'où l'intérêt de constituer des dossiers bibliographiques qui éviteront ces pertes de temps, dossiers qu'il faudra évidemment tenir à jour. Des dossiers de presse, quand on a le temps d'en préparer sont un utile complément d'information. La collaboration avec les dépôts d'archives et leurs services éducatifs, avec les centres de documentation pédagogique, peut être en ce domaine un secteur de coopération, grâce à la diffusion de dossiers, de pochettes documentaires, d'expositions itinérantes que ces organismes ont les moyens ou même la vocation de réaliser. Le travail en liaison avec le milieu scolaire a une importance particulière pour les BCP ; il en a aussi pour les BM, mais ce serait sortir du sujet que de s'étendre à son propos.

Les publics du fonds local, ce sont encore des personnes très diverses, journalistes en quête de documentation immédiate, documentalistes appartenant à des établissements extérieurs, et le grand public lui-même qui occasionnellement recherche une information ponctuelle. Toutes ces catégories d'utilisateurs, et l'on pourrait allonger et affiner la liste, ont des motivations et des approches différentes, savent plus ou moins bien se servir des instruments de travail, d'où la nécessité pour le bibliothécaire de s'adapter à leur démarche, de comprendre l'objet de leur demande, pas toujours exprimée de façon claire : à ce niveau d'approche, l'entretien direct est indispensable.

Mais surtout, il convient que des instruments de travail satisfaisants soient à leur disposition et que le personnel lui-même dispose de ces outils de recherche. C'est particulièrement vrai pour les demandes par correspondance, où il faut se substituer entièrement au demandeur, puisque celui-ci n'est pas présent.

Instruments de travail

Comment sera assurée cette exploitation spécialement poussée qu'exige le fonds local et régional ? On y parviendra par la multiplication des entrées et des fichiers, facilitant par là-même l'accès à la documentation. Autrement dit pour le fonds local, le catalogage habituel n'est pas suffisant. De plus nombreuses fiches-matière permettent une connaissance plus fouillée du fonds. Une fiche avec vedette de lieu en tête vient s'ajouter à la vedette sujet du catalogue matière ; mais ces vedettes-sujet elles-mêmes peuvent être plus nombreuses et le contenu des ouvrages analysé plus finement. Cela peut aller jusqu'à des fiches de dépouillement internes à un ouvrage. Ce dépouillement devient indispensable lorsque l'ouvrage ne traite que partiellement d'un sujet concernant le fonds local : il faut alors rédiger une fiche qui ne concernera que cette partie d'intérêt local.

Le dépouillement des articles de périodiques est utile pour tous sujets. En fait, la plupart des bibliothèques n'ont pas le temps d'y travailler ou très peu : il y a ici encore un domaine de coopération mal exploité. Si une priorité peut être indiquée pour le dépouillement, c'est bien pour les articles touchant au fonds local. Cette multiplication des fiches, ce dépouillement et donc préalablement cette recherche de l'information vont donner aux catalogues concernant le fonds local une valeur bibliographique et documentaire très précieuse pour l'utilisateur, qu'il soit un lecteur ou le bibliothécaire lui-même. C'est le cas lorsqu'on veut préparer une exposition comme en toute autre occasion, car l'expérience quotidienne montre que l'on perd trop souvent beaucoup de temps en recherches qui pourraient être faites une fois pour toutes. Le temps passé à ce travail bibliographique est alors largement regagné ultérieurement.

Dans cette ligne d'analyse des documents, divers autres fichiers sont souhaitables. L'intérêt d'un fichier iconographique est certain. Beaucoup de livres contiennent des gravures, des photographies d'intérêt artistique ou documentaire qui augmentent de très loin la documentation contenue dans le fonds d'estampes de chaque bibliothèque. Il est donc utile de les connaître et pour cela de constituer un fichier à plusieurs entrées : sujet, entrée géographique, éventuellement dessinateur ou graveur.

D'autres fichiers, qui par eux-mêmes ne sont pas non plus spécifiques du fonds local, y prennent cependant un intérêt particulier : c'est par exemple un fichier des reliures, un fichier des possesseurs d'ouvrages, en vue duquel les mentions d'ex-libris et les dédicaces sont des plus utiles, un fichier bio-bibliographique des personnalités locales.

Un autre type de fichier est celui des éditeurs et imprimeurs locaux ou régionaux. Son principe ne pose pas de question, quand il s'agit de livres anciens, pour lesquels un tel fichier est bien souvent la seule source d'information à leur sujet, même si des répertoires sont en cours de publication, par exemple pour la totalité des ouvrages imprimés au XVIe siècle, ou aux siècles suivants, de façon plus sélective. Mais ici, il s'agit de la démarche inverse : à savoir, quelles éditions ou impressions possède chaque bibliothèque. Une telle localisation est d'un intérêt évident et a d'ailleurs fait l'objet de nombreux travaux d'approche. Dans le cas présent, cette recherche se trouve limitée au fonds local, ce qui la rend plus maîtrisable.

Jusqu'à 1810, tout le monde est facilement d'accord. La date de 1943, année de création du dépôt légal « imprimeurs », a été avancée plus haut. Mais on verrait mal la constitution de fichiers qui donneraient en fin de compte la production générale d'éditeurs faisant travailler de grosses imprimeries locales. Faudrait-il alors en extraire ce qui, dans cette production, touche un sujet local ? Il y aurait cette fois une sélection tronquant largement la réalité et doublant en fait d'autres modes d'approche. La question reste donc ouverte.

Ce qui peut être en tout cas rappelé en conclusion de ce qui précède, c'est l'utilité de ces instruments d'exploitation des fonds locaux et l'aide considérable qu'ils apportent au bibliothécaire comme au chercheur, quand ils existent. Ils peuvent être complétés ou précédés par des listes bibliographiques, soit de nouveautés, soit par thèmes : en ce dernier cas, en particulier à l'usage du milieu scolaire.

La coopération entre bibliothèques peut être aussi une aide précieuse, puisque leurs fonds locaux se recoupent. Mais elle soulève de nombreuses difficultés. Des catalogues collectifs paraissent souhaitables. Les régions qui s'y sont essayées savent à quels problèmes ils se heurtent. Très modestement, mais de façon réaliste, un échange d'information pourrait être déjà apporté par l'échange de photocopies des pages du registre d'entrée des nouvelles acquisitions du fonds local.

Les fonds spéciaux du fonds local ne posent pas d'autres problèmes que ceux concernant les fonds spécifiques. Il va de soi, par exemple, que les documents iconographiques, qu'ils soient de caractère artistique ou documentaire, et pour ne parler que d'eux, doivent faire l'objet d'un traitement adapté à leur nature. Les cartes postales sont très en vogue depuis quelques années ; leur valeur pour le fonds local est évidente. Il ne faut pas pour autant oublier qu'il existe bien d'autres types de documents photographiques pouvant avoir un intérêt local.

Documents mineurs

Il convient d'aborder encore un point à propos du catalogage des fonds locaux : celui de tous ces documents mineurs, dont on voit bien l'intérêt qu'il y a de les recueillir, mais dont on voit mal ou pas du tout comment il serait possible d'en assurer le traitement détaillé.

Mieux vaut une information sommaire que pas d'information. En fait, pour ces documents, un traitement pièce par pièce serait impraticable et n'est pas indispensable à un accès satisfaisant. Les besoins de l'exploitation des fonds conduisent donc à préférer - et c'est en bien des cas largement suffisant - un traitement sommaire pour de nombreux documents, qui ne sont pas forcément secondaires, mais dont la présentation sous forme de pièces ou feuilles isolées, font le découragement des bibliothécaires, qui les voient avec inquiétude s'accumuler.

La constitution déjà mentionnée de dossiers concernant ces documents est la meilleure solution au problème qu'ils posent. Cela nécessite de concevoir un cadre de classement systématique, adapté aux besoins locaux spécifiques, ce qui permet ensuite d'avoir seulement à ajouter, dans le dossier qui convient, le nouveau document venant d'arriver. On peut ainsi constituer par exemple, des dossiers documentaires qui recevront les programmes des différents organismes culturels de la ville, d'autres relatifs à diverses associations ou groupements qui, à des titres divers, animent la vie locale. Il n'est pas utile de multiplier les exemples, car le principe reste toujours le même. Ajoutons cependant, que pour les pièces anciennes, des problèmes délicats de choix de vedettes se posent. Une norme serait bien nécessaire.

Ce qui importe, c'est de disposer d'un cadre de répartition qui permettra de désigner de façon claire et sûre, sous le nom d'une collectivité-auteur, ou sous une vedette factice créée pour cet usage, la documentation contenue dans chaque dossier particulier. Dès lors, il suffit d'effectuer le catalogage globalement pour chacun de ces dossiers, au nom de la vedette retenue, et à telle ou telle autre entrée jugée utile : le lecteur aura ainsi l'information indispensable pour accéder à la documentation correspondante, ce qui est bien le but recherché.

Il serait possible d'examiner encore d'autres aspects des fonds locaux et régionaux, tellement ils sont divers et à multiples facettes, tellement ils possèdent chacun leur originalité. Malgré tout, l'essentiel est dit, et il appartient à chaque bibliothécaire de définir pour son propre fonds la meilleure façon de le mettre en valeur et de l'accroître.