Colloque " Lecture et bibliothèques publiques "

Hénin-Beaumont - 20-21 novembre 1981

Les 20 et 21 novembre 1981, une ville du pays minier, Hénin-Beaumont, devenait provisoirement une capitale de la lecture : organisé par la région Nord-Pas-de-Calais, un colloque sur le développement de la lecture et des bibliothèques publiques réunissait plus de six cents participants (élus locaux, bibliothécaires, enseignants, animateurs culturels). Préparé minutieusement depuis deux ans par l'Office Culturel Régional, ce colloque avait d'abord pour objectif d'établir un bilan régional et de proposer aux élus des mesures de développement de la lecture « moyen privilégié de réduire les inégalités », comme devait le souligner dans son discours introductif M. Noël Josephe, Président du Conseil Régional.

Un bilan régional

Il revenait à M. l'Inspecteur général Bleton et à Mlle O. Crombez de dresser le bilan de la situation des bibliothèques publiques dans la région Nord-Pas-de-Calais. S'appuyant à la fois sur leur expérience concrète du terrain et sur le remarquable rapport préparatoire de B. Seibel, les orateurs ne pouvaient que constater le retard pris : en moyenne générale, les créations de bibliothèques sont insuffisantes et leur niveau d'activité peu important, la proportion de lecteurs inscrits y est faible (7,8 % contre 9,1 % de moyenne nationale), les communes rurales sont défavorisées par rapport aux communes urbaines, et dans le département du Nord l'absence de BCP entraîne le maintien de zones culturellement désertes. Richesses peu exploitées, budgets faibles, horaires d'ouverture mal adaptés, personnel insuffisant en nombre et en qualification, tel pourrait être le portrait robot de nombreuses bibliothèques municipales. Il existe d'heureuses exceptions dont la bibliothèque d'Hénin-Beaumont, citée par les orateurs comme l'exemple de ce qu'une ville moyenne peut entreprendre avec succès (après un an de fonctionnement 17 % de la population y est inscrite). D'autres villes ont entrepris ou vont entreprendre des efforts analogues : Roubaix, Villeneuve d'Ascq, Maubeuge, Valenciennes, Watrelos. M. J. Piette, Conseiller d'Etat, Maire d'Hénin-Beaumont, devait souligner la nécessité de fonder une politique culturelle sur le livre. Sortir les citoyens de l'enfermement où les confine la civilisation industrielle, tel est l'objectif ambitieux que peut se fixer la bibliothèque publique : la lecture est évasion individuelle mais aussi communication, critique sociale, liberté. Dans cette perspective, le service public de lecture devrait faire partie des actions prioritaires des communes. La région Nord-Pas-de-Calais a d'ailleurs présenté à l'occasion du colloque un court-métrage intitulé « Une ville qui lit est une ville qui vit », destiné à promouvoir la bibliothèque publique (des copies - 16 mm ou video - de ce film seront très prochainement commercialisées par l'Office Culturel Régional). Le bilan ayant été établi en séance plénière, le colloque allait se poursuivre par trois séries de carrefours, suivies pour chacune d'entre elles par un débat général.

Les services d'une bibliothèque publique dans la vie quotidienne d'une commune

Cette première série de carrefours visait à mettre en évidence la pluralité des fonctions d'une bibliothèque. Fonction d'information et de documentation tout d'abord, avec le premier carrefour consacré à la documentation régionale où les intervenants (A. Ronsin, N. Simon, P. de Peretti, Y. Weber) soulignèrent le rôle spécifique de la bibliothèque municipale comme « mémoire de la vie locale d'hier et d'aujourd'hui », tout en insistant sur la nécessaire coopération qui doit s'établir dans ce domaine entre les diverses unités documentaires régionales. L'information était encore le thème du second carrefour de cette série : l'information du consommateur, l'information sur les formations, l'information sur l'emploi peut être fournie dans une bibliothèque municipale en liaison avec des organismes compétents, comme l'a montré C. Goubaux. Particuliers ou utilisateurs collectifs peuvent prendre l'habitude de résoudre grâce à la bibliothèque non seulement leurs problèmes d'information et de documentation, mais encore de communication et de diffusion, soulignait J.F. Jacques. Pour conclure ce deuxième carrefour M. Levillain nous appelait à réfléchir sur les conséquences des nouvelles technologies de production, de stockage et de transfert de l'information : le rôle des bibliothèques en sera sûrement modifié. Le troisième carrefour nous invitait à envisager l'évolution de la bibliothèque vers la médiathèque. G. Le Cacheux montrait que les nouveaux médias, complément du livre, correspondent aux besoins d'information et de documentation d'un public très large. L'utilisation des films 16 mm du circuit non-commercial dans les bibliothèques américaines était évoquée par E. Cohn, tandis que J. Nivelet-Imbert évoquait l'expérience de prêt d'œuvres d'art à la bibliothèque Beaugrenelle à Paris. Ce sont évidemment les jeunes qui sont les plus sensibles à l'aspect multi-média des bibliothèques et c'est à eux, et aux bibliothèques pour la jeunesse qu'était consacré le troisième carrefour avec C. Salavert, G. Patte, K. Givry, R. Bronoff, J.-C. Stefani : la bibliothèque pour la jeunesse, lieu privilégié de rencontre avec le livre et le plaisir de la lecture, l'animation, la collaboration avec le secteur scolaire ont été les principaux thèmes abordés. Le dernier carrefour était consacré à l'action culturelle, qui doit devenir selon C. Guitart « Le moteur de la conservation du patrimoine, et du service public de lecture et de la documentation ». Tour à tour F. Danset, G. Grunberg, B. Lerolle, N. Mangin évoquèrent leurs expériences montrant comment une bibliothèque de lecture publique peut collaborer avec d'autres partenaires culturels, contribuer au décloisonnement des institutions et associer étroitement la population à ses initiatives.

Où et comment créer une bibliothèque publique ?

L'accès au livre dans les petites communes et en milieu rural fut évoqué par J.L. Cordebard, B. Plouzenec, C. Petitjean, P. Louis à partir d'exemples : création de bibliothèque intercommunale en Ardèche, animation et promotion de la lecture en Côte d'Or à l'initiative de la BCP. Un second carrefour rassemblait des témoignages sur le thème : « implantation et décentralisation de la bibliothèque dans les grandes villes ». Les caractéristiques des grandes villes rendent nécessaire la mise en place d'un réseau constatait C. Jolly dans son rapport introductif : ce concept peut cependant prendre des significations bien différentes comme le montrent les expériences de Fos (P. Faure), Toulouse (J. Goasguen), Grenoble (C. Guitart), Bobigny (D. Tabah).

Cette première journée du colloque s'achevait par une séance plénière au cours de laquelle M. Bouvy posait le problème de l'adaptation des structures de lecture publique (la B.C.P. est-elle pour le département du Nord l'outil le mieux adapté ?), tandis que P. Sanz exposait quelles aides financières, techniques les villes peuvent attendre de la part de la Direction du Livre. De nombreux participants prenaient ensuite part au débat général.

Points d'ancrage pour la définition d'une stratégie de la lecture

Réfléchir sur la lecture et en particulier chez les jeunes et les adultes culturellement et socialement défavorisés, tel était l'objet de cette troisième série de carrefours. Le premier, auquel participaient entre autres C. Carin, J. Delabroy, M. Chalvon, M. Damamme, J.N. Soumy permettait d'interroger des éditeurs, des animateurs culturels, des journalistes, des bibliothécaires spécialistes sur les méthodes à adopter pour permettre d'élargir et de diversifier les choix des livres pour la jeunesse. Le second carrefour posait le problème des conditions favorables au développement de la lecture chez l'enfant : pour Y. Parent « il est indispensable que l'on considère enfin la lecture comme une pratique sociale et l'apprentissage de la lecture comme un apprentissage social», thème que reprenait H. Liborel, alors que F. Sublet abordait le problème toujours brûlant des rapports entre lecture et télévision chez les jeunes en évoquant sa participation à l'expérience « Jeune télespectateur actif ».

Quelles sont les pratiques culturelles des catégories les plus défavorisées ? Comment perçoivent-elles les choix et les actions engagées par les bibliothèques, les librairies ? Telles étaient les principales questions posées aux sociologues invités au troisième carrefour de cette série. Pour J. Foucambert, il est indispensable de s'interroger au préalable sur la psychologie de la lecture, et sur la nécessaire transformation des pratiques scolaires. Selon J.C. Passeron, la sociologie de la lecture peut suggérer des éléments de réflexion à une stratégie de l'offre culturelle. Il s'agit par exemple de ne pas miser uniquement sur les moyens. L'augmentation de l'offre ne suscite pas obligatoirement une augmentation de la demande, car en matière culturelle la manière d'offrir est indissociable de ce que l'on offre. On ne doit pas craindre d'utiliser de nouveaux espaces sociaux afin de démarquer socialement la lecture. Il faut aussi nécessairement didactiser l'offre, et tenir compte des divers degrés de familiarité avec l'écrit. En tirant les conclusions d'une enquête très approfondie sur des jeunes travailleurs de la région bordelaise, N. Robine allait revenir sur ces différents thèmes et les illustrer d'une manière vivante et sensible. Pour ces jeunes, le contact avec le livre n'est guère valorisé, et ne s'établit qu'épisodiquement, par l'intermédiaire des parents, du rayon du supermarché, ou - dans le meilleur des cas - par le catalogue de vente par correspondance qui leur propose une liste présélectionnée généralement très limitée. Il n'est pas excessif de parler à propos de ce public de cécité et de surdité culturelle, ce qui pose une fois de plus le problème de la pédagogie de l'offre (de larges extraits de cette intervention ont été publiés dans Livres-Hebdo, n° 2, 11/01/82).

Former des médiateurs : un enjeu régional

Une politique de développement des équipements, l'émergence de nouvelles fonctions, de nouveaux types de médiation entre le public et l'imprimé conduisent évidemment à tenter de re-penser les orientations de la politique de formation. Constatant la relative inadéquation des filières existantes, J. Decobert soulignait la nécessité de définir la typologie des formations requises (niveaux, finalités, objectifs, contenu pédagogique), d'articuler étroitement théorie et pratique, de régionaliser l'enseignement en l'associant le plus étroitement possible aux universités. Suivant les conclusions d'un groupe de travail auquel avaient participé R. Bocquie, J. Breton, M. Chaffanjon, J. Hebrard, L. Kellermann, M. Merland, D. Renoult, le rapporteur suggérait la mise en place d'instituts régionaux chargés de la formation, de l'information et de la recherche, dont les structures seraient suffisamment souples pour associer professionnels, élus et universitaires. Enfin, J. Decobert concluait sur l'indispensable « décloisonnement des institutions qui nous conditionnent », préalable de tout changement en profondeur. Au cours du débat, B. Pingaud devait préciser que les préoccupations de J. Decobert rejoignaient celles de la commission du Livre et de la Lecture.

Le rôle des créateurs

Comment permettre aux créateurs de jouer un rôle actif dans le développement du livre et de la lecture ? Tel était le dernier débat auquel étaient conviés les participants du colloque. Pour B. Pingaud l'écrivain peut participer à l'action culturelle par exemple en démythifiant l'acte d'écrire auprès du public. De nombreux orateurs devaient prendre la parole (A. Gourdon, A. Spire, P. Seghers, D. Lethessier) au cours d'un débat particulièrement animé, et c'est dans une ambiance assez chaleureuse que J. Gattegno allait intervenir : augmentation des crédits de fonctionnement et d'équipement pour les bibliothèques publiques, et conséquences de la décentralisation tels étaient les deux axes essentiels du discours du nouveau Directeur du Livre (un compte-rendu de ce discours a été publié par Livres-Hebdo, n° 49, du 8.12.81). Il revenait à M. Noël Josephe, Président du Conseil Régional, la tâche de clore ce colloque particulièrement riche en réflexions et en témoignages, et dont les actes devraient être publiés par l'Office Culturel Régional Nord-Pas-de-Calais dans le courant 1982. 1

  1. (retour)↑  Office Culturel Régional Région Nord-Pas-de-Calais, 185-187 boulevard de la Liberté, 59000 Lille.