L'automatisation du prêt
Il n'est peut-être pas inutile de tenter, à la lumière de tout ce que j'ai pu voir durant ce voyage aux États-Unis où j'ai visité onze bibliothèques universitaires, une brève analyse des problèmes que pose à une bibliothèque l'installation d'un système de prêt automatisé, et aussi des bénéfices qu'elle peut compter en retirer.
Si l'on envisage d'abord les parties constitutives d'un système de prêt automatisé, on voit qu'il s'agit de deux fichiers (autrement dit, de deux stocks d'informations), l'un concernant les emprunteurs, l'autre concernant les livres, fichiers qu'il faut constituer et entrer en mémoire.
Par ailleurs, il faut que les entités physiques (personnes et livres) dont les coordonnées ont fait l'objet de cette entrée en mémoire, soient munies d'un signe qui, d'une part prouve qu'elles font bien partie de l'ensemble qui a été mémorisé, et qui d'autre part soit lisible directement par la machine et donne ainsi accès aux informations stockées qui les concernent. Ce signe, c'est le numéro d'identification informatique du lecteur et le numéro d'identification informatique du livre, ce dernier devant toujours correspondre à un volume physique et à un seul.
Enfin, les formats choisis pour les données qui constituent ces fichiers, les voies d'accès à ces données et leur mise en relation, dans toutes les transactions que nécessite la gestion du service, sont l'affaire du logiciel.
La constitution du fichier des emprunteurs
Dans toutes les bibliothèques visitées, la mise en mémoire du fichier des emprunteurs ne semble pas avoir constitué un problème majeur, car elles ont presque toujours pu utiliser les données déjà stockées sous forme informatisée par les services de l'Université. Il a suffi d'ajouter à cette base de données les informations concernant les lecteurs extérieurs à l'Université, autorisés, pour des durées variables, à utiliser la bibliothèque. L'entrée en mémoire des données concernant les lecteurs autorisés est faite manuellement et individuellement par la bibliothèque. Les cartes des lecteurs, qui doivent comporter leur numéro d'identification informatique, sont délivrées soit par l'Université, soit par la bibliothèque (toujours par cette dernière dans le cas des lecteurs autorisés). Dans les systèmes où la carte délivrée par l'Université ne comporte pas le numéro d'identification du lecteur, celui-ci est ajouté par la bibliothèque lors de son inscription.
La conversion du fonds
La conversion du fonds (c'est-à-dire la mise en mémoire informatique des données jusque-là consignées sur des supports matériels traditionnels dans les catalogues de la bibliothèque) constitue, bien évidemment, un problème d'une toute autre ampleur, surtout dans des bibliothèques aux fonds très importants, comme le sont (à des degrés variables) toutes celles que j'avais choisi de visiter.
Sans entrer dans les détails, nous nous contenterons ici de faire quelques remarques générales sur ce problème capital.
Deux méthodes d'approche sont possibles, pour entreprendre la conversion du fonds indispensable à l'installation de tout système de prêt automatisé :
- soit on procède à une conversion systématique d'au moins une partie du fonds avant de mettre en service le système de prêt. Cette méthode est la plus prudente, elle suppose cependant que l'on puisse faire un gros effort d'investissement temporaire, tant pour la location d'un nombre suffisant d'appareils de saisie que pour le personnel nécessaire pour utiliser ces appareils de façon intensive ;
- soit on ne constitue pas de base de données avant l'ouverture du prêt automatisé, et on procède à la saisie des données pour chaque livre au moment où il fait l'objet d'un emprunt. Cette conversion instantanée (ou « à la volée » comme on l'appelle aux États-Unis : « on the fly »), est faite livre en mains, sans recours au catalogue, du moins dans la majorité des cas.
La conversion systématique, elle, est faite à partir des catalogues. Le catalogue que l'on utilise partout comme base de cette conversion est, non pas le catalogue alphabétique d'auteurs, mais l'inventaire par cotes (shelf-list) qui, dans l'immense majorité des bibliothèques américaines, est sur fiches et non pas sur registres.
Cette présentation sur fiches de l'inventaire par cotes facilite beaucoup le travail de conversion :
- d'une part, parce qu'il s'agit de fiches dactylographiées et complètes, qui donc se lisent facilement et permettent de savoir immédiatement et sans risque d'erreur quelle a été la vedette principale choisie (ce qui n'est pas toujours évident dans les registres de cotes plus succincts) ;
- d'autre part, parce qu'un tiroir de fiches est infiniment plus maniable qu'un registre ;
- enfin, parce que ces catalogues (doubles du catalogue auteurs, sous un classement différent), ne sont pas généralement à la disposition du public et qu'il est donc facile, sans gêne pour celui-ci, d'en retirer les tiroirs sur lesquels on travaille.
Il y a également d'autres avantages à baser la conversion systématique du fonds sur le catalogue par cotes, plutôt que sur le catalogue alphabétique d'auteurs :
- il n'y a pas à faire le tri entre fiches principales et fiches secondaires ;
- on peut traiter en priorité les sections de la classification dont on a des raisons de penser qu'elles sont le plus demandées.
Dans la plupart des bibliothèques que j'ai visitées, on a utilisé concurremment les deux méthodes : conversion systématique et conversion instantanée ou « à la volée ».
Un autre point mérite d'être signalé ici : lorsque le fonds (ou une partie du fonds) a déjà fait l'objet d'une conversion sous forme informatisée, mais suivant un autre système que celui que l'on envisage d'utiliser, le problème est réduit d'autant, car il y a presque toujours des moyens techniques permettant de réutiliser les données stockées suivant le premier système et de les transférer dans la nouvelle base de données.
Enfin, il faut faire une dernière remarque générale sur ce problème de la conversion du fonds, et elle concerne le choix d'un format pour la saisie des données (c'est-à-dire le choix des éléments de description du livre qui seront entrés en mémoire) : théoriquement, ce format peut varier entre uniquement le numéro d'identification informatique du volume et la cote - éléments indispensables - et une notice catalographique complète. Disons seulement ici que, pour la constitution d'un fichier orienté essentiellement vers la gestion du prêt, on retient généralement le numéro et la cote, plus l'auteur et le titre abrégé, mais qu'il y a certains établissements où l'on se contente (au moins temporairement) du numéro et de la cote.
Le format choisi est évidemment un des éléments du programme informatique, et ceci nous amène au troisième point de cette analyse qui concerne le logiciel.
La gestion des fichiers et de leurs relations
Cet aspect de l'installation d'un système de prêt automatisé est plus difficile à cerner, car si tout bibliothécaire voit fort bien ce que représente la constitution de fichiers en mémoire, la manière dont on va pouvoir utiliser ces fichiers n'est pas toujours évidente immédiatement dans tous ses prolongements.
Précisons d'abord tout de suite que, à partir du moment où on va mettre en relation le fichier des emprunteurs et celui des livres par l'enregistrement d'un prêt, on crée un troisième fichier, qui est celui des transactions de prêt. C'est donc la gestion de ces trois fichiers qui est conditionnée par le logiciel du système.
Le rôle du bibliothécaire dans ce domaine (que ce soit dans l'optique de l'élaboration d'un système original ou dans celle de l'étude des systèmes existants, en vue d'un choix éventuel) est de rédiger le cahier des charges, c'est-à-dire de définir et d'énumérer aussi complètement et précisément que possible ses exigences, qui sont fonction des services qu'il veut obtenir du système.
Voyons, très en résumé, les principaux points à préciser.
a) En ce qui concerne le fichier des emprunteurs et celui des livres
- d'une part, les voies d'accès que l'on juge indispensables - ou utiles - pour atteindre dans le travail en ligne les informations contenues dans ces fichiers (accès par numéro d'identification seul, ou bien aussi par nom, pour le fichier des emprunteurs ; accès par cote seule, ou bien aussi par nom d'auteur, pour le fichier des livres, etc.) ;
- d'autre part, les éléments de ces informations qui doivent pouvoir faire l'objet d'un tri par la machine (sans cependant qu'il soit nécessaire de pouvoir les atteindre directement), en vue notamment des statistiques (par exemple, statistiques par catégories de lecteurs inscrits) ou de l'obtention de divers produits (par exemple, liste des livres par date d'édition) ;
- en troisième lieu, les fonctions que l'on désire pouvoir exercer pour la gestion de ces fichiers : entrée, modification, renouvellement, annulation d'une notice, etc. (par exemple, modification de l'adresse d'un emprunteur, suppression de la notice d'un livre qu'on met au pilon, etc.) ;
- enfin, les produits que l'on désire obtenir à partir de ces fichiers : listes sous forme de listings ou de microfiches, cartes de lecteurs, etc.
b) En ce qui concerne le fichier des transactions de prêt
- les éléments que doit comporter l'enregistrement d'un prêt, en dehors de l'identification de l'emprunteur et du livre : par exemple, date de l'emprunt, code de durée du prêt, etc. ;
- les fonctions que le personnel aura à exercer : entrée d'un prêt et retour d'un prêt, mais aussi renouvellement d'un prêt, entrée d'une réservation au nom d'un lecteur, etc. ;
- les fonctions que l'on désire voir exercer automatiquement par le système : identification des lecteurs « en faute » (sur le champ ou a posteriori, cela dépend des systèmes), identification d'un livre qui ne doit pas sortir, calcul des amendes pour livres en retard, tri des livres en retard, etc. ;
- les produits que l'on souhaite voir générer par l'ordinateur : réclamations pour livres en retard, rappels pour livres demandés par d'autres lecteurs, facturation pour le remplacement des livres perdus, etc.
Toutes ces possibilités de travail, tous ces services que le système automatisé peut (ou ne peut pas) rendre au bibliothécaire sont fonction du programme élaboré ou choisi, et constituent donc une partie importante des problèmes à étudier, lors de l'installation d'un service de prêt automatisé.
En contrepartie de tant de problèmes à étudier et à résoudre, et du considérable investissement en argent et en travail que représente la mise en service d'un système automatisé pour le prêt, quels bénéfices peut-on espérer en retirer ?
Les bénéfices sont évidents en ce qui concerne directement le service du prêt. Je me contenterai donc de dire ici qu'ils sont immenses pour le personnel, qui est délivré de la tâche sans fin d'intercalation et de désintercalation des fiches de prêt, et qui voit enfin la possibilité de gérer sainement un service important pour la bibliothèque (car il intéresse au premier chef la conservation des collections) et important pour les lecteurs. Tous les bibliothécaires qui ont ou ont eu la responsabilité d'un service de prêt savent combien il est difficile d'assurer une bonne gestion de ce service avec les moyens manuels. Les bénéfices sont non moins grands pour les lecteurs, qui sont délivrés, de leur côté, de la tâche longue et fastidieuse du remplissage à la main des fiches de prêt, et dont les besoins peuvent être beaucoup mieux, beaucoup plus vite - et beaucoup plus équitablement - satisfaits.
Cependant, les bénéfices que la bibliothèque peut retirer d'un bon système automatisé pour le prêt ne sont pas limités au seul service du prêt.
Tous les systèmes que j'ai vus, en effet, permettent de rendre compte, non seulement des livres sortis en prêt (prêt aux personnes ou prêt inter-bibliothèques), mais de tous les livres qui ne sont pas en place en rayon ou en usage momentané dans la salle de lecture : par exemple, livres envoyés à la reliure, ou livres en dépôt prolongé dans une salle spécialisée ou dans un service, etc. En ce sens, ce sont des systèmes de « contrôle des mouvements » des livres plutôt que de simples systèmes de prêt.
Un tel système, qui rend compte avec exactitude, rapidité et fiabilité, de tous les mouvements des livres à l'intérieur et à l'extérieur de la bibliothèque, permet à l'ensemble du personnel une considérable économie de temps et d'énergie, pour toutes les recherches que l'on est constamment amené à faire à la demande des lecteurs ou pour les besoins du travail.
Cela représente un très grand nombre d'heures de travail, récupérées pour des tâches plus rentables, en même temps qu'un service meilleur et plus rapide pour les lecteurs.
Enfin, d'une manière moins directe et moins tangible, mais réelle, un bon système automatisé de prêt peut ouvrir, par ses prolongements et les produits qu'il fournit, de grandes possibilités pour une meilleure connaissance et un meilleur développement du fonds. Le pointage du fonds que l'on est amené à faire au cours de la conversion est l'occasion de relever et de corriger quantité d'inexactitudes, d'erreurs ou d'omissions dans les catalogues, aboutissant ainsi à un meilleur inventaire des collections, et les statistiques du prêt (liste des livres le plus fréquemment empruntés, par exemple) peuvent aider à orienter le fonds en tenant mieux compte des besoins des lecteurs.
A la fin de cette présentation générale, 1 je serais tentée de reprendre les propos d'un collègue américain, qui concluait ainsi un article où il avait présenté les caractéristiques, avantages et inconvénients d'un système de prêt automatisé installé depuis un an dans sa bibliothèque : « Il est bien difficile d'énumérer honnêtement les inconvénients d'un système automatisé, parce qu'il présente tant d'avantages par rapport au système manuel. Aucun membre du personnel n'envisagerait de revenir au système manuel. Le système informatisé a démontré qu'il pouvait faire le travail mieux et plus vite. » 2