L'audio-visuel dans les bibliothèques

Geneviève Le Cacheux

L'audio-visuel s'installe désormais dans nos bibliothèques publiques en bonne harmonie avec les documents imprimés. Associant la lecture des films, des vidéo-cassettes, celle des images fixes, celle du son, les lecteurs utilisent dans la bibliothèque publique moderne pour leur information, leur documentation et leurs loisirs tous les documents offerts, quels que soient leurs supports. Le besoin de la formation continue, à l'échelon individuel ou collectif trouve sa satisfaction dans cet instrument pratique pour tous ceux qui auront appris son fonctionnement, d'où l'importance d'une formation à l'audio-visuel ouverte au plus grand nombre. Également accessibles à la recherche, les bibliothèques publiques, grâce à ces collections audio-visuelles, ouvrent un champ nouveau dans de nombreux domaines, des plus traditionnels aux plus modernes, y compris l'art-vidéo

Audio-visual is now well integrated in public libraries with printed documents. Patrons associate films, video-cassettes, pictures and slides, sound and music, to get information or documentation, or even for their pleasure. Needs for continuing education, individually or in a group are satisfied with the public library, a practical tool for all who learned how to use it, and also to use audio-visual materials. It is therefore, very important to train a large public to it. Research and scholars can also benefit from audio-visual collections not only in traditional fields but in the newest ones, as video-art

Dès qu'il est question d'audio-visuel dans les bibliothèques, insidieusement on lui associe quelques mots péjoratifs qui viennent naturellement à l'esprit des bibliothécaires : problèmes, difficultés, coût élevé, technique sophistiquée !

Je voudrais d'abord m'arrêter sur une première idée surgie en regardant le programme qui nous a été proposé pour ce colloque. Il y est question des « commencements » de l'audio-visuel ou de son introduction dans la bibliothèque. Or, il me semble bien que nous vivons complètement imprégnés d'audio-visuel, nourris d'audio-visuel, hors de la bibliothèque sans doute, mais aussi à l'intérieur. J'ai vécu les débuts de cette « invasion ». Quand ce phénomène s'est-il produit ? Quand lui avons-nous ouvert largement les portes ? Et qui a peur de l'audio-visuel ?

Et puisque nous sommes en Grande-Bretagne et que vous avez eu la témérité d'inviter à ce savant colloque une bibliothécaire pour enfants, vous lui pardonnerez d'avoir choisi pour répondre à cette première série de questions une comparaison qui s'impose à son esprit comme une évidence :

D'après mon expérience personnelle et celle de la Bibliothèque municipale de Caen, où je travaille depuis 1958, et pour situer les « tout-commencements », il m'apparaît que l'entrée massive de l'audio-visuel coïncide exactement avec celle des enfants nés avec le microsillon et la télévision pour tous ! Ils étaient là, comme venus du lointain Pérou, avec leur petite valise à leurs pieds, portant cette mention que j'ai pu déchiffrer « indispensable pendant le voyage ». Mais que contenait le bagage, croyez bien que nul ne le savait alors ! Et si eux, les enfants, n'avaient pas tous leur étiquette pendue au cou, et portant l'inscription : « Ayez soin de cet ours, s'il vous plaît », c'était pourtant bien la recommandation qui m'avait été faite avant de m'accepter au poste de bibliothécaire : prendre soin des enfants et de leur petit bagage culturel, qu'ils ne peuvent laisser, ni à la porte, ni au vestiaire car il leur est « indispensable pendant le voyage ».

Les enfants de cette deuxième moitié du XXe siècle ressemblent beaucoup à l'ours Paddington. Ils sont venus du lointain Pérou, si mal connu des bibliothécaires formés par Gutenberg à l'utilisation et à la diffusion des livres. Mais la petite valise de Paddington ne contient-elle pas uniquement des sandwiches à la confiture d'orange ? Excusez-moi, je voulais dire plutôt, leur bagage audio-visuel n'est-il pas une marmelade poisseuse où se collent de vagues réminiscences radiophoniques et télévisées, mais pas un seul livre ? Et les bibliothécaires sérieux, habitués à la nourriture consistante, nourrissante du livre, beaucoup plus assimilable, disent-ils, car elle nécessite l'activité de celui qui lit, ne prennent-ils pas l'audio-visuel pour un dessert trop sucré, un loisir futile ?

Les préjugés vis-à-vis des produits audio-visuels sont tenaces. La télévision et la radio sont entachées définitivement, semble-t-il, des qualificatifs « passifs », « médiocres », « bêtifiants », « populaires ». Mais quand on y regarde de plus près, n'était-ce pas aussi les qualificatifs attribués aux contes et légendes, aux mythes populaires, à la littérature romanesque parue en feuilleton dans la presse du XIXe siècle ? Qui osait introduire cette littérature dans les bibliothèques au début du siècle ?

Imbus de leur rôle éducatif, les bibliothécaires fournissaient à leurs lecteurs, surtout des livres techniques et scientifiques, ainsi que la littérature classique. Tous les ouvrages de distraction pure étaient rejetés, tout juste bons semblait-il pour les cabinets de lecture populaire, et les kiosques de gare.

Les bibliothécaires peuvent-ils encore considérer le bagage audio-visuel comme tout juste bon pour les émigrés du Pérou qu'ils qualifient d'analphabètes de l'audio-visuel ainsi que le disait le Monde de l'Éducation de mars 1981. Paddington peut bien ouvrir sa valise, elle contient bien de la confiture d'orange, mais elle est sur du pain, le symbole de la nourriture !

Laissons cette comparaison qui a sans doute trop duré et voyons dans quelle mesure l'audio-visuel s'intègre naturellement aux autres media, parmi les activités de la bibliothèque dans les domaines essentiels de son service public, c'est-à-dire : ceux de l'information, de la documentation, des loisirs et de la culture personnelle, de la formation continue, de l'ouverture aux arts et de la recherche. Nous découvrirons au fur et à mesure de notre parcours les difficultés spécifiques liées à l'audio-visuel dans ces différentes fonctions. Nous prenons ce terme audio-visuel dans son sens le moins restrictif, c'est-à-dire celui de produits sonores et visuels, associés ou non, sur des supports qui nécessitent l'utilisation d'appareils de lecture ou de diffusion.

L'information et l'audio-visuel

L'information audiovisuelle a-t-elle pénétré dans nos bibliothèques ? Il semble bien que non quand il s'agit de la radio et de la télévision, dans la mesure où nos structures traditionnelles s'adaptent mal à une information fugitive, qui se périme rapidement : « Une information chasse l'autre », dit-on à son sujet. Surtout ce type d'information s'adresse souvent à un public groupé, et la bibliothèque n'était pas jusqu'à ces dernières années équipée pour l'écoute ou la lecture collective. Pourtant, nous sommes tous conscients de l'impact considérable qu'elle a sur les usagers de nos bibliothèques et sur nous-mêmes. Avant de savoir l'utiliser au profit des services et du public, les bibliothécaires l'ont dénoncée comme envahissante, superficielle. Ils ont proclamé bien haut qu'il fallait protéger les lecteurs et les locaux voués à la culture, de cette marée de sons et d'images qui déferlent des ondes.

Mais le public la reçoit et la trouve indispensable au point de vouloir se l'approprier et non plus d'en faire un usage collectif. Il la préfère à l'information écrite quotidienne. Nous ne pouvons continuer à opposer l'écrit et l'audio-visuel dans la mesure où ces deux types d'informations s'imbriquent l'un dans l'autre.

Les journaux informent sur les programmes radiophoniques et télévisés et leur assurent aussi la « clientèle » consciente et réfléchie, celle qui veut choisir, sinon son information, tout au moins, la manière de la présenter ou de la commenter.

Les hebdomadaires de radio et de télévision sont ceux qui pénètrent le mieux les foyers. Deux enquêtes sur la lecture des jeunes menées dans des établissements secondaires, à Caen et en zone rurale, il y a 4 ou 5 ans, nous avaient permis de mesurer la très grande place qu'ils occupaient dans la majorité des familles.

Il ne faut pas négliger non plus, les changements de comportement nés de l'information audiovisuelle. Elle est si bien intégrée aux habitudes familiales, qu'elle se superpose à d'autres activités :

Il y a seulement vingt ans (!), les parents découvraient, avec stupeur, que leurs enfants écoutaient la radio tout en faisant leurs devoirs scolaires. Ce qui leur paraissait un manque de concentration n'a bientôt plus été remarqué par les éducateurs. En effet, une génération entière avait adopté la formule, et ce ne sont plus seulement les étudiants qui ont deux occupations simultanées, mais aussi bien des mères de famille, des employés coiffeurs, des chauffeurs-routiers, etc. Les appareils à transistors ont accéléré cette modification des habitudes, l'abaissement des prix l'a démocratisée.

Quant à la télévision, elle est allumée dès le début des programmes et les membres de la famille y jettent un regard distrait tout en vaquant à d'autres occupations, jusqu'à ce qu'un fait ou un événement accroche l'attention. Seuls les tout-petits enfants restent attentifs au petit écran, absorbant pêle-mêle tout ce qui se présente, comme de véritables éponges absorbent l'eau à proximité.

Toutes les informations arrivent ainsi, apparemment sans hiérarchie, mais nous verrons plus loin que ce n'est qu'une apparence de nivellement.

Les bibliothécaires ont intérêt à ne pas négliger l'information audio-visuelle dans la mesure où elle pénètre mieux que l'information imprimée dans tous les milieux sociaux et toutes les tranches d'âge.

L'expérience que nous en avons, à la Bibliothèque municipale de Caen où nous entretenons d'excellentes relations avec les journalistes de la presse écrite et audiovisuelle, nous a démontré qu'elle n'est dénoncée que par les milieux culturels favorisés.

Utilisées à bon escient, pour joindre un public mal cerné, mais parfaitement disponibles à des heures d'écoute habituelles, la radio nationale ou régionale et la télévision permettent de faire passer des messages qui portent assurément. Nous ne savons pas exactement jusqu'où ils portent, et s'ils sont bien perçus comme nous le souhaitons : mais, tant pis, nous faisons notre apprentissage de « vedettes » des ondes. Ce qui nous vaut quelquefois d'être « reconnus » à des kilomètres de notre lieu de travail ! Il ne s'agit pas là de la gloire propre aux gens du spectacle, mais bien de la reconnaissance de notre service aux yeux du grand public.

Revenons à l'intérieur de la Bibliothèque où nous offrons aux usagers des moyens d'information par l'imprimé de plus en plus diversifiés : renseignements qu'ils peuvent trouver dans les dictionnaires et encyclopédies ou qu'ils obtiennent par l'intermédiaire des bibliothécaires dans les instruments les plus divers : journaux et revues couvrant tous les domaines et offrant toute la gamme des opinions et des idéologies.

Ainsi, les bureaux de renseignements des bibliothèques, les salles de périodiques sont-ils devenus des lieux très ouverts, où les lecteurs savent pouvoir trouver une multitude d'informations, un choix qu'aucun individu, fût-il richissime, ne peut concentrer à son domicile.

Voilà pour l'imprimé ! Même si grâce à son désir d'exhaustivité, de pluralisme et d'efficacité, le bibliothécaire est confronté à de multiples problèmes, c'est théoriquement possible de les résoudre à condition d'avoir les moyens matériels, des compétences techniques et professionnelles. Mais l'audio-visuel, comment l'accueillir à la bibliothèque pour l'information ?

L'imagination n'a pas manqué depuis vingt-cinq ans pour essayer de l'introduire : revues sonores sur disques ou cassettes, d'un usage difficile dans la bibliothèque, mais bien pratique pour des aveugles ou mal-voyants qui peuvent bénéficier ainsi d'informations souvent condensées à leur intention. Les dictionnaires ou encyclopédies sonores ont aussi tenté une percée. Des diapositives montrent sous forme d'images à projeter ce que sont les objets, les paysages, les monuments, etc., même si cette information n'est pas, comme on l'imagine trop volontiers, immédiatement perceptible ou compréhensible à un public non préparé, c'est une information non négligeable.

L'information télévisée n'est pas si facilement utilisable à la demande. Ce le sera peut-être dans très peu d'années, ou même quelques mois, quand les satellites de communication permettront de saisir les informations en provenance de toute la planète. Le rôle de la bibliothèque publique sera bien, une fois encore, de servir de relai et d'offrir le plus grand choix possible, probablement inaccessible à un particulier. Mais pour tout cela, il reste des progrès techniques à réaliser, ce qui donne un peu de temps aux bibliothécaires pour réfléchir à leur rôle spécifique et celui de leurs établissements.

L'information miniaturisée sur microfiches et microfilms ne pose de problèmes qu'aux bibliothécaires rétifs à l'utilisation des appareils et qui se retranchent derrière des réticences manifestées par le public âgé.

Enfin (mais je me garderai bien de développer cet aspect de l'information audiovisuelle ici, puisque ce n'est vraiment pas mon domaine) l'introduction de l'ordinateur, l'organisation de réseaux et l'introduction de terminaux, permet aux bibliothèques de jouer pleinement leur rôle d'information sur la documentation disponible dans le monde entier, sur tous les sujets possibles. Il ne faudrait pas cependant oublier qu'un réseau d'information mal relié à un réseau de documentation et ne donnant pas accès aux documents primaires, aussi bien organisé qu'il soit, aurait peu de chances de s'implanter profondément et de répondre aux demandes des usagers.

Ainsi, même quand l'information audiovisuelle sera parfaitement maîtrisée, encore faudra-t-il s'assurer que la bibliothèque ait su, non seulement, introduire la documentation que ne manquera pas de réclamer le public, mais aussi, l'organiser et la conserver.

La documentation audiovisuelle et la bibliothèque

La documentation sonore et la documentation visuelle, avec images projetées, ont souvent précédé la documentation audiovisuelle (image et son associés) à la bibliothèque.

Dans les discothèques des années 60, on a pris bien soin d'intégrer des témoignages enregistrés des personnalités du monde des lettres, des arts, des sciences et des techniques. Bien souvent, et c'était alors l'initiative de services expérimentaux des radios nationales ou celle d'éditeurs soucieux d'apporter un supplément de documentation sonore à des textes imprimés, des disques sur lesquels restent gravées des archives sonores des événements importants, marquent les étapes de cet apport documentaire nouveau dans nos bibliothèques. De même, les séries de diapositives permettent de conserver sous un format réduit des pinacothèques et des dossiers techniques.

Très vite des services pédagogiques ont reconnu l'intérêt d'associer images projetées et commentaires sonores pour constituer des documents complets, en particulier à l'usage des jeunes. C'est ainsi que les Bibliothèques de travail sonores sont venues compléter les séries de Bibliothèques de travail imprimées, éditées par les enseignants de la pédagogie Freinet. Ces BT sonores ont associé livret imprimé, diapositives et disques.

Les éditions Rencontres en Suisse ont suivi ce même principe. La Bibliothèque de Caen a introduit tous ces documents sonores, visuels et audiovisuels, dès 1960, à l'usage des jeunes qui avaient été dotés d'appareils de lecture, et il était prévu de le faire, dès que possible pour les adultes.

Le grand tournant de l'audio-visuel pour Caen fut certainement l'installation dans ses nouveaux locaux, en 1971. La bibliothèque avait été câblée et c'était l'année où les prévisions du développement foudroyant de l'audio-visuel faisaient l'objet d'articles optimistes dans la presse écrite. Les éditeurs de livres pensaient à la reconversion... les journaux soucieux de conserver leurs lecteurs ouvraient des services vidéo, et les bibliothécaires lecteurs (!) de Mac Luhan et de sa Galaxie Gutenberg s'observaient avec pitié en guettant leur fin prochaine.

C'était aller bien vite ; en particulier, c'était faire passer le support et le contenant bien avant le contenu, et surtout c'était oublier qu'une bataille technique et commerciale, à l'échelle mondiale, devrait d'abord être livrée - hélas, elle n'est toujours pas achevée - avant d'obtenir des produits audio-visuels et de pouvoir les proposer au public.

Auparavant, il était tout de même possible de diffuser des films documentaires. Mais les cinémathèques des Centres pédagogiques ont cessé de s'enrichir, et leurs collections sont peu ouvertes aux bibliothèques publiques. Celles des Associations culturelles et éducatives vieillissaient aussi et ne pouvaient alimenter nos bibliothèques. Il y a tout de même une mine de documents, mais bien que ce soit du domaine public, cette mine reste inaccessible, et toutes les tentatives pour l'ouvrir et y puiser, même dans un but éducatif ou documentaire, sont restées vaines. Les documents audiovisuels de l'ex-Office de Radio et Télévision Française (ORTF) et ceux des nouvelles chaînes de Télévision restent opiniâtrement enfermés, et défendus avec acharnement contre la convoitise du public. Ils ont été réalisés avec ses capitaux (redevance et impôts) et tant mieux s'il a pu les voir et les apprécier ; pas question d'y revenir une deuxième fois ! La radio nationale a compris beaucoup plus vite que la télévision que le public avait besoin de se reporter à des documents sonores précédemment diffusés sur les ondes. Les cassettes de Radio-France sont facilement accessibles (un peu chères, encore) et la Bibliothèque de Caen a été la première, en France, à constituer ses collections de Radioscopie et autres productions, et d'abord dans un but documentaire. Mais il a fallu attendre jusqu'en 1976 !

Les fonds sonores sont encore peu diversifiés, et quand il faut constituer une bibliothèque documentaire pour les aveugles et mal-voyants, il faut bien faire appel à des associations de Donneurs de Voix qui acceptent d'enregistrer des livres lus à haute voix. On a donc très vite épuisé les ressources documentaires sonores existantes. Cette situation serait sans doute restée bloquée, en France, si le Centre Pompidou, inauguré en 1977, n'avait prévu d'organiser à l'intention du public le plus large, une Bibliothèque publique d'information et d'intégrer tous les produits audiovisuels documentaires aux livres et autres imprimés. Les diapositives, cassettes sonores, méthodes audiovisuelles de langues ont été recherchées, testées, regroupées, et puisque les émissions télévisées n'étaient toujours pas accessibles, ce sont des films documentaires qui ont été transposés sur vidéo-cassettes pour alimenter les collections.

Le succès prodigieux auprès du public ne pouvait passer inaperçu. Pour la première fois, et sans doute aussi parce que l'architecture audacieuse tournait tous les regards vers lui, les bibliothécaires disposaient, au Centre Georges-Pompidou, d'une immense vitrine où le public évoluait au milieu des documents et démontrait ce que devait être la bibliothèque du XXe siècle, c'est-à-dire audiovisuelle, complémentaire de l'imprimé. Et qui peut prétendre après ce succès que les Français ne lisent pas ! Ils lisent quand on leur ouvre des bibliothèques, ils y séjournent, ils utilisent largement les produits audio-visuels et peuvent enfin exprimer leurs préférences.

Une autre étape a été franchie en 1978 quand le Ministère de la culture, le Fonds d'intervention culturelle, le Ministère de l'éducation et la jeunesse et les sports ont lancé l'expérience de diffusion de l'audio-visuel à des fins documentaires dans huit bibliothèques de province. La Bibliothèque de Caen a été bénéficiaire de cette opération et a pu constater son impact sur les usagers. Diapositives intégrées aux livres en libre accès, vidéo-cassettes à la libre disposition des lecteurs, leur redonnent la possibilité de choix des lectures documentaires variées dans les domaines les plus divers.

C'est souvent un public nouveau, ainsi gagné aux bibliothèques et qui associe l'utilisation des documents audiovisuels et des imprimés. Ce public est jeune, il séjourne longtemps dans les locaux et l'enquête du GIDES menée à la demande du Ministère de la culture par Jean-Claude Passeron et son équipe (L'Œil à la Page, compte rendu, novembre 1979, 2 volumes multigr.) montre que ce public possède souvent son propre matériel et serait prêt également à emprunter les documents pour une utilisation individuelle à la maison.

La Bibliothèque de Caen a la possibilité de diffuser les produits audiovisuels et en particulier les vidéo-cassettes à des groupes constitués qui désirent échanger des avis sur ces documents et en débattre. La demande est allée en s'amplifiant de mois en mois. Les visionnements individuels (plusieurs milliers par an) saturent les deux appareils de lecture de vidéo-cassettes, et ceux des diapositives. Les groupes se succèdent pour des visionnements suivis de discussions. Nous attendons avec impatience l'avènement du vidéo-disque, qui simplifiera le stockage, la manipulation et la conservation des documents et des appareils de lecture, aussi bien pour l'image que pour le son. La bataille du matériel est engagée, sera-t-elle plus brève que la précédente ? Cette fois, les produits existent et le public est dans l'expectative !

La partie engagée tardivement et lentement pour la documentation audiovisuelle est presque gagnée par le public des bibliothèques mais qu'en est-il de ses loisirs et de sa culture personnelle ?

Loisirs et culture personnelle

Les discothèques ont d'abord fait une percée timide (de la part des pouvoirs publics parce qu'elles sont coûteuses à mettre en place). Cette percée a été vécue avec réticence par des bibliothécaires que leur formation ne préparait pas à traiter ce nouveau support, plus fragile que le livre, avec enthousiasme du côté des usagers. Mais comment concilier ces différentes attitudes ?

A Caen, et vous m'excuserez de citer continuellement mon expérience personnelle, ce sont encore les enfants qui avaient été bénéficiaires de l'expérience : en 1960, on leur constituait une discothèque d'écoute sur place : composée de musique, contes, opérettes, histoires vécues ou imaginaires.

Étant donné qu'ils ne possédaient pas souvent d'électrophones personnels, cette discothèque collective donnait satisfaction.

Les adultes avaient eu leur discothèque de prêt à la Maison de la Culture en 1964, mais les événements de 1968 avaient bloqué l'instrument malgré l'essai de ré-ouverture en 1969 d'une discothèque d'écoute sur place, le public manifestait sa désapprobation d'avoir été privé d'une source d'emprunt de disques pour son plaisir et sa culture musicale.

L'ouverture, en 1974 seulement, pour des raisons financières, d'une discothèque de prêt à la bibliothèque centrale a immédiatement rencontré un immense succès. La rotation des disques est rapide, et une deuxième discothèque a été ouverte à la fin de 1979 dans une bibliothèque annexe, toujours avec autant de succès. Les loisirs et la culture musicale sont donc bien intégrés à la vie de la bibliothèque, il en est de même de la culture littéraire et théâtrale dans la mesure où des disques sont disponibles dans ces différents domaines.

Par contre, le cinéma est mal desservi dans nos bibliothèques françaises. Il ne peut sortir des circuits commerciaux sauf quand il est pris en charge par les cinémas d'art et d'essai, obligés à des prouesses financières et techniques pour se maintenir face au cinéma commercial.

Le public demande plus. Il souhaiterait accéder, quand il lui plaît, aux meilleurs films du répertoire, pour son plaisir et sa culture personnelle ou familiale. Les nombreuses demandes d'emprunt de films qui sont adressées à la bibliothèque en font foi !

Il faudra bien un jour disposer de vidéo-cassettes ou vidéo-disques qui permettront de voir ou revoir à volonté, les films qui constituent un patrimoine culturel, actuellement inaccessible. En attendant, les lecteurs se rassasient de diapositives sur le cinéma, qui rencontrent (à Caen tout au moins) un succès aussi grand que les diapositives sur les arts graphiques et la BD.

D'autres documents audiovisuels sont réclamés par les usagers, ce sont les opéras, les pièces de théâtre, les spectacles de mime qui souffrent de ce manque de diffusion audiovisuelle, ce qui explique en partie sa désaffection pour les spectacles et le cinéma à l'extérieur, à des heures et dans des lieux qui ne correspondent plus aux besoins et à des loisirs étalés dans la journée.

Un projet de bibliothèque-annexe intégrée à un centre culturel où un cinéma d'art et d'essai sera aussi implanté, devrait nous permettre dans un proche avenir, si la crise ne retarde pas trop les travaux, de tester les aptitudes des lecteurs à accéder à une solide culture cinématographique.

Les arts graphiques sont accessibles grâce aux diapositives, ou aux estampes que plusieurs bibliothèques ont su organiser dans leurs collections. De même pour les peintures. Des vidéo-cassettes sur les peintres et leurs œuvres figurent aussi dans les collections.

L'art-vidéo, nouveau venu au milieu des autres, trouve peu à peu sa place et son public, malgré son langage ésotérique. C'est à la bibliothèque qu'il risque de mieux s'installer.

Mais la véritable culture, en profondeur, et même l'accès à des loisirs choisis délibérément passent l'une et l'autre par une formation à l'audio-visuel, et parce que cette formation n'est pas encore prise en charge par beaucoup d'autres organismes, la bibliothèque est souvent sollicitée pour l'assurer ou tout au moins pour servir de cadre à cette formation.

La formation et l'audio-visuel

L'idée trop répandue du code « universel » du message audiovisuel, d'une « facilité » de sa perception a bien longtemps empêché l'observation pragmatique des faits. La culture audiovisuelle s'acquiert, elle ne se « diffuse » pas spontanément pas plus que celle de l'écrit, toutes les études menées par Jean-Claude Passeron et publiées le confirment.

Je n'insisterai pas sur le rôle de l'éducation scolaire à ce sujet, nous serions menés dans un débat sans fin, et ce n'est pas notre propos. Je voudrais seulement affirmer une fois de plus, quitte à rencontrer l'opposition de quelques collègues, que la bibliothèque publique a aussi un rôle éducatif et que le bibliothécaire n'a pas seulement, dans sa charge, la mission de conserver et d'entretenir en bon état de marche un instrument de savoir et de culture, il lui faut aussi initier le public à l'utilisation de cet instrument, sous peine de le voir devenir obsolète.

Les bibliothécaires français ont risqué cette dramatique faillite, ils en ont été sauvés par les enfants, arrivés en masse sur le terrain des bibliothèques et qui gentiment, mais avec ténacité, leur ont répété d'une toute petite voix « s'il vous plaît, dessine-moi un mouton ! »

Quand, étant bibliothécaire chargée des enfants, vous vous rappelez que vous avez surtout étudié la géographie, l'histoire, le calcul et la grammaire, vous répondez que vous ne savez pas dessiner. Mais les enfants insistent : « Ça ne fait rien. Dessine-moi un mouton », il faut bien s'exécuter, et vous dessinez deux ou trois moutons. Mais ils sont refusés, et à bout de patience, vous griffonnez une caisse en déclarant que le mouton est à l'intérieur.

L'audio-visuel, c'est ce fameux mouton du Petit Prince de St-Exupéry. Les enfants savent le voir dans la caisse informe que nous leur remettons, et ils vivent avec, en bonne harmonie.

Ce que je veux dire, en choisissant cette image, c'est que pour apprendre à utiliser l'audio-visuel, à l'intégrer à sa culture personnelle, l'assimiler vraiment, il faut bien en faire soi-même, et permettre à tous ceux qui le désirent d'en faire aussi. Sinon, le processus d'apprentissage restera académique et sans doute trop lent.

Qui fait de la photo n'a pas le même regard sur les choses et les paysages. Une bonne lecture critique passe aussi par l'écriture.

Sans doute ne faut-il pas exagérer l'aspect de création, en parlant de la formation à l'utilisation des documents audiovisuels, et dans ce domaine, si l'école n'a pas toujours joué son rôle, elle le fera sans doute.

Pourtant, nous sommes entrés dans un autre monde, celui d'une formation permanente nécessaire, indispensable même, pour qui ne veut pas se scléroser, ou même disparaître économiquement. La bibliothèque publique n'est pas le seul instrument de cette éducation continue, mais elle en est un outil pratique et pris en charge collectivement. Ainsi, avant même d'avoir compris que nous nous trouvions pris dans un engrenage de formation permanente, avant même que le terme ne soit à la mode, et que des textes législatifs viennent appuyer une demande diffuse ou consciente du public, la Bibliothèque de Caen, très modestement se lançait dans une formation à l'audio-visuel.

C'était en 1960, et toujours avec les enfants qui, pour les animations organisées pour mettre à leur portée les collections de documents, et leur apprendre à utiliser l'instrument bibliothèque : expositions, représentations théâtrales, marionnettes, etc. avaient besoin d'un magnétophone pour enregistrer leurs textes et les diffuser. Il leur fallait bientôt un appareil photo pour faire leurs diapositives. Celles du commerce, en petit nombre, ne les satisfaisaient pas. Puis ils ont peint eux-mêmes les images à projeter. Tout cela venait naturellement, sans s'appuyer sur une politique ou une pédagogie conscientes.

En 1972 quand, dans son discours d'inauguration de la bibliothèque, M. Dennery, Directeur des bibliothèques et de la lecture publique, proclamait qu'elle ouvrirait une large place à l'audio-visuel, c'était déjà une réalité puisque ce discours est enregistré sur cassette, et que nous avons une bande vidéo pour commémorer cet événement.

L'atelier audiovisuel, ouvert en 1974 s'est fixé pour objectif la lecture des multimedia et la création, il est toujours très actif. Les participants des différentes activités apprennent en les pratiquant, les montages audiovisuels et la technique vidéo. De courts stages d'initiation sont programmés régulièrement. Ils n'ont pas pour objectifs de former des professionnels de l'audio-visuel, mais des usagers conscients et des lecteurs critiques de tous les media.

De nombreux groupes en formation continue, des horizons les plus divers : employés, assistants d'architecte, avocats stagiaires, utilisent régulièrement les services de la bibliothèque pour leur formation à l'utilisation des documents de toutes natures : livres, vidéo, diapositives, disques. Ils le font en vue d'améliorer leur culture, ou de savoir organiser leurs loisirs. Certains le font dans une optique de recyclage professionnel, les enseignants en particulier.

L'initiation aux arts

Une initiation aux arts, jumelée avec les expositions, se fait de plus en plus à l'aide de l'audio-visuel. Projection de diapositives, diffusion de poèmes, musique ou textes lus à haute voix dans le cadre des expositions et des animations, concourrent de plus en plus à une meilleure approche des arts du livre, de la peinture et aussi de la littérature.

Souvent aussi, des vidéo-cassettes présentent des artistes au travail, ce qui permet aux lecteurs, soit de mieux comprendre une technique, soit de saisir les objectifs de l'artiste.

Je ne reviens pas sur l'utilisation des disques et des émissions sur la musique. Sans doute, ces diffusions sont souvent confondues avec la musique d'ambiance. En réalité, les discothécaires savent les organiser pour permettre une approche de toutes les musiques, et fournir ainsi une gamme plus étendue de choix aux usagers qui, faute d'occasion, resteraient souvent confinés dans un genre.

La recherche

Les bibliothécaires sont habitués aux érudits, qui savent si bien fouiner dans les manuscrits et les livres savants. Ils connaissent aussi les chercheurs universitaires qui restent absorbés par un sujet, pendant plusieurs années, et à qui ils fournissent volontiers brochures et documents variés.

Mais une nouvelle race de chercheurs fréquente aussi les bibliothèques. Ils étudient les documents audiovisuels avec la même ténacité que les écrits.

Pour la recherche historique, où la France est mal équipée en documents audiovisuels, les archives télévisées seraient une mine inépuisable. Même à l'échelon local, elles restent encore inaccessibles. Et pourtant, que de magazines et de journaux télévisés mériteraient d'être revus au même titre que la presse écrite, pour des études poussées.

Des instituts de recherche historique pratiquent ainsi l'audio-visuel aux États-Unis, mais nous avons en France beaucoup de retard.

Des domaines innombrables se sont ouverts grâce aux documents audiovisuels : la sociologie, la psychologie, l'étude linguistique, etc.

Et parce qu'il est difficile de choisir, je voudrais seulement parler d'une expérience, en cours actuellement à Caen où l'étude d'une cassette vidéo américaine rassemble des chercheurs de l'université issus de domaines extrêmement variés : linguistique, psychologie, sciences de l'éducation, langage cinématographique, etc. dans le cadre du Centre de Recherche des Pays de langue anglaise associé dans cette opération avec l'Association des amis de la bibliothèque.

Conclusion

Pour conclure un exposé sans doute trop long, il m'amuse de citer un usager de Caen interviewé par les sociologues, lors de leur enquête sur la diffusion de l'audio-visuel, au printemps 1979 (L'Œil à la Page, p. 378) . « L'Audio-visuel, faut pas exagérer, ce n'est pas le Pérou... C'est tout nouveau et puis de toute façon, je n'ai pas tellement le temps. Le midi, des fois que j'irai... En général, il y a beaucoup de monde tout le temps, mais ce qui est intéressant, c'est bien, faut être honnête, c'est bien, oui. »

Ainsi, l'introduction de l'audio-visuel dans les bibliothèques ne bouleverse pas les usagers, ni ne les déconcerte. Ce n'est même pas un dépaysement comme on aurait pu le croire !

« Ce n'est pas le Pérou » !!! Il y a comme un regret à cette constatation, qui montre bien que le souhait latent de beaucoup était une sorte d'espoir vers une culture facile, accessible. Dans le : « C'est tout nouveau » ne voyez pas là une contradiction, c'est peut-être parce que le lecteur resté en marge et regardant l'audio-visuel de loin, invoque le manque de temps, c'est tout nouveau pour lui, mais il envisage d'y prendre part peut-être un jour : « le midi, des fois que j'irai ». Pendant des loisirs, et sans doute après une meilleure initiation, ou une formation.

Et ce propos typiquement normand : « faut être honnête (...) c'est bien, oui » est le constat des usagers et aussi des bibliothécaires.

  1. (retour)↑  Texte d'une communication présentée à la Conférence franco-britannique de Canterbury organisée du 10 au 14 avril 1981 par la Library association et l'Association de l'École nationale supérieure de bibliothécaires. Un compte rendu de cette conférence est donné dans ce même Bulletin.
  2. (retour)↑  Texte d'une communication présentée à la Conférence franco-britannique de Canterbury organisée du 10 au 14 avril 1981 par la Library association et l'Association de l'École nationale supérieure de bibliothécaires. Un compte rendu de cette conférence est donné dans ce même Bulletin.