La bibliothèque de l'Assemblée nationale
Jean Marchand
Au cours des dernières années, le Bulletin a, bien des fois, rendu compte des monographies que l'Allemagne, l'Autriche, l'Italie et l'Angleterre ont consacrées à leurs principales bibliothèques. Qu'attendions-nous, en France, pour suivre leur exemple ? Grâce à Jean Marchand et aux Bibliophiles de Guyenne, voici comblé le vœu de tous les amis des livres pour l'une des plus belles et des plus originales de nos bibliothèques.
Par la richesse de ses collections et par la manière dont elles ont été rassemblées, la Bibliothèque de l'Assemblée nationale justifie les amples recherches dont son ancien bibliothécaire, Jean Marchand, livre aujourd'hui l'essentiel, prenant soin d'ailleurs, avec la conscience du chartiste, de définir par un sous-titre les limites qu'il s'est assigné : « histoire de ses origines, de sa constitution officielle et de ses développements, sous l'administration de Camus et de Druon, jusqu'à la construction de la bibliothèque actuelle. » Ce n'est donc pas une monographie générale qui nous est offerte, ni la description systématique des fonds, ni l'inventaire des plus beaux livres, mais l'histoire d'une période particulière. L'ouvrage gagne en profondeur ce qu'il perd en surface.
Le chapitre le plus vivant concerne Camus, qui cumula ses fonctions d'archiviste et de bibliothécaire avec celles de président du Conseil des Cinq-Cents. Il refusa le portefeuille de ministre des finances pour ne pas abandonner ses livres et ses archives. Avocat du clergé de France au Parlement de Paris avant la Révolution, Camus se distingua à la Constituante et à la Convention. Bien que les circonstances l'aient empêché de participer au vote sur la mort de Louis XVI, il tint à déclarer qu'il s'y serait associé de bon coeur et il accepta la plus dangereuse des missions : signifier à Dumouriez que le gouvernement met fin à ses services. Le général jeta le malheureux émissaire dans un cachot où il resta trois ans. C'est là qu'il écrivit son Manuel d'Épictète avec de la suie délayée, à l'aide d'un cure-dents. Ce texte est fièrement daté du 889e jour de sa captivité, l'an III de la République.
Libéré en échange de Madame Royale, il est reçu triomphalement à la Convention, le jour où celle-ci cédait la place au Conseil des Cinq-Cents, dont il est nommé membre de droit et bientôt président. Élu membre de l'Institut, il reprend en mains la bibliothèque. Il joignait à ses talents d'organisateur les goûts du bibliophile : « Après le choix des livres et des éditions, dit-il, je n'ai pas été indifférent à la beauté des exemplaires. La beauté du caractère ou du papier ne supplée certainement pas au défaut de bonne qualité du livre, mais elle n'y nuit pas non plus : elle ajoute le plaisir des yeux au plaisir de l'esprit. »
Intransigeant dès que les intérêts de la bibliothèque étaient en jeu, Camus préféra démissionner plutôt que de céder les locaux qu'elle occupait dans l'hôtel de Lassay pour le logement du corps législatif, en 1804. Son successeur Druon, ancien bénédictin, à défaut du relief de Camus, possédait les qualités traditionnelles du parfait bibliothécaire. Jean Marchand suit pas à pas sa gestion jusqu'à 1834, date du transfert de la bibliothèque dans le magnifique vaisseau peint par Delacroix. Les derniers chapitres du livre fournissent une utile documentation sur les dépôts littéraires où furent puisés les principaux éléments de la richesse des fonds anciens.
A défaut de notices sur les plus beaux livres de la bibliothèque, on trouvera la reproduction des plus célèbres d'entre eux dans les vingt planches qui ornent l'ouvrage : Procès de Jeanne d'Arc, Bible de Mayence de 1462, manuscrit autographe de la Nouvelle Héloïse, notamment.