La guyane française
un bilan de trente années
Gérard Brasseur
Plutôt qu'un bilan des trente années du régime de la départementalisation - bilan qui résulterait d'une comparaison entre la Guyane de 1946 et la Guyane de 1976, la première étant elle-même le résultat de plus de trois siècles de colonisation ! -, c'est un état de la Guyane française d'aujourd'hui que dresse l'éminent géographe tropical de l'ORSTOM, à la suite d'une enquête effectuée en marge de la préparation de l'Atlas de la Guyane publié par le Centre de géographie tropicale de Bordeaux (CNRS) et l'ORSTOM.
Trente et quelques années après la loi du 19 mars 1946, la Guyane reste toujours le département le plus curieux de France, comme le lecteur le découvrira aux mille détails que contient ce beau numéro des « Notes et études documentaires ». Départementalisation réussie dans l'ordre administratif (on a même parfois l'impression que la Guyane tout entière est sécrétée par l'administration), honorable dans le domaine social, appréciable en ce qui concerne l'infrastructure, désastreuse sur le plan économique, les importations étant couvertes par les exportations dans la limite de 5 %. M. Brasseur a constaté que ce non « décollage » économique est parfaitement décrit par Jules Duval en 1864, en termes toujours actuels, et que la meilleure année pour l'agriculture guyanaise est... 1838, après quoi il y a « essouflement ».
Pourtant, après l'alibi du Centre spatial et le mirage de l'exploitation de la forêt, qui a ajouté quelques éléments à l'unique collection d'échecs que constitue l'histoire de la Guyane, c'est encore le développement agricole que M. Brasseur voit le mieux parti (p. 176), du moins en zone littorale, car en dehors, « les sols de la Guyane ne permettent pas de grands espoirs » (p. 24). Or cette zone littorale se trouve beaucoup plus étroite en Guyane française qu'en Guyana et au Surinam, comme le rappelait l'intime connaisseur de la Guyane qu'est M. Jean Hurault dans son merveilleux livre Français et Indiens en Guyane -lorsqu'il s'agit de comparer les trois Guyanes. Et donc, en dehors de la zone littorale, la fragilité des sols fait que les techniques indiennes d'utilisation, qualifiées d'archaïques (p. 85) par M. Brasseur, l'itinérance, le feu, sont les mieux adaptées.
Mais, malgré les handicaps du milieu naturel, devant la constance dans l'échec, on en vient à se demander si l'explication n'est pas à rechercher par des études sociologiques, si la faillite de la population créole est uniquement d'ordre démographique, quantitatif, ou aussi qualitatif, manque d'esprit d'entreprise, de goût au travail, d'ingéniosité, de persévérance ? Le département de la Guyane reste une sorte de colonie portée à bout de bras par la France, à fonds perdus. Mais M. Brasseur nous rassure : elle ne représente qu'un millième des dépenses de la France, et le plus gros de ce millième ne sort pas de la famille (« ne quitte pas le circuit national », p. 172).