Reims et les Rémois aux XIIIe et XIVe siècles
Pierre Desportes
L'histoire de la Champagne et de ses villes a été trop longtemps délaissée. Aussi se réjouit-on d'autant plus du renouveau d'intérêt qui se manifeste depuis quelques années, particulièrement dans le domaine de l'histoire médiévale. Après le tome 1 de la Gallia Monastica (Les Abbayes bénédictines du diocèse de Reims, par Françoise Poirier-Coutansais. - Paris, 1974), la thèse de M. Bur : La Formation du Comté de Champagne, v. 950-1150 (Nancy, 1977), l'ouvrage de P. Desportes vient heureusement éclairer les 13e et 14e siècles.
Pour étudier Reims, cité originale et importante au Moyen âge, siège métropolitain, ville des sacres, P. Desportes a pu s'appuyer sur une documentation locale exceptionnellement riche pour la période 1270-1338 (les titres de propriété, actes de vente,... archives des nombreuses églises rémoises, rôles de taille par paroisses - de 1301 à 1328 -, fragments des archives des sacres, « Prisée » de 1328, testaments), et à partir de 1328 sur des registres de comptes des archives municipales.
P. Desportes analyse tout d'abord la période 1180-1270, où Reims connaît un essor remarquable. Très semblable en bien des points aux villes mosanes, Reims a une économie prospère fondée sur le tissage de la toile (exportée jusqu'en Asie centrale, en passant par l'Italie et Tabriz, l'Espagne, l'Égypte, la Baltique). Elle en diffère cependant par son statut de ville archiépiscopale et l'importance du personnel clérical.
Cependant, cet essor dissimule les faiblesses qui vont entraîner la stagnation puis le déclin. La concurrence de Troyes et de ses foires, la tutelle de l'archevêque que l'échevinage s'efforcera de lever en s'adressant de plus en plus au roi, l'aggravation de la fiscalité qui en résultera, les difficultés de la draperie vont compromettre une situation brillante, et la Guerre de cent ans achèvera le déclin en isolant la ville, restée fidèle aux capétiens au milieu des bourguignons, en coupant les voies de communication et en lui imposant un effort financier très important pour sa défense et pour les aides au roi.
A travers ces deux siècles, P. Desportes s'efforce de montrer la vie de la cité, ses institutions originales, sa composition sociale, tant en étudiant la fortune, les métiers, les occupations de ses habitants, qu'en suivant l'évolution de quelques familles. Il s'intéresse aussi à l'urbanisme, consacrant un chapitre à l'œuvre de l'archevêque Guillaume Aux-Blanches-Mains dont on est étonné de constater à quel point Reims, presque totalement détruite par la guerre de 1914-1918, conserve l'empreinte. Il analyse l'activité économique, le rôle de la place financière, les rapports avec la campagne avoisinante, la condition juridique du sol, le droit coutumier, ses rapports avec l'extérieur, son attitude vis-à-vis du roi, l'administration de la cité...
Il en ressort une étude fort intéressante à lire et extrêmement complète (d'autant plus que l'éditeur a conservé l'appareil critique de la thèse ainsi que les nombreux index), et qui devrait avoir sa place dans toutes les bibliothèques d'étude par l'éclairage qu'elle projette sur les XIIIe et XIVe siècles et sur une des villes les plus importantes du Royaume à cette époque.