La tige et le rameau

familles anglaises et françaises, XVIe-XVIIIe siècle

par Jean Watelet

René Pillorget

Calmann-Lévy, 1979. - 328 p. ; 22 cm. ISBN 2-7021-0295-6.

« L'objet de l'histoire réside beaucoup moins dans une vivante reconstitution du passé que dans une meilleure compréhension de l'homme vivant en société, de l'homme tout entier, avec tous ses problèmes ». Professeur à l'université d'Amiens, l'auteur nous présente une des premières études publiées sur la vie familiale dans deux pays relevant de la même ère de civilisation : la Chrétienté latine, et dont les sociétés reposent sur le même principe : la primauté de l'épée.

Si l'Église - catholique ou anglicane - intervient beaucoup dans la vie des familles, le roi légifère peu, en France comme en Angleterre, sur les questions de droit privé, mais sa vision des choses peut être très différente de celle des autorités ecclésiastiques. L'Église défend la liberté des personnes, le roi défend le point de vue des lignages. Dès le XVIe siècle, l'histoire du mariage est celle d'un heurt entre ces deux autorités.

Le mariage, base de la société familiale, est à la fois un sacrement et un contrat, régi, selon l'Église, par le droit canon.

La famille une fois constituée, se posent les questions de la gestion du patrimoine et de l'économie domestique. Les conseils ne manquent pas dans ce domaine, et les livres consacrés au ménage apparaissent très tôt, qu'il s'agisse de La Maison réglée, ou de The English housewife, publiée en 1649, sans oublier Le Parfait cuisinier ou, dès 1653, la traduction en anglais sous le titre de The French cook de l'ouvrage de La Varenne Le Cuisinier français. Dans les grandes familles, un des événements les plus catastrophiques qui puisse survenir est l'hébergement du roi ou des princes. En août 1600, chez lady Margaret Hoby, ses hôtes se comportent de façon si scandaleuse que la châtelaine est contrainte de les faire traduire en justice, mais l'essentiel, quel que soit le rang occupé par la famille, est l'accroissement du patrimoine, dont nous suivons l'évolution à travers les innombrables contrats, donations, procès.

Théologiens catholiques et théologiens anglicans s'accordent pour encourager la procréation, qu'il s'agisse de saint François de Sales : « La procréation des enfants est la première et la principale fin du mariage, jamais on ne peut loisiblement se départir de l'ordre qu'elle requiert » ou de l'auteur de The Whole duty of man publié en 1659 : « Les fins du mariage étant au nombre de deux : la procréation des enfants et la lutte contre la fornication, rien ne doit être fait qui puisse empêcher la première d'entre elles ».

Quant à l'avortement, il est puni de mort par un édit de Henri II, daté de février 1556, et renouvelé régulièrement jusqu'en 1731. La législation est relativement plus libérale en Angleterre puisqu'elle s'applique, à partir de 1623, uniquement aux meurtres d'enfants légitimes.

Pour Bossuet, qui écrit le Catéchisme du diocèse de Meaux : « éviter d'avoir des enfants est un crime abominable ».

La mortalité infantile est considérable : 150 pour mille au XVIIe siècle. 30 à 40 % de ceux qui sont nés viables ne dépassent pas l'âge de quinze ans.

La population augmente lentement : vers 1500, l'Angleterre compte environ 2 500 000 habitants et la France 18 000 000, chiffres qui passent, à la fin du XVIIIe siècle, respectivement à 6 300 000 et 22 000 000. La durée de la vie est courte : une trentaine d'années en moyenne, dans un pays comme dans l'autre, et « la vieillesse est un accident heureux », le seul centenaire authentique étant Fontenelle.

Absolue, l'autorité paternelle décline peu à peu au profit de la législation, et en France le roi refuse de plus en plus souvent de faire droit aux familles qui demandent des lettres de cachet, et les renvoie à la justice ordinaire.

Les divergences entre les mœurs françaises et anglaises, qui atteignent leur sommet au temps de la Révolution française, s'atténuent avec la restauration de l'ordre familial entreprise par Bonaparte lors de la rédaction du Code civil et finalement les deux civilisations deviennent parallèles.

Ouvrage d'une immense érudition, mais néanmoins d'une lecture plaisante en dépit d'un titre quelque peu elliptique, La Tige et le rameau apporte une contribution essentielle à la connaissance de l'histoire de la société européenne.