Une Nouvelle réorganisation des services des bibliothèques publiques en Angleterre ?

Graham Barnett

Depuis 1965 à Londres, et depuis 1974 dans le reste du pays, les bibliothèques publiques d'Angleterre ont bénéficié d'une réorganisation des collectivités. Pour la plupart le bilan s'avère positif. Cependant, des mouvements en faveur d'une nouvelle décentralisation risquent d'annuler le progrès réalisé

Since 1965 in London and since 1974 in other parts of the country, British public libraries have benefited from a new organization of local authorities. In most cases, results are positive. However, trends in favour of a new decentralization may cancel this progress

On sait que pendant ces dernières années la réforme des collectivités en Grande-Bretagne a eu des conséquences très importantes, et pour la plupart bénéfiques, pour les bibliothèques publiques 1.

En 1965 est entrée en vigueur la loi sur la réorganisation des collectivités du grand Londres, curieusement à la même date, le 1er avril, que la loi sur les bibliothèques publiques. Celle-là a créé les 33 collectivités actuelles (32 London Boroughs et la Cité de Londres), responsables des bibliothèques publiques de la capitale et, bien sûr, d'autres services publics. Les 33 nouveaux réseaux de bibliothèques remplacent plus de cent services précédemment indépendants les uns des autres et desservent des populations allant de 150 000 à plus de 300 000 habitants. Evidemment, le regroupement de tant de communes n'a pas eu lieu sans poser beaucoup de problèmes, mais il est permis de constater aujourd'hui, treize ans après cette réorganisation, que les conséquences de ce bouleversement ont porté leurs fruits : mise à la disposition du public de fonds de livres de plus en plus variés, développement de services spéciaux (pour les handicapés, les minorités ethniques, les écoles, etc.), gestion plus efficace avec la mise en place de systèmes automatisés, construction de nouvelles bibliothèques centrales impressionnantes (telles Sutton et Bromley). Les statistiques de fréquentation traduisent une certaine satisfaction auprès du public londonien : 85 millions de prêts de livres en 1976-1977, 4 millions de prêts de disques et des millions non chiffrés de consultations et de demandes de renseignements dans les sections de référence.

Voilà pour la capitale. Mais en dehors de Londres, un système d'administration très compliquée continuait après 1965 avec des comtés, des bourgs-comtés, des bourgs non-comtés, des districts urbains, etc., jusqu'à la fameuse réforme des collectivités locales en 1974. Celle-ci visait à abolir les divisions entre villes et comtés qui ne sont plus valables aujourd'hui et à profiter des économies d'échelle que pourrait permettre un regroupement de communes dans des unités beaucoup plus importantes. C'est ainsi que l'Angleterre a été réorganisée en 6 comtés métropolitains qui comprennent les agglomérations les plus importantes (telles West Midlands avec 2750000 habitants, Greater Manchester avec 2 500 000, Merseyside avec 1 600 000, etc.) et 39 comtés non-métropolitains. Les comtés sont divisés en districts. Dans les 6 comtés métropolitains, ce sont les 35 districts qui ont la responsabilité des réseaux de bibliothèques. A titre d'exemple, le comté métropolitain des West Midlands comprend sept services de bibliothèques autonomes : la ville de Birmingham (1 000 000 d'habitants), Solihull (200 000), Wolverhampton (266 000), Walsall (268 000), Dudley (300 000), Sandwell (313 000) et Coventry (337 000). Dans les 39 comtés non-métropolitains, le service de lecture publique incombe aux autorités du comté et non aux autorités du district. En 1974 donc, de nombreuses villes importantes, absorbées dans les nouveaux comtés non-métropolitains, (Bristol, Kingston-upon-Hull, Leicester, Nottingham, Plymouth, Derby, Southampton, etc.), ont « perdu » leur droit de gérer elles-mêmes leurs propres bibliothèques dont le service est désormais assuré par les nouveaux comtés (Avon, Humberside, Leicestershire, Nottinghamshire, Devon, Derbyshire et Hampshire dans le cas des villes citées).

Malgré les immenses problèmes qu'a soulevés cette réorganisation, notamment des problèmes délicats auprès du personnel - des anciens conservateurs en chef municipaux se trouvant désormais sous les ordres du conservateur en chef du comté dans plusieurs cas - malgré ces problèmes, les bibliothécaires anglais ont généralement accueilli avec enthousiasme cette réforme qui permet le développement des services sur une large échelle. Actuellement, il n'y a que 107 services de lecture publique indépendants en Angleterre en comparaison de près de 350 avant 1974. Sans doute faudra-t-il plusieurs années pour que les avantages de cette réorganisation se réalisent pleinement, et il est particulièrement malheureux que cette réforme ait coincidé avec la crise économique et les réductions budgétaires qui pour l'instant freinent les développements souhaités. Les services des anciennes bibliothèques municipales et des anciens comtés ruraux se complètent dans une large mesure. Au fil des années, les services des bibliothèques municipales ont constitué des collections de livres très importantes, ont mis en place des services de référence et d'informations commerciale, technique et scientifique pour desservir les besoins de l'industrie locale, ont développé des discothèques, etc. Les services de lecture publique des comtés ruraux, plus proches des bibliothèques centrales de prêt en France, ont pris leur essor après la première guerre mondiale pour desservir les districts ruraux et les petites villes, et ont une tradition de liaison étroite avec les services d'enseignement. Ils ont peut-être aussi un esprit un peu moins traditionnel que les services municipaux. En principe donc, on est en droit d'attendre des résultats intéressants et bénéfiques pour leurs usagers. Cependant...

Il est logique que les villes importantes ayant « perdu » leurs bibliothèques n'aient pas accepté cette situation sans protester, et en ce moment un groupe de puissantes villes (« les Neuf») mène une campagne pour redonner aux villes de plus de 200 000 habitants la responsabilité de divers services, dont les bibliothèques publiques. Ce groupe expose dans un rapport les raisons de ce transfert éventuel de responsabilités 3. Les bibliothécaires liront avec beaucoup de satisfaction les éloges que ce groupe d'élus réserve aux bibliothèques : « La bibliothèque publique joue un rôle important dans la vie de la collectivité... [elle] devrait devenir le centre d'intérêt pour tous les citoyens et un lieu attrayant pour toute la famille. Dans toute ville, la bibliothèque publique centrale est une des principales particularités dans la vie de la collectivité et celle dont s'enorgueillissent les citoyens » 4. Hélas, de tels appuis n'ont pas toujours été traduits en ressources matérielles pour favoriser le développement des services de lecture publique ! Ce rapport prétend que les décisions sur les bibliothèques sont prises par des administrateurs de bibliothèque de comté éloignés des bibliothèques locales et des populations immédiates qu'elles desservent ; que les conservateurs en chef ne comprennent pas les problèmes locaux ; que les services de lecture publique seraient mieux intégrés avec les services de loisirs que contrôlent les districts qu'avec les services d'enseignement que gèrent les comtés ; que des priorités sont souvent décidées par des conseils de comté où les représentants de districts ruraux sont majoritaires par rapport à ceux des villes. Tout ceci méconnaît le fait que les nouveaux réseaux de bibliothèques dans les comtés non-métropolitains ont mis en place des structures de gestion bien étudiées justement pour répondre aux sensibilités locales et pour donner aux bibliothécaires locaux dans les villes et ailleurs la possibilité de représenter les besoins de leurs propres communautés auprès du conservateur en chef du comté. Il y a même, dans la loi sur l'administration locale, la possibilité de donner un certain pouvoir de contrôle aux conseils de district sur les bibliothèques locales par moyen d'agency agreements : consultation sur les horaires, surveillance de l'entretien des locaux et achats de matériel, développement d'activités culturelles, etc.

Pour sa part, l'Association of District Councils qui représente les conseils de district, réclame aussi la décentralisation des services de lecture publique. Mettant l'accent sur le rôle « récréatif des bibliothèques, démentant la nécessité d'une étroite liaison avec les administrations de l'enseignement, et oubliant que beaucoup de bibliothèques de comté organisent l'acquisition de livres et autres documents pour les bibliothèques scolaires, leur fournissent une aide technique précieuse, etc., cette association prétend que les activités des bibliothèques devraient être liées aux services de loisirs du district. En fait l'association demande que la responsabilité de fournir aux usagers un service de lecture publique soit remise à tous les districts, ce qui entraînerait un démantèlement de tous les services dans les comtés non-métropolitains.

La situation est encore compliquée par les mesures que prend actuellement le gouvernement en faveur de la décentralisation de l'administration, avec une certaine indépendance pour l'Écosse et le Pays de Galles. En ce qui concerne l'Angleterre, un rapport gouvernemental discute la possibilité de créer des administrations régionales qui pourraient remplacer les comtés actuels 5. D'ailleurs, le ministre de l'environnement, qui surveille les collectivités, a déclaré qu'un certain nombre d'importants districts non-métropolitains devraient retrouver certaines responsabilités, et le parti travailliste dans un document qui va être discuté lors de son prochain congrès annuel propose de confier immédiatement aux districts de plus de 100 000 habitants la responsabilité de plusieurs services publics, dont les bibliothèques publiques, et, à plus ou moins long terme, envisage une nouvelle réorganisation des collectivités avec l'établissement d'autorités régionales et de district (celles-ci probablement plus grandes que les districts actuels) 6. Dans ce schéma éventuel, les bibliothèques dépendraient des districts.

La Library association, pour sa part, s'oppose à de tels changements et souhaite une période de stabilité. Elle désapprouve la suggestion de l'Association of district councils selon laquelle un service de lecture publique viable pourrait être organisé par des collectivités d'une population de seulement 40-50 000 habitants. (Ce sont les chiffres retenus, il y a vingt ans, dans des circonstances bien différentes, par le Rapport Roberts sur les bibliothèques publiques dont les recommandations ont abouti à la loi sur la lecture publique de 1964). Par contre, la Library association croit qu'un nombre restreint de comtés non-métropolitains, dotés de ressources importantes, peuvent organiser des services plus efficaces et plus compréhensifs qu'une multiplicité d'administrations de district, et qu'une reprise des anciennes divisions entre collectivités urbaines et collectivités rurales serait une action rétrograde. Elle met en valeur les liens entre les bibliothèques et l'enseignement qui sont plus valables que les liens prétendus avec les services de loisirs où domine le sport, et insiste sur la coopération étroite qui existe déjà entre bibliothèques de comté et organisations culturelles au niveau du district. L'Association of county councils, qui représente les intérêts des autorités de comté, appuie en général les positions de la Library association.

Les bibliothécaires anglais craignent donc une nouvelle période d'incertitude. Après tous les changements intervenus en 1974, ils souhaitent vivement une période de stabilité pour mener à bien les problèmes d'intégration et de rationalisation soulevés par cette réforme d'il y a seulement quatre ans, et pour développer dans les conditions économiques un peu plus favorables que connaît actuellement l'Angleterre des services appropriés pour répondre aux besoins de plus en plus diversifiés du public.

  1. (retour)↑  Voir : Barnett (Graham). - Les Bibliothèques en Angleterre. A.B.F. Bulletin d'Informations, N° 95 (Nouvelle série), 2e trimestre 1977, p. 93-99.
    et Baudin (Guy). - Les Bibliothèques publiques en Angleterre et au Pays de Galles. Bibliographie de la France. Biblio, N° 52, 24 décembre 1975, 2e partie : Chronique, p. 1888-1899.
  2. (retour)↑  Organic change : the future allocation of govemment functions. Submission prepared.. [by] the largest non-metropolitan district councils in England. Nottingham, 1978.
  3. (retour)↑  Ibid., p. 21.
  4. (retour)↑  Office of Lord President of the Council, Devolution : the English dimension. - London : Her Majesty's Stationery Office, 1976.
  5. (retour)↑  The Labour Party, local government reform in England. A policy statement by the National Executive Committee to be presented to annual conference, October 1978. - London : Labour Party, 1978.