Rapport de mission en Yougoslavie

Dejan Bogdanovic

Introduction

Entre le 23 septembre et le 13 octobre 1976, j'ai séjourné en Yougoslavie, en compagnie du Pr Pertev Naili Boratav qui s'y rendait avec une mission du CNRS.

Le Pr Boratav est Turc. Il vit en France depuis 1952. Ses travaux le classent parmi les meilleurs spécialistes de la littérature turque orale. Mondialement connus, ils sont souvent utilisés par les chercheurs yougoslaves. C'était là la première mission de M. Boratav en Yougoslavie.

Ce séjour se situait comme la prolongation naturelle des deux années d'enseignement (1974/75 et 1975/76) à l'École pratique des hautes études de Paris, au cours desquelles M. Boratav avait analysé les contes en langue turque relatifs au personnage humoristique international de Nasreddin Hoca. Devenu (Nasradin Hodza, en serbo-croate) il est aussi le héros le plus populaire de la littérature orale en Yougoslavie. Notre mission constituait la suite normale du Séminaire sur les apports orientaux aux langues et civilisations du Sud-Est européen c'est-à-dire balkaniques organisé par M. Louis Bazin, directeur de l'Institut d'études turques de Paris et professeur de Turc à l'INLCO (Institut national de langues et civilisations orientales), dans le cadre du XXIXe Congrès international des orientalistes (Sorbonne, juillet 1973). Un des buts de ce séminaire était d'attirer l'attention des turcologues, arabisants et iranisants sur les aspects orientaux de l'héritage culturel des peuples et des nationalités de cette région de l'Europe. Le Pr Boratav avait prit une part active aux discussions scientifiques de ce séminaire.

Une portion du territoire yougoslave actuel fut pendant des siècles partie intégrante de l'Empire ottoman. Le destin de l'Empire ottoman s'est joué aux XVIe et XVIIe siècles en Europe. D'où l'importance stratégique des régions yougoslaves. Cette importance stratégique leur valut un développement économique certain. La culture spirituelle et matérielle de certains peuples de la communauté yougoslave garde, aujourd'hui encore, de nombreuses traces « orientales ». Il s'agit de faits de civilisation qui sont parvenus en Yougoslavie de l'Orient arabo-turco-iranien par le canal de la culture dominante de l'Empire ottoman, ainsi que par l'Islam, religion d'état. La culture orientale se mêla en Yougoslavie aux éléments locaux comme aux pulsions venant de l'Occident. Ceci est vrai surtout pour la Bosnie et l'Herzégovine. Ainsi fut créée une civilisation originale, différente à la fois du reste du monde slave et du reste du monde islamique. L'apport de l'Orient en Yougoslavie est en fait partout présent : or, paradoxalement, son étude scientifique ne fait que commencer. Ses manifestations artistiques, si originales soient-elles, ont été jusqu'ici boudées aussi bien par ceux qui étudiaient la culture autochtone des Slaves balkaniques, que par des auteurs de synthèses sur l'art islamique dans le monde. On n'y a le plus souvent relevé qu'un « fâcheux mélange » de styles. Ce genre de considérations est l'héritage d'une époque où la pureté des styles était avant tout recherchée. Les méthodes d'analyse ont heureusement évolué. Conscients de l'interdépendance de la culture universelle, les Yougoslaves tiennent aujourd'hui à réexaminer toutes les composantes culturelles de leur passé. De nombreux chercheurs s'y emploient. Les travaux de collègues étrangers sont consultés tout comme ceux de Yougoslavie. Certains travaux yougoslaves tout en montrant ce que l'on doit respectivement aux cultures orientale et occidentale, tout en dégageant ce qui est création locale propre, insistent néanmoins sur les faits de civilisations qui dépassent les cadres ethniques et confessionnels traditionnels, sur ce qui est le produit des « civilisations en contact ».

On constate en Yougoslavie (mais aussi en France, parmi les lecteurs de la Bibliothèque de l'INLCO, par exemple) un intérêt grandissant pour les études concernant l'apport oriental aux civilisations de la Yougoslavie. Cet intérêt revêt une signification particulière de nos jours, alors que le phénomène à la fois national et culturel de différents peuples et nationalités de Yougoslavie, les Musulmans n'étant qu'un exemple, s'insère et se précise dans le cadre des relations multinationales en Yougoslavie. Rappelons que le mot Musulman 2, selon la Constitution yougoslave, n'a pas de signification confessionnelle : il indique l'appartenance à un peuple. La spécificité de ce peuple est qu'il s'est constitué à la suite d'un long processus d'islamisation. Les ancêtres des Musulmans n'ont jamais en fait abandonné comme langue parlée le serbo-croate ni un certain nombre de coutumes slaves. Les Musulmans ont aujourd'hui la même langue, ou peu s'en faut, que les Serbes, les Croates et les Monténégrins, mais ils restent affectivement, culturellement 3 et spirituellement liés à la civilisation islamique. Ils vivent surtout en Bosnie et Herzégovine. Ils y sont majoritaires. Chaque membre de la communauté ethnique des Musulmans n'est pas obligatoirement membre de la communauté religieuse islamique 4.

Mais le rayonnement de la culture orientale dépasse le cadre des Musulmans ou des musulmans. Les différents peuples ont souvent vécu en Yougoslavie dans des villages mixtes. Des contacts entre les différentes communautés ethniques et confessionnelles étaient fréquents.

Il ressort de cet ensemble de contacts qu'un grand nombre de contes orientaux trouvèrent leurs échos dans les littératures yougoslaves. Les langues dans lesquelles existent ces contes sont le serbo-croate, l'albanais, le macédonien, le turc et le rom. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, l'appartenance ou non à la religion islamique ne trace pas les plans de clivage dirimants entre les littératures populaires yougoslaves qui contiennent et celles qui ne contiennent pas de contes venus de l'Orient arabo-turco-persan et par l'Islam, religion d'état ottoman.

Autre héritage de l'Empire ottoman, l'existence en Yougoslavie d'un nombre appréciable de manuscrits orientaux (en arabe, turc et persan), mais aussi de manuscrits écrits en arebica 5. Parmi les manuscrits turcs se trouve un certain nombre de textes composés en Bosnie par les écrivains locaux. P. N. Boratav et moi-même y avons trouvé des textes recherchés de contes inédits et dont l'origine doit, selon toute vraisemblance, être orale et locale. Mais ces derniers ont pu naître en bien des cas sous l'influence des contes turcs et orientaux. Il n'est pas toujours facile de dire si telle facétie est arrivée déjà créée, telle quelle, ou si elle a été constituée sur le sol yougoslave. Elle aurait pu être également imaginée par des conteurs turcs qui vivaient en Yougoslavie. Il y avait en effet dans le passé beaucoup plus de Turcs qu'actuellement en ce pays. Un grand nombre a reflué à la fin du XIXe siècle.

C'est justement du XIXe siècle que datent les collectes de facéties recueillies dans le peuple et dont un certain nombre a été imprimé. Mais combien restent encore à l'état de notes manuscrites. En prendre connaissance était un des buts de notre mission.

Contacts. Rencontres

Belgrade

Faculté de philologie. Section d'orientalisme 6.

Cette section a été fondée il y a cinquante ans par un orientaliste yougoslave de renom international, le professeur Fehim Bajraktarevic. Pendant de longues années le Pr Bajraktarevic avait entretenu des contacts étroits avec ses anciens professeurs et savants français (notamment avec le Pr Henri Massé, jadis administrateur de l'École des langues orientales et professeur de persan). C'est auprès du Pr H. Massé que M. Bajraktarevic s'est perfectionné en arabe et en persan. Il a soutenu en 1927 une thèse de doctorat à Paris sur le poète arabe Abu Kabir al-Hudali 7 de l'époque classique. Depuis sa fondation, en 1926, la Section d'orientalisme de Belgrade assure les cours de langues arabe et turque. Très récemment on y a introduit le japonais et le chinois. La langue persane, qui a été un des domaines favoris du Pr Bajraktarevic, n'est pas enseignée à Belgrade. L'enseignement de la littérature persane est réduit à un semestre. Et pourtant, l'activité iranisante française est suivie de Belgrade avec un intérêt certain. Ma traduction française du texte persan du Livre des sept vizirs a été favorablement accueillie par la critique littéraire yougoslave. A cette occasion, un arabisant de Belgrade, M. Tanaskovic a souligné la complémentarité des travaux faits en France.

Bibliothèque de la Section d'orientalisme.

Cette Bibliothèque possède un riche fonds d'ouvrages anciens d'orientalisme en diverses langues européennes et notamment en français. J'ai constaté néanmoins, comme un peu partout dans les bibliothèques yougoslaves spécialisées en orientalisme, qu'il lui manquait un certain nombre de grandes synthèses, publiées récemment en français. Dans la conversation que nous avons eue avec les enseignants de cette Section d'orientalisme nous avons pu constater qu'un nombre peu négligeable d'étudiants apprenaient le français comme langue de communication scientifique internationale. L'éventualité d'échanges de publications entre les institutions yougoslaves et leurs équivalents français spécialisés en orientalisme pourrait être étudiée, et devrait compléter les échanges personnels déjà établis.

L'Académie serbe des sciences et des arts.

Au cours de notre voyage à Belgrade nous avons pu rendre visite à la Bibliothèque de l'Académie serbe des sciences et des arts 8. Nous y avons trouvé plusieurs publications anciennes et introuvables ailleurs sur la question. Il s'agissait souvent des publications à petit tirage et dont cette Bibliothèque est la seule à posséder un exemplaire. Il nous a été remis le catalogue de toutes les publications de cette Académie. Nous allons choisir toutes les publications qui pourraient présenter un intérêt scientifique pour nos étudiants et pour les lecteurs de la BINLCO. Ces livres nous seront offerts sans attendre aucune contrepartie. Il serait toutefois bon qu'il y ait ici aussi un envoi, ne fût-ce que symbolique, de quelques publications françaises relatives au domaine des contes turcs et persans. Les bibliothécaires de cette bibliothèque ont montré un grand intérêt pour les ouvrages de Djalaloddin Roumi, poète mystique qui au XIIIe siècle vivait à Konya. Ces textes viennent d'être édités en français dans la traduction de Mme Eva de Vitray-Meyerovitch (chez Klincksieck, Desclée de Brouwer et Sindbad).

Dans une section à part de l'Académie serbe des sciences et des arts se situent des Archives. Une partie importante des textes que nous recherchions s'y trouvent. Ces textes sont rédigés aussi bien en turc qu'en serbo-croate, et, pour le moment, restent inédits. Nous avons pu obtenir de ce service de précieux renseignements.

Au sein de la même Académie se trouve l'Institut des études balkaniques dont le directeur est un ancien homme d'état et historien connu : le Pr Vaso Cubrilovic. L'Institut publie une revue, Balcanica. Annuaire de l'Institut des études balkaniques, qui en est à sa huitième année. Nous avons été priés d'envisager d'y collaborer et d'inviter les chercheurs français à le faire. Cette publication est régulièrement envoyée à la BINLCO. Son domaine couvre l'archéologie, l'histoire, les lettres et l'histoire de la culture des peuples balkaniques. Actuellement un important travail, sous la direction du Dr Dragoljub Dragojlovic, est fait à cet Institut sur les sources écrites disponibles en une multitude de langues sur les Bogomiles (mouvement semblable à celui des Cathares, en France).

Le Centre slavistique international.

Depuis quelques années fonctionne à Belgrade le Centre slavistique international au sein de la Faculté de philologie de l'Université. Ce centre organise un colloque annuel auquel beaucoup de pays participent en envoyant les chercheurs les plus en vue dans le domaine des études yougoslaves. Les colloques sont organisés autour de grands thèmes, par exemple : la diffusion en Europe et dans le monde de certaines poésies populaires en langue serbo-croate. Une des chansons, celle sur l'Épouse de Hasan Aga, fut publiée à Venise (en italien et en original) en 1774, traduite en allemand par Goethe et en français par Nerval, Mérimée, Nodier. En 1976 on étudie le serbo-croate comme objectif de « languages in contact ». Le Centre, dirigé par le Pr Slobodan Markovic, édite un volume par an où sont réunies toutes les communications prononcées lors du colloque de l'année précédente. Une collection complète de cette publication nous a été offerte pour la BINLCO. Dans cette publication nous avons trouvé des textes qui seront utiles au Pr Boratav et à moi-même pour la synthèse générale sur la diffusion des facéties relatives à Nasradin Hodza que nous nous proposons de préparer. Nous avons pu ainsi compléter notre connaissance dans le domaine des facéties et des contes populaires humoristiques dans une discussion organisée à cette occasion au Centre slavistique international. C'est là que nous avons confronté les résultats de nos recherches avec ceux des principaux spécialistes locaux et notamment Mmes Radmila Pesic et Nada Djodjevic-Milosevic, professeurs de littérature orale en serbo-croate à la Faculté de philologie de l'Université de Belgrade.

Institut de littérature et des arts 9.

En ce qui concerne nos recherches sur la prose populaire et les facéties, nous avons été très souvent dirigés par beaucoup de nos interlocuteurs vers l'Institut de littérature et des arts de Belgrade. Une information générale, très compétente, sur les travaux en cours dans le domaine de la prose orale nous a été fournie par M. Dragisa Vitosevic, critique littéraire connu, auteur d'une synthèse sur l'art poétique en Serbie entre 190I et 1914 et collaborateur parmi les plus qualifiés de cet Institut. Dragisa Vitosevic est le fondateur d'une revue, Raskovnik, consacrée à la tradition littéraire dans les campagnes. M. Boratav et moi-même avons commencé avec M. Dragisa Vitosevic le tour de la question des contes humoristiques en serbo-croate. Ce domaine est très riche et il nécessite une collaboration de longue haleine.

Bien que nous ayons réussi à avoir des conversations très utiles sur le plan scientifique avec les collaborateurs de l'Institut de littérature et des arts, à titre individuel et privé, nous n'avons pas pu avoir dans cette institution un échange de vues organisé. Nous n'avions pas prévu auparavant cette visite dans notre plan de voyage. Selon les usages yougoslaves, assez récemment mis en application, toute prise de parole et discussion dans un établissement officiel, de la part d'un étranger, doit avoir reçu en temps voulu le consentement de la Communauté pour le travail scientifique «Zajednica za naucni rad ». Nous avons cependant et sans aucune difficulté pu voir, à titre individuel, les deux principaux chercheurs dans le domaine qui nous intéressait : MM. Ivan Sop et Nenad Ljubinkovic. Le premier est auteur d'une thèse sur les métamorphoses des facéties turques dans le milieu yougoslave et le deuxième d'une anthologie très remarquée de contes humoristiques yougoslaves. Ils sont tous les deux collaborateurs de l'Institut de la littérature et des arts. MM. Ljubinkovic et Sop sont aussi auteurs d'études et d'articles sur les facéties en langue serbo-croate, où ils tiennent compte des derniers résultats des recherches dans le domaine des facéties sur le plan international.

La Bibliothèque nationale 10.

La Bibliothèque nationale de Belgrade a été complètement détruite par l'aviation hitlérienne le 6 avril 194I. Elle n'a repris son activité normale que depuis 1973. Vu l'intérêt que présente pour cette bibliothèque la BINLCO, le directeur de la Bibliothèque nationale de Belgrade a établi des contacts avec la BINLCO depuis cette date. A plusieurs reprises des envois importants d'ouvrages sont arrivés à la BINLCO. La BINLCO a fait tout ce qu'elle a pu pour envoyer en échange des publications françaises. Une des principales tâches de cette bibliothèque est de collecter tout ce qui est écrit sur la culture des peuples yougoslaves à l'étranger. Cette fois aussi le personnel de cette bibliothèque nous a fourni le maximum de renseignements sur les aspects orientaux des civilisations de la Yougoslavie et en particulier sur les contes populaires humoristiques.

Le Ministère de la culture.

Le vice-ministre de la culture de la Serbie, M. Gvozden Jovanic, avait appris, par un article publié dans la presse yougoslave (Odjek, 15 janv. 1976), que nous avions organisé des émissions à la radio et des rencontres à l'INLCO d'intellectuels et écrivains yougoslaves de passage à Paris. Il a montré un vif intérêt pour l'enseignement assuré et le rayonnement de la culture de la Serbie et de la Yougoslavie en France.

Sarajevo

Après une visite à l'Institut oriental de Sarajevo 11 dirigé par le Pr S. Grozdanic, la Bibliothèque Gazi Husrev Beg et l'Institut de folklore de Sarajevo ont retenu notre attention.

La Bibliothèque Gazi Husrev Beg 12.

Cette Bibliothèque possède 20 000 volumes dont 6 500 manuscrits en langues orientales (arabe, turc, persan) qui contiennent 9 ooo ouvrages (titres). Cette Bibliothèque constitue le quatrième fonds oriental européen. Nous y avons trouvé des textes, inconnus jusqu'aujourd'hui, et ayant trait à nos propres recherches. Les chercheurs de cette ville ont montré un grand intérêt pour la façon dont l'héritage culturel des Yougoslaves et plus particulièrement des Musulmans yougoslaves est expliquée d'année en année aux étudiants de l'INLCO. On nous a fait savoir qu'avant la dernière guerre, le Gouvernement français avait fait don d'une riche collection d'ouvrages français d'orientalisme. Aujourd'hui la Bibliothèque Gazi Huzrev Beg de Sarajevo voudrait étendre ses relations avec les bibliothèques françaises dans le domaine de l'orientalisme et notamment par le biais des échanges. Elle a publié en 1963 le premier volume du Catalogue des manuscrits orientaux (arabes, turcs et persans) qu'elle possède. La publication du deuxième volume ne saurait tarder. Cette bibliothèque publie aussi les Annales (Anali) - une fois par an - qu'elle envoie d'office à un certain nombre de bibliothèques françaises et notamment à la BINLCO.

L'Institut de folklore de Sarajevo (Rattaché au Musée national de Sarajevo) 13.

Le Directeur de l'Institut oriental avait aussi organisé un échange de vues entre les orientalistes de Sarajevo, les chercheurs de l'Institut de folklore (rattaché au Zemaljski Muzej de Sarajevo) et nous deux. C'est à cette occasion que nous avons reçu de très importantes informations concernant les archives, encore inédites, de la littérature orale, conservées à l'Institut de folklore du Zemaljski Muzej de Sarajevo.

M. Vlajko Palavestra, qui dirige le Zemaljski Muzej et l'Institut de folklore, chercheur dans le domaine de la prose orale en langue serbo-croate, et son collaborateur M. Ljubomir Zukovic, professeur à l'Université de Sarajevo, ont souhaité qu'une collaboration de longue haleine s'engageât entre l'Institut de folklore du Zemaljski Muzej et les chercheurs français qui travaillent dans ce domaine 14 . Avec la collection Bogisic à Cavtat et celle conservée aux Archives de l'Académie serbe des sciences et des arts à Belgrade, la collection de l'Institut de folklore du Zemaljski Muzej de Sarajevo représente une mine très riche de sources de première main sur l'influence turque et orientale dans le domaine de la littérature orale en langue serbo-croate.

Conclusion

Les principaux objectifs atteints par cette mission, du moins en ce qui me concerne, sont les suivants :

I. Les contes humoristiques relatifs à Nasreddin Hoca en Yougoslavie. Dans ce domaine notre objectif consistait à rechercher les sources imprimées et manuscrites sur la question des contes relatifs au personnage humoristique international de Nasreddin Hoca dans les différentes langues de Yougoslavie, et celles imprimées à l'étranger mais introuvables dans les bibliothèques françaises. A ce titre aussi ce séjour a été fructueux. Nous avons, en effet, trouvé parmi les manuscrits orientaux et notamment turcs, des textes inédits et inconnus relatifs à ce personnage. Aux sources en langues orientales il faut ajouter un fonds important de contes inédits concernant Nasreddin Hoca en d'autres langues de Yougoslavie : serbo-croate (Belgrade, Sarajevo, Cavtat et Zagreb), en langue albanaise (Pristina et Prizren) et en langue macédonienne 15 (Skopje). Il serait grand temps de les préparer pour une publication. La nécessité d'en donner la traduction en une des langues de grande diffusion est quasi impérative : le français est souhaité par la plupart des chercheurs. Ces mêmes chercheurs qui préparent depuis des années les éditions critiques de ces textes seraient grandement encouragés s'ils constataient qu'il y a un réel intérêt de la part des traducteurs français. Ces traducteurs existent. Ils utilisent les fonds de la Bibliothèque de l'Institut national des langues et civilisations orientales. Ce qui manque c'est une structure permettant un travail collectif et la certitude d'être publié. L'Unesco est toute disposée à aider cette activité. Son programme actuel prévoit que : « La traduction et la publication dans les langues de grande diffusion d'œuvres représentatives de la littérature universelle seront 16 poursuivies et des éditions populaires encouragées ». La Bibliothèque de l'Institut national des langues et civilisations orientales peut jouer un rôle important en tant que cheville ouvrière. Mais auparavant la BINLCO doit accroître ses échanges avec les bibliothèques et institutions yougoslaves qui ont les mêmes préoccupations. Le résultat de ces échanges de publications (mais aussi d'informations sur les publications, colloques ou réunions tenus ou en préparation) pourront amener l'accroissement des fonds dans les deux pays, fonds relatifs aux contes sur le personnage humoristique international de Nasreddin Hoca.

2. Les aspects orientaux des civilisations de la Yougoslavie. Nous avons été encore davantage confirmés dans notre conviction que la Yougoslavie est un véritable creuset de civilisations et de traditions différentes. Nous avons, en effet, appris l'existence de nombreuses publications récentes d'un haut niveau scientifique et de manuscrits inédits sur les aspects orientaux des civilisations de la Yougoslavie.

3. Les manuscrits persans. Il va de soi qu'en tant que bibliothécaire à la BINLCO, d'origine yougoslave et spécialiste de persan, je voulais profiter de cette mission pour continuer 17 l'étude des fonds possédant des manuscrits persans et les sources documentaires concernant la présence de la civilisation iranienne en Yougoslavie, présence plus réelle qu'on ne l'imagine généralement.

Nous profitons de cette occasion pour attirer l'attention sur les manuscrits persans que possède la Yougoslavie. Un certain nombre de ces manuscrits sont uniques et complètent fort bien des collections déjà cataloguées des grandes bibliothèques orientalistes du monde entier. Ils se trouvent pourtant mélangés avec des manuscrits arabes et turcs. Leurs auteurs sont parfois des gens issus du sol yougoslave, mais un certain nombre de manuscrits, copiés en Iran ou en Inde, ont été importés par don ou par achat au cours des siècles. L'histoire des bibliothèques orientales dans cette région est très longue. La plus ancienne bibliothèque orientale constituée sur le sol de la Yougoslavie, aujourd'hui disparue, date de 1430. Elle était située à Bitola, en Macédoine yougoslave. Actuellement la plus ancienne et la plus riche bibliothèque orientale en Yougoslavie est la « Gazi Husrev-Begova Biblioteka », fondée en 1537 à Sarajevo. Une dizaine d'autres institutions à travers la Yougoslavie conservent les manuscrits persans. Les manuscrits sont généralement bien conservés. En ce qui concerne l'accès aux textes, les choses ne sont pas simples. Les manuscrits persans ne sont pas séparés, ni dans le fichier ni dans les rayons des manuscrits écrits en arabe, turc ou « arebica » serbo-croate. Il existe bien un fichier pour l'usage intérieur, mais il est incomplet : souvent le titre annoncé sur la fiche est approximatif. Si le codex relié contient plusieurs traités, les titres de ces traités ne sont pas forcément tous inscrits. Ainsi on est obligé de feuilleter les pages de chaque codex pour trouver les textes persans. Un certain nombre d'utilisateurs de cette bibliothèque connaissent à merveille ses fonds. Ils sont presque tous très âgés ; peu de jeunes sont là pour recevoir cette connaissance non écrite. On a bien commencé la publication du Catalogue des manuscrits arabes, turcs et persans «(Katalog arapskih, turskih i perzijskih rukopisa») de cette bibliothèque, mais le premier volume date de 1963, alors qu'on prépare seulement le deuxième. On prévoit, en tout, une vingtaine de volumes... C'est un long travail. Jusqu'à l'édition complète de ce Catalogue, l'accès aux textes persans restera difficile. De plus, le texte du Catalogue est en serbo-croate, langue de petite diffusion internationale. Si la Bibliothèque Gazi Husrev-Beg a commencé la publication du Catalogue de ses fonds, les autres institutions yougoslaves sont loin de le faire.

4. Les échanges. Notre séjour a permis de consolider des contacts avec certains responsables, d'en établir de nouveaux et d'ouvrir des perspectives d'avenir. Les conditions pour une collaboration de longue haleine entre la Bibliothèque de l'Institut national des langues et civilisations orientales et les bibliothèques yougoslaves existent. Elle pourrait se traduire par l'échange des informations, de publications et de séjours de bibliothécaires. La BINLCO jouit d'un grand prestige en Yougoslavie. Les collègues yougoslaves sont tout disposés à rencontrer, informer et accueillir chez eux des collègues français, notamment les responsables des fonds orientaux. Ces échanges et cette collaboration n'exigent pas au demeurant, de trop grands sacrifices budgétaires : ils peuvent s'intégrer dans la réalisation d'accords culturels existants déjà et ceci dans la limite des actuels crédits.

  1. (retour)↑  L'auteur remercie le Ministère français des Affaires étrangères et le Service des bibliothèques, qui ont rendu possible cette mission, ainsi que S.E.M. Pierre Sébillot, ambassadeur de France à Belgrade, récemment décédé, et M. William Grorud, conseiller culturel près l'Ambassade de France à Belgrade, qui ont facilité sa réalisation.
  2. (retour)↑  L'auteur remercie le Ministère français des Affaires étrangères et le Service des bibliothèques, qui ont rendu possible cette mission, ainsi que S.E.M. Pierre Sébillot, ambassadeur de France à Belgrade, récemment décédé, et M. William Grorud, conseiller culturel près l'Ambassade de France à Belgrade, qui ont facilité sa réalisation.
  3. (retour)↑  Alors que le mot musulman indique une appartenance confessionnelle.
  4. (retour)↑  Leurs ancêtres ont été sujets fidèles de l'Empire ottoman, se reconnaissaient dans la communauté islamique, avaient souvent des postes importants dans l'administration ottomane et participaient activement à l'élaboration de la civilisation orientale. Ils ont donné aux lettres orientales par exemple plusieurs dizaines de grands écrivains en arabe, turc et persan. De cette période datent les riches collections de manuscrits orientaux en Yougoslavie. Certains de leurs textes, notamment turcs contiennent des facéties inédites dont l'origine est orale.
  5. (retour)↑  Nombreux sont les membres de la communauté religieuse islamique yougoslave qui vivent en dehors de la Bosnie et Herzégovine et dont la langue maternelle n'est pas le serbo-croate : les Albanais, les Turcs, les Torbechis et les Tsiganes (= Roms). Les Albanais sont en Yougoslavie, selon le rencensement de 1971, 1 309 523. Ils vivent surtout dans le Kosovo, région autonome dans le cadre de la république de Serbie. Ils sont 279 871 en Macédoine et un certain nombre au Monténégro. Lorsqu'ils sont croyants, ils sont, du moins ceux qui vivent en Yougoslavie, en majorité musulmans, mais on y compte aussi des catholiques et des orthodoxes. Leur langue est albanaise. Les Turcs sont aujourd'hui, 127 920 sur l'ensemble du territoire yougoslave. 108 552 d'entre eux vivent en Macédoine et 12 244 dans le Kosovo. Lorsqu'ils sont croyants ils sont musulmans. Leur langue est le turc. Les Torbechis: n'ont pas été recensés. Leur langue étant le macédonien, ils ont été recensés comme Macédoniens. Ils en diffèrent par la religion ou la tradition islamiques. Les Tsiganes: officiellement, en Yougoslavie, leur éthnonyme est Roms, peuvent être musulmans, mais aussi orthodoxes ou catholiques. Le nombre officiel des Roms pour toute la Yougoslavie en 1971, était de 78485. Quant aux Musulmans, une partie d'eux sont musulmans. Les Musulmans en dehors de la Bosnie et Herzégovine vivent aussi en Serbie et en Croatie. Un certain nombre de Musulmans mais aussi de musulmans, originaires de Yougoslavie, travaillent à l'étranger.
  6. (retour)↑  Arebica se prononce Arebitza, signifie l'alphabet arabe adapté pour transcrire la langue serbo-croate.
  7. (retour)↑  Section d'orientalisme de la Faculté de philologie de l'Université de Belgrade. Knez Mihajlova 46. 11000. Beograd. Yougoslavie.
  8. (retour)↑  Cf. Journal Asiatique, 19Z7. T. CCXI, p. 1-94.
  9. (retour)↑  Bibliothèque de l'Académie serbe des sciences et des arts. Knez Mihajlova 35. 11000. Beograd. Yougoslavie.
  10. (retour)↑  Institut de littérature et des arts. Djusina 7. 11000. Beograd. Yougoslavie.
  11. (retour)↑  Bibliothèque nationale de Serbie. Skerliceva I. 110000. Beograd. Yougoslavie.
  12. (retour)↑  Institut oriental. Veljka Cubrilovka 5. 71000. Sarajevo. Yougoslavie.
  13. (retour)↑  Bibliothèque Gazi Husrev Beg. Obala Pariske Komune 4.71000. Sarajevo. Yougoslavie.
  14. (retour)↑  Musée national. Vojvode Putnika 7. 71000. Sarajevo. Yougoslavie.
  15. (retour)↑  La revue que le Laboratoire d'ethnologie du Musée de l'homme met en place dans le domaine d'études euro-asiatiques, peut être aussi une occasion pour que les chercheurs de cet Institut puissent publier en français des travaux concernant le fonds encore inédit de contes relatifs à Nasradin Hodza, à l'Institut de folklore à Sarajevo.
  16. (retour)↑  Ces trois langues sont enseignées à Paris à l'Institut national des langues et civilisations orientales.
  17. (retour)↑  C'est déjà grâce à l'Unesco que le Livre des sept vizirs a pu voir le jour en 1976.
  18. (retour)↑  Nous avons déjà, entre 1958 et 1964, travaillé sur les manuscrits persans en Yougoslavie. Les résultats de nos recherches ont été publiés dans notre thèse de doctorat soutenue en 1964 à l'Université de Téhéran et dans les revues scientifiques iraniennes, ils constituent une sorte d'introduction au travail de recensement des manuscrits persans en Yougoslavie.