Le coin-lecture

Mars-avril-mai 1976. Rapport de stage rédigé par Noë Richter, annexes de C. et J. Cohen, M. Baringou, G. Jean, C. et M. Poslaniec, N. Richter

Noë Richter

Encouragés par les résultats d'un groupe de travail constitué en septembre 1974 pour étudier l'utilisation du livre par les enfants et les enseignants des classes maternelles et des cours préparatoires, la Bibliothèque centrale de prêt et la Direction départementale de la jeunesse et des sports de la Sarthe ont entrepris de renouveler l'expérience avec une équipe élargie. Un stage d'animation consacré à la littérature enfantine et au coin-lecture pour enfants s'est déroulé à Allonnes, cité-dortoir aux portes du Mans. Au cours des trois stages organisés ont pu être abordés les thèmes suivants : les livres du coin-lecture (13-14 mars 1976), aménagement et réalisation du coin-lecture (24-25 avril 1976), animation du coin-lecture (15-16 mai 1976).

J'aimerais lire dans un jardin, au soleil. Je serais allongé sur un gazon parsemé de mille fleurs aux parfums sans égal. Autour de moi il y aurait des oiseaux aux couleurs vives qui chanteraient des jolies mélodies, douces pour ne pas m'empêcher de lire. Pour mon goûter, j'aurais un choix innombrable de fruits exquis. Ici, pas de voitures bruyantes, pas de camions, pas de pollution. Les insectes viendraient sur mes mains. Et toutes les images seraient vivantes. Je suis bien sûr que je m'y plairais car ce jardin serait unique au monde.

(Lecouble, 12 ans)

En septembre 1974, la Bibliothèque centrale de prêt et la Direction départementale de la jeunesse et des sports de la Sarthe ont pris l'initiative de constituer un groupe de travail pour étudier l'utilisation du livre par les enfants et les enseignants des classes maternelles et des cours préparatoires. Ce groupe réunissait des représentants de la bibliothèque « Loisirs-Jeunes », des CEMEA (Centres d'entraînement aux méthodes d'éducation active), des Francs et Franches Camarades. Il a observé et analysé la façon dont les enfants s'approprient le livre de façon à imaginer des moyens pédagogiques propres à aider au passage du stade de consommateur passif d'histoires à celui de créateur à partir du texte lu. La méthode employée consistait à déposer dans cinq classes (quatre maternelles et un cours préparatoire) cinq lots de livres et de revues identiques que les enfants pouvaient découvrir et utiliser à leur guise. Des observateurs extérieurs et les institutrices, munis de grilles d'observation, ont noté le comportement et les réactions des enfants : rencontre avec le livre, manière dont le livre est manipulé, fréquence de retour des enfants à certains volumes, remarques faites, discussions, création de dessins, de jeux, de mimes, de chants, etc.

Les premières conclusions du groupe ont incité la bibliothèque centrale de prêt et la Direction départementale de la jeunesse et des sports à organiser avec une équipe élargie (le Centre départemental de documentation pédagogique de la Sarthe et le Centre socio-culturel d'Allonnes s'y sont joints) un cycle d'animation consacré à la littérature enfantine et au coin-lecture pour enfants. Ce cycle s'est déroulé en trois stages à Allonnes, cité-dortoir aux portes du Mans dont la population compte une forte proportion de jeunes et d'enfants. Le Centre socio-culturel y est pratiquement le seul lieu permanent d'accueil et d'animation aussi bien pour les jeunes que pour les adultes puisqu'il abrite les services sociaux rattachés à la Caisse d'allocations familiales ; il a développé aussi des relations étroites entre ses activités et le milieu scolaire.

Les trois stages étaient consacrés à trois problèmes distincts étroitement liés :
13-14 mars : Les livres du coin-lecture
24-25 avril : Aménagement et réalisation du coin-lecture
15-16 mai : Animation du coin-lecture.

I. 13-14 mars 1976

Les livres du coin-lecture

Le cadre. - Le stage avait été précédé d'une exposition publique de livres. 1 ooo ouvrages prêtés par la bibliothèque centrale de prêt, l'Association « Lire » et le CRILJ (Centre de recherche et d'information sur la lecture pour la jeunesse), acquis par les organisateurs ou offerts par les éditeurs ont été exposés et mis à la libre disposition des enfants dans deux salles du centre socio-culturel, du 6 au 13 mars. La première salle regroupait les livres de nature et mettait en valeur une sélection d'ouvrages sur ce thème éditée en 1975 par le même groupe de travail sous le titre Passeport pour la nature. La seconde présentait sur des panneaux les exemplaires caractéristiques de plus de 200 collections enfantines publiées par 69 maisons d'édition. Des coins-lecture avaient été aménagés dans les deux salles à l'aide de blocs de mousse plastique. Les enfants pouvaient y lire en toute liberté des livres déposés dans des bacs ou le long des cloisons. Pendant toute la semaine, les animateurs étaient restés à la disposition des enfants pour répondre à leurs questions et les aider à la découverte des livres et des réalités de la nature en les conduisant à l'extérieur ou en apportant des éléments dans la salle d'exposition : chouette et geai vivants, aquarium, ruche. Pendant deux après-midi, ils ont également procédé à des interviews collectifs de classes d'âges différents en utilisant un schéma commun (annexe I). Les interviews ont été enregistrées par l'équipe vidéo du Centre départemental de documentation pédagogique.

Numériquement importante, la participation enfantine a été essentielle pour la préparation du second stage. L'interview amenait déjà les jeunes lecteurs à décrire les conditions dans lesquelles ils aimeraient lire. Mais un concours doté de prix par les libraires du Mans et d'Allonnes sous la forme de chèques-livres les a invités à traduire dans un récit ou dans un dessin le lieu de leur lecture (annexe 2). 2 ooo dessins furent exécutés, et quelques-uns ont été exposés dès le début du stage.

Les libraires de la communauté urbaine avaient été invités à organiser une exposition-vente de livres d'enfant et de livres de nature, et plusieurs stands furent offerts à la curiosité des visiteurs et des stagiaires pendant les deux jours du stage dont les premières heures furent réservées à une visite approfondie des expositions et à des discussions libres avec les visiteurs, les enfants, les animateurs et les libraires.

Le livre et la formation de la personnalité de l'enfant. - La soirée du samedi 13 mars fut consacrée à un débat sur l'importance du livre dans la formation de la personnalité de l'enfant. Le sujet fut introduit par deux exposés de Georges Jean et de Francine Best (annexes 3 et 4) et donna lieu à une discussion très animée à laquelle participa André Kedros, écrivain, auteur de livres pour enfants sous le nom de André Massepain, et directeur de la collection « Plein Vent » (R. Laffont). Le débat se concentra autour de quelques points forts ;

I. L'importance de la fiction dans le développement de la personnalité de l'enfant et la nécessité d'y faire une large part dans la production des éditeurs. Dans une société fortement marquée par le souci de l'efficacité, il y a une certaine tendance à développer les aspects utilitaires de la lecture. Les conditions d'habitat et les rythmes de vie actuels, les pressions qui s'exercent sur les enfants peuvent les atteindre de façon vitale, et l'imaginaire est un antidote essentiel pour les enfants plus jeunes qui, à la différence des adolescents, ne peuvent se révolter et intervenir sur le milieu ambiant. Cette thèse développée par André Kedros suscita de vives réactions dans une partie de l'auditoire qui y vit une tentative pour masquer les réalités du monde et éloigner l'esprit de l'enfant de l'emprise nécessaire sur ces réalités. L'accord se fit pour reconnaître qu'il y avait là un écueil pour la littérature enfantine, qui devrait contribuer à la prise de conscience de l'enfant. Cette prise de conscience n'est pas en contradiction avec l'imaginaire, et si l'angoisse provoquée par le monde actuel est un facteur de destruction de l'être, l'inquiétude devant le monde est une nécessité féconde.

2. L'importance du plaisir dans la lecture. Le plaisir engage l'être tout entier. Comment le concilier avec la vie scolaire qui le rejette au second plan? Il faut réformer l'école en profondeur et y réhabiliter le plaisir.

3. Les rapports de la lecture et de la culture orale qui réapparaît aujourd'hui par le canal des mass media. Il est nécessaire de préserver à la fois le livre et la culture orale. Or la culture orale est nécessairement corporelle ; elle met en jeu tout un comportement physique. Il convient donc de réhabiliter l'expression corporelle dans l'éducation.

4. L'importance de l'apprentissage de la lecture de l'affiche et de l'image. Il faut réapprendre à lire les murs comme il faut réapprendre à lire les paysages naturels, réinsérer l'homme dans la ville et dans la nature.

Table ronde sur les circuits de vente et sur les choix des lecteurs. - Animée par Jacques André, conseiller technique et pédagogique en livre vivant, elle se tint le dimanche matin avec la participation de M. Boucherat des éditions Larousse, d'André Kedros et de libraires du Mans et d'Allonnes. Un schéma détailla pour les participants les différents éléments du circuit de vente (éditeur, diffuseur, critique, libraire) en distinguant le réseau lettré traditionnel et le réseau de diffusion de masse. Les circuits de diffusion du livre d'enfants parallèles aux circuits commerciaux furent également expliqués : bibliothécaires, enseignants, animateurs, adultes. L'analyse de ces réseaux de diffusion débouche sur deux questions posées aux participants :
1 . Les critères de choix de l'éditeur qui cerne un public potentiel.
2. Les critères de choix du libraire qui a affaire à un public réel.

1 . L'éditeur :

a) Les contraintes économiques obligent à des études de marché pour l'édition documentaire surtout, mais aussi pour les ouvrages de fiction.

b) Les options personnelles de l'éditeur.

c) Le sens que l'éditeur a de la responsabilité qu'il assume dans le domaine éducatif.

d) Les rapports entre l'éditeur et le directeur de la collection.

e) Les rapports entre l'éditeur, les auteurs et les illustrateurs.

f) Les échanges avec le public des enfants et des adolescents et la part de ce public dans la production éditoriale. Sur ce point, un désaccord assez vif se manifesta entre la position du directeur de « Plein Vent » et celle d'une partie des stagiaires. Tout en estimant indispensables les échanges entre les enfants et les auteurs (« l'éditeur est sans cesse censuré par les jeunes, qui ne suivraient pas si le livre ne correspondait pas à leur sensibilité »), André Kedros rejette le mythe de l'enfant-roi, et de la création spontanée en rappelant l'échec, dans les pays scandinaves, des collections dirigées par les enfants. Des stagiaires ont estimé au contraire que l'enfant était en situation de « colonisé » dans la société d'aujourd'hui et qu'il était nécessaire d'utiliser ses forces créatrices en le faisant participer directement à la conception du livre. Pour les éditions Larousse, dont la production est orientée essentiellement vers le livre fonctionnel, M. Boucherat expose qu'il n'y a pas de contacts avec les jeunes lecteurs, mais que les relations avec les pédagogues sont très développées.

2. Les libraires :

a) Les difficultés dues au manque de temps disponible du libraire. L'impossibilité de multiplier le personnel (le coût de celui-ci absorbe 25 % de la marge bénéficiaire), surtout pendant les périodes de forte vente des livres d'enfants ; l'impossibilité de supporter les frais de la formation de ce personnel, dont l'apprentissage se fait en général sur le tas. Ces conditions de travail engendrent une sous-information du libraire qui ne peut tout lire. Il en résulte que l'éditeur, les directeurs de collections et les auteurs sont pour lui avant tout des images de marque qui conditionnent largement le choix des nouveautés. La « prière d'insérer » reste encore la base de l'information des libraires. Cette information tend cependant à s'élargir par l'utilisation des listes sélectives publiées par les associations (CRILJ, Loisirs-Jeunes, Joie par les livres) et par le développement de relations avec des clients tels que les enseignants et les bibliothécaires, utilisateurs privilégiés des livres, aux propos desquels le libraire est toujours attentif.

b) La rivalité librairies/grandes surfaces, ces dernières tirant bénéfice des succès assurés par le travail des éditeurs et des libraires, alors qu'elles ne supportent pas les frais généraux des libraires et n'assurent pas le conseil à l'acheteur.

c) La liberté du choix des enfants dans les librairies. Les achats de livres destinés aux enfants sont rarement faits par ceux-ci, mais par les adultes : le livre est offert à l'occasion de fêtes ou lorsque l'enfant est malade. Lorsque l'enfant commence à disposer d'argent de poche, il se dirige plus volontiers vers les grandes surfaces, où il est plus libre de toucher et de feuilleter les livres, que vers la librairie traditionnelle.

d) La nécessité de former les parents et les éducateurs et de leur faire comprendre l'importance qu'il y a à ne pas substituer leurs propres options au libre choix des enfants, dont les intérêts sont le plus souvent divergents des leurs. Il est nécessaire de donner progressivement à l'enfant un certain pouvoir de choix qu'il exercera en face du pouvoir de l'adulte jusqu'au moment où il se substituera à lui. Mais cette liberté ne peut se développer que dans des conditions sociales et économiques qui restent encore aujourd'hui un privilège.

Débat général. - L'après-midi du dimanche 14 mars fut un échange beaucoup plus libre entre les participants. On insista sur le problème posé par la présence de l'adulte sur les lieux de lecture de l'enfant, les uns faisant valoir que la présence de tiers facilitait l'échange et aidait l'enfant à partager son plaisir de lire, les autres soulignant les aspects contraignants de cette présence. Les adultes ont leurs motivations propres et contestent parfois le choix de l'enfant. On fit remarquer à ce sujet la rareté des livres sur l'éducation sexuelle dans l'exposition, et l'un des stagiaires affirma que les quelques ouvrages à sujets « scabreux » avaient été très lus, mais que les enfants les fermaient dès qu'un adulte approchait. Le stage fut clos après un large échange de vues sur les expériences faites dans les classes pour encourager la lecture et sur les conditions nécessaires de cette activité : attitude de l'enseignant, aménagement d'un coin-lecture. Cet échange fut illustré par la projection de quelques séquences des interviews réalisés avec les classes pendant la semaine précédente.

II. 24-25 avril 1976

Aménagement et réalisation de coins-lecture

Le second stage a revêtu un aspect beaucoup plus concret que le premier. Après la remise publique des prix du concours de dessins aux enfants, les stagiaires ont été répartis en quatre groupes chargés chacun d'une étude précise.

Groupe 1 : Comment créer un coin-lecture dans une classe à partir des éléments qui s'y trouvent déjà ! Les stagiaires ont fait l'étude sur le terrain dans une classe à Saint-Georges-du-Bois et dans une classe du groupe scolaire Louis-Pasteur à Allonnes (annexe 5).

Groupe 2 : Réalisation par les enfants, avec des matériaux fournis par le stage (briques, bois, tissu, mousse plastique) d'un coin-lecture dans une salle du centre aéré d'Allonnes. Interview des enfants, photographie et étude du coin aménagé (annexe 6).

Groupe 3 : Même étude dans un coin-lecture aménagé par les enfants dans une salle du centre socio-culturel (annexe 7).

Groupe 4 : Analyse en fonction des lieux représentés, des dessins du concours (annexe 8).

Les quatre groupes ont travaillé séparément le samedi après-midi et le dimanche matin. Ils se sont retrouvés le dimanche après-midi pour une séance de synthèse.

Le thème du coin-lecture a été proposé sous forme de jeux à l'ensemble des stagiaires lors de la veillée du samedi soir. Un exercice d'écriture automatique à partir des mots : « être bien, lire, s'installer » leur a été proposé. Il a été suivi de la lecture par chacun du texte écrit (annexe 9). Ensuite, réunis par groupes de 4 ou 5, il leur a été demandé de dessiner collectivement, sans échanger de paroles, le coin-lecture idéal sur de grandes feuilles de papier. L'analyse de ces dessins a été faite au cours de la séance de synthèse du dimanche après-midi (annexe 10).

III. 15-16 mai 1976

Animation du coin-lecture

Le troisième stage a été marqué par la participation d'Aline Romeas, professeur à l'École Normale de Saint-Étienne et membre du conseil d'administration du CRILJ. Il se déroula en trois temps.

Débat général. - Il eut lieu le samedi de 15 heures à 17 heures et fut orienté par quatre questions préalables posées aux stagiaires :
I . Qui anime le coin-lecture ?
2. L'animateur du coin-lecture doit-il être un lecteur ?
3. En quelles circonstances a-t-on constaté l'échec de l'animation du coin-lecture ?
4. Pourquoi animer le coin-lecture ?

Les participants firent état d'expériences diverses (club de poésie de la bibliothèque municipale de Caen animé par les enfants eux-mêmes). Avec les tout-petits, l'heure du conte a été une réussite lorsque l'histoire était racontée, un échec lorsqu'elle était lue. En revanche, à la fin du cours préparatoire, des enfants ont réclamé la lecture. L'animation doit donc tenir compte de l'âge et de la qualité du rapport affectif existant entre le conteur et les auditeurs. On a souligné l'inadéquation de la formation des instituteurs à l'activité de lecture et, en particulier, l'absence de cours de littérature enfantine et de livres d'enfants dans les écoles normales. Les stagiaires sont revenus sur un problème déjà évoqué au cours du débat avec les libraires, à savoir l'inadéquation des livres offerts par les parents ; beaucoup de ces livres paraissent trop difficiles et maintiennent l'enfant au niveau de l'image. Pour Aline Romeas, le fait ne paraît pas devoir tirer à conséquence. Il y a en effet une familiarisation progressive avec le livre, et l'appropriation intellectuelle se fait ultérieurement. Dans une école qui a une bibliothèque où tous les niveaux sont mêlés et où l'enfant est libre de choisir, il va vers les livres qui l'attirent. Son choix peut aller vers le plus facile ; il y a là un effet sécurisant du livre déjà lu et une chance de redonner le goût de la lecture. Le choix peut se faire aussi vers le plus difficile ; les enfants se font alors expliquer le livre, et c'est une occasion d'orienter et de développer le goût de la lecture. La diversité des situations ainsi créées ne permet pas de donner une réponse unique à la première question : « Qui anime le coin-lecture ? ». Les animateurs peuvent être les lecteurs eux-mêmes, mais aussi les pédagogues qui peuvent aider à dépasser un certain niveau. Il est tout aussi utile de maintenir la diversité des circuits. La bibliothèque de classe est justifiée par la nécessité d'établir un contact régulier avec l'écrit ; elle offre le livre outil, des instruments de travail comme les dictionnaires qui peuvent être utilisés pour d'autres activités. Au niveau scolaire, la bibliothèque sert essentiellement la lecture-apprentissage. La bibliothèque publique fournit un contact d'une autre qualité avec le livre. Son organisation complexe impose une initiation à la recherche méthodique et surtout, située hors du circuit scolaire, elle révèle davantage le plaisir de la lecture.

L'expression et la communication à partir de la lecture. - Tel fut le sujet traité par Aline Romeas à partir de 17 h 30 dans un exposé qui fut très écouté. C'était un rapport d'expériences faites en milieu populaire dans le département de la Loire. Ces expériences tendaient à revaloriser la lecture à haute voix abandonnée par la pédagogie actuelle en réaction contre la lecture-litanie de l'école traditionnelle. Or la lecture collective est plus riche que la lecture individuelle. Elle provoque des réactions extériorisées et suscite davantage de curiosité. Elle est facteur de communication entre les enfants à propos du texte lu. L'expérience en a été faite dans plusieurs classes, du CE au CM. A intervalles réguliers, ces classes ont été transformées en clubs de lecture. Les livres ont été lus par épisodes, une partie de la classe se répartissant les rôles, le reste des élèves étant auditeurs.

En CM 2 L'Enfant et la rivière d'Henri Bosco a été lu pendant un trimestre, à raison de une à deux séances par semaine. La lecture était préparée par le groupe de lecteurs qui délimitait lui-même le passage ainsi que la manière dont la lecture serait présentée (utilisation de dessins, de diapositives...). La qualité de l'écoute et du débat suivant la lecture dépendait essentiellement de la qualité et de la longueur de la lecture. Ce livre difficile a été bien reçu par les enfants. Ils ont posé des questions sur les personnages, sur leur conception par l'auteur, sur la structure du roman, la succession et le rythme des passages d'action et des passages de méditation. La lecture a provoqué une floraison de dessins. L'expression graphique a été revivifiée, alors que dans les CM elle tend habituellement à s'effacer derrière les autres activités scolaires. A mesure que la lecture avançait, que le livre était intériorisé, le dessin a évolué du réalisme le plus fidèle au texte vers l'impressionnisme et le surréalisme. Des enfants ont éprouvé le désir d'écrire à partir de la lecture. Celle-ci a éveillé aussi l'intérêt pour des ouvrages documentaires sur la faune et la flore de la Provence. Certains enfants ont fait l'acquisition du livre, qu'ils n'auraient sans doute jamais eu l'idée de lire seuls.

En CM I, Un hiver dans la vallée de Moumine de Tove Jansson (Nathan) a débouché sur d'autres formes d'expression. Le groupe des lecteurs a réalisé un album pour conserver un témoignage de son activité. Les enfants ont construit la maison de Moumine dans la classe et ont modelé les personnages qui y vivaient en utilisant la terre, le bois sculpté, la feutrine bourrée.

D'autres expériences ont été faites avec Le Petit âne blanc de Kessel, La Fleur de Monique Camus et Joudiou, Vendredi ou la vie sauvage de Michel Tournier, qui a donné naissance à un très grand et très bel album. Petit Paton, le garçon poisson de Jacqueline Held a été l'occasion de faire découvrir le livre par l'intermédiaire de ceux qui l'ont fait ; l'auteur et l'illustrateur ont expliqué comment un livre était réalisé et leur présence a éveillé le désir de voir d'autres livres des mêmes auteurs.

Deux approches différentes du livre ont été tentées avec Grégory et dame Tortue de Brunhof qui a été présenté deux années de suite aux mêmes enfants sous deux formes : lecture par le groupe et lecture par les enfants.

L'expérience faite avec un album sans texte, Les Aventures d'une petite bulle rouge de Iela Mari (École des Loisirs) a été significative. Des normaliens en avaient pris des diapositives et choisi une musique pour accompagner la projection. Les élèves d'un CM auxquels ce montage a été présenté ne l'ont pas apprécié. Ils ont réalisé d'autres diapositives racontant de nouvelles transformations de la bulle rouge et inventé une musique originale. Leur production a été depuis présentée dans les écoles maternelles.

Aline Romeas avait apporté plusieurs des albums réalisés par les enfants. Ils furent longuement examinés par les stagiaires qui posèrent de nombreuses questions sur les conditions de leur réalisation : qui a sélectionné les dessins ? Qui en a établi la succession ? Qui a réalisé l'assemblage ? Comment l'intérêt des enfants a-t-il été entretenu pendant le temps de la réalisation ? Réponses : tout le travail matériel et intellectuel a été entièrement fait par les enfants. L'adulte est intervenu parfois pour relancer l'entreprise et redonner courage aux équipes, mais certains albums comme celui de Vendredi ont été faits d'enthousiasme. Le fait de pouvoir montrer son travail à une autre classe constituait aussi un stimulant et faisait rechercher une forme de communication avec ceux qui n'avaient pas participé à l'expérience.

Les niveaux de lecture. - La journée du dimanche fut consacrée à une expérience collective destinée à faire prendre conscience aux stagiaires de la complexité des réactions d'un groupe à la lecture d'un texte. Ils furent répartis en trois équipes auxquelles trois animateurs lurent lentement une nouvelle, un texte poétique et un texte documentaire. Au cours de l'audition, les stagiaires devaient noter les mots et les phrases qui accrochaient leur intérêt, les images mentales et les souvenirs qui surgissaient à leur esprit, les idées que le texte éveillait sur le genre littéraire, la situation d'auditeur, l'animation. Les notes de chacun étaient confrontées par le groupe et analysées en fonction de deux questions posées à priori : les mots et les connotations indiquées par chaque auditeur forment-ils un tout cohérent ? L'auditeur ne sélectionne-t-il pas en fonction de son expérience et ne laisse-t-il pas échapper une partie de la substance du texte qui est retenue par d'autres ? Chaque équipe devait enfin élaborer une fiche d'animation pour la présentation du texte et rédiger un compte rendu de l'expérience pour les deux autres.

La mise en commun des trois expériences donna lieu à un débat animé sur la culture et les sous-cultures. On souligna :
I. La subjectivité de toute audition et de toute perception, toute information étant déformée par les expériences personnelles.
2. L'existence des différents niveaux d'audition et de lecture, niveaux conditionnés par les inégalités sociales et culturelles.
3. Le plaisir des échanges (« se dire et écouter les autres se dire ») suscités par l'animation, mais aussi l'extrême précarité de ces échanges due à l'impossibilité d'établir une cohésion entre les subjectivités individuelles et les niveaux de lecture.
4. La nécessité pour l'animateur de respecter les rythmes individuels et la difficulté d'y parvenir.
5. La nécessité de prévoir dans toute animation littéraire la possibilité pour chacun de faire retour au texte écrit et à l'auteur.

En dépit des divergences constatées tout au long des trois stages sur la conception que les stagiaires pouvaient avoir de l'animation, un consensus s'établit sur l'idée que la lecture collective était une des conditions de la mise en valeur des œuvres écrites et qu'elle seule pouvait, par la mise en commun des écoutes individuelles, en dégager toute la richesse.

Annexe 1 (voir figure)

Annexe 2 (voir figure)

Annexe 3

Présence et vie du livre chez l'enfant et l'adolescent

Présentation

Je dois annoncer d'emblée que je ne suis pas un spécialiste du « livre pour enfants » et m'excuse par avance des lieux communs que je pourrais être appelé à développer au cours de cette communication.

Pour permettre de mieux situer mon intervention, je crois utile de préciser les points de vue théoriques et pratiques qui sous-tendent les idées que je vais avancer :
- J'ai durant de nombreuses années enseigné les lettres et la pédagogie du français dans une école normale ; je connais assez bien les problèmes de la lecture de l'enfant en milieu scolaire. Actuellement j'enseigne la linguistique et la sémiologie à l'UER de Lettres et Sciences humaines du Mans. Mon travail se porte essentiellement sur le fonctionnement de la langue et les relations qui s'établissent entre les structures linguistiques et les structures textuelles.
- J'ai travaillé dans les équipes expérimentales de l'INRDP à la recherche et aux expériences qui ont abouti à la mise au point du plan pour la rénovation du français à l'école élémentaire (plan « Rouchette »). Ce plan accorde une très grande place aux problèmes de la lecture (scolaire et extra-scolaire) et pas seulement, comme c'était souvent le cas par le passé, aux apprentissages premiers.
- Toujours dans le cadre de l'INRDP, je travaille à une recherche sur les relations entre le langage et l'imaginaire enfantin et tout particulièrement sur celles qui s'établissent au niveau de la poésie.
- Depuis longtemps je suis militant et animateur national pour la lecture à « Peuple et culture », association bien connue qui travaille au niveau de l'éducation permanente des adultes, et selon des méthodes novatrices.
- Enfin, je suis requis quotidiennement par des activités de poésie et la réflexion permanente que j'entreprends sur ma propre poésie est sans doute plus éclairante que toutes les autres démarches pour le sujet qui nous retient.

Ceci pour dire que ma réflexion est à la fois marginale et située au cœur du sujet. Pour préciser que, sans ignorer les données sociologiques de notre problème, je les évacue provisoirement, car trop souvent elles masquent les problèmes.

Dans ces perspectives trois points seront abordés :
I. La lecture / L'enfant / L'adolescent etc. /
2. Le Livre / L'enfant / L'adolescent etc. /
3. Propositions.

1. La lecture / L'enfant / L'adolescent

I. La lecture. Elle est en tant qu'acte une des activités humaines les plus mal connues. On parle du livre, de son histoire, de sa distribution, des lecteurs, des goûts des lecteurs, des méthodes d'apprentissage de la lecture. Mais la lecture en elle-même comme activité ? On connaît en vérité assez mal cette étrange relation entre un objet, le livre, l'imprimé, et un être vivant. Victor Hugo me paraît avoir admirablement posé ce problème dans le passage suivant de ce livre de lui si mal connu, William Shakespeare :

« Un livre est un engrenage. Prenez garde à ces lignes noires sur le papier blanc ; ce sont des forces, elles se combinent, se composent, se décomposent, entrent l'une dans l'autre, pivotent l'une sur l'autre, se dévident, se nouent, s'accouplent, travaillent. Telle ligne mord, telle ligne serre et presse, telle ligne entraîne, telle ligne subjugue. Les idées sont un rouage. Vous vous sentez tirés par le livre. Il ne vous lâchera qu'après avoir donné une façon à votre esprit. Quelquefois les lecteurs sortent du livre tout à fait transformés ».

C'est ce phénomène qu'il convient d'analyser rapidement en fonction de l'enfant, de l'adolescent, et également de l'adulte. De l'adulte dans la mesure où l'on ne peut admettre la spécificité du « livre pour la jeunesse » que dans la mesure d'une réflexion prospective sur le devenir de lecteur de l'adulte que deviendra l'enfant.

2. L'acte de lire : Lire : ce mot résulte d'un mot latin qui signifiait cueillir. Il reste toujours des traces étymologiques dans les mots, même quand l'origine ne se saisit plus dans le sens actualisé. Il faut bien admettre que lire c'est de toute façon cueillir quelque chose, c'est-à-dire agir, prendre, choisir.

Un acte fabuleux! Mais il faut dire et observer que cet acte est d'une complexité extrême et que le plus perfectionné des ordinateurs de la dernière génération est dans une large mesure moins complexe que le cerveau d'un enfant qui lit. C'est que cet acte est la convergence d'une quantité d'activités. Pour mieux le saisir nous sommes contraints d'analyser arbitrairement une activité que sa globalité caractérise essentiellement, et de la décomposer en un certain nombre de démarches :

a) Le point de vue linguistique

Lire c'est savoir passer rapidement du code écrit au code oral. C'est être capable d'occulter très vite l'oralité de la langue car la vraie lecture, nous y reviendrons, est la lecture « des yeux ». C'est pouvoir lier la syntagmatique de la langue, c'est pouvoir utiliser tous les paradigmes. Ces phénomènes compliqués dans nos systèmes d'écriture phonographique, requièrent en fait une attention constante du lecteur, même si cette attention n'est pas perçue par lui.

Une foule de facteurs linguistiques entrent également en jeu sur lesquels nous reviendrons en abordant les apprentissages premiers de la lecture.

b) Le point de vue psycho-linguistique

Lire met en jeu le sens de la vue, les yeux, leur mobilité, leur faculté de parcourir des espaces. Mais au-delà du sens de la vue, il semble bien que la lecture « mobilise » les autres sens et, comme le docteur Tomatis l'a montré, tout le corps. Le corps résonateur, le corps situé dans l'espace et dans le temps. Cette mobilisation intéresse tout particulièrement les « organes de la parole » dans la mesure où toute lecture est plus ou moins « dite », sub-vocalisée. Passons sur la nature et les localisations des éléments neurologiques qui entrent en jeu.

Sur le plan psychologique, la a saisie du sens » implique à la fois la fonction symbolique, la conceptualisation, le recours à l'imaginaire. Plus que cela, la psychanalyse a montré l'importance de ce qu'on croit lire par rapport à ce qu'on lit effectivement, et toute cette lecture de « l'Autre » c'est-à-dire l'inconscient par laquelle se lit un texte qui est sous le texte.

c) Le point de vue socio-historique.

Il n'est pas de lecture innocente. Tout texte est produit par la société (ne serait-ce que par la langue) et impliqué dans une histoire, dans une culture. Même si le lecteur n'est pas conscient de cela (surtout s'il n'est pas conscient) il subit la prégnance idéologique de tous les textes.

d) Le point de vue sémiologique.

En fait, l'acte de lecture pose de multiples problèmes sémiologiques, car on peut se demander ce que signifie cette relation particulière de l'homme avec les signes de l'écrit, par rapport à sa situation dans tous les systèmes sémiotiques (images, gestes, etc...) qui l'environnent.

L'ordre du désir. Tout ce qui précéde est conditionné dans la lecture, et même dans les types de lectures informatives par la présence chez le lecteur du « désir » de lecture :

« ... Car du sens que la lecture donne à l'œuvre, comme du signifié, personne au monde ne sait rien, peut-être parce que ce sens, étant le désir, s'établit au-delà du code de la langue. Seule la lecture aime l'œuvre, entretient avec elle un rapport de désir. Lire, c'est désirer l'œuvre, c'est vouloir être l'œuvre, c'est refuser de doubler l'œuvre en dehors de toute autre parole que la parole même de l'œuvre ». (in : Roland BARTHES, Critique et vérité, Paris : éd. du Seuil)

On sent à quel point ces remarques sont fondamentales pour les lectures de l'enfant et de l'adolescent.

La lecture / L'enfant.

L'enfant et son langage.

Il est banal de dire que la lecture de l'enfant est liée à son langage. Or on commence à savoir que la fonction langagière est conditionnée très précocement. Dès avant la naissance le futur enfant est sensible à travers l'organisme maternel et le liquide amniotique, aux bruits, aux vibrations, et sans doute à la parole maternelle et à celle de l'entourage maternel. Dès la naissance et durant les premiers mois de la vie, au moment où se constituent lentement et obscurément les premières structures phonologiques, il est capital que la mère parle à son enfant. Là encore, le désir de parole est fondamental. Or il est établi que le « parleur fait le lecteur ». D'où la nécessité, nous y reviendrons, de « parler les livres » et de munir les albums sans texte, dont on a peut-être un peu abusé pour des raisons plus esthétiques que « pédagogiques », d'un texte, fût-il inventé.

Apprentissages.

Nous n'insisterons pas sur la querelle qui dure encore des méthodes d'apprentissage de la lecture (méthode globale, semi-globale, analytique, syllabique, etc...). Ce sont de fausses querelles que la linguistique, la psychologie génétique et la psycho-linguistique ont permis de dépasser. En fait les bonnes conduites de lecture de l'enfant et de l'adulte sont fonction :

D'un préapprentissage cohérent, ce qui signifie qu'il convient dans ce domaine d'éviter la précipitation et que dans la plupart des cas, apprendre à lire trop vite est apprendre à lire mal et à très rapidement désapprendre à lire. Il y a une certaine démagogie de la part des instituteurs et des parents qui désirent que leurs élèves ou leurs enfants apprennent à lire en six mois. Les études les plus sérieuses entreprises dans toutes les nations indiquent que le bon apprentissage de la lecture devrait durer trois années :

a) Un an de préapprentissage sur deux plans ; sur le plan purement phonétique et phonologique avec la mise en place des articulations phonétiques essentielles en fonction de la fréquence des phonèmes de la langue. Sur le plan spatial et corporel avec un entraînement à la prise de conscience de la verticalité du corps et de la latéralisation dans l'espace puisque la lecture est un parcours latéralisé de la page.

b) Un an d'apprentissage propre des mécanismes, c'est-à-dire des procédures de décodage du code écrit et d'encodage dans le code oral. Il faut insister sur plusieurs nécessités à ce niveau. En dépassant les méthodes comme nous le disions, il est absolument nécessaire de ménager et de répartir temps de synthèse et temps d'analyse, et ceci en fonction de l'allure et des problèmes de chaque enfant. Par ailleurs l'apprentissage de la lecture doit être intimement lié à l'apprentissage de l'écriture (opération inverse au niveau de la saisie des codes). L'intérêt profond de la méthode naturelle dont Célestin Freinet fut l'apôtre est que l'enfant commence à « lire » ce qu'il dessine puis ce qu'il écrit et réciproquement. Tout le problème est de savoir à quel moment doit intervenir le texte d'adulte, car il serait vain de laisser l'enfant s'enfermer dans son enfance. Une des conséquences de tout ceci est sans doute (ou devrait être) la disparition des « manuels d'apprentissage de la lecture » et l'apparition des livres tout simplement.

c) Ces contacts avec le livre en tant que tel se multiplient au cours de la troisième année au cours de laquelle se fixent et se dépassent les apprentissages et les mécanismes. L'éducateur peut alors laisser lire librement ceux qui le peuvent et intervenir auprès des enfants qui ont encore des problèmes.

Ceci dit, rien ne sera fait si n'existe pas le « désir de lire », de déchiffrer un code étrange et étranger. Sur ce plan on aurait le plus grand intérêt à analyser les récits que certains écrivains ou philosophes ont fait de leur découverte de ce désir de lire : Gorki ou Michelet lorsqu'ils racontent leur enfance, et tout particulièrement le Sartre des « Mots » ou de « l'Idiot de la famille », cet essai sur Flaubert où le philosophe décrit le passage brutal et quasi fantasmatique du petit Gustave dans le monde des signes écrits.

Il faut dire également que de trop nombreux enseignants, admirables de patience, d'ingéniosité pour aider l'enfant dans son apprentissage, ne lisent jamais, ou rarement, eux-mêmes pour le plaisir. C'est le cas des animateurs et de nombreux bibliothécaires.

La lecture / L'adolescent.

- On a suffisamment décrit « l'âme de l'adolescent et de l'adolescente » pour qu'il soit inutile d'y revenir ici. D'autant plus que la situation sociologique de l'adolescent dans le monde d'aujourd'hui, son rejet de l'école, des contraintes parentales, son désir d'être le plus tôt possible dans la vie active, occultent un peu et même beaucoup l'image de cet être qui se cherche dans la solitude, qui écrit des journaux intimes, qui rencontre quelques lectures essentielles comme le dit et le montre si bien le narrateur par exemple de A la Recherche du temps perdu.

- En réalité l'adolescent est beaucoup plus sensible aux sollicitations des media, et à toute une mythologie à base de « motos, chanteurs, compositeurs, interprètes, drogues réelles ou mythiques, sexualité avancée et affirmée » etc. Lorsqu'on fait là-dedans la part effective des mythes entretenus par le capitalisme et la société de consommation qui récupère un nouveau public et de nouveaux clients, on découvre par exemple que la sexualité diffuse ou affirmée, exprime le corps en tant que langage, et que « l'érotique du lire » passe par le corps. Toute une attention à la physique, à la physiologie de la lecture me semble alors requise. Par ailleurs il est nécessaire de partir des intérêts immédiats pour aboutir, c'est possible, je l'ai réalisé, à savoir que la moto est objet et sujet d'onirisme, que la chanson démythifiée sur le plan de l'infantilisation de la vedette est un chemin qui peut mener à la poésie, et que certains romans (science-fiction et autres) proposent une saisie tendre ou violente du monde, et disent les révoltes et les transgressions nécessaires.

- Ajoutons que très souvent, l'adolescent ne maîtrise pas encore totalement les mécanismes élémentaires de la lecture. Son dégoût du livre est, si l'on peut dire, un dégoût « technique ». Il sait mal ou il ne sait plus lire. Les enquêtes de Robert Escarpit sur les jeunes recrues ont montré l'étendue et l'importance de cette véritable « déculturation »; elle coïncide assez souvent avec le fait que l'adolescent trouve mal les livres qui lui conviendraient ou ne les trouve pas, que l'entrée en bibliothèque est entrée dans un autre univers (perçu comme faux par rapport à l'univers réel).

- Ce qui pose aux éducateurs, bibliothécaires une question (et même plusieurs) et les implique dans une réflexion pluridimensionnelle nécessaire.

- Et puis il faut proclamer très fort que si la lecture-évasion existe et heureusement, la lecture fût-elle purement onirique est toujours affrontement au réel. Ce qui est faux, ce sont les innombrables magazines destinés aux adolescents, et qui représentent un monde où l'on ne travaille pas, un monde sans infrastructure, où la fréquentation même imaginaire de « Cloclo » ou de « Johnny » tient lieu de religion. Et le vrai « opium » des adolescents, pour paraphraser Marx, est là.

Une phénoménologie du lecteur.

Ces quelques réflexions devraient être « recouvertes » par une prise de conscience par les maîtres, les éducateurs, les bibliothécaires, les auteurs, les éditeurs, les jeunes eux-mêmes de la situation du lecteur dans l'acte de lecture. Je me contente ici d'énumérer quelques thèmes :

- Les espaces de lecture : les lieux ; rapports entre les espaces réels, les espaces des textes, les espaces imaginaires.

- Les positions : debout, en marchant, assis, à une table, couché sur le tapis ; en classe, en vacances, sur la plage, dans un lit, etc.

- Les moments de lecture : déjà impliqués au niveau des espaces (la plage ou le lit par exemple) mais encore le matin, le soir, pendant la classe, en mangeant ; relation entre les temps de lecture et les temps de fiction, etc.

- Des indications précieuses sont fournies à ce sujet lorsqu'on « lit par-dessus l'épaule » comme dit Barthes de quelques auteurs, Proust lisant dans le jardin de Combray, Michelet à la lumière d'un four, Bachelard et ses espaces, Butor et les génies du lieu, etc.

- Il faudrait également étudier, ainsi que le propose par exemple Richaudeau les parcours de lecture. Le rôle de l'anticipation ; les dimensions syntagmatiques ou harmoniques de certaines lectures, le rôle des blancs, de la mise en page, de la typographie, des illustrations ; il n'est pas sûr par exemple, que toutes les illustrations soient pertinentes pour la lecture. Dans de trop nombreux cas, les illustrations dans le livre d'enfant jouent le rôle des images du photo-roman et sont redondantes par rapport à des textes qu'elles neutralisent bien souvent (le cas des bandes dessinées est sémiologiquement antinomique). Mais nous allons retrouver ces problèmes en évoquant plus précisément le livre.

2. Le livre / L'enfant / L'adolescent.

I. L'objet-livre.

Je me contente de regrouper des remarques faites très souvent sur l'importance pour l'enfant de percevoir très tôt le livre comme un objet vivant, mais vivant dans la mesure où une activité, le regard puis la lecture lui donnent la vie.

Il faut alors évoquer le toucher du livre, le plaisir de feuilleter, du bruit des pages tournées et retombant l'une sur l'autre. L'importance de l'album sans texte est très grande sur ce plan ; mon point de vue est cependant qu'il faut très rapidement en sortir. Car la lecture des images relève d'un tout autre problème et d'une sémiotique très différente dont il faudrait d'ailleurs prendre clairement conscience.

A ce sujet et en excusant les redites, il me semble que la réflexion purement sémiologique sur les graphismes, typographies et mises en page, sur l'illustration elle-même des livres pour enfants, n'est pas faite. En particulier il faudrait savoir comment s'ordonnent (s'ils s'ordonnent) les parcours texte-illustrations, dans quels cas les illustrations prolongent le texte, dans quels cas (fréquents) elles le détruisent en tant que texte. Et comment éviter que le livre d'enfant conduise plus au livre de luxe qu'au livre austère, d'où se lève, dans la mesure sans doute ou papier et typographie sont soignés, toute la fascination du livre ?

2. Les livres.

Il serait nécessaire bien sûr de moduler les remarques qui suivent en fonction de variables multiples : âges, milieux socio-culturels, etc. De même il est important de savoir quels liens lient chaque lecteur à son livre : possession, emprunt à une bibliothèque, à un copain etc. La relation possessive ou non du livre et du lecteur est très intéressante à étudier. La relation livre de classe / livre de lecture est fondamentale et trop souvent les premiers dégoûtent des seconds. Ils peuvent, ils pourraient y conduire.

Une attention soutenue des maîtres, bibliothécaires, etc... aux démarches de la critique et de la sémiotique moderne des textes peut éclairer grandement la relation des jeunes lecteurs et des livres :
- analyse structurale des récits ;
- lectures et psychanalyse ;
- lecture et sémantique structurale ;
- problèmes des lectures, de la lecture plurielle ;
- attention aux métalangages ;
- apports de la linguistique ;
- relations lectures / idéologies etc.

Toute lecture non passive, est par nature appel à la créativité. D'abord parce qu'une bonne lecture devrait inciter à l'écriture. Ensuite parce que dans le cours même de sa lecture le bon, le vrai lecteur est celui qui s'invente dans et par sa lecture.

Pour simplifier je distingue, bien arbitrairement, trois types de lecture :

Livres / Documents

J'entends par là tous les livres (non scolaires) susceptibles d'apporter connaissance et savoir.

Je n'élimine pas les livres scolaires, mais il est possible si les tendances actuelles se confirment que certains types de manuels disparaissent pour être remplacés soit par des documents, des fiches ou des livres tout simplement.

Tout ceci conduit les maîtres, animateurs, bibliothécaires à prendre conscience de l'urgence d'une véritable pédagogie de l'autoformation par les documents et les livres.

D'où des réflexions à mener sur certaines techniques simples :
- feuilleter ;
- consulter une table des matières ;
- prendre des notes (très tôt)
- constituer un dossier.

Ce qui suppose bien sûr des architectures scolaires ou de bibliothèques différentes ; ces lieux pourraient, sont parfois en Angleterre par exemple, conçus comme des centres de documentation, à portée et à disposition totale des jeunes lecteurs.

Ceci me semble capital pour les pré-adolescents et les adolescents. Pour ceux qui sont au travail ou en apprentissage par exemple. Il y a toute une série de médiations à imaginer entre les livres de perfectionnement professionnels, les livres de technologie, de technique, de vulgarisation scientifique, de culture générale, de fiction etc.

Livres / Fictions

Les contes / Les romans.

Je n'ai pas la prétention de me livrer à une analyse exhaustive et profonde de ce problème. Des chercheurs comme Marc Soriano ont grandement contribué à saisir ce « qui se passait dans les contes et dans les fictions ».

Je me contenterai d'insister sur :
- Le caractère ludique des contes (de quelque nature qu'ils soient) ;
- Le caractère structuré des contes et leur combinatoire particulière (Travaux de Propp, de C. Brémond) ;
- La présence des ailleurs : temps ; histoire, merveilleux ;
- La présence de l'inconscient. Sur ce point je ne saurais trop recommander la lecture de l'ouvrage récent de Marthe Robert : Roman des origines et origines du roman (Grasset), dans lequel elle montre que tout conte, et par là tout roman est une forme de ce « roman familial » décrit par Freud, et dans lequel chaque enfant vit son Œdipe sur le mode de la fiction :

« Ainsi le conte ne s'entoure des nuages de l'utopie que pour mieux suggérer où il tient en réalité, et en quoi les lieux, les personnages, les événements qu'il laisse à dessein dans le vague, trouvent leur vraie définition. Imprécis, il annule lui-même son imprécision grâce à quelques mots-clés dont il fournit malicieusement le mode d'emploi, juste au moment où il semble les camoufler. Il dit roi en montrant le père quelconque, royaume en évoquant le lieu clos du foyer, il était une fois en rappelant le passé de l'enfance, le temps suspendu hors du temps, qui laisse toujours un avant-goût d'éternité. Jamais, quoiqu'il en dise, il ne s'évade de ce petit monde familier ; tout au plus peut-il feindre de le fuir en lui suscitant un double fabuleux, mais à la fin le double lui-même rentre au foyer humain et le familier redevient le quotidien ».

Autrement dit, l'enfant qui lit des contes (des romans), l'enfant qui les écoute, tient un livre ou le voit dans les mains du lecteur. Objet concret de son univers, dans un temps vécu par lui, vivant le conte ; et le conte, le roman lui propose des « êtres de papier » (Barthes) qui se nourrissent de son imaginaire.

Livres de poésie

Sans entrer dans le détail, le problème est d'éviter les livres de poésie « faite spécialement pour l'enfance ». Les exceptions existent, et sont rares. Non, l'essentiel est de proposer aux enfants les textes de la poésie universelle, dans un support clair qui soit incitation et qui évite le pittoresque « autour » de la poésie.

Les textes poétiques n'ont aucun sens pour l'enfance s'ils ne sont pas provocation à la créativité verbale, s'ils ne sont pas incitation musculaire et corporelle au rythme, s'ils ne sont pas provocation sensuelle, appel à l'imaginaire, à l'absurde, pour tout dire, à la réalité.

Je me suis expliqué d'ailleurs longuement là-dessus, je ne pense pas utile d'alourdir cet exposé. Deux points seulement :
- L'adolescent est concerné par la poésie, au niveau presque exclusif des sens. C'est pourquoi le poème, forme sensible et sensuelle qui construit son ordre, est un puissant facteur de jouissance et d'équilibration.
- Le cas du livre de poésie pour les jeunes est exemplaire, car c'est le cas d'un contenu qui n'est rien qu'une chose morte si personne, l'enfant lui-même, le maître, l'animateur, le bibliothécaire, etc, ne le réveille à la vie.

3. Autres propositions.

Le livre / Les autres textes

Dans le monde contemporain, les supports de lecture sont extrêmement nombreux en dehors du livre. Tous ces supports concernent l'enfant et l'adolescent. D'où la nécessité de porter l'attention sur :
- Les interférences journaux / livres : quotidiens, hebdomadaires, journaux pour enfants, journaux pour adolescents (un scandale), la presse « underground ». Question d'espace textuel, de structubilité du support ; illustration ; photo-romans et bandes dessinées.
- Les interférences livres / textes des murs, affiches diverses.

Livres et media

Un énorme problème. Il est banal par exemple de dire que l'enfant, dès l'école maternelle est envahi, investi par les media en général et la télévision en particulier. Pour le meilleur et pour le pire. Mais alors que pour l'adulte les. effets « anti-livres » et « pro-livres » se compensent, la fascination de l'enfant par la télévision est très prégnante. D'où :
- une certaine fatigue visuelle ;
- la dispersion de l'attention (la lecture est un acte d'attention) ;
- une action très profonde au niveau inconscient. Le langage de l'inconscient étant de même nature en quelque sorte que le langage condensé (au sens freudien) que la télévision ;
- resterait le problème des disques, des cassettes, etc.

Livres / Environnement socio-culturel

Nous n'aborderons pas ce problème sociologique important qui aurait nécessité à lui seul un exposé. Cependant dans les perspectives développées ici un certain nombre de terrains de recherches existent et devraient retenir notre attention :
- l'enfant des villes, l'enfant des campagnes et le livre ;
- les garçons et les filles ;
- l'école et les temps libres ;
- livres des enfants / livres des parents : les mêmes ou séparation ;
- livre d'enfant et habitation : la chambre de lecture, frère et sœur. Les copains, le jeu ;
- livres / activités sportives ;
- loisirs réels de l'enfant : loisirs tranquilles, loisirs agités, temps de lecture ;
- les jeunes et l'ennui : la lecture passive ennuie. La lecture doit réveiller.

Conclusions

La collaboration entre tous ceux qui s'occupent du livre pour enfants et adolescents et entre tous ceux qui s'occupent du livre : enseignants, bibliothécaires, animateurs, auteurs, libraires, éditeurs, mouvements de jeunesse, est non seulement indispensable, elle est nécessaire. Mais à condition d'éviter les amalgames confusionnistes. On ne fait pas tout, tous ensemble, à la fois.

L'animation « autour du livre » ne consiste pas à faire du vent autour des livres pour que les pages tournent plus vite.

Bien se garder de prendre les moyens pour la fin, de transformer l'animation en spectacle qui dispense de lire. Le but est la lecture solitaire (à quelques exceptions près) et silencieuse.

Ce qui n'exclut pas tout autre mode d'utilisation des livres (montages, expositions, etc.) mais il faut savoir que c'est autre chose.

Faut-il répéter comme une lapalissade qu'on ne fera rien dans le domaine qui nous retient sans une politique globale de la lecture dans notre pays. Je veux dire entre autre chose que si nous ne sommes pas des lecteurs nous-mêmes, si nous ne lisons jamais par désir, pour le plaisir, si nous ne nous inventons pas dans nos lectures, nous passerons toujours à l'extérieur des problèmes qui nous sont posés.

« Les enfants » dit René Char « réalisent ce miracle adorable de demeurer des enfants et de voir par nos yeux ».

Nous, c'est avec les yeux des adultes qu'ils seront que nous devons également chercher à voir les enfants. Car nous aurons les lecteurs que nos lectures appellent et méritent.

Georges Jean

Annexe 4

Résumé de l'intervention de Francine Best

Les psychologues sont d'accord sur l'importance du livre dans la formation de l'enfant pendant les années même où il ne peut pas lire. Trois éléments interviennent ici :

1. L'objet-livre.

Les enfants qui ont la chance d'avoir des livres autour d'eux savent que ces objets veulent dire quelque chose ; ils sont étonnés et fascinés par les signes de l'écriture qu'ils ne comprennent pas. Ce mystère suscite en eux le désir de lire, et la lecture leur procurera plus tard le plaisir de la découverte. D'où la nécessité d'avoir des livres dans tous les lieux de loisir et dans toutes les écoles maternelles pour susciter cette interrogation permanente.

2. Les histoires racontées

Elles permettent aux enfants d'avoir une relation affective très forte avec le conteur, avec l'adulte. C'est aussi une façon d'aborder la structure du récit. Des formules telles que « il était une fois », « et alors », « et puis », ouvrent le domaine de l'imaginaire. Il importe que l'enfant entende et s'imprègne de cette structure de récit qui, autrement, lui restera étrangère. Or faire passer un enfant qui n'a pas entendu d'histoire à l'apprentissage de la lecture, c'est le mettre devant des structures langagières différentes de celles de la langue orale dont il ne pourra saisir la signification et l'intérêt.

3. Les histoires lues

Après le livre-objet et l'histoire racontée, il y a l'histoire lue. Le changement ici est fondamental. Le conteur s'efface derrière le livre, et l'enfant a le sentiment de s'approprier le livre par la parole de l'adulte. Il échappe ainsi au langage enfantin et la possibilité de relecture permet de faire durer le plaisir de l'histoire. Mais l'enfant n'accepte pas alors que l'on change les mots du livre. Il y a un âge où l'enfant refuse le conte et exige la lecture.

Ces trois phases s'inscrivent dans la vie de l'enfant de o à 6 ans. Il est donc nécessaire de ménager des coins-lecture à tous les moments de la vie de l'enfant. Le passage à l'école primaire et l'apprentissage de la lecture imposent à l'enfant un effort logique et perceptif considérable. Ce passage est en général trop rapide. On oublie le sens du texte pour combiner des lettres et le fait que les livres soient les mêmes pour tous prive les enfants du choix de leur lecture et de tout engagement personnel. Or ce sont les deux conditions de la continuité du désir de lire. Beaucoup de lecteurs potentiels meurent au cours de ce passage, Il faut déscolariser le livre à l'école et y multiplier les occasions de lecture personnelle. Il y a intérêt à combiner la lecture silencieuse, la lecture expressive où l'enfant s'approprie et fait vivre le texte en l'oralisant et en le communiquant aux autres, et la lecture faite par le maître. Cette incitation permanente à la lecture est aussi une incitation perpétuelle à la représentation imaginaire. C'est pourquoi il faut se méfier de la trop grande surcharge de l'illustration qui bloque l'imagination. Par l'imaginaire, l'inconscient, et la personnalité de l'enfant se forment. Faute de lecture, l'enfant risque de ne pas décoller d'un réalisme étriqué et immédiatement utilitaire. La conscience que l'enfant a du temps et de la durée lui vient en grande partie de la lecture. Il y a création de soi par l'imagination, et le plaisir de lire est retrouvé avec une acuité nouvelle au moment de l'adolescence où l'on redécouvre des résonances entre le texte et soi.

Le plaisir n'est pas complet si la lecture ne procure pas aussi le désir de créer. L'enfant ne comprend parfaitement ce qu'est l'acte de lire que s'il connaît l'acte d'écriture. La lecture doit engendrer le désir de créer de l'écrit. Dans cette perspective la lecture est une production. Or les enfants sont rarement mis dans la possibilité de le faire. C'est pourquoi il faut enrichir le coin-lecture et les bibliothèques en y plaçant tout le matériel nécessaire à l'expression écrite, de façon à libérer à la fois la lecture et l'expression de soi.

Ceci est particulièrement net lorsqu'on observe le comportement des enfants devant les textes poétiques. Ils ont une façon très particulière de s'emparer des poèmes, très différente de celle des adultes. Ils prennent les mots, les déforment, les allongent, en fabriquent des comptines. Lorsqu'ils sont plus grands, ils s'essaient à en écrire à leur tour.

Annexe 5

Le coin-lecture dans les salles de classe

1. Étude du coin-lecture de la classe maternelle de Saint-Georges-du-Bois.

a) Étude des lieux, des livres et des moments de lecture.

Dans la classe le coin-lecture existe déjà. Il contient des livres apportés par la Bibliothèque centrale de prêt de la Sarthe et un fonds qui a été donné par le Service départemental de la jeunesse et des sports.

Les enfants de la classe viennent chercher les livres pendant les temps libres, s'installent où ils veulent pour lire dans tout l'espace de la classe. Les livres sont empilés dans un placard qui délimite le coin-lecture et dont les portes sont toujours ouvertes.

La maîtresse raconte, les enfants regroupés autour d'elle. L'histoire racontée est quelquefois exploitée par les enfants sous forme de mimes fugitifs, ou dessinée par eux sous forme de bandes dessinées.

b) Réflexions.

Les livres empilés dans le placard ne permettent pas le choix. Il faudrait les présenter debout dans une caisse et aménager le coin avec un tapis et des coussins.

La question suivante est posée : le coin-lecture doit-il être l'endroit où on lit, ou bien l'endroit où les livres sont valorisés, les enfants aiment-ils s'isoler pour lire ou se retrouver en petits groupes ?

Le coin-lecture ne doit pas être trop grand car il risquerait d'y avoir bousculade. Il faudrait prévoir plusieurs endroits dispersés dans la classe.

c) Propositions.

Prévoir une petite banquette de mousse sur laquelle 2 ou 3 enfants pourraient s'asseoir côte à côte pour lire et commenter un livre ensemble.

Prévoir une boîte en carton pour le rangement des livres.

A la question : doit-on présenter aux enfants une réalisation ou les amener à composer eux-mêmes leur coin-lecture ? les stagiaires répondent : il vaut mieux proposer aux enfants quelques directions pour l'aménagement et les laisser faire.

Les enfants de la classe allant facilement vers les livres dans l'état actuel du coin-lecture, les stagiaires décident de s'intéresser ensuite aux problèmes posés dans une classe d'Allonnes où les livres n'attirent pas les enfants.

2. Étude du coin-lecture dans la classe d'Allonnes (Section d'éducation spécialisée).

Dans cette classe les stagiaires se sont efforcés d'appliquer les réflexions faites précédemment.

Ils proposent :
- la mise en valeur des livres sur un panneau d'exposition ;
- le rangement des autres livres debout dans un carton ;
- l'installation de coussins dans un coin isolé.

Ils ont dressé le plan suivant (voir plan)

Annexe 8

Le coin-lecture dans les dessins des enfants

Nous avons recueilli 997 dessins d'enfants de 4 à 14 ans.

Pour pouvoir entreprendre une étude nous avons classé par thème les informations contenues dans ces dessins : le lit 173 représentations ; la chambre 200 ; la maison 174 ; l'école 35 ; la bibliothèque 31 ; la nature et les lieux imaginaires 384.

Le nombre important de dessins ne permet pas de faire une étude rapide, de plus les indications de départ données de façon fluctuante et dans des conditions différentes, empêchent une telle étude qui serait vouée à l'échec.

Cependant nous avons pensé que les dessins nous offraient peut-être de nombreuses informations : - sur les conditions demandées pour un coin-lecture auxquelles en tant qu'adultes nous ne pensons pas nécessairement ;
- sur les éléments communs à un âge donné ;
- sur une évolution différente par rapport aux âges.

Notre problème a été de réduire le nombre des dessins à étudier ; nous avons donc retenu uniquement les dessins concernant la nature et les lieux imaginaires. Nous pensions qu'à travers ces thèmes apparaîtraient plus nettement les idées propres à l'enfant. Mais nous n'avons pas rejeté à priori la catégorie « lieux conventionnels », ceux-ci pouvant très bien traduire de réels besoins ou désirs de l'enfant.

En faisant cette sélection, nous ne voulons pas caractériser les coins-lecture mais seulement trouver des éléments communs appartenant à des situations de lecture.

Les lieux conventionnels.

- Il n'y a pas de différence (significative) des lieux par rapport aux âges.

- Pour un âge donné, la répartition entre « lit, chambre et maison » se fait en gros par tiers.

- Les lieux conçus par l'adulte pour la lecture (école et bibliothèque) sont très peu représentés à 5 %.

Mais la chambre, le lit sont des endroits recherchés pour leur confort, leur calme, l'isolement dont les enfants disposent ou aimeraient disposer.

Le contenu des dessins « lieux imaginaires et nature ».

I. L'attitude de l'enfant.

A 7 ans imprécision des attitudes qui apparaissent vers Io ans et deviennent très nettes à 12 ans : la position couché est unanimement recherchée ; la position assis sur un siège est rejetée dès 8 ans.

2. Les supports.

A 7 ans le support est indéterminé ; il apparaît vers Io ans et très nettement à 12 ans : le support chaise n'est pas recherché quel que soit l'âge.

La position « assis sur un siège » étant apparemment la moins recherchée il apparaît nécessaire de mettre les enfants dans un milieu où ils puissent expérimenter et choisir leurs positions propres.

3. La présence.

(humaine ; maison et animale).

A 7 ans on constate que l'enfant a besoin d'une présence humaine, un besoin de sécurité affective au moment de la lecture (la lecture serait-elle non sécurisante pour un enfant ?)

A 8 ans la présence humaine directe n'est plus recherchée, cependant l'isolement n'est pas complet (présence de la maison). L'autonomie n'est pas entièrement acquise.

Après 9 ans la présence d'animaux, qui est un besoin constant quel que soit l'âge, est très fortement souhaitée. Un fossé se creuse entre la présence animale et les deux autres (la maison et la présence humaine). La présence d'un animal serait-elle l'expression d'un besoin d'être sécurisé par transfert affectif ? L'animal marquerait-il une nécessaire présence de vie ?

4. Les lieux choisis.

(Rivière, jardin de la maison, nature.)

A 7 ans les lieux ne sont pas précisés. D'une façon générale, pour les autres âges la lecture est associée à la nature.

Il est intéressant de remarquer la présence constante de l'eau (rivière ou étang). Est-elle effectivement le symbole de la vie (calme et reposante) ? Si cela était, on pourrait émettre l'idée que pour les enfants la lecture n'est pas un moment ou une situation étrangère à la vie. La lecture ne serait pas un moment d'autisme (de repli sur soi) ou d'évasion complète et abstraite mais une situation en continuité avec la vie qui entoure les enfants.

Remarque à 10 ans.

Le besoin exprimé de lire dans la nature correspond à un besoin corporel d'espace pour les enfants qui sont à la conquête du monde « lointain » par opposition au monde égocentrique. Les enfants cherchent à éprouver leur autonomie et leur indépendance. La lecture n'est pas fondamentale ; le besoin de la nature est fortement associé à tous les éléments de vie (position, lieux, présence).

Les désirs exprimés mis en corrélation avec le type de littérature préféré à cet âge (l'aventure) permettrait de penser qu'il se crée un lien de complémentarité entre l'espace réel et l'espace dans la lecture. La lecture serait une forme de compensation : grâce à elle, les enfants peuvent s'approprier l'espace dont ils ont besoin et satisfaire ainsi leurs propres besoins sans les vivre effectivement. Ainsi la lecture évasion serait une compensation à l'évasion dans une nature vraie.

La présence humaine n'est plus souhaitée dès 8 ans (serait-ce l'expression de la répression (sic) adulte sur l'enfant ?), mais les enfants de cet âge expriment le besoin d'une présence rassurante, sécurisante (la maison n'est pas trop loin, les animaux sont là, la vie est calme, reposante, douce ; il y a des oiseaux, du soleil...). Les enfants sont donc sensibles à l'environnement qui doit être vivant mais non accaparant. On pourrait dire qu'ils expriment le besoin de vivre en symbiose avec le milieu.

Nous avons également remarqué que pour de nombreux enfants la lecture était associée aux lieux des vacances. Cela peut-il être envisagé comme étant l'expression de la distance de l'individu par rapport à la lecture ? Les conditions de la lecture sont alors plus importantes que la lecture elle-même qui ne serait qu'un élément de la situation. Il serait alors bon que cet élément existe dans les lieux de vacances (camping, plage, etc.).

Ceci peut expliquer aussi le nombre des enfants qui fuient la lecture, les conditions souhaitées pour la lecture se concrétisant rarement dans le temps.

Réflexions.

- Le coin-lecture à proprement parler n'est pas ressenti comme un besoin. Serait-il une invention des adultes ? une tentative de normalisation ?

- Le coin-lecture serait une étape donnant à l'enfant un conditionnement pour l'inviter à lire. Seul l'enfant motivé par la lecture serait susceptible de créer lui-même son univers, correspondant à ses besoins propres. Mais encore faut-il lui donner la possibilité de s'expérimenter lui-même.

- Attitude pédagogique : laisser l'enfant libre dans le choix des lieux, des éléments de ces lieux. Donc ouvrir les possibilités plutôt que de les enfermer dans un coin-lecture.

- Tenir compte de l'âge affectif de l'enfant et du besoin de sécurité vers 7 ans et avant, besoin fondamental selon notre étude.

- En quelque sorte laisser l'enfant s'organiser, lui faire dépasser les modèles sans en créer pour lui.

Jean et Claude Cohen

N. B. - Le texte complet de cette étude peut être consulté à la Bibliothèque centrale de prêt de la Sarthe.

Annexe 9

« Être bien, lire, s'installer », exercice d'écriture automatique

Par terre. La fleur s'épanouit. Je me sens bien mais quelquefois j'ai l'impression qu'il va se passer quelque chose. Quoi ? J'ai apporté un livre. J'essaie de lire. Un oiseau. L'herbe bouge. Pourquoi ? Je m'installe autrement. L'oiseau n'a plus de plume. Le vent ; la fleur s'envole. Pourquoi ? J'étais bien. Cette herbe fait du bruit. La lune est déjà·levée et le soleil pas couché. Pourquoi la lune n'est jamais à côté du soleil en même temps ? J'essaie de lire mais je me demande pourquoi. Dans les livres cela n'est jamais marqué. On nous cache plein de choses. J'aime pas les livres à l'eau de rose. Je n'aime pas les livres d'amour. Des fois je crois dans la lune. Je suis en train de lire ou du moins je veux lire mais cela ne m'intéresse pas. Écrire c'est bien, mais c'est fatigant. Et d'ailleurs l'écriture nous est apprise. Si on écrit mal c'est grave, à l'école on me l'a dit mais je m'en fiche. J'ai un enfant. Pourquoi ? Je suis bien avec elle. Je voudrais qu'elle soit heureuse. Tout le monde est fou plus ou moins mais ne l'accepte pas. Il est rassurant de se croire normal. Et la lecture dans tout cela.

Écouter, le silence, la musique, partir regarder jouer, le printemps le soleil le vent les nuages fuient nous jouons avec le feu. Les oiseaux s'envolent le cœur bat au rythme de cette musique la pluie tape sur les vitres. Une mouche s'envole, une hirondelle passe, le coucou chante. Il fait chaud, le feu brûle, les flammes dansent. Regarde au loin les feuilles bougent les enfants rient dans l'herbe, les grillons se répondent, écoute, ne t'arrête pas, cours, le sable vole, tourne la page, rêve.

Non s'installer mais lire dans le déséquilibre marin qui incite au savoir. Non pas être bien mais être mieux dans la jouissance du lire mu des mots sans faille et hydrofuges qui scintillent aux paluds mortuaires. Nous installerons des rigueurs amères et nous batifolerons dans les laminaires rousses.

Lire l'océan et la femme tel sera notre destin au bien-être des naufrages et nos lectures ouvriront aux portes de la nuit des houles de joie.

S'installer dans la tiédeur des vents n'oblitérera point nos libertés futures et des troupeaux ratifieront notre choix. Au-delà des vents de galène, nous irons ivres de rêves ou d'alcools dans les mots succulents qui tressaillent au penchant des collines. Salut au livre de mer, salut au scripteur de plaisir.

Tu t'installes au pupitre de pierre pour tracer un bonheur d'exister. Amer est le silence. Parole qui s'installe dans le bien être du lire. Livre qui s'évanouit dans le tressaillement de la Parole. Un déclin solaire ternit la page... Mains qui froissent les mots :
- s'installer la terreur des intellectuels ;
- s'installer l'angoisse ;
- s'installer la peur.

Lire anime à nouveau le bonheur.

Bien-être du calcium aux moules.

Être bien dans sa peau, partir un livre à la main, chercher un coin où s'installer, à l'aise, confortablement allongée, entourée d'arbres, d'herbe. Il fait bon respirer, regarder, écouter, aller ailleurs, chercher un autre coin, lire au soleil, au bord de l'eau, regarder les choses qui m'entourent, me replonger dans ma lecture. J'ai perdu le fil de mon roman, j'aime relire et relire, m'imprégner à la fois des lignes, des bruits, des odeurs. Rêver. Revenir à la réalité, m'y installer et y échapper. Tout oublier, des contraintes quotidiennes, plus d'horaires, aller à Londres, à Jersey, revenir, retourner. Lire et découvrir.

Lire ou bien manger, s'installer, allongé dans un champ, brouter l'herbe, en regardant la lune, se laisser couler par terre en petit tas tout mou, avoir chaud dans l'estomac, oublier son corps, plonger dans sa tête, danser et courir en dedans, casser la coquille de l'œuf, s'envoler vers les étoiles, galoper dans un troupeau de chevaux filmés au ralenti, entendre la musique, ne pas s'arrêter, naviguer sur une mer paisible ou courir sur des vagues comme des montagnes.

Annexe 10

Le coin-lecture idéal

Les thèmes.

Les trois éléments naturels, AIR, EAU, et FEU sont représentés de façon directe en non ambiguë : ceci nous fait conclure que la lecture est assimilée à l'évasion, mais sans doute y a-t-il inquiétude à quitter la terre, car nous remarquons les murs ou parois même transparentes qui enferment et rassurent (un seul dessin représente un lieu ouvert).

Les animaux soit muets comme le poisson, soit doux comme le chat.

Les plantes, arbres ou fleurs (dans 6 dessins sur 7).

En outre, la présence fréquente (4 fois) d'éléments nutritifs et désaltérants marque la volonté d'être autonome et à l'abri du besoin.

AIR : très présent dans le seul lieu ouvert, il apparaît grâce aux fenêtres ou lucarnes et hublots dans les lieux clos, et aussi dans la transparence de la « bulle » aérienne.

On le voit plus symboliquement, dans le balancement d'un hamac ou d'un rocking-chair, dans le bercement de « l'œuf à bascule » et de la « bulle » suspendue.

Les coussins (souvent présents) peuvent aussi symboliser l'air à travers l'idée de moelleux et de confort idéal.

EAU: Elle a quatre fonctions apparentes :
- bercement (coussin d'eau) physique et sonore (pluie qui tombe dehors pendant qu'on est à l'abri) ;
- liquide vital (boisson) ;
- loisir (mer où on se baigne) ;
- poubelle (mer où on jette les livres après usage).

FEU: présent trois fois : cheminée avec feu de bois, feu de bois à l'extérieur, plus un soleil et trois lampes.

Les livres curieusement sont quelquefois difficiles à trouver, mais en fait, ils sont dans tous les dessins : ouverts dans 6 cas sur 7 et sur des étagères 4 fois. Ils sont jetés dans 1 cas.

D'une manière générale le livre n'est pas conçu comme un réservoir de connaissances, mais comme une distraction, associée au rêve et à la liberté.

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Annexe 1

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Annexe 2

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